Tournoi des candidats de Zurich 1953

Tournoi des candidats de Zurich 1953

Le tournoi des candidats de Zurich 1953 est un célèbre tournoi d'échecs qui s'est déroulé du 28 août au 24 octobre 1953 à Zurich et Neuhausen am Rheinfall en Suisse. C'est aussi le sous-titre d'un des ouvrages les plus connus consacrés au jeu d'échecs, L'Art du combat aux échecs, écrit par l'un des participants, le grand maître international soviétique, David Bronstein.

Sommaire

Le tournoi

Contexte

Après la mort d'Alexandre Alekhine en 1946, la Fédération internationale des échecs reprend l'organisation du Championnat du monde d'échecs à sa charge. Le principe du match au sommet est conservé : le détenteur du titre et son challenger s'affrontent dans un match de 24 parties, au terme d'un cycle de sélection de trois ans. Depuis 1950, le tournoi des candidats est ainsi la dernière étape pour la désignation du challenger : son vainqueur obtient le droit défier le champion du monde, Mikhaïl Botvinnik à l'époque.

À Zurich, qui n'est que le deuxième tournoi des candidats organisé par la FIDE, les participants sont 15. Il y a les 5 finalistes du tournoi des candidats de Budapest en 1950 et les 5 qualifiés du tournoi interzonal de Stockholm, soit 9 Soviétiques sur 10. Pour donner un caractère plus international au tournoi, la FIDE a encore sélectionné 5 candidats d'autres pays[1]. Jusqu'en 1956, chaque joueur affronte deux fois chacun de ses adversaires, une fois avec les blancs et une fois avec les noirs (tournoi à deux tours). Il n'y aura pas moins de 30 rondes, soit 210 parties au total. Comme les adversaires sont en nombre impair, un joueur sera exempté à chaque ronde.

Le tournoi commence le 28 août 1953 dans la maison paroissiale de Neuhausen am Rheinfall où sont disputées huit rondes, puis s'installe au Kongresshaus de Zurich à partir du 13 septembre, où il dure encore 5 semaines pour s'achever le 24 octobre 1953.

Interrogés par la suite, plusieurs des participants citeront des parties jouées lors de ce tournoi comme les plus belles de leur carrière. Ainsi Alexandre Kotov se souvient-il de son sacrifice de dame contre Youri Averbakh[2], et David Bronstein, de son Est-indienne contre Samuel Reshevsky[3]. Mais dans l'ensemble, les joueurs furent plutôt prudents et conservateurs.

Les quinze candidats

Qualifiés lors du tournoi des candidats de Budapest en 1950

  1. Isaac Boleslavski, URSS ;
  2. David Bronstein, URSS ;
  3. Vassily Smyslov, URSS ;
  4. Paul Keres, URSS ;
  5. Miguel Najdorf, Argentine ;

Qualifiés lors du tournoi interzonal de Stockholm en 1952

  1. Alexandre Kotov, URSS ;
  2. Tigran Petrossian, URSS ;
  3. Mark Taïmanov, URSS ;
  4. Efim Geller, URSS ;
  5. Youri Averbakh, URSS ;

Sélectionnés directement par la FIDE

Les trois premiers sur le base de leur classement à l'Interzonal de Stockholm[4].

  1. Svetozar Gligorić, Yougoslavie ;
  2. Gideon Ståhlberg, Suède ;
  3. László Szabó, Hongrie ;
  4. Samuel Reshevsky, États-Unis ;
  5. Max Euwe, Pays-Bas ;

Résultats

Table du tournoi

No. Nom Nationalité 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13 14 15 Total Rang
01 Vassily Smyslov Drapeau : URSS Union soviétique X == 11 =1 == 11 == =0 == == == == 1= 11 1= 18 1er
02 David Bronstein == X 1= 11 == =0 == == 1= == == 01 1= == == 16 2e-4e
03 Paul Keres 00 0= X == =1 =1 == == == 0= 11 1= =1 == 11
04 Samuel Reshevsky Drapeau des États-Unis États-Unis =0 00 == X == == == 10 == =1 =1 1= =1 11 1=
05 Tigran Petrossian Drapeau : URSS Union soviétique == == =0 == X == 0= == 00 == == 11 =1 1= 11 15 5e
06 Efim Geller 00 =1 =0 == == X 11 =0 01 == 01 1= =1 01 == 14,5 6e-7e
07 Miguel Najdorf Drapeau d'Argentine Argentine == == == == 1= 00 X 1= 1= =0 == == == 0= 11
08 Alexandre Kotov Drapeau : URSS Union soviétique =1 == == 01 == =1 0= X 10 1= 00 10 1= 0= 01 14 8e-9e
09 Mark Taimanov == 0= == == 11 10 0= 01 X 10 == == =0 0= 11
10 Youri Averbakh == == 1= =0 == == =1 0= 01 X == == 0= 11 00 13.5 10e-11e
11 Isaac Boleslavski == == 00 =0 == 10 == 11 == == X =0 == =1 ==
12 Lázló Szabó Drapeau de Hongrie Hongrie == 10 0= 0= 00 0= == 01 == == =1 X 1= == 1= 13 12e
13 Svetozar Gligorić Drapeau : République fédérative socialiste de Yougoslavie RFS de Yougoslavie 0= 0= =0 =0 =0 =0 == 0= =1 1= == 0= X =1 11 12.5 13e
14 Max Euwe Drapeau : Pays-Bas Pays-Bas 00 == == 00 0= 10 1= 1= 1= 00 =0 == =0 X 1= 11,5 14e
15 Gideon Ståhlberg Drapeau de Suède Suède 0= == 00 0= 00 == 00 10 00 11 == 0= 00 0= X 8 15e

Déroulement

À en croire Andrew Soltis, Alexandre Kotov, qui venait de remporter brillamment le tournoi interzonal de Stockholm en 1952, faisait un peu figure d'épouvantail au début du tournoi. Mais son manque d'engagement et son attitude routinière ruinèrent ses chances : il parut d'ailleurs très satisfait de la montre en or que lui valut son prix de beauté. Selon un des arbitres, le plus qu'on pouvait dire de lui, c'était que pendant les 28 rondes, il commanda 28 sandwiches[5]. Peut-être que ce manque de motivation s'explique par ses 3 défaites lors des 3 premières rondes, ce qui l'a quasiment mis hors course dès le début du tournoi. Cependant, Kotov a montré de l'ambition et du talent, battant Vassily Smyslov et Samuel Reshevsky au second tour, quand les deux joueurs bataillaient pour la première place. Beaucoup de parties se terminèrent par une nullité de salon, un mal endémique des échecs soviétiques[6]. Toutefois, la longueur du tournoi nécessite de gérer ses efforts et explique dans certains cas de tels nulles. En fin de tournoi, l'absence d'enjeu pour la plupart des participants est aussi à l'origine de courtes nulles. Smyslov paraissait le plus motivé des candidats, mais cela ne l'empêcha pas d'aller chanter des extraits d'opéra à la radio suisse[7].

Quinze joueurs s'affrontaient en double tour (chacun affronte ses adversaires avec les Blancs et les Noirs) ; à chaque ronde, un d'entre eux était exempt. Le début du tournoi est marqué par l'exclusion de la course de Kotov : avec 0 point en 4 rondes (3 défaites et une exemption), le vainqueur de l'interzonal ne pouvait plus revenir. Vassily Smyslov et Samuel Reshevsky prennent le meilleur départ avec 5 sur 7, devant Paul Kérès 4,5 alors que David Bronstein, le vice-champion du monde, traîne avec 50% des points après 7 rondes. Dans la deuxième moitié du premier tour, Smyslov creuse l'écart sur ses poursuivants. Avec 9,5 sur 14, il devance Reshevsky et Bronstein d'un point, Miguel Najdorf d'un point et demi et Kérès de 2,5 points. À noter le bon départ de Max Euwe : l'ancien champion du monde totalise 7,5 sur 14 avec de spectaculaires succès contre Efim Geller et Najdorf. Au cours du deuxième tour, Smyslov subit sa seule défaite en gaffant contre Kotov (21ème ronde). Reshevsky en profite pour revenir à hauteur du Soviétique et Bronstein suit juste derrière. Décroché lors du premier tour, Kérès marque 3,5 en 4 parties avant d'affronter Smyslov à la 24ème ronde. Ce dernier l'emporte consécutivement sur Kérès et Reshevsky, alors que Bronstein s'effondre contre Geller. L'avance que le vice-champion du monde 1948 est irréversible et il termine par de courtes nullités avec 2 points d'avance sur le trio Bronstein, Reshevsky et Kérès. On soulignera l'écroulement de Max Euwe, qui ne marque que 4 points (8 nulles et 6 défaites), la remontée de Geller (4 victoires de suite) qui termine 6ème après avoir été avant-dernier après 23 rondes. Le tournoi a été marqué par l'éclosion du futur champion du monde Tigran Petrossian : malgré aucune victoire contre les 10 premiers du tournoi, il termine 5ème avec 15 sur 28 pour son premier tournoi des candidats.

Avec un modeste score de 18 sur 28 (64,3%), Vassily Smyslov, sans véritablement forcer mais en gagnant des parties cruciales, l'emporta largement et gagna ainsi le droit d'affronter Mikhail Botvinnik pour le championnat du monde. Le match aura lieu au printemps 1954, mais Botvinnik parviendra à conserver son titre. Ce n'est qu'au terme du cycle suivant, en 1957 que Smyslov sera sacré Champion du monde.

Ouvertures

Le tournoi de Zurich marque un tournant sur le plan des ouvertures utilisées, avec la généralisation de l'ouverture du pion dame 1.d2-d4. Najdorf, par exemple, n'ouvrit qu'une seule fois de 1.e4. Mais surtout, les défenses indiennes, en particulier est-indienne et nimzo-indienne furent omniprésentes[8].

Les deux ouvertures les plus fréquentes, l'est-indienne et la nimzo-indienne n'apparurent pas moins de respectivement 46 et 43 fois. La défense sicilienne, ouverture la plus jouée contre 1.e4, ne vient qu'en 5e position dans l'ordre des fréquences, et il ne s'en produisit que 23.

Soupçons de collusion

Staline était mort le 5 mars 1953, soit moins de 6 mois avant le début du tournoi. Dans l'atmosphère de la guerre froide qui régnait alors et vu le prestige que représentait le jeu d'échecs pour Moscou, des rumeurs insistantes[9], mais jamais confirmées (ni infirmées[10]), ont fait état de pressions exercées sur les joueurs soviétiques non russes pour les « persuader » de laisser gagner Smyslov, un Russe pur souche. Dans ce contexte, le plus étonnant est encore la deuxième place ex aequo de Samuel Reshevsky, le représentant des États-Unis.

Exemples de parties

Les parties suivent la numérotation du livre de Bronstein.

Geller–Euwe, prix de beauté (partie n°9)

Chess zhor 26.png
Chess zver 26.png
a8 b8 c8 d8 e8 f8 g8 h8
a7 b7 c7 d7 e7 f7 g7 h7
a6 b6 c6 d6 e6 f6 g6 h6
a5 b5 c5 d5 e5 f5 g5 h5
a4 b4 c4 d4 e4 f4 g4 h4
a3 b3 c3 d3 e3 f3 g3 h3
a2 b2 c2 d2 e2 f2 g2 h2
a1 b1 c1 d1 e1 f1 g1 h1
Chess zver 26.png
Chess zhor 26.png
Position après 23... Tc2

Selon Bronstein, la partie de la deuxième ronde entre Geller et Euwe fut l'une des plus belles du tournoi, et décrocha d'ailleurs un prix de beauté.

Efim Geller - Max Euwe, défense nimzo-indienne[11]

1.d4 Cf6 2.c4 e6 3.Cc3 Fb4 4.e3 c5 5.a3 Fxc3+ 6.bc b6 7.Fd3 Fb7 8.f3 Cc6 9.Ce2 0-0 10.0-0 Ca5 11.e4 Ce8 12.Cg3 cd 13.cd Tc8 14.f4 Cxc4 15.f5 f6 16.Tf4 b5! 17.Th4 Db6 18.e5 Cxe5 19.fe Cxd3 20.Dxd3 Dxe6 21.Dh7+ Rf7 22.Fh6 Th8!! 23.Dxh8 Tc2



(Voir diagramme de droite)

24.Tc1 Txg2+ 25.Rf1 Db3 26.Re1 Df3 27.Abandon 0-1

Averbakh–Kotov (partie n°96)

Chess zhor 26.png
Chess zver 26.png
a8 b8 c8 d8 e8 f8 g8 h8
a7 b7 c7 d7 e7 f7 g7 h7
a6 b6 c6 d6 e6 f6 g6 h6
a5 b5 c5 d5 e5 f5 g5 h5
a4 b4 c4 d4 e4 f4 g4 h4
a3 b3 c3 d3 e3 f3 g3 h3
a2 b2 c2 d2 e2 f2 g2 h2
a1 b1 c1 d1 e1 f1 g1 h1
Chess zver 26.png
Chess zhor 26.png
Position après 30... Dxh3

La partie de la quatorzième ronde entre Averbakh et Kotov a obtenu le prix de beauté du tournoi. Elle est très célèbre en raison du sacrifice de dame consenti par Kotov au 30e coup.

Youri Averbakh - Alexandre Kotov, défense vieille-indienne[12]

1.d4 Cf6 2.c4 d6 3.Cf3 Cbd7 4.Cc3 e5 5.e4 Fe7 6.Fe2 O-O 7.O-O c6 8.Dc2 Te8 9.Td1 Ff8 10.Tb1 a5 11.d5 Cc5 12.Fe3 Dc7 13.h3 Fd7 14.Tbc1 g6 15.Cd2 Tab8 16.Cb3 Cxb3 17.Dxb3 c5 18.Rh2 Rh8 19.Dc2 Cg8 20.Fg4 Ch6 21.Fxd7 Dxd7 22.Dd2 Cg8 23.g4 f5 24.f3 Fe7 25.Tg1 Tf8 26.Tcf1 Tf7 27.gxf5 gxf5 28.Tg2 f4 29.Ff2 Tf6 30.Ce2 Dxh3+



(Voir diagramme de droite)

31.Rxh3 Th6+ 32.Rg4 Cf6+ 33.Rf5 Cd7 34.Tg5 Tf8+ 35.Rg4 Cf6+ 36.Rf5 Cg8+ 37.Rg4 Cf6+ 38.Rf5 Cxd5+ 39.Rg4 Cf6+ 40.Rf5 Cg8+ 41.Rg4 Cf6+ 42.Rf5 Cg8+ 43.Rg4 Fxg5 44.Rxg5 Tf7 45.Fh4 Tg6+ 46.Rh5 Tfg7 47.Fg5 Txg5+ 48.Rh4 Cf6 49.Cg3 Txg3 50.Dxd6 T3g6 51.Db8+ Tg8 0-1

Le livre de Bronstein

L'Art du combat aux échecs est un livre de presque 500 pages. David Bronstein y commente, totalement ou partiellement, les 210 parties du tournoi. Depuis sa parution, l'ouvrage est devenu un classique de la littérature échiquéenne et a été traduit dans de très nombreuses langues. Cependant, il est entièrement dédié au commentaire des parties du tournoi, et il ne s'agit pas d'un livre de souvenirs de la compétition : on n'y trouvera ni anecdote, ni compte-rendu journalistique.

Pour beaucoup de critiques, le tournoi des candidats de Zurich doit sa célébrité plus à l'exceptionnelle qualité du travail de Bronstein qu'à l'intérêt intrinsèque des parties qui s'y déroulèrent. Dans l'histoire des échecs, le tournoi de Zurich serait ainsi plus important comme œuvre littéraire que comme événement historique. De fait, ce qui intéresse Bronstein, c'est l'affrontement des plans stratégiques des joueurs sur l'échiquier, plus que le caractère sportif de l'événement[13]. C'est peut-être ce souci esthétique et intellectuel qui a assuré à l'ouvrage sa pérennité.

L'ouvrage commence par un intéressant avant-propos de Max Euwe, qui avait également participé au tournoi de Zurich, donnant un aperçu de la vision « esthétisante » qu'avait Bronstein du jeu d'échecs.

Notes

  1. Andrew Soltis, Soviet Chess 1917-1991, page 212
  2. Andrew Soltis, Soviet Chess 1917-1991, page 212. Une partie que la presse encensa aussitôt.
  3. David Bronstein, The Sorcerer's Apprentice, Cadogan Chess, 1995, page 112.
  4. Soltis, Soviet Chess, p.212. Il n'est pas très clair si leur sélection est un geste de repêchage de la FIDE, ou s'ils étaient qualifiés de droit. Selon Soltis, il s'agissait clairement d'un « repêchage ».
  5. Soltis, Soviet Chess
  6. Bobby Fischer protestera en 1962 contre ce manque de sportivité, ce qui conduira à l'abandon du tournoi des candidats pour une formule de matches.
  7. D'après cette source
  8. Ce qui était tout à fait nouveau à l'époque, comme le relève Bronstein. Voir article Défense est-indienne.
  9. Rumeur relayée, entre autres, par le Telegraph à l'occasion de la mort de Bronstein
  10. Les réponses de Bronstein à ces interrogations resteront toujours assez évasives. Leur démenti manquera en tout cas singulièrement de vigueur.
  11. Geller-Euwe Zurich 1953
  12. Averbakh-Kotov Zurich 1953
  13. Pour l'auteur, les joueurs sont pratiquement tous du même niveau, et savoir qui sera le vainqueur n'a que peu d'intérêt. On ne trouve d'ailleurs aucune conclusion pour commenter la victoire de Smyslov ou le déroulement du tournoi par exemple.

Sources

Liens externes


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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Tournoi des candidats de Zurich 1953 de Wikipédia en français (auteurs)

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