Zénon d'Élée

Zénon d'Élée
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Zénon d'Élée (en grec ancien Ζήνων / Zếnôn), né vers 480 et mort vers 420 av. J.-C., est un philosophe grec présocratique.

Surnommé « le Palamède d'Élée », selon une interprétation de Diogène Laërce[1] qui identifie un palamède, c'est-à-dire un habile dialecticien, dont parle Platon dans le Phèdre (261d), avec notre Zénon. Il serait le principal disciple de Parménide, qui fut aussi son amant : Platon, dans le dialogue du Parménide (127b), rapporte non sans complaisance, une rumeur ambiguë selon laquelle Zénon aurait été l'amant de son maître. Zénon vécut comme Parménide à Élée, ville située dans le sud de l'Italie. C'est l'un des représentants de l'École d'Élée.

À l'âge de 40 ans environ, il est probable qu'il accompagna son maître lors d'un voyage à Athènes, ville où il enseigna quelques années. Périclès et Callias auraient été de ses élèves.

Diogène Laërce raconte qu'il serait mort torturé pour avoir pris part à une conspiration contre un tyran d'Élée. Toujours selon Diogène Laërce[2], Aristote attribue à Zénon d'être l'inventeur de la dialectique (méthode de raisonnement qui cherche à établir la vérité en défendant successivement des thèses opposées) ; l'œuvre de Zénon a été consacrée à argumenter contre les contradicteurs de son maître. Il est principalement connu de nos jours pour ses paradoxes restés célèbres dans l'histoire de la philosophie, en particulier à cause des réfutations d'Aristote. Ces paradoxes, souvent présentés comme ayant pour but de montrer l'impossibilité du mouvement, sont aussi interprétés par certains chercheurs[3] comme des arguments dirigés contre l'École de Pythagore qui affirmait la divisibilité du mouvement.

Sommaire

Sa vie

Sa vie est très mal connue. Les sources en sont principalement le Parménide de Platon et les Vies des philosophes illustres de Diogène Laërce.

Dans le dialogue de Platon, il est dit que Zénon a presque 40 ans, que Parménide a environ 65 ans, et que Socrate est un très jeune homme, ce qui pourrait le faire naître vers -480 ou -490. Platon le décrit comme « grand et joli à regarder », et aimé par Parménide.

Diogène Laërce indique qu'il était le fils naturel d'un nommé Télentagoras, mais que Parménide l'avait adopté. Diogène souligne aussi ses aptitudes à défendre le pour et le contre pour chaque question, ce qui lui aurait valu le titre d'« inventeur de la dialectique » décerné par Aristote.

Tout comme son maître Parménide, Zénon eut probablement une activité politique. D'après Diogène Laërce il aurait cherché à renverser un tyran d'Élée au péril de sa vie :

« Ayant entrepris de renverser le tyran Néarque (d'autres disent Diomédon), il fut arrêté (...). Interrogé sur ses complices et sur les armes qu'il avait fait livrer à Lipara, il cite les noms de tous les amis du tyran, dans l'intention de l'isoler des siens. Ensuite, sous prétexte de révélations confidentielles sur certaines personnes, il mordit cruellement le tyran à l'oreille et ne lâcha prise que blessé mortellement (...). À la fin, il trancha sa propre langue avec ses dents et la lui cracha au visage ». (Diogène Laërce, Vies des philosophes illustres, IX, 26-27)

Diogène n'est pas sûr de l'identité du tyran : il indique qu'il pourrait s'agir de Néarque ou de Diomédon. Diogène donne aussi deux fins possibles à l'histoire : dans l'une le tyran est finalement lapidé par le peuple révolté, dans l'autre, c'est Zénon qui est exécuté. La mort de Zénon est également rapportée bien plus tard par Tertullien :

« Zénon d'Élée, à qui Denys demandait en quoi consiste la supériorité de la philosophie, répondit : « Dans le mépris de la mort ! » et c'est avec impassibilité que, sous les coups du tyran, il confirma son propos jusqu'à la mort. »
(Tertullien, Apologétique, 50)

Au passage, Tertullien se trompe de tyran dans cet extrait, puisqu'il n'est pas possible que Zénon, philosophe né au début du Ve siècle ait été torturé par Denys l'Ancien, tyran de Syracuse un siècle plus tard.

Les œuvres de Zénon ont été perdues. Platon écrit[4] que ses écrits rédigés pendant sa jeunesse pour défendre les arguments de Parménide, auraient été amenés à Athènes à l'occasion de sa visite avec son maître. Ils auraient été volés et publiées sans son consentement.

Nous ne connaissons son œuvre que par les citations qu'en ont fait les auteurs anciens, en particulier Aristote.

Les Paradoxes

Article détaillé : Paradoxes de Zénon.

On croit souvent que ces paradoxes ne visent qu'à prouver que le mouvement n'existe pas. Il faut en fait les replacer dans une perspective beaucoup plus large, celle de la pensée éléate de l'« infini » ou de l'« illimité ».

Les paradoxes de Zénon sont présentés et commentés dans la Physique d'Aristote (VI,IX).


Un mobile pour aller de A en C doit d'abord arriver en B, qui se trouve entre A et C. Mais avant d'arriver en B, il doit d'abord arriver en B' situé entre A et B, et ainsi de suite... In fine, le mobile ne pourra donc pas arriver en C au bout d'un temps fini.

Si Achille situé en O poursuit une tortue qui se trouve en A. Le temps qu'il arrive en A, la tortue sera en B. Achille devra donc ensuite aller en B. Mais alors la tortue sera en C, et ainsi de suite. Achille pourra se rapprocher sans cesse de la tortue, mais il ne pourra jamais la rattraper.

Une flèche qui vole est en fait immobile. En effet, à chaque instant, elle est dans un espace égal à elle même. Elle est donc à chaque instant au repos. Si on décompose le mouvement en une suite d'instants, elle ne peut donc pas se mouvoir, puisqu'elle est constamment au repos.

  • Paradoxe du Stade

Un train (succession de masses égales) croise sur un stade un train qui va en sens inverse et un train immobile. Dans le même temps où il parcourt deux wagons du train immobile, il croise quatre wagons du train allant en sens contraire. Donc le train a parcouru dans le même temps deux distances différentes. On peut aussi dire que la moitié d'une durée est égale à cette durée puisqu'il faut le même temps pour parcourir deux wagons que pour en parcourir quatre.

Si un boisseau de mil fait du bruit en tombant sur le sol, de même un seul grain devrait faire du bruit, et même un dix-millième de grain, mais ce n'est pas le cas.

Leur influence dans l'histoire de la pensée

Que penser de ces paradoxes, comment les interpréter ?

Il est bien évident que Zénon savait que le mobile finirait par arriver à C en un temps fini, qu'Achille atteindrait la tortue, et que la flèche volait vraiment. La tradition indique que Diogène le cynique (ou Antisthène) répondit à ces arguments contredisant le mouvement, simplement en marchant. Zénon aurait pu faire de même, son but était donc tout autre.

Si l'on en croit Platon, c'est en fait pour défendre les thèses de son maître Parménide sur l'Un et critiquer ceux qui défendent la thèse de l'être multiple qu'il a proposé ces paradoxes.

Mais les interprétations sont toujours ouvertes et la dialectique de Zénon s'est montrée particulièrement fructueuse dans l'histoire de la pensée, obligeant les philosophes à rendre compte rationnellement de ces paradoxes. Il est enfin possible de voir la dialectique de Zénon comme une propédeutique à l'abord de la transcendance. Souvenons-nous en effet que les néo-platoniciens ont toujours considéré le dialogue du Parménide de Platon (où apparaît Zénon donc) comme essentiel, parce que Parménide soutenait la thèse de l'unicité de l'être.

Zénon aurait tenté de rendre compte rationnellement de cette thèse, en allant jusqu'à ses conclusions extrêmes, soit l'impossiblité du mouvement.

Zénon, le philosophe du continu

Zénon voulait plus précisément montrer que ceux qui défendent le mouvement et sa divisibilité ne sont pas cohérents, puisque l'on arrive à des conséquences absurdes.

Pour Zénon, le monde est un et continu. La pluralité (ou la divisibilité) ne sont que des apparences, auxquelles on doit opposer les rigueurs de l'intelligence :

« Si l'Un en soi est indivisible, alors, selon l'opinion de Zénon, rien n'existera. » (Aristote, Métaphysique)

En fait, on retrouve ici les thèses de Parménide. Zénon attaque la divisibilité pour mettre en avant la continuité de l'être.

Voici ce qu’en dit Proclus scolarque de l’académie néoplatonicienne vers 438 ap. JC[5] :

« Il (Zénon) écrivit un livre, dans lequel il montrait de merveilleuse façon, que pour ceux qui supposent la pluralité des choses, ne s’ensuit pas moins de difficultés que celles dont (lui semblait-il) sont assaillis les partisans de l’unité de l’être. Et en effet il montra qu’une même chose serait semblable et dissemblable, égale et inégale, et qu’il y aurait un anéantissement absolument complet de l’ordre du réel et une confusion incohérente de toutes choses. »

Références littéraires à Zénon

Dante cite plusieurs personnages célèbres dont Zénon au Chant IV[6],[7] de l'Enfer de la Divine Comédie.

« Puis ayant levé un peu plus les yeux, je vis le maître de ceux qui savent, assis au milieu de la Camille philosophique. Tous l’admiraient, tous lui rendaient honneur. Là je vis Socrate et Platon, qui se tiennent plus près de lui que les autres ; Démocrite, qui soumet l’univers au hasard ; Diogène, Anaxagore et Thalès ; Empédocle, Héraclite et Zénon ; et je vis celui qui si bien décrivit les vertus des plantes, je veux dire Dioscoride. »

Paul Valéry a évoqué les paradoxes de Zénon dans son poème Le Cimetière marin[8] (v. 121 sqq.) :


Zénon ! Cruel Zénon ! Zénon d’Êlée !
M’as-tu percé de cette flèche ailée
Qui vibre, vole, et qui ne vole pas !
Le son m’enfante et la flèche me tue !
Ah ! le soleil… Quelle ombre de tortue
Pour l’âme, Achille immobile à grands pas !

Non, non !… Debout ! Dans l’ère successive !
Brisez, mon corps, cette forme pensive !
Buvez, mon sein, la naissance du vent !
Une fraîcheur, de la mer exhalée,
Me rend mon âme… Ô puissance salée !
Courons à l’onde en rejaillir vivant.

Beckett fait référence ironiquement à Zénon dans sa pièce de théâtre Fin de Partie : "Les grains s'ajoutent aux grains, un à un, et un jour soudain, c'est un tas, un petit tas, l'impossible tas." ce qui est une référence au paradoxe des grains de mil.

Citations

  • « Le vide n'existe pas » (Diogène Laërce)
  • « Il y a plusieurs mondes » (Diogène Laërce)
  • « La nature de tous les êtres est issue du chaud et du froid, du sec et de l’humide, qui se transforment mutuellement. Les hommes sont nés de la terre et l’âme est composée par parties égales de ces éléments. » (Diogène Laërce)
  • Diogène Laërce raconte que Zénon ne pouvait pas supporter les injures. Quand on lui en faisait la remarque il répondait : « Si je n'agissais pas ainsi, comment serais-je sensible aux éloges ? »
  • Sénèque : « Zénon d'Élée dit que rien n'existe » (Lettres 88)
  • « La nature nous a donné deux oreilles et une bouche pour que nous entendions le double de ce que nous disons. »

(une citation similaire est attribuée à Zénon de Cition)

Annexes

Notes et références

  1. Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres [détail des éditions] [lire en ligne], IX, s.v. Zénon d'Élée.
  2. VIII, 42.
  3. Maurice Caveing : Zénon d’Élée, Prolégomènes aux doctrines du continu, Paris (Vrin) 1982. Paul Tannery : Pour l’histoire de la science hellène, Paris [1887, 1930], Sceaux (Gabay) 1990
  4. Parménide (Platon) (128c)
  5. Proclus : Commentaire du Parménide 619/620)
  6. Commedia, Inf. IV, 130-140 (texte original) sur Wikisource
  7. La Divine Comédie, l'Enfer, chant IV (trad. Lamennais) sur Wikisource
  8. Le Cimetière marin sur Wikisource

Bibliographie

Fragments et témoignages

  • Fragments et témoignages en ligne [1]
  • Die Fragmente der Vorsokratiker, éd. H. Diels et W. Kranz, 3 vol., Berlin, Weidmann, 1903 (10e éd. réimp. 1960-1961). Edition de référence du texte grec.
  • Les Penseurs grecs avant Socrate de Thalès de Milet à Prodicos, présentation et choix d'extraits par Jean Voilquin, Paris, Garnier Frères, 1964, rééd. GF-Flammarion. Vieilli.
  • Jean-Paul Dumont (dir.), Daniel Delattre, Jean-Louis Poirier, Les Présocratiques, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1988
  • Jean-Paul Dumont, Les Écoles présocratiques, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1991.

Études

  • Georges Noël, « Le Mouvement et les arguments de Zénon d'Élée », dans Revue de Métaphysique et de Morale, 1ère année, 1893, p. 108-125
  • André Pichot, « La Naissance de la science - 2 - Grèce présocratique », 1991, Gallimard
  • Eduard Zeller, La Philosophie des Grecs (1844-1852), vol. I et II, trad. Émile Boutroux, Paris, 1882 Lire en ligne le tome 2 sur Gallica

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