- Affaire du pain maudit
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L'affaire du pain maudit est une série d'intoxications alimentaires qui frappe la France à l'été 1951, dont la plus sérieuse à partir du 17 août à Pont-Saint-Esprit, où elle fera sept morts, 50 personnes internées dans des hôpitaux psychiatriques et 250 personnes atteintes de symptômes plus ou moins graves ou durables. Près de soixante ans après les événements de Pont-Saint-Esprit, on ne sait toujours pas à quoi les attribuer. Cliniquement, les symptômes étaient ceux d'une forme mixte d'ergotisme, mais ce diagnostic n'a pu être prouvé.
Sommaire
La panique
L'enquête judiciaire menée à l'époque ne permit pas de déceler la cause exacte de ce mal qui frappa, en 1951, cette petite ville de moins de cinq mille habitants. Un journal, cité par l'historien Steven L. Kaplan, observe : « Alors, faute du nom du mal, on veut connaître celui de l'homme responsable. Les versions les plus abracadabrantes circulent. On accuse le boulanger (ancien candidat RPF, protégé d'un conseiller général de De Gaulle), son mitron, puis l'eau des fontaines, puis les modernes machines à battre, les puissances étrangères, la guerre bactériologique, le diable, la SNCF, le pape, Staline, l'Église, les nationalisations.[1] »
Le corps médical pense alors que le pain maudit aurait pu contenir de l'ergot de seigle, mais sans en avoir la preuve. Le pain acheté dans la boulangerie Briand provoque vomissements, maux de têtes, douleurs gastriques, musculaires, et accès de folie (convulsions démoniaques, hallucinations et tentatives de suicide), ce syndrome (ensemble de troubles) pouvant évoquer l'ergotisme. On a pensé également à une intoxication par le dicyandiamide de métyl-mercure, un produit contenu dans un fongicide utilisé pour la conservation des grains, mais cette piste a été abandonnée.
Les Spiripontains applaudissent l'arrestation d'un meunier poitevin, fournisseur de la farine employée à Pont-Saint-Esprit, incarcéré à Nîmes, avant de s'élever contre sa libération[1].
Cinq hypothèses
L'hypothèse ergot de seigle
En 1951 le corps médical avait estimé que le « pain maudit » aurait pu être contaminé par de l'ergot de seigle (Claviceps purpurea), un champignon parasite des graminées. Mais ce diagnostic n'a jamais pu être prouvé.
L'hypothèse « Panogen® »
On a aussi pensé à une intoxication par le dicyandiamide de métyl-mercure, un produit contenu dans un fongicide (« Panogen® ») utilisé pour la conservation des grains ayant servi à faire la farine. La justice retient cette hypothèse, mais cette piste a fini par être abandonnée suite à une thèse en pharmacie soutenue en 1965[2]. Elle est également mise en doute par Steven Kaplan[2].
L'hypothèse « mycotoxines »
En 1982, le professeur Moreau, toxicologue spécialiste des moisissures, a émis l'hypothèse que l'intoxication de Pont-Saint-Esprit aurait pu provenir de mycotoxines, substances produites par des moisissures pouvant se développer dans les silos à grain. Les effets toxiques des mycotoxines sont aujourd'hui bien connus en médecine vétérinaire, mais étaient quasiment inconnus en 1951[3].L'historien S. Kaplan a avancé également l'hypothèse d'agent blanchissant du pain.
L'hypothèse « agène »
Outre l'hypothèse des mycotoxines, Steven Kaplan retient celle d'un blanchiment artificiel du pain à l'aide d'un composé chimique pathogène : l'agène[2], aussi dénommé (entre autres) trichlorure d'azote.
L'hypothèse LSD 25
Dans son livre A terrible Mistake[4] à propos de la mort de Frank Olson et les expériences de contrôle mental menées par la CIA dans les années 1950, publié aux États-Unis en octobre 2009 et traitant des opérations de la CIA durant la Guerre froide, le journaliste américain Hank P. Albarelli Jr. avance que la CIA aurait testé le LSD comme arme de guerre, par pulvérisation aérienne sur la population spiripontaine. Le LSD était une substance d'étude privilégiée lors de plusieurs projets dont MKULTRA et MKNAOMI. Les habitants de Pont-Saint-Esprit, comme des milliers d'Américains ou non-Américains, auraient servi de cobaye pour tester la dissémination à grande échelle de cette drogue, dans le cadre de MKNAOMI[5]. Albarelli explique en détails sa version des faits lors d'une interview (en anglais) donnée sur la radio suédoise RedIce, le 11 février 2010[6]. Dans son no 559 du 18 février 2010, l'hebdomadaire nîmois La Gazette fait état de cette thèse, suivi par d'autres médias[7],[8]. Les hallucinations qui accompagnent les convulsions de l'ergotisme sont similaires à celle déclenchées par le LSD (l'acide lysergique, base du LSD, est synthétisé à partir de l'ergot de seigle).
Mais là encore, rien n'a pu être prouvé et les spécialistes sont en désaccord. En définitive, l'affaire du pain maudit de Pont-Saint-Esprit conserve, à ce jour, tout son mystère[9].
Postérité
Le livre Histoires vraies en Languedoc-Roussillon[10] de Hubert Delobette relate dans le détail cette affaire. Le 13 février 2010, France 3 a diffusé le téléfilm Le Pain du diable, dont le scénario est basé sur cette affaire.
Notes et références
- L'Histoire n° 271, décembre 2002, article intitulé "Le pain, le peuple et le roi", pp.64-70 Steven L. Kaplan, "Le pain maudit de Pont-Saint-Esprit", p.68 de
- Quand le pain empoisonne, La Vie des idées, 3 septembre 2008
- Régis Delaigue, Le Feu Saint-Antoine et l'étonnante intoxication ergotée, Ed. Armine-Ediculture, 2002, p. 214-225, où l'on trouvera par ailleurs une bibliographie détaillée de cette question.
- (en) Hank P. Jr. Albarelli, A terrible Mistake : The Murder of Frank Olson and the CIA’s Secret Cold War Experiments, TrineDay Publishers, octobre 2009, broché, 864 p. (ISBN 0977795373) [présentation en ligne]
- « LSD, CIA et Pont-Saint-Esprit », Le Monde, 10 mars 2010. Francis Zamponi,
- H.P. Albarelli Jr. - Germ Warfare, CIA, LSD, Dr. Frank Olson Interview disponbible à l'URL suivante :
- « En 1951, un village français a-t-il été arrosé de LSD par la CIA ? », Les Inrockuptibles, 8 mars 2010.
- lexpress.fr l'Express du 10.03.2010:
- Régis Delaigue, Le feu Saint-Antoine et l'étonnante intoxication ergotée, Ed. Armine-Ediculture, 2002, p. 214-225, où l'on trouvera par ailleurs une bibliographie détaillée de cette question
- Hubert Delobette, Histoires vraies en Languedoc-Roussillon, Papillon Rouge Editeur
Bibliographie
- Steven L. Kaplan, Le pain maudit, Fayard, 2008 (ISBN 978-2-213-63648-1) (1140 p.)
Voir aussi
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