- Valeur travail (économie)
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Pour l’article homonyme, voir Valeur travail (idéologie).
La valeur travail est un ancien concept utilisé aux XVIIIe siècle et XIXe siècle par certains économistes, qui fixe la valeur d'un bien au coût du travail nécessaire pour le produire.
Cette approche ne prenait pas en compte le coût d'opportunité des biens rares mis en œuvre : matières premières, biens intermédiaires, outil de production (le capital). Elle est donc très peu utilisée, par le courant marxiste en particulier.
Certains économistes classiques, suivis en cela par les marxistes, ont eu de la production une analyse centrée sur l’effort fourni par les travailleurs sur la valeur qui selon eux devait déterminer le « juste prix ». Depuis les néo-classiques cette notion n'est plus guère utilisée dans l'analyse économique standard. D'autres approches, basées sur la micro-économie et sur l'observation des réalités économiques ayant été préférées.
Sommaire
La valeur travail
Selon Adam Smith
Adam Smith distingue les notions de valeur établies par Aristote, en particulier la "valeur en usage" et la "valeur échangeable"[1]. Il s’attache surtout à la valeur d'échange et pose la question du facteur qui détermine la quantité d’un bien à échanger contre un autre. Pour lui, « c'est du travail d'autrui qu'il lui faut attendre la plus grande partie de toutes ces jouissances ; ainsi, il sera riche ou pauvre, selon la quantité de travail qu'il pourra commander ou qu'il sera en état d'acheter. (...) Le travail est donc la mesure réelle de la valeur échangeable de toute marchandise[2]. »
La valeur du travail est invariante : « Des quantités égales de travail doivent être, dans tous les temps et dans tous les lieux, d'une valeur égale pour le travailleur. (...) Ainsi, le travail, ne variant jamais dans sa valeur propre, est la seule mesure réelle et définitive qui puisse servir, dans tous les temps et dans tous les lieux, à apprécier et à comparer la valeur de toutes les marchandises. Il est leur prix réel ; l'argent n'est que leur prix nominal[2]. »
Cette théorie de la valeur ignore la demande et se base exclusivement sur les coûts de production.
Selon David Ricardo
Dans Des principes de l'économie politique et de l'impôt (chap. I, 1821), David Ricardo a théorisé la valeur travail.
La valeur d’échange d’un produit n’est pas fonction de son utilité, la preuve en est que des produits très utiles comme l’eau n’ont aucune valeur d’échange. C’est davantage la rareté qui détermine cette dernière. Si quelques marchandises sont naturellement limitées, la plupart ont leur volume fonction du travail que l’on accepte de consacrer à leur production. Ainsi c’est donc bien le travail qui fait la valeur des marchandises. Ricardo précise que la différence de valeur entre deux biens qui ont nécessité une même quantité horaire de travail trouve son explication dans l’aspect qualitativement différent de ces travaux, du point de vue de leur intensité ou du savoir-faire qu’ils requièrent. Les variations des salaires, autrement dit du coût monétaire du travail, ne signifient pas une évolution de la valeur d’échange mais uniquement une variation des profits. D’autre part, la quantité de travail que requiert la production comprend aussi celle de la production des biens qu’elle nécessite, à savoir le capital fixe. L’introduction de capital fixe dans le processus de production modifie la règle de la valeur travail. Parce que la production de la machine induit un report dans le temps de la vente du produit fini et donc du profit, la valeur d’une production nécessitant davantage de capital fixe aura une valeur d’échange supérieure afin d’assurer pour une même durée une égale rentabilité. La durée de vie du capital fixe en faisant varier les modalités de son amortissement a aussi un impact sur la valeur d’échange.
La valeur relative d’un produit vis-à-vis d’un autre n’est donc proportionnelle à la quantité de travail qu’ils ont nécessité que si la durée de vie du capital fixe et sa part dans la quantité de travail sont identiques pour les deux produits.
La valeur de l’or, fluctue comme celle de n’importe quel produit. Toutefois la difficulté de son extraction en fait un étalon monétaire judicieux.
Distinction entre valeur et richesse
«Un homme est riche ou pauvre en fonction des moyens dont il dispose pour se procurer les biens nécessaires, commodes et agréables, de la vie » Adam Smith[3]
Ricardo a travaillé sur une distinction entre valeur et richesse[4].
« La valeur diffère donc essentiellement de la richesse car elle ne dépend pas de l’abondance, mais de la difficulté ou de la facilité de production. »
Autrement dit une meilleure productivité fait varier à la baisse la valeur des biens mais non la richesse qu’ils représentent.
L’accroissement de la richesse repose donc sur la diminution de la valeur des biens, permise par l’amélioration des techniques, la division du travail, la découverte de nouveaux marchés. Par ailleurs l’apport de la nature vient modifier la richesse et non la valeur.
Karl Marx et les interprétations qu'il suscite
Articles détaillés : Théorie de la valeur (marxisme) et plus-value (marxisme).Karl Marx, dans le Capital, reprend et critique en profondeur la théorie ricardienne de la valeur et en déduit les caractères propres du capitalisme :
- Partant d'Aristote, et du fait que la production marchande repose sur la division du travail, Marx montre qu'une marchandise est d'abord objet d'utilité, non pour celui qui la produit, mais pour celui qui la désire. Ceci posée la valeur du travail ou, plus exactement, la quantité de travail socialement nécessaire à la production d'une marchandise devient l'étalon de comparaison des valeurs des marchandises entre elles, aucun producteur n'acceptant de se séparer de sa production s'il n'est pas convaincu qu'il verra son travail rétribué à sa "juste valeur", autrement dit, s'il n'a pas le sentiment que son effort est rétribué en fonction du temps et de la peine qu'il lui aura coûté. Un travail qui ne permet pas de subvenir à ses besoins réels, un travail pour lequel on dépense plus d'énergie et de richesse qu'on en (re)constitue n'est ainsi qu'un travail socialement inutile .
- Les travailleurs cèdent leur force de travail pour un temps déterminé, leur salaire correspond alors au "minimum vital" permettant de reconstituer leur force de travail (nourriture, vêtements, logement, mais aussi repos, éducation, culture, ce minimum étant un produit des conditions historiques, sociales et culturelles, plus que le minimum nécessaire pour survivre). Ainsi dans le modèle capitaliste, la force de travail est masquée par une fiction qui en fait une marchandise. Le résultat de cet usage de la force de travail est le « surtravail ». En effet la quantité de travail nécessaire à la reproduction de la force de travail (c’est-à-dire le labeur nécessaire à la création des biens de subsistance, de formation etc...) est inférieure au labeur imposé par les capitalistes aux travailleurs. La différence entre le travail effectivement accompli et le travail effectivement rémunéré constitue la « plus-value » (origine du profit), résultante de l’exploitation du travailleur par le détenteur du capital, du prolétaire par le bourgeois.
- Si seul le travail est source de la valeur, alors le système capitaliste est condamné. En effet, plus l’histoire économique avance, plus s’accroît le volume du capital au détriment du volume de travail (substitution capital/travail). Cette augmentation de l'intensité capitalistique de la composition organique du capital conduit à la « baisse tendancielle du taux de profit », étant donné que le capitaliste n'est capable d'exploiter que le travailleur (avec la plus-value), et nullement la machine.
Cependant, pour des auteurs comme Guy Debord, le capitalisme a trouvé la parade : pour maintenir la nécessité de travailler, il a fallu créer de faux besoins : d'où la société du spectacle avec son armée de l'« arrière travail ». Ces faux besoins maintiennent les individus dans la "survie augmentée"[5].
Les penseurs de l'École néoclassique comme William Jevons, Carl Menger et Léon Walras proposent d'autres modèles en remettant en cause la théorie de la valeur travail au profit de la conception subjective de la valeur. Selon eux, la valeur des choses dépend de l’utilité marginale qu’elles procurent, utilité qui varie selon chaque individu.
Selon Jean-Marie Harribey, le refus de la valeur-travail par la science économique officielle, trahit une confusion entre valeur d'usage et valeur d'échange[6] et serait destiné à masquer les rapports d'exploitation propre à la sphère de la production. La valeur-travail correspond à la valeur substantielle de la marchandise alors que la valeur d'échange est une valeur phénoménale.
Notes et références
- http://fr.wikisource.org/wiki/Page:Smith_-_Recherches_sur_la_nature_et_les_causes_de_la_richesse_des_nations,_Blanqui,_1843,_I.djvu/123 "Il faut observer que le mot valeur a deux significations différentes"...
- Adam Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, I.v
- Adam Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations,1776
- David Ricardo, Des principes de l'économie politique et de l'impôt, chap. XX
- Guy Debord, La société du spectacle, Gallimard
- Harribey, La démence sénile du capital, éd. du passant
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