Époque d'Uruk

Époque d'Uruk

Période d'Uruk

Masse d'armes de la période d'Uruk, Tello, v. 3500–2900 av. J.-C., musée du Louvre

On appelle période d'Uruk un stade de développement protohistorique de la Mésopotamie, qui voit l'apparition de l'écriture et de la civilisation sumérienne.

Sommaire

Chronologie

La chronologie de la période d'Uruk est basée sur la stratigraphie² de sites mésopotamiens, d'abord Uruk, le site éponyme.

  • Uruk ancien : 4300-3800 av. J.-C. ;
  • Uruk moyen : 3800-3400 av. J.-C. ,
  • Uruk recent : 3400-3100 av. J.-C.
  • Djemdet Nasr : 3100-2900 av. J.-C.

La période d’Uruk est divisée en trois sous-périodes (la datation est approximative). La dernière est nommée période de Djemdet Nasr, d’après un site situé en Basse-Mésopotamie. Elle ne présente en fait que très peu de différences par rapport aux périodes précédentes, dans la continuité desquelles elle se place.

La chronologie de cette période est très discutée, en grande partie à cause de la difficulté qu'éprouvent les spécialistes à établir des synchronismes entre les différents sites archéologiques.

L'évolution de la période d'Uruk même est un autre point de débat. On peut néanmoins tenter de la reconstituer de manière vague. La première phase voit le développement des gros centres urbains de Basse-Mésopotamie, avec le début de l'expansion vers les régions voisines. La deuxième période est celle de la consolidation du système, le processus d'apparition des villes, de l'état, des outils d'administration et de comptabilité, dont l'écriture, s'accomplit, et c'est à la période finale qu'il s'achève. On note cependant une augmentation des différences régionales durant cette dernière phase, qui ouvre sur la période suivante, durant laquelle le Proche-Orient devient plus disparâte.

Sites principaux

Uruk et la Basse Mésopotamie

Sites principaux de Mésopotamie durant la Période d'Uruk.

Uruk est le site éponyme de cette période. C’est la plus grande ville qui ait été retrouvée pour cette période, et de très loin : sa superficie passe de 100 à 230 ha au cours du IVe millénaire av. J.-C., soit trois à quatre fois plus que les autres grands sites contemporains. L’arrière pays d’Uruk était aussi très peuplé. La ville était probablement fortifiée, et disposait d’une architecture monumentale imposante : le Temple Calcaire du niveau V (début de l’Uruk récent), les différents « temples » du niveau IV de l’Eanna, et la « ziggourat d’Anu » surmontée par le Temple Blanc à Kullab. D’autres sites voisins sont importants, comme Eridu, Ur, Tell Uqair et Djemdet Nasr.

Suse et Plateau iranien

La région de Suse se situe dans le voisinage direct de la Basse-Mésopotamie, même si l’extension du Golfe Persique, qui remontait beaucoup plus haut qu’aujourd’hui, empêchait sans doute les communications directes entre ces deux régions via le littoral. Les niveaux de la période d’Uruk correspondent à ceux de Suse I (c. 4000-3700) et Suse II (c. 3700-3100). Le niveau I voit la construction d’une Terrasse Haute monumentale. D’autres sites voisins ont livré des niveaux de ces périodes, comme Djaffarabad ou Choga Mish. Plus au nord vers le Plateau iranien, le site de Godin Tepe est également représentatif de la période d’Uruk.

Haute Mésopotamie et Syrie du Nord

Plusieurs sites importants de la période d’Uruk ont été fouillés dans la région du Moyen-Euphrate. Le plus connu est Habuba Kabira, un port fortifié où on a pu fouiller plusieurs anciens quartiers d’habitation. Il présente des similitudes avec deux sites voisins, Djebel Aruda et Sheikh Hassan. Dans la région du Khabur, le site de Tell Brak est dès cette période un centre urbain important ; à proximité, Hamoukar a été mis au jour récemment.

Anatolie

Sans se situer dans la zone d’extension de la civilisation urukéenne, les sites contemporains de l’Anatolie du sud-est se situent dans l’orbite de celle-ci. Le plus caractéristique est Arslantepe, situé dans les faubourgs de l’actuelle Malatya. Plus au sud, on connaît Hassek Höyük et Samsat, situés sur l’Euphrate, en contact avec les sites urukéens du Moyen-Euphrate.

Les apports de la période d’Uruk

Apparition des villes et de l’État

La période d’Uruk voit certains habitats humains prendre une importance nouvelle, qui les fait passer au rang de villes à proprement parler. Le site d’Uruk est loin devant les autres, tant par sa superficie, que par la taille des monuments qui s’y trouvent et l’importance des outils administratifs qu’on y a exhumé, témoignant de la présence d’un important centre de pouvoir. Le même phénomène se repère à Eridu, Suse, Choga Mish. Le site d’Habuba Kabira, l’un des mieux connu pour cette période, témoigne d’un tissu urbain construit de manière planifiée. En périphérie, le site d’Arslantepe est un important lieu de pouvoir, mais il n’y a pas de grande zone d’habitat de type urbain.

L’apparition des villes témoigne de l’existence de sociétés hiérarchisées, très organisées. La période d’Uruk présente pour la première fois dans l’histoire du Proche-Orient les caractéristiques de l’existence d’États, même de simples micro-états. L’architecture monumentale est plus imposante, témoignant d’une capacité à mobiliser de nombreuses ressources humaines et matérielles, de nombreux métiers spécialisés se développent, les tombes montrent une différence de richesse croissante, etc.

Innovations techniques

Le IVe millénaire voit l’apparition de nouveaux outils qui vont bouleverser les sociétés qui les utilisent. Certains d’entre eux, déjà connus à la période précédente, sont en tout cas pour la première fois utilisés à grande échelle. Parmi les innovations les plus déterminantes, on a la roue, la voile, le tour du potier, l’araire, et l’utilisation de la brique cuite et du bitume en architecture. Si des innovations sont attestées par des découvertes archéologiques (nouveaux types de briques) ou l'étude de réalisations techniques (l'utilisation d'un tour du potier se voit par l'étude des céramiques), pour l'apparition de la roue on doit se fier aux représentations de celle-ci sous des chariots, qui apparaissent dans les sceaux-cylindres, alors qu'auparavant n'étaient gravés que des traineaux.

Administration et comptabilité

L’apparition de l’État se fait avec le développement des outils administratifs, et donc des outils de comptabilité. Les sceaux servant à sceller les marchandises stockées ou échangées, ou à identifier un marchand ou un administrateur sont connus depuis au moins le VIIe millénaire av. J.-C. Avec le développement des échanges à longue distance, leur utilisation de généralise. Au cours de la période d’Uruk, les sceaux-cylindres apparaissent et supplantent les simples sceaux. Ils restent un élément caractéristique de la civilisation proche-orientale durant plusieurs millénaires.

La période d’Uruk voit aussi se développer les outils de la comptabilité, souvent perçus comme des formes de pré-écriture. On confectionne des bulles d'argiles contenant des jetons que l'on appelle calculi. Leur forme variait : tantôt des billes, puis des cônes, des bâtons, des disques, etc. Chacun de ces modèles sert sans doute à identifier un type précis de marchandise. Si on se servait déjà depuis quelque temps de ces objets pour compter, leur utilisation nouvelle leur permit de servir à conserver les informations (sur les opérations commerciales surtout), et de les transférer en d'autres lieux. Par la suite, on reporta les calculi sur les bulles sous forme d'encoches, qui servaient à montrer le contenu de la bulle, et donc les marchandises envoyées. On se serait ensuite contenté ensuite de simplement reporter ces encoches sur une tablette d’argile. Ce modèle d’évolution, assez théorique, est parfois contesté, mais reste une tentative intéressante d’expliquer l’évolution des formes de comptabilité à cette période.

Apparition de l’écriture

Tablette administrative (détail) de la période d'Uruk III, Jemdat Nasr, (3100–2900 av. J.-C.)

Dérivée ou non des systèmes de comptabilité qui se développent dans les siècles précédents, l’écriture apparaît à la période de l’Uruk moyen, avant de se développer à l’Uruk récent. Les premières tablettes écrites sont attestées à Uruk IV et aussi à Suse. Les textes de cette période sont surtout de type administratif, et sont surtout retrouvés dans un contexte qui semble être public (palais ou temple) plus que privé. Leur interprétation pose problème, du fait de leur caractère archaïque. Pour la période d’Uruk récent/Djemdet Nasr, on dispose de plus de sources, provenant de plus de sites : Uruk (niveau III), Suse, mais aussi Djemdet Nasr, Tell Uqair, Umma, Khafadje, Tell Asmar, Ninive, Tell Brak, Habuba Kabira, etc. Les textes restent surtout de nature comptable, mais on trouve aussi des listes lexicales.

La civilisation d’Uruk

Architecture

Du point de vue technique, l’architecture progresse considérablement. On utilise des briques cuites, extrêmement solides, pour le revêtement de certains bâtiments. On commence à utiliser de bitume, pour l’étanchéité des canaux d’irrigations. L’architecture monumentale prend une nouvelle ampleur, comme l’attestent la Haute Terrasse de Suse I, les « temples » de l’Eanna ou encore les monuments de Kullab à Uruk IV. Leurs murs sont parfois peints, ou bien décorés avec des cônes d’argile peints formant une mosaïque. Si le style architectural s’inscrit dans la droite ligne de la période d'Obeïd, on est maintenant en présence de monuments beaucoup plus imposants, témoignant de l’existence de communautés très organisées. L’habitat est d’ailleurs plus hiérarchisé qu’aux périodes précédentes et la distinction se fait désormais dans l’espace urbain entre zone centrale (publique et/ou sacrée) et zone résidentielle ou artisanale.

Artisanat et Art

Homme barbu, sans doute le « roi-prêtre », v. 3300 av. J.-C., Louvre

Céramique

La période d’Uruk voit l’apparition du tour du potier, permettant la confection de céramique en grande quantité. Le modèle le plus répandu de cette époque est celui des bevelled-rims bowls (« bols à bords biseautés »), qui se retrouve dans toute la zone d’expansion de la civilisation d’Uruk. Leur fonction est très discutée (pour distribuer des rations alimentaires ? pour le culte religieux en général ? pour le culte funéraire ? pour contenir un produit spécifique comme le sel ?). A côté de ce modèle rudimentaire, on connaît plusieurs autres styles de poterie de meilleure facture pour la période d’Uruk, ainsi que de véritables œuvres d’art, comme la grand vase en albâtre d’Uruk III, conservé au Musée de Bagdad.

Glyptique

Les nombreux sceaux-cylindres retrouvés pour la période d’Uruk ont fait l’objet de nombreuses études. Il s’agit du meilleur témoignage sur l’univers mental des gens de cette époque, et ont sans doute servi pour diffuser des messages symboliques sur de grandes distances. Le style de cette période est assez varié, mais prend un aspect assez réaliste, représentant des scènes de la vie quotidienne, ou de chasse, de guerre. D’autres scènes représentent des animaux, parfois dans des attitudes humaines. Certaines représentations reprennent sans doute des scènes mythologiques, malheureusement insaisissables pour nous.

Sculpture

Les sculptures suivent un style et des thèmes présents dans la glyptique. On réalise des statues en ronde bosse, de petite taille, représentant des divinités ou bien un « roi-prêtre ». Les artistes de la période d’Uruk ont également réalisé des bas-reliefs, ainsi que des stèles, comme celle de la « chasse au lion », retrouvée à Uruk III.

Économie

La base de l’économie de la période d’Uruk est l’agriculture. En basse Mésopotamie, l’irrigation se perfectionne. Avec le développement de l’utilisation de l’araire, l’agriculture devient plus performante. L’élevage est aussi très pratiqué, pour la viande, le lait ou la laine. Les textes administratifs montrent souvent des achats ou ventes d’animaux, et concernent aussi le travail artisanal. Une liste lexicale répertorie les principaux métiers pratiqués en basse Mésopotamie à cette époque.

Le commerce sur longue distance connaît un essor considérable à cette période. Les fouilles archéologiques ont montré que des matériaux et objets s’échangent sur tout le Proche-Orient urukéen. Certains sites, comme Habuba Kabira, Djebel Aruda ou Godin Tepe paraissent être des comptoirs commerciaux visités par des marchands urukéens, ou autres. Les outils de comptabilité sont aussi très utilisés pour le commerce, et ils sont attestés sur tous les principaux sites de cette période.

Organisation politique

L’organisation politique de la période d’Uruk reste discutée. Rien ne permet de dire que cette période voit le développement d’une sorte de « proto-empire » centré sur Uruk. Mais il est évident que cette période connaît de grands changements en ce qui concerne l’organisation politique des sociétés, avec l’apparition de l’appareil étatique. En ce qui concerne la nature du pouvoir, on a depuis longtemps remarqué la présence dans l’iconographie de l’époque de la figure du « roi-prêtre », personnage tantôt représenté comme un guerrier ou un chasseur, tantôt comme accomplissant un rituel. Ceci représente deux des fonctions qu’ont par la suite les rois de Sumer. Si les tablettes administratives ne nous indiquent pas aux archives de quel organisme elles appartiennent (palais ou temple ?), elles montrent en tout cas l’existence d’organismes jouant un rôle important dans la société et l’économie, et sans doute la politique de la période.

L’expansion urukéenne

Les caractéristiques de la civilisation d’Uruk se retrouvant sur un très vaste territoire (de la Syrie du Nord jusqu’au Plateau iranien), avec la basse Mésopotamie comme centre indubitable de celle-ci, ont amené les archéologue qui ont étudié cette période à parler d'un phénomène d'« expansion urukéenne ».

Guillermo Algaze a repris les théories de « système-monde » pour les appliquer à la période d’Uruk. Selon ses théories, qui ont connu un certain succès, les « Urukéens » auraient créé un ensemble de colonies hors de basse Mésopotamie, d’abord en haute Mésopotamie, puis en Susiane et vers le Plateau iranien. On a en effet souvent noté que le site d’Habuba Kabira présentait les caractéristiques d’une colonie qui aurait été créée par les gens de basse Mésopotamie : construction planifiée, preuves de liens avec de nombreuses régions du Proche-Orient, avec une culture matérielle typique de la civilisation d’Uruk. Ce ne serait qu’un simple exemple de nombreuses colonies créées par les « Urukéens ». Pour Algaze, la motivation de cette expansion est économique : les gens de Mésopotamie du sud veulent obtenir les nombreuses matières premières dont ils ne disposent pas dans la vallée des deux fleuves. Ils sont néanmoins avantagés par rapport aux régions voisines grâce à la plus grande productivité de leurs terres, qui feraient de la basse Mésopotamie une région plus riche et peuplée que le reste du Moyen Orient. Dernièrement, le site de Hamoukar a fait l'objet d'une hypothèse qui présenterait l'expansion urukéenne sous un jour plus violent : le site présente des traces de bataille violente suivie d'un incendie, qui selon son fouilleur serait une preuve de la prise de la ville par les Urukéens, dont la poterie caractéristique envahit le site juste après.

Cette théorie a été critiquée, en particulier du fait que la civilisation d’Uruk reste assez mal connue en basse Mésopotamie en dehors d'Uruk même, où on ne connaît en fait bien que deux quartiers (l'Eanna et Kullab des périodes historiques). De plus, la chronologie est loin d’être établie de manière fiable pour cette période, rendant difficile la datation de cette expansion. On a beaucoup de mal à faire correspondre les niveaux de sites différents pour les attribuer à une même période, rendant l'élaboration d'une chronologie relative très compliquée. Les critiques se développent aussi à partir d'études locales : ainsi, la vision d’une colonisation urukéenne en Susiane a elle été contestée pour des raisons de chronologie. De manière générale c'est l’idée de colonisation qui a été tempérée.

Il n’empêche que cette période voit clairement la basse Mésopotamie être le centre d’une culture qui rayonne sur tout le Proche-Orient, et c'est vers ces aspects culturels que se recentrent des études plus récentes. Uruk est le plus important centre urbain de cette période (à l’échelle mondiale). La civilisation d’Uruk influence les régions « périphériques » du Plateau iranien (Godin Tepe, Tepe Sialk), d’Anatolie (Arslantepe), et peut-être même de l’Égypte prédynastique contemporaine (Bouto), où certaines choses rappellent des traits de la civilisation urukéenne (cônes de terre cuite peints, thèmes artistiques). Ce dernier point reste néanmoins débattu, en l'absence de preuves plus convaincantes. Donc, Pour de nombreux sites et régions, un phénomène d'émulation culturelle venant d’Uruk semble être la meilleure solution. Et une lecture des relations à cette période comme un rapport centre/périphérie, bien que pertinente dans bien des cas, risque de faire trop voir les choses de façon asymétrique. Les régions voisines de la basse Mésopotamie n'ont pas attendu celle-ci pour connaître un processus de complexification sociale avancé, voire même un début d'urbanisation.

Il faut de plus remarquer que chaque région présente ses spécificités. Et l'influence mésopotamienne est très variable d'un site à l'autre : Arslantepe présente surtout des aspects locaux, tempérés par des emprunts à la culture mésopotamienne, alors qu'Habuba Kabira est manifestement un établissement peuplé de gens de basse Mésopotamie. Entre les deux, Hacinebi semble faire cohabiter autochtones et « Urukéens ».

Pour résumer, on peut reprendre ce qu’a écrit J.-L. Huot : « l’époque d’Uruk, entre Préhistoire et Histoire, est une phase fondatrice dont les ébranlements se firent sentir loin. On a parfois parlé de "mésopotamo-centrisme". S’il y a un moment où on peut le faire, c’est bien celui-là[1]. »

Notes

  1. J.-L. Huot, Une archéologie des peuples du Proche-Orient, t.I, Des peuples villageois aux cités-États (Xe-IIIe millénaire av. J.-C.), 2004, p. 94.

Voir aussi

Lien externe

  • [1] : article de Jean-Daniel Forest (CNRS) sur la Période d'Uruk

Bibliographie

  • (en) G. Algaze, The Uruk World System : The Dynamics of Early Mesopotamian Civilization, Chicago, 1993
  • (en) M. S. Rothman (dir.), Uruk Mesopotamia and its neighbours : cross-cultural interactions in the era of state formation, Santa Fe, 2001
  • P. Butterlin, Les temps proto-urbains de Mésopotamie : Contacts et acculturation à l'époque d'Uruk au Moyen-Orient , Paris, 2003.


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