Édouard Bénès

Édouard Bénès

Edvard Beneš

Edvard Beneš (1884 - 1948)
Edvard Beneš avec son épouse 1921, autochrome portrait par Josef Jindřich Šechtl
Edvard Beneš avec son épouse 1934

Edvard Beneš, dont le nom est souvent francisé en Édouard Bénès ou Benes, né le 28 mai 1884 à Kožlany et mort le 3 septembre 1948, fut un des fondateurs de la Tchécoslovaquie, ainsi que son président de la République de 1935 à 1948 (de 1938 à 1945 en exil en tant que président du Gouvernement provisoire tchécoslovaque).

Sommaire

Le disciple de l’Esprit des Lumières

Né dans une famille paysanne, Edvard Beneš est le benjamin de dix enfants. Sa famille est orientée à gauche. Il obtient son baccalauréat dans un lycée du quartier pragois de Vinohrady. Il étudia ensuite le droit et la sociologie à l’université Charles de Prague. Il continue ses études à Londres et à Berlin, mais surtout à Paris à la Sorbonne et à l’École libre des sciences politiques. Il obtient un doctorat en droit à l’université de Dijon en France, 1908. Ce long séjour en France imprègnera en lui, et en sa politique, une profonde francophilie qui durera jusqu’en 1938.

Beneš devient professeur à l’université Charles de Prague en 1909. Il adhère au parti progressiste tchèque de Masaryk. Il épouse, le 10 décembre 1909, Hana Vlčková. Grâce à une des tantes de sa femme, il obtient de larges moyens financiers. Ceux-ci seront mis à contribution pendant la Première Guerre mondiale.

Edvard Beneš s’installa en France en 1915. Il milita aux côtés de son mentor Tomáš Masaryk et de Milan Rastislav Štefánik pour la disparition de l’Autriche-Hongrie. Il commença sa carrière politique dans le Conseil national tchécoslovaque en exil à Paris. Celui-ci avait été respectivement reconnu par la France, l’Angleterre et enfin les États-Unis en 1918. Lors de la négociation sur le traité de Versailles, il accomplit un lobbying très actif pour permettre à la future Tchécoslovaquie de garder les frontières occidentales de la Bohême malgré une forte minorité allemande.

L’homme politique de l’entre-deux-guerres

Il était un ardent défenseur de l’idée de la Tchécoslovaquie - réunion de la Bohême, de la Moravie et de la Slovaquie - entité sans fondement historique. En effet, même si ces deux peuples parlaient des langues très proches, leurs traditions culturelles et racines historiques étaient très opposées. La Bohême, où la tradition hussite était forte, avait fait partie du Saint-Empire, la Slovaquie, très imprégnée de catholicisme, jamais. D’autre part des minorités hongroises et ukrainiennes, encore plus allogènes, étaient hostiles au nouvel État, où les Tchèques eux-mêmes étaient minoritaires. Cet État fut néanmoins créé par le traité de Saint-Germain-en-Laye en 1919 et agrandi par le Traité de Trianon en 1920, sur les décombres de l’Empire d’Autriche-Hongrie, sur la base du Droit des Peuples à disposer d’eux-mêmes, en application du 14e point de la déclaration du président Wilson.

Après avoir été ministre des Affaires étrangères de la nouvelle Tchécoslovaquie, député au Parlement, président de la SDN, Beneš fut l’architecte du système de sécurité en Europe, fondé sur la Petite Entente et l’alliance avec l’Union soviétique. Il devint le deuxième président de la République Tchécoslovaque le 18 décembre 1935 suite à la démission de Tomáš Masaryk. Il le demeure jusqu’aux accords de Munich; il renonce à sa charge le 5 octobre 1938 et est remplacé par Emil Hácha comme président de la république. Il quitte alors son pays avec l’aide financière secrète de Staline pour un exil à Chicago où il enseigne la philosophie. Depuis le début du XXe siècle Chicago comptait le plus grand nombre de Tchèques aux États-Unis. Il part ensuite à Londres où il fonde en 1940 le gouvernement tchécoslovaque en exil, et en assume la présidence.

En 1941, Beneš signe avec Staline un traité d’alliance et organise avec l’aide des Anglais l’attentat contre Reinhard Heydrich, Reichprotektor et bourreau du pays tchèque (mai 1942). Cet attentat sera suivi d’une cruelle répression. L’Armée rouge occupe l’est du pays et Prague en avril et mai 1945, tandis que l’armée américaine libère l’ouest et Pilsen. Beneš est confirmé dans sa fonction de président de la République à ce moment par le gouvernement intérimaire présidé par le socialiste de gauche Fierlinger et réélu le 19 juin 1946.

Après l’occupation allemande et en l’absence d’un parlement élu, mais en application des décisions prises par les Alliés à la conférence de Potsdam, il signe les « décrets Beneš » dont les plus connus concernent l’expropriation et l’expatriation forcée des Allemands des Sudètes et des Hongrois de Slovaquie. L’existence de ces décrets, par le biais de l’exploitation qui en est faite par les partis conservateurs de Bavière et d’Autriche, continue de polluer l’atmosphère des relations germano-tchèques. En l’état actuel des choses, ces décrets ont été maintenus par les républiques tchèques qui se sont succédé de 1945 à nos jours et intégrés dans le corpus juridique de l’Union européenne en 1996.

La victime du coup de Prague

Après les élections de 1946, le PCT qui avait obtenu 38% des suffrages domina la vie politique et son secrétaire général, Gottwald devint Président du Conseil. Beneš se fit beaucoup d’illusions sur ses rapports personnels avec Staline, grâce auxquels il croyait pouvoir maintenir une démocratie pluraliste en Tchécoslovaquie. Il sera broyé par la guerre froide.

En 1946, il laissa, par faiblesse, le Parti communiste liquider le Parti Démocrate Slovaque après une violente campagne de presse : ce parti représentait un véritable obstacle à la mainmise des communistes sur la Tchécoslovaquie. Après ce succès, le Parti communiste comprit alors que la voie était libre pour le coup d'état qui vint en février 1948.

Sous la pression de Staline , reprise par le Parti communiste, Beneš dût refuser l’aide du plan Marshall, ce qui aurait conduit le PCT à la défaite aux élections de 1948. Aussi, le 21 février 1948, Gottwald précipite la crise par une mainmise totale des communistes sur la police, ce qui provoque la démission des ministres libéraux, avec l’encouragement de Beneš : Gottwald procède alors à des arrestations massives dans l’armée, la presse et les partis d’oppositions, qui sont alors abandonnés par Beneš. C’est le coup de Prague.

Le 25 février 1948, il accepte, sous la pression du Parti communiste et de Klement Gottwald, la démission du gouvernement de coalition démocratique et confie au parti communiste le soin de former un nouveau gouvernement sous son contrôle quasi exclusif. Le parlement, épuré, vota la confiance au nouveau gouvernement à l’unanimité. Après des élections truquées ou seul le PCT et ses affidés pouvaient se présenter, il refuse de ratifier la nouvelle constitution qui consacre la mainmise totale du PCT sur le pays et démissionne de son poste de président de la République le 7 juin 1948. Il meurt le 3 septembre 1948.

Héritage

Benès a fait preuve de beaucoup d'aveuglement devant la montée du nazisme, jusqu'en 1938 et celle du communisme, jusqu'en 1948. Il refusa systématiquement toute alliance ou même simple coopération entre les Pays Danubiens par peur de voir reconstituer l'Autriche-Hongrie. Sa haine des Habsbourg était telle qu’elle lui fit prononcer ce mot : « Plutôt Hitler que les Habsbourg ! »[1]. Ceci en dit long sur le rejet que cette dynastie avait engendré chez Beneš; mais aussi chez les Tchèques qui l’ont constamment réélu.

Il commit la même erreur à partir de 1945 : fort de l'illusion de l'amitié personnelle de Staline, il pensait que les élections anticipées qui auraient dû se tenir après la démission des ministres libéraux au moment du Coup de Prague auraient marqué un recul des communistes : "Pas trop ! Sinon Staline se fâcherait ! " croyait-il naïvement. Ce recul aurait permis un recentrage de la politique vers l'Ouest. Or, ni Gottwald, ni Staline, n'avait nullement l'intention de lâcher quoique que ce soit. Sa seconde faute fut d'encourager les libéraux dans leur projet de démission avant de les abandonner devant les menaces proférées par Gottwald et l'ambassadeur Soviétique Zorine .

La Tchécoslovaquie, a été créée par un vote des députés Tchèques et Slovaques en 1918 mais elle ne résista ni à la montée du nazisme en 1938/39, ni à la naissance de la guerre froide en 1946/48, ni à l’effondrement du mur de Berlin en 1989; elle fut divisée en République tchèque et Slovaquie, comme le voulait l'histoire de ces deux peuples.

Notes

  1. Dans "Zita impératrice courage, Jean Sévillia, Perrin, coll. « Tempus », 2003 ", chapitre 13

Voir aussi

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