- Terra Mater
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Tellus
Tellus Mater ou Terra Mater est une déesse de la mythologie romaine. C'est l'équivalent de Gaïa dans la mythologie grecque.
Sommaire
Origine
La force des préocupations agricoles dans la religion primitive des Romains suffit à expliquer la place importante qui y est faite à la divinité de la Terre. Le vocable le plus ancien est Tellus Mater, bien antérieur à Terra Mater qui est dû langage populaire et par là même plus fréquent dans les inscriptions. Cette divinité est, dans sa signification générale, identique à la Gaïa grecque, quoiqu'avec certains traits particuliers. Les spéculations théogoniques étant étrangères aux Romains, il ne faut pas s'attendre à trouver Tellus opposée à quelque principe cosmique comme chez les Grecs : on l'associe simplement à Jupiter, le Père par excellence, et elle-même va devenir la Mère. Il est d'ailleurs assez difficile de délimiter ce qui dans sa personnalité est purement indigène et ce qui est venu d'éléments grecs. Ainsi la confusion ou tout au moins l'association de Cérès et de Tellus remonte très haut dans l'antiquité romaine, et l'on ne saurait dire qu'elle fut due à l'influence hellénique. Peu à peu la figure de Tellus perd de son crédit religieux et finit par être éliminée au profit de Cérès, sans cesser d'ailleurs complètement d'être honorée avec elle. Le Flamen Cerialis fait des sacrifices à toutes les deux et même il invoque Tellus sous douze noms différents qui exprimaient les phases diverses de son action agricole.
Des textes de Varron qui sont l'écho des livres pontificaux nous mènent a un temps où Tellus était indépendante de Cérès et meme de Jupiter. Dans les Indigitamenta, elle figure, principe féminin de la fécondité, à côté d'un dieu mâle nommé Tellumo ; tous les deux sont les divinités du sol fertile et à côté se place un couple de signification particulière, celui de Altor Rusor (radical : rus), qui a du faire pendant à une dea Rusina, ce qui fait dire à saint Augustin que les Romains ne se sont pas bornés à confier la garde des champs à un seul dieu, mais à plusieurs. Tellus et Tellumo personnifient la notion générale du sol producteur ; l'autre couple celle des rura, c'est-à-dire des terres cultivées en plaine. Les Indigitamenta détaillent davantage encore, puisqu'on y trouve le deus Jugatinus, la dea Collatina et la dea Vallonia qui exercent leur action sur les pentes des monts, sur les collines, sur les vallées.
Mais ces figures s'éliminent rapidement. Ovide, en décrivant les Sementinae Feriae, se borne à associer Tellus avec Cérès, l'une fournissant à la semence le sol où elle lève, l'autre le principe qui la féconde. À la même époque, Tibulle ne nomme que Cérès et passe Tellus sous silence. Dans le culte, Tellus, qui a eu principalement son rôle dans l'union maritale et la procréation des enfants chez les Romains, comme la Gaïa des Grecs, cède ce rôle à Cérès, alors qu'au contraire s'accentue chez les premiers le caractère chthonien de Tellus, soit qu'il s'agisse de son intervention agricole, soit qu'elle prenne une signification funèbre. Le cas de Tellus fécondante nous est offert dans la cérémonie des Fordicidia, où une vache pleine lui est immolée pour la prospérité des semailles en avril. La divinité de Tellus, qui, ayant fait sortir du sol toutes les générations, les reprend ensuite pour dissoudre leurs éléments et en tirer des existences nouvelles, se précise dans le vieux formulaire de la devotio : Tellus y représente le monde des morts en compagnie des Mânes. Tellumo, qui devient chez un auteur du IVe siècle Tellurus, compagnon mâle de Tellus, correspond au Zeus chtonien ; qui fait pendant en Grèce à la Déméter chtonienne, laquelle n'est autre que Gaïa à l'origine.
Servius, commentant de l’Énéide, a recueilli un témoignage qu'il dit d'origine étrusque et dont il se sert pour interpréter le passage de Virgile racontant la rencontre d'Énée et de Didon dans la grotte à la faveur d'un orage ; Juno Pronuba et Tellus Mater y président. Il remarque qu'il n'est rien de plus fâcheux pour un mariage que la coïncidence d'un tremblement de terre ou d'un grand trouble dans le ciel. Ainsi s'expliquent les sacrifices que les jeunes mariés lui offrent le jour de leur union. Nous savons d'autre part qu'après un tremblement de terre, il était d'usage d'organiser une supplicatio à Cérès, divinité qui, dans le texte de Tite-Live, s'est très probablement substituée à Tellus. Celle-ci se retrouve d'ailleurs sur des monnaies de l'époque impériale avec le vocable de stabilis ou de stabilita, qui fait allusion à des phénomènes sismiques. Dans le même texte, Servius nous apprend que Tellus est invoquée pour la célébration des mariages. Elle a sa place dans les auspices qui les précèdent : l'épousée lui offre un sacrifice avant de se rendre à la demeure de son époux ou quand elle y est arrivée. Ce sont là des croyances que Rome n'a pas dû emprunter à la Grèce. L'on peut en dire autant de la coutume dont parle Macrobe d'invoquer Tellus Mater en même temps que Jupiter, lorsqu'on prête serment : en nommant la Terre on touchait le sol avec les mains ; en attestant Jupiter on les levait vers le ciel.
Ce que nous savons de Tellus, dans la religion agricole des Romains, porte également tous les caractères de la piété purement latine. On invoquait Tellus en compagnie de Cérès, avant de procéder à la moisson, dans la cérémonie de la truie, nommée pour cette raison praecidanea, sacrifice qui, comme les compitalia, les fornacalia, les parilia, faisait partie des popularia sacra et remontait à la plus haute antiquité. La cérémonie est en rapport, non seulement avec le travail agricole, mais avec le culte des Mânes, ce qui permet de conjecturer que Cérès y figure comme la divinité préposée aux moissons, tandis que Tellus y a le caractère chtonien de la déesse qui reçoit les semences dans son sein. Le sacrifice correspondant de la truie dite praesentanea, c'est-à-dire célébrée devant le mort avant la cérémonie funèbre, était tout d'abord offert à Tellus seule ; plus tard à Cérès conjointement avec elle, sous l'influence des idées grecques. Acca Larentia, qui présidait à la fête funèbre des Larentalia, où le flamine de Jupiter sacrifiait aux dieux Mânes, est, elle aussi, une de ces divinités féminines de signification hellénique et agricole comme Dea Dia, Ops, et même Vesta, qui se sont, dans certains cas, ou identifiées avec Tellus ou substituées à elle.
En résumé, chez les Latins, Tellus, comme Gaïa chez les Grecs, est la personnification du sol fécond où sont déposées les semences pour y fructifier, où vont se transformer les organismes morts, pour y procréer sans fin des existences nouvelles : elle signifie germination, naissance, croissance, décomposition, mort et résurrection. À ces divers titres, sa divinité fut une des plus compréhensives, des plus variées, des plus assimilables de la religion romaine ; son être se retrouve sous des noms divers, non pas seulement latins mais barbares ; et la notion qu'elle incarne étant des plus vulgaires, il n'est pas surprenant qu'elle ait alimenté, sous toute sorte de formes, la piété des peuples groupés sous le pouvoir de Rome.
Culte
Chez les Grecs déjà on voit la divinité de la Terre mise au service des médecins ou des sorciers qui cherchent des simples et préludent à leurs opérations en lui adressant des offrandes et des prières. Les chercheurs de trésors aussi tâchent de se la rendre favorable par des sacrifices. Nous la trouvons, chez les auteurs romains, invoquée de concert avec la Nuit, avec Hécate, avec Luna, dans des scènes d'incantations et de fouilles intéressées. Tellus, dit Ovide, pourvoit les sorciers d'herbes qui ont des vertus surnaturelles ; elle figure à ce titre dans le tableau que le poète trace des pratiques de l'enchanteresse Médée à côté des sombres puissances, parmi les éléments déchaînés. Nous possédons deux fragments en vers iambiques que les manuscrits attribuent à Antonius Musa, le médecin célèbre de l'empereur Auguste, mais qui ne sentent guère ni la langue ni le goût de cette époque ; même datés de deux siècles plus tard, ces morceaux sont les témoignages curieux d'un culte superstitieux de la Tellus antique. Le premier est une prière, adressée à la Mère de toutes choses, à l'arbitre souveraine du monde, refuge des morts et régulatrice du renouvellement des existences. Il est aussi une prière, où les redites tournent à la litanie et qui implore pour le médecin la science de choisir, parmi les herbes les plus efficaces pour le malade, les dispositions favorables à en profiter. L'autre fragment est une invocation aux herbes elles-mêmes que la Terre a enfantées afin de les donner à tous, elle, la Mère qui a fait naître et qui conserve : « quae nos jussit nascier ».
La poésie philosophique de Lucrèce, sans doute sous l'influence de ses modèles grecs et plus particulièrement d'Empédocle, a tiré un parti assez heureux de la personnification théogonique de Tellus. C'est elle qui possède en sa substance, à l'origine, toute la vertu des atomes. Rhéa Cybèle, la Grande Mère des Dieux, mère en même temps de l'humanité et de tous les êtres vivants ou organisés, n'est autre que Tellus, comme l'une et l'autre sont, le cas échéant, supplantées par Cérès. Ces figures mythologiques sont ramenées par le poète incroyant à la notion abstraite du principe universel : « a terra quoniam sunt cuncta creata ». Mais en conservant le langage de la poésie religieuse, Lucrèce reste en communication intime avec l'opinion populaire, sans sacrifier à l'illusion des personnifications mythiques. Cette Tellus Mater ou Genetrix a reçu la consécration de l'opinion par les inscriptions, moins nombreuses toutefois qu'on pourrait s'y attendre.
D'autre part, il n'est fait mention à Rome même que d'un seul temple érigé en son honneur. Il fut voué en 268 av. J.-C. par le consul P. Sempronius, au cours d'une campagne contre les Picentins, à la suite d'un tremblement de terre survenu pendant une bataille. Ce temple fut bâti dans le quartier des Carènes, sur l'emplacement même de la maison de Sp. Cassius. Il parait avoir été bâti en forme de rotonde. Les autels mêmes de Tellus étaient circulaires, ainsi que ceux de Bona Dea, avec laquelle elle se confondit souvent.
En dehors de Rome on ne cite aujourd'hui qu'un sanctuaire voué à Tellus par un affranchi de T. Sextius dans sa villa de Formies : ce Sextius est probablement le lieutenant de César dans la guerre des Gaules. Une inscription mentionne la restauration d'un de ces temples à Rome par Septime Sévère. Une aedicula défendue par une grille, avec la statuette de la déesse, a été exhumée près de Saint Laurent hors-les-murs avec l'inscription TERRAE MATRI SACRUM ; le dédicant la nomme dea pia et conservatrix mea. Quant à la statuette, elle représente une femme assise sur un trône, tenant d'une main le sceptre, de l'autre la patère : sa tête est couverte d'un voile et couronnée d'épis, comme certaines représentations de Dea Dia. Dans les provinces, seule la Dacie nous offre des inscriptions assez nombreuses en son honneur. Ailleurs on la trouve vénérée en compagnie de Saturne, Jupiter, Mercure, Vénus et Hercule ; on ne sait ce que fut une Tellus Gilva Augusta, objet des hommages d'un adorateur africain. Un passage de Tacite nous montre comment les soldats romains identifiaient certaines divinités étrangères avec la Terra Mater de leur patrie. Les Germains qui habitaient sur les bords de l'Elbe et de l'Oder vénéraient une déesse du nom de Nerthus, « c'est-à-dire la Terre Mère; ils la font intervenir dans les affaires humaines ». Grégoire de Tours en assimile une semblable à Rhéa Cybèle ; et dans la Vie des Saints on cite en plein moyen âge, pour la Gaule, l'exhibition de figures divines vêtues de voiles blancs, que les paysans promènent à travers les champs et qui sont très probablement des idoles ou de Tellus Mater ou de Cybèle.
Représentations
Tellus Mater est souvent représentée sous la forme d'une femme, jeune, d'aspect imposant, assise sur un trône, voilée et drapée, le haut du buste découvert. Dans la main droite, elle tient une patère ; la gauche tendue s'ouvre dans un geste de libéralité. Elle est entourée d'animaux domestiques : à droite un bœuf et une brebis, à gauche un porc.
D'autres représentations nous la montre s'acquittant de sa fonction de mère ou de nourrice : tel est le cas des figures qui portent sur les genoux un enfant ou lui donnent le sein, ou celles qui, assises sur un trône, tiennent un enfant dans chacun de leurs bras, entourées d'animaux domestiquesn, de fruits et d'autres attributs.
Il faut attendre le IIe siècle pour trouver Tellus sur les monnaies romaines. Les plus remarquables sont celles des règnes d'Hadrien, d'Antonin le Pieux et de Commode. Elle y est représentée sous les traits d'une femme couchée, qui tient d'une main un globe, parfois avec des pampres et des épis, et qui s'accoude sur une corbeille ou sur une corne d'abondance. Quelques-unes portent l'exergue : TELLUS STABIL(is) ou STABILI(ta), allusion soit à des tremblements de terre, soit, sous le règne d'Hadrien, au desséchement du lac Fucin. Une médaille frappée en l'honneur d'Antonin le Pieux la représente nue, suivant des yeux un aigle qui enlève l'empereur dans le ciel. Sur des monnaies à l'effigie de Commode, elle est représentée assise, soutenant un globe étoilé et entourée des quatre saisons.
Ses attributs
La couleur noire et la grotte.
Domaine
La terre.
Pouvoir
Tellus correspond à la première déesse et à la matière première. C'est la déesse de la Terre. Le nom Tellus est l'origine étymologique de mots français comme tellurique (ex: les forces telluriques)
Liens de parenté
Tellus est l'épouse d'Uranus. Mère d'Uranus et de Saturne.
Fêtes
Principalement agraires : Fordicidia et Sementivae (voir les Fêtes religieuses romaines)
Voir aussi
Source
« Tellus », dans Charles Victor Daremberg et Edmond Saglio (dir.), Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines, 1877-1919 [détail des éditions]
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