- Vespasienne
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Une vespasienne est un urinoir public pour hommes, placé sur les trottoirs ou dans des aires publiques telles que les parcs. Ce genre d'urinoirs, équipé de cloisons afin de préserver l'intimité, dispose parfois de chasses d'eau. Les premières sont créées en 1834. À Paris, en 1980, elles laissent la place aux sanisettes, également adaptées à un usage féminin. Plusieurs historiens et sociologues, dont Laud Humphreys, se sont intéressés à ces édicules.
Sommaire
Origine du nom
La vespasienne doit son nom à l'empereur romain Vespasien, qui a étendu le chrysargyre, un impôt spécial atteignant l'industrie et le commerce, à la collecte de l'urine[1], utilisée par les teinturiers pour préparer les étoffes avant de les mettre en couleur ou, quelquefois, pour dégraisser les laines, les étoffes, et ouvrages faits de laine, comme draps, ratines, serges, bas, bonnets, etc.[2]. Moqué pour cet impôt, il aurait répondu : « L'argent n'a pas d'odeur » (« pecunia non olet »), phrase devenue proverbiale[3].
Création et évolution
À Paris, comme dans toutes les grandes cités, "De par le Roi, il était interdit de satisfaire aux besoins naturels". Aussi, vers 1770, le lieutenant général de la police de 1759 à 1774, M. de Sartine ou Sartines, prit la décision de faire "disposer des barils d’aisance à tous les coins de rue" de Paris[4]. Ensuite, des édicules construits sur la voie publique en vue de satisfaire les besoins naturels des passants, souvent oublieux d’hygiène publique, furent introduits à Paris par le préfet de la Seine, le comte Claude-Philibert de Rambuteau, en 1834. Il en fait installer quatre cent soixante-dix-huit sur les trottoirs de la ville.
Pour couper court aux railleries de l'opposition, qui a bien vite baptisé l’édicule « colonne Rambuteau », le préfet lance l’expression « colonne vespasienne », en référence à l’empereur Vespasien, à qui on a attribué l’établissement d’urinoirs publics payants, à Rome. Les sobriquets se multiplient alors : « Les édicules Rambuteau s'appelaient des pistières. Sans doute dans son enfance n'avait-il pas entendu l'o, et cela lui était resté. Il prononçait donc ce mot incorrectement mais perpétuellement » (Marcel Proust)[5].
À cette époque, des homosexuels du 16e arrondissement de Paris les appellent « baies », plus convenable que « tasses » (plus argotique). Dans les milieux plus populaires, on les avait baptisées « Ginette ». Le terme de pissotière, en référence au « trou dans la muraille d'un navire pour laisser s'écouler l'eau de surface », est resté[6].
En 1839, le préfet de police Gabriel Delessert autorise l'installation des « colonnes moresques », supports d'affiches à l'extérieur et urinoirs à l'intérieur. Sous le Second Empire, Jean-Charles Alphand perfectionne l'installation en isolant l'intérieur du regard par un écran et en éclairant l'intérieur avec un bec de gaz. La construction est redessinée par Gabriel Davioud, qui remplace la maçonnerie par une structure en fonte.
À la fin des années 1860, les deux rôles (affichage et toilettes publiques) sont dissociés : les « colonnes urinoirs » sont remplacées en 1868 par les colonnes Morris pour l'affichage et par les vespasiennes pour les lieux d'aisances[7]. Les colonnes Morris font alors tellement partie du « paysage » parisien qu'on les retrouve fréquemment dans les tableaux des peintres de la Belle Époque, tel Jean Béraud, spécialisé dans la représentation des Grands Boulevards de la capitale.
Lieu de rendez-vous
« Lieu de rendez-vous des résistants pendant la Seconde Guerre mondiale ou lieu de drague appartenant aux itinéraires complexes d’une géographie du désir condamné[8] », elles font l'objet de nombreuses anecdotes. « Ainsi ce ministre de l’Information de la 4e République, coincé dans une rafle de pissotière et qui, reconnu par un policier qui lui demande, éberlué, ce qu’il fait là, lui répond sobrement : "Je m’informe, voyons"[9] ». Les vespasiennes sont également un lieu de rencontre prisé des prostitués masculins[10].
Plusieurs écrivains, dont Roger Peyrefitte et Jean Genet, ont mentionné dans leurs ouvrages le rôle des vespasiennes dans l'univers homosexuel. « La Grande Thérèse [un travesti], attendait les clients dans les tasses. Au crépuscule, dans une des pissotières circulaires, près du port elle apportait un pliant, s’asseyait et faisait son tricot, son crochet. Elle s’interrompait pour manger un sandwich. Elle était chez elle » (Genet, 1947a, p. 167). « Lieu d’une sociabilité atypique, aujourd’hui disparue, des amitiés et des amours s’y sont nouées[11]. » De manière plus extrême, ces lieux était aussi utilisés par certains pervers appelés "soupeurs". Le sociologue américain Laud Humphreys a consacré un essai à ce sujet en évoquant notamment la fin des rafles policières lors des premières manifestations de la libération gay aux États-Unis[12].
Dans son roman Des Français, un long chapitre est consacré à ces édicules par Roger Peyrefitte, qui, pour reprendre une de ses propres phrases, « payait peut-être un tribut de reconnaissance pour un organe autre que la vessie ». Selon lui, c'est au lendemain de la Libération que les gouvernements décident de supprimer ces lieux de rendez-vous au prétexte qu'ils pervertissent la morale du pays : « Les vespasiennes les plus proches des casernes disparurent les premières : il y allait du salut de la France. On supprima aussi aux abords des usines des vespasiennes prolétaires où de jeunes apprentis prodiguaient des joies coupables aux ouvriers syndiqués. » La menace se fait plus sérieuse en 1961 quand le conseil municipal de Paris décide leur suppression graduelle en raison de la mauvaise réputation de ces lieux et de l'odeur pestilentielle qui en émane. Selon Peyrefitte il y eut une accalmie : « Une ligue, menée par un Anglais puritain, et les doléances d'honnêtes pisseurs ont permis d'arrêter le massacre. » Mais ce n'est qu'un répit : le Conseil de Paris a voté le 28 janvier 1980 la fin de la gratuité des toilettes publiques parisiennes.
Situation actuelle
À Paris, les quatre premières sanisettes payantes furent construites. Un contrat de concession de ces sanisettes (marque déposée en 1980) est signé en 1991 entre la mairie de Paris et la société Decaux.
À l'occasion des premières échéances de ces contrats (prévus pour une durée de 10 ans), la mairie de Paris négocie avec la société JC Decaux la gratuité d'accès aux sanisettes situées proches de lieux de distribution alimentaire (en faveur des plus démunis et notamment pour des raisons d'hygiène, de dignité et de propreté... et pour les Parisiens en général).
Cette tendance s'est accentuée depuis 2002 à la faveur de l'échéance de nombreux contrats de sanisettes JC Decaux. La généralisation de la gratuité a été mise en place à proximité des squares, parcs et jardins. Aujourd'hui dans Paris, plus de 200 de ces édicules sont gratuits et accessibles aux personnes à mobilité réduite.
Depuis les années 1990, les vespasiennes ont été remplacées dans la plupart des grandes villes du monde par des toilettes publiques individuelles payantes, mais à Hambourg ou à Amsterdam, entre autres, le principe subsiste, dans une adaptation plus sophistiquée, et moins odorante.
Certaines villes[13] ont des vespasiennes qui n'ouvrent que les soirs de match de football.
Littérature
Dans Topaze (1928), la pièce de Pagnol, une « pissotière » à roulettes joue un rôle non négligeable. Quelques années plus tard, en 1934, le roman de Gabriel Chevallier, Clochemerle, commence par un conflit à propos d'une vespasienne.
Notes et références
- Payable tous les quatre ans par les chefs de famille, au prorata des personnes vivant sous leur toit et des animaux qu'ils possédaient.
- Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, 1re édition, tome 17.
- Suétone, Vie de Vespasien, XXIII et Dion Cassius, Histoire romaine, LXV (épitomé), 14, 5. « Son fils Titus lui reprochait d'avoir institué un impôt sur les urines. Il lui mit sous le nez le premier argent qu'il perçut de cet impôt, et lui demanda s'il sentait mauvais. Titus lui ayant répondu que non : « C'est pourtant de l'urine », dit Vespasien » (Suétone).
- Thévenot de Morande. À la suite d'un mémoire sur la police de Paris en 1770 (qui fait mention de ces questions d’hygiène) rédigé, à sa demande, par Jean-Baptiste Charles Le Maire, Conseiller du roi. La paternité de ce mémoire est fréquemment attribuée à
- Le Temps retrouvé, p. 749.
- article en ligne Marianne Blidon, « La dernière tasse », in EspacesTemps.net, Mensuelles, 01/01/2005
- « Des colonnes dans la rue ».
- Préfecture de police, et l’abrogation de l’alinéa 2 de l’article 331 du Code pénal (27 juillet 1982), pour « dépénaliser l’homosexualité ». Il faut attendre la circulaire Defferre (12 juin 1981) pour limiter le fichage des homosexuels et pour dissoudre la brigade homosexuelle à la
- Jean Le Bitoux , « À la recherche des tasses perdues », revue Triangul’ère, n°2, 2001, pp. 444-446. Cité par Marianne Blidon.
- extrait en ligne Régis Revenin, Homosexualité et prostitution masculines à Paris : 1870-1918, éd. L'Harmattan, 2005, p. 36 ,
- Marianne Blidon, op. cit.
- Le Commerce des pissotières. Voir une recension de l'ouvrage
- Nantes, quartier de la Beaujoire et Haluchère. Par exemple
Bibliographie
- Marianne Blidon, "La dernière tasse", EspacesTemps.net, Mensuelles, 2005.
- Warwick Collins, La Pissotière, 10/18, 1999.
- Jean Genet, Querelle de Brest, Gallimard, 1947.
- Jean Genet, Journal du voleur, Gallimard, 1949.
- Roger-Henri Guerrand, Les lieux, histoire des commodités, Paris, La Découverte, 1985.
- Laud Humphreys, Le Commerce des pissotières : Pratiques homosexuelles anonymes dans l'Amérique des années 1960, La Découverte, 2007 Recension par Marianne Blidon
- Gustave Macé, Mes lundis en prison, Charpentier et Cie, Paris, 1889.
- Roger Peyrefitte, Des Français, Flammarion, 1970.
- Pierre Pinon, Atlas du Paris haussmannien, Parigramme, 2002.
Voir aussi
Articles connexes
Liens externes
- Arte - Emission Karambolage
- « Des colonnes dans la rue » sur L'Histoire par l'image.
- Marianne Blidon, « La dernière tasse ». EspacesTemps.net, Mensuelles, 01/01/2005
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