- Tannhauser (opera)
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Tannhäuser (opéra)
Pour l’article homonyme, voir Tannhäuser.Tannhäuser Tannhäuser und der Sängerkrieg auf Wartburg Le Wartbourg, à EisenachGenre opéra Nb. d'actes 3 Musique Richard Wagner Livret Idem Langue
originaleAllemand Durée
approximative3 h 20 mn Dates de
composition1845 Création 19 octobre 1845
Königlich Sächsischen Hoftheater, Dresde AllemagneCréation
française13 mars 1861
Opéra Le Peletier, ParisPersonnages Airs - Le chœur des pélerins Acte III, scène 1
- O du mein holder Abendstern, acte III
Tannhäuser et le tournoi de chant de la Wartburg est un opéra de Richard Wagner.
C'est son cinquième opéra et le deuxième de ses dix opéras principaux. Il porte la référence W W V 70 du catalogue de ses œuvres. Ce « grand opéra romantique en trois actes » dure trois heures vingt.
L'argument est tiré de deux légendes germaniques, celle du tournoi de chant à la Wartburg avec comme protagonistes les Minnesingers Wolfram von Eschenbach et Heinrich von Ofterdingen, d'une part et la Ballade de Tannhäuser, d'autre part, avec insertion du concours de chant entre le retour de Tannhäuser du Venusberg et sa visite au pape. Les thèmes-clés sont l’opposition entre l’amour sacré et l’amour profane, ainsi que la rédemption par l’amour, thème qui traverse l’ensemble de l’œuvre de Wagner.
L'opéra fut créé en 1845 à Dresde sous la direction de Wagner, avec sa nièce Johanna Wagner dans le rôle d’Elisabeth.
Wagner le révisa pour une production en 1861 à l'Opéra de Paris, production qui eut lieu grâce à la princesse autrichienne Pauline von Metternich. Mais, en raison d'une violente opposition de la part des habitués du Jockey Club, il n'y eut que trois représentations. Cette version est davantage donnée aujourd’hui.
Sommaire
Fiche technique
- Titre : Tannhäuser und der Sängerkrieg auf Wartburg, en français Tannhäuser et le tournoi des chanteurs à la Wartburg
- Description : Grand opéra romantique en trois actes
- Catalogage : Wagner-Werke-Verzeichnis 70
- Livret du compositeur
- Langue : Allemand
- Composition :
- Version originale, dite de Dresde : Livret de juillet 1842 à avril 1843, Aussig, Teplitz et Dresde ; musique de juillet 1843 à octobre 1845, Teplitz et Dresde
- 2e version : Livret au printemps 1847, Dresde ; musique d’octobre 1845 à mai 1847, Dresde, et en septembre 1851, Zurich
- 3e version, dite de Paris : Livret de septembre 1859 à mars 1861, Paris ; musique d’août 1860 à mars 1861, Paris
- 4e version : Livret en août 1861, Vienne, et au printemps 1865, Munich ; musique à partir de l’été 1861
- Dédicace (2e version) : Camille Erard
- Création :
- Version originale (de Dresde) : Königlich Sächsisches Hoftheater, Dresde, 19 octobre 1845
- 3e version (de Paris) : Opéra de Paris (salle Le Peletier), Paris, 13 mars 1861
- Publication : C. F. Meser, Dresde, 1860
Ouverture
L'ouverture est un résumé de l'opéra : d'abord, exposition Andante maestoso de la mélodie du chœur des pèlerins en crescendo, qui s'éteint ensuite progressivement. Sans transition, un Allegro expose le leitmotiv du Venusberg. Puis, de plus en plus théâtralement, résonne le leitmotiv du chant passionné de Tannhäuser, accompagné par la musique exprimant les menaces des chevaliers, pour atteindre son apogée dans un mouvementé Molto vivace.
- Version de Dresde : l'ouverture se termine avec le choeur des pélerins, qui revient majestueusement Assai stretto en crescendo (exprimant le pardon final accordé enfin au héros) pour déboucher sur une brêve et magistrale coda Più Stretto.
- Version de Paris : l'ouverture est suivie par un ballet, la Bacchanale du Venusberg.
Argument
L'action se situe près d'Eisenach au début du treizième siècle.
Acte I
La scène se passe au Venusberg.
Tannhäuser y est un captif volontaire de la déesse Vénus. Son amour pour elle s'est tari, et il aspire de nouveau à la liberté, la nature et l'amour de Dieu. Dans un air fameux, Tannhäuser exprime son désir à Vénus, qui réagit violemment et lui déclare que jamais plus il ne trouvera le salut. Tannhäuser dit alors que son salut viendra de Marie, provoquant ainsi son départ magique du Venusberg.
Tannhäuser se retrouve soudainement dans la campagne près de la Wartburg ; c'est le printemps, un jeune berger chante à la gloire de la belle saison qui s'annonce et des pèlerins qui reviennent de Rome. En entendant leur chant, Tannhäuser est pris de profonds remords pour ses actions et d'un grand désir de rédemption.
Tannhäuser est découvert par le landgraf et ses chevaliers Wolfram von Eschenbach, Walther von der Vogelweide, Biterolf, Reimar et Heinrich. Ils accueillent avec joie le retour du jeune chanteur, qui autrefois avait fui la cour de la Wartburg.
Acte II
Dans la grande halle de la Wartburg.
Elisabeth, la fille du landgraf, accueille avec joie Tannhäuser et lui exprime le malheur dans lequel elle a vécu depuis son départ. Les chants de Tannhäuser étaient en effet très émouvants pour elle. Tannhäuser dit qu'elle doit remercier Dieu d'avoir permis le miracle de son retour.
Le landgraf accueille les invités pour le concours de chant, dont le thème sera l'éveil de l'amour. Elisabeth accordera un vœu au vainqueur, quel qu'il soit. Wolfram est le premier à chanter; il décrit l'amour comme un sentiment pur qui ne doit jamais être troublé. Tannhäuser réplique en vantant l'amour sensuel, ce qui provoque l'ire de Biterolf et Walther qui soutiennent le sentiment de Wolfram.
Tannhäuser, au comble de l'extase, finit par chanter une louange à Vénus et déclarer qu'il a passé tout le temps de son absence avec elle dans le Venusberg.
Les chevaliers tirent l'épée pour sommairement exécuter Tannhäuser, qui ne doit son salut qu'à la pitié d'Elisabeth, et à la décision du landgraf de l'envoyer à Rome demander son pardon au Pape.
Acte III
La vallée de la Wartburg.
Elisabeth, accompagnée de Wolfram, tombe à genoux en prières pour le salut de Tannhäuser. Elle retourne ensuite le cœur brisé vers la Wartburg, tandis que Wolfram, animé d'un amour dévoué pour elle, pressent sa mort prochaine et chante la louange de l'étoile du soir. Il voit alors un pèlerin qui s'avère être Tannhäuser de retour de Rome. Celui-ci lui décrit comment le Pape lui refusa son pardon aussi sûrement que son bâton de bois ne pourra jamais reverdir. Désespéré, Tannhäuser s'en retourne au Venusberg, d'où Vénus l'appelle et l'accueillerait volontiers de nouveau dans sa caverne. A ce moment, une procession funéraire apparaît, portant le corps d'Elisabeth. Tannhaüser meurt à son tour. Les jeunes pèlerins arrivent alors et décrivent le miracle divin signifiant le salut de Tannhäuser : le bâton du Pape a reverdi.
Sources de l'argument
Dans son autobiographie, Ma Vie, Wagner a décrit les lectures qui sont à l'origine du livret.
Extraits de Ma Vie sur l'origine du livret[Ma Vie, vol. I, p. 356-357]
[...] Obéissant à l'impulsion inconsciente qui me poussait vers tout ce qui me paraissait germanique, je ne saisis tout le charme de cette impulsion qu'après avoir lu le simple récit de la vieille légende de Tannhäuser. Je connaissais, il est vrai, déjà les éléments divers de ces épisodes que j'avais trouvés dans le Phantasus de Tieck, mais ils m'avaient ramené plutôt vers le genre fantastique qu'Hoffmann m'avait fait aimer, et je n'avais pas songé à chercher dans cette histoire le sujet d'une œuvre dramatique. Ce qui fit pencher à présent la balance du côté du livre populaire, c'est qu'on y racontait, en passant, la part qu'avait prise Tannhäuser au « Tournoi poétique de la Wartburg ».
Je connaissais aussi ce dernier récit par le conte d'Hoffmann, Les Frères de Sérapion. Seulement, je sentais que le motif en avait été fortement altéré par le poète, et je m'efforçai de trouver des éclaircissements sur la trame véritable de cette attrayante légende. Lehrs m'apporta alors un numéro des Mémoires de la Société allemande de Königsberg, dans lequel Lukas parlait en détail du Wartburg Krieg et en donnait le texte dans une langue primitive. Je ne pouvais pas me servir, pour ainsi dire, de cette forme ancienne, mais elle me montra le moyen âge allemand sous un coloris caractéristique dont je n'avais encore aucune idée.
[Ma Vie, vol. II, p. 3-4]
À cette époque (avril 1842), le voyage de Paris à Dresde durait encore cinq jours et cinq nuits. [...] L'unique échappée lumineuse de ce trajet fut l'apparition du Wartburg, baigné des seuls rayons de soleil dont nous jouîmes sur toute notre route. L'aspect de ce château, qui assez longtemps se présente très favorablement aux voyageurs venant de Fulda, me réchauffa extraordinairement le cœur. Non loin de là, j'aperçus une crête de montagne que je baptisai sur-le-champ de « Horselberg », et, tout en roulant dans la vallée, je montais en imagination la scène du troisième acte de mon Tannhäuser. J'en conservai une mémoire si précise que plus tard le peintre Despléchiens en put exécuter les décors à Paris d'après le plan que je lui en fournis.
[Ma Vie, vol. II, p. 14-15]
[...] j'entrepris, suivant mon ancienne habitude, une excursion à pied dans les montagnes de la Bohême. Je voulais travailler au plan de mon Vénusberg sous les agréables impressions de cette course.
Je me laissai tenter par le site si pittoresque de Schreckenstein, près d'Aussig, et m'arrêtai dans une petite auberge où, chaque soir, on m'arrangea une litière de paille dans l'unique salle. L'ascension journalière de la Wostrai, la plus haute cime de la contrée, me rajeunissait, et cet isolement romantique réveilla à tel point la fougue de ma jeunesse que, par un beau clair de lune et seulement enveloppé de mon drap de lit, je grimpai dans les ruines du Schreckenstein pour me donner à moi-même l'llusion du revenant que j'aurais voulu y voir. En même temps, je me délectais à la pensée que peut-être quelqu'un m'apercevait ainsi de loin et tremblait d'épouvante.
C'est là que dans mon calepin je notai le plan détaillé d'un opéra en trois actes, le Vénusberg. Plus tard, en écrivant le libretto, j'ai suivi exactement ce plan.
À l'une de mes escalades de la Wostrai, j'entendis soudain, au tournant du vallon, un pâtre qui, étendu dans l'herbe, sur uns hauteur, sifflait un joyeux air de dans champêtre. Je me figurais aussitôt que je me trouvais dans le cortège des pèlerins qui passent dans la vallée, près du berger. Cependant il me fut impossible de me rappeler plus tard la mélodie du pâtre et je dus m'aider moi-même, selon ma méthode habituelle. [...]
[Ma Vie, vol. II, p. 70]
En mai déjà [1843], à mon trentième anniversaire, j'avais achevé le poème de mon Vénusberg (c'est le nom que je donnais alors à Tannhäuser). À cette époque, je n'étais pas arrivé encore à étudier véritablement la poésie du moyen âge ; je n'en connaissais le caractère classique que par mes souvenirs de jeunesse et aussi par les communications toutes superficielles que je devais à Lehrs, à Paris.
[Ma Vie, vol. II, p. 136-137]
Meser éprouvait une telle aversion pour le titre de Vénusberg (mont de Vénus), qu'il parvint à me le faire changer. Il prétendait que, ne fréquentant pas le public, j'ignorais les mauvaises plaisanteries auxquelles on se livrait sur ce titre et qui provenaient certainement des professeurs et des étudiants de la clinique médicale de Dresde, car elles reposaient sur un jeu de mots obscène qu'eux seuls comprenaient à l'origine. Il suffit à Meser de me citer ce jeu de mots répugnant pour que j'accomplisse le changement désiré. Je joignis alors au nom de mon héros le nom d'une légende étrangère au mythe de Tannhäuser : le Tournoi poétique du Wartburg, et je mis celui-ci en étroite relation avec l'histoire de Tannhäuser. Cette conjonction mécontenta malheureusement l'historien Simrock, savant et traducteur estimé dont je faisais grand cas.
Distributions
Les types de voix et les distributions pour les premières des versions de Dresde ou de Paris sont les suivantes :
Rôle Voix Création à Dresde
19 octobre 1845
Chef d'Orchestre: Richard WagnerPremière de la version de Paris
13 mars 1861
Chef d'Orchestre: Pierre-Louis DietschTannhäuser, un troubadour ténor Joseph Tichatschek Albert Niemann Elisabeth, nièce d'Hermann soprano Johanna Wagner Marie Sax[1] Venus mezzo-soprano ou soprano Wilhelmine Schröder-Devrient Fortunata Tedesco Wolfram, baryton Anton Mitterwurzer Ferdinand Morelli Hermann, basse Georg Wilhelm Dettmer Cazaux Walther von der Vogelweide, ténor Max Schloss Aimes Biterolf, basse Johann Michael Wächter Coulon Heinrich der Schreiber, ténor Anton Curty König Reinmar von Zweter, basse Karl Risse Freret Jeune berger soprano Anna Thiele Reboux Quatre nobles pages soprano, alto Critiques
- Franz Liszt publie un article sur Tannhäuser dans Le Journal des Débats politiques et littéraires le 18 mai 1849. C'est la première publication révélant l'importance de Wagner aux Français. Voir texte de l'article sur wikisource.
- Gérard de Nerval, qui a assisté à la première de Lohengrin à Weimar, le 28 août 1850, publie un compte rendu dans la presse : « C'est un talent original et hardi qui se révèle à l'Allemagne et qui n'a encore dit que ses premiers mots ». Voir Lorely, sur Gallica.
- Théophile Gautier va en 1857 à Wiesbaden en compagnie de plusieurs écrivains et musiciens français, notamment Ernest Reyer. Il évoque ce voyage dans L'Artiste, 11 ocobre 1857. C'est lors de ce voyage qu'il assiste à une représentation de Tannhäuser, à la suite de laquelle il écrit l'article Richard Wagner et Tannhäuser, publié dans Le Moniteur Universel le 29 septembre 1857.
- Un exemple de réaction de la critique musicale dans la presse parisienne, dans la seconde quinzaine de mars 1861 : voir la boîte déroulante ci-dessous.
Articles de Jules Lecomte et Albert de Lasalle, dans l’hebdomadaire Le Monde illustré, 16 et 23 mars 1861[Dans l'écriture du nom « Tannhäuser », on a corrigé en « ä » le deuxième « a » quand il est écrit « a », « æ » ou « œ » dans l'article original.]
- Le Monde illustré, no 205, 16 mars 1861, rubrique Courrier de Paris, signée Jules Lecomte, p. 163
... P.S. Nous avons eu enfin, hier au soir, ce fameux TANNHÄUSER dont il avait été tant et trop parlé. La salle, fort brillante, contenait bon nombre des illustrations de Paris. S.M. l’Empereur est arrivée après la première partie du premier acte. Il y avait aussi au parterre beaucoup d’Allemands, renforçant, par amour de l’art, une claque qui n’est pas toujours animée par l’amour du beau. M. Albert de Lasalle vous dira samedi prochain ses impressions de compositeur sur cette œuvre étrange, et nos quelques lignes, tracées sur le marbre de l’imprimerie, lorsque va commencer le tirage du journal, n’engagent pour ainsi dire que le rédacteur d’une épitaphe qui croit écrire sur le marbre d’un tombeau ; - car, pour lui, le Tannhäuser a commencé à agoniser dès son premier soupir chez nous. Il semble chanter lui-même, par toutes les voix qui s’y confondent, sa propre et déplorable oraison funèbre, sa messe en noir ; ce n’est pas un opéra, c’est un De Profundis.
En vain notre premier théâtre a-t-il entouré cette œuvre baroque de tout le luxe qu’il peut déployer à prix d’or ; en vain lui a-t-il prodigué les plus beaux décors que vit peut-être jamais l’Opéra, et en vain aussi de vaillants virtuoses ont-ils rivalisé de zèle avec l’orchestre : un ennui profond, pénétrant, irrésistible, que n’a pas combattu une première curiosité, a plané sur cette soirée plus triste que mémorable, et signalé par un genre de protestation inconnu jusqu’à ce jour à l’Opéra. Tannhäuser psalmodiera son antienne pendant quelques soirs, pour satisfaire quelques intrépides curieux, après quoi il remportera, au-delà du Rhin, les harpes comiques qu’il n’avait aucun motif pour faire défiler chez nous. Amen.
- Le Monde illustré, no 205, 16 mars 1861, rubrique Scène de Tannhäuser, signée Albert de Lasalle, p. 166
Tannhäuser aura peut-être été le plus grand événement musical et dramatique dont Paris conservera le souvenir. En attendant que nous puissions rendre compte à nos lecteurs des impressions que nous causera l’audition de cette œuvre excentrique et si diversement appréciée, nous avons voulu en donner un avant-goût ; et, pour cela, nous avons appelé à notre aide le crayon de nos dessinateurs.
La scène, dont la gravure ci-contre reproduit l’aspect, est la scène quatrième du second acte. On pourrait l’appeler le Tournoi des chanteurs. En effet, le Landgrave au milieu de son palais de Wartburg, et environné de sa cour, a convoqué, pour leur donner une marque éclatante de sa munificence, une troupe de troubadours, parmi lesquels on distingue Tannhäuser. Les chants commencent ... Mais bientôt la discorde se met dans l’assemblée ; Biterolf, Wolfram et Walter exaltent l’amour platonique, tandis que Tannhäuser dit les louanges de l’amour sensuel.
La situation est très-belle et a un grand cachet de nouveauté. Elle est surtout très-propre à inspirer le compositeur, et nous dirons prochainement quel parti en a tiré M. Wagner.
En attendant, admirons le décor qui encadre cette scène capitale, et dont les perspectives profondes, l’éclat de la couleur, la richesse des détails d’ornementation dépassent peut-être toutes les magnificences que l’Opéra a déjà produites en ce genre. Et ce n’est pas tout ; un intérêt autre se rattache encore à cette toile magistrale ; car elle est la copie fidèle du fameux palais de Wartburg où résidèrent pendant une partie du moyen âge les landgraves de Thuringe. C’est aussi dans le château de Wartburg que Luther, enfermé pendant un an, travailla à la traduction de la Bible. D’après une légende très-accréditée en Allemagne, le diable ayant apparu au célèbre réformateur, celui-ci lui aurait jeté son encrier ; et l’on montre encore aux voyageurs qui passent à Wartburg les traces de ce fantastique combat.
- Le Monde illustré, no 206, 23 mars 1861, rubrique CHRONIQUE MUSICALE, signée Albert de Lasalle, p. 191-192
Avait-on jamais vu à Paris un opéra écrit dans le style pompeux et avec les plus grandes prétentions à l’épopée, obtenir un succès de fou-rire ?.... Je consulte les annales de notre Académie de musique et je ne trouve rien de semblable ; j’ai beau chercher, compulser, feuilleter encore, c’est comme si je m’obstinais à découvrir celui des vaudevilles de Ravel ou d’Arnal qui aplongé le public dans la mélancolie et les larmes.
Il faut donc retenir la date du 13 mars 1861 ; c’est celle de la première représentation de Tannhäuser, et elle inaugure l’ère du rire comme moyen de critique dans les théâtres sérieux.
Et pourquoi cette hilarité qui, au premier abord, semble grossière et déplacée ? D’où vien que M. Wagner, après avoir épuisé notes et rimes dans le récit d’une histoire qui n’est rien moins que solennelle et élégiaque, ait pu toucher sans le vouloir la corde somique ? Ah ! voilà ! ..... Il vous est peut-être arrivé de rencontrer sur votre route un passant qui se faisait remarquer par ses grands airs d’importance, sa démarche assurée et son regard hautain qu’il promenait sur tout le monde avec une sorte de curiosité dédaigneuse ? Tout d’un coup, le malheureux glisse et tombe... S’il n’eût fait que trébucher vous auriez couru vers lui pour le secourir ; mais non, la situation est sans remède ; votre homme est bien tombé et le plus platement, le plus ridiculement du monde. Alors vous avez été pris d’un rire involontaire, nerveux, convulsif et que la pitié même n’a pu arrêter.
Eh bien ! le public de l’Opéra, devant M. Wagner, n’est-il pas un peu dans le même cas ? Depuis une quinzaine d’années le bruit qu’on faisait en Allemagne autour du prétendu musicien de l’avenir, était parvenu jusqu’à nous ; ses adorateurs qui, il est vrai, compensaient leur petit nombre par toutes les fureurs de l’enthousiasme, avaient fait de lui je ne sais quel prophète ou plutôt je ne sais quel messie qui allait régénérer l’art caduc de Mozart et de Beethoven, de Weber et de Rossini. Il fallait bien un peu croire à toutes ces belles choses qu’on vous racontait parfois avec attendrissement ; et c’est ce qui est arrivé pour le plus grand malheur de M. Wagner, ainsi précédé à Paris par une énorme, mais dangereuse réputation.
Quand l’auteur de Tannhäuser s’est révélé pour la première fois à nous dans les trois concerts qu’il donna l’année dernière au Théâtre-Italien, l’heure n’était pas encore venue de porter sur son œuvre un jugement définitif. Aussi avons-nous pris soin de n’en rien faire ; car l’étrangeté d’une pareille musique nous avait jeté dans un tel trouble que nous avons cru prudent de nous en tenir au doute jusqu’au jour de la grande initiation. Nous aimions à nous figurer qu’au milieu du chaos sonore dont nous avions subi l’audition, il se trouvait des beautés que la représentation théâtrale mettrait en lumière ; même nous nous sommes bravement lancés à leur découverte en nous munissant d’une partition de Tannhäuser, que nous avons analysée avec soin. Mais ce travail de patience, qui nous a procuré la vue de fantastique hiéroglyphes, ne nous a point précisément converti à la manière de M. Wagner. Bien plus, le doute dans lequel nous avions voulu nous renfermer a fait place à des appréhensions qui – hélas ! – ne sont aujourd’hui que trop justifiées.
D’ailleurs, qu’on veuille bien nous dire en quoi consiste le système de M. Wagner ? Nous serions charmé de l’apprendre, nous qui n’avons pu distinguer l’ombre d’une doctrine, la plus l égère apparence d’un parti pris quelconque dans ce pompeux brouhaha qu’on appelle Tannhäuser. Avant de se dire réformateur, et de se poser en démolisseur du passé, il importerait pourtant de déclarer où l’on veut en venir. Vous supprimez ceci, vous condamnez cela, mais que prétendez-vous mettre à la place ? Voilà la grande question qu’on a le droit d’adresser à tout novateur. Si M. Wagner croit y avoir répondu avec le singulier specimen qu’il nous a fait entendre, il se trompe étrangement ; car sa musique semble nier la musique même, puisqu’elle en repousse les éléments les plus indispensables.
La mélodie, en effet, c’est-à-dire le dessin, l’idée, est presque totalement absente du Tannhäuser, ou ne s’y montre que par fragments souvent sans figure ni intérêt quelconque. C’est là un défaut capital, et nous pourrions borner notre critique à le signaler. Mais ce n’est pas tout, et une erreur plus grave peut-être – car c’était une erreur de logique – domine encore la partition. Je veux parler du manque de proportion, de méthode, en un mot, de l’absence de plan arrêté qui se fait sentir depuis la première note jusqu’à la dernière, et condamne l’esprit à une véritable souffrance.
Donc, aucune division, aucun repos dans cette musique qui me fait l’effet d’un discours sans exorde, développement, ni péroraison. On s’étonne qu’une partie du système de M. Wagner consiste à s’affranchir de cette loi primordiale qui veut que chaque chose en ce monde ait son commencement, son milieu et sa fin, et que ces trois périodes présentent chacune des caractères particuliers et une tendance spéciale.
Cette impression vague et pleine de malaise qui vous saisit à l’audition de Tannhäuser, nous pourrions d’ailleurs en surprendre le secret dans les procédés harmoniques qu’emploie M. Wagner, et qui sont, en quelque sorte, la glorification de la dissonance au détriment de la consonance. L’équilibre qui doit présider aux fonctions de ces deux éléments s’est trouvé ainsi rompu, et cette licence prolongée au-delà des bornes a jeté un grand désordre dans la trame harmonique de M. Wagner ; or, si je ne me trompe, le désordre en musique a nom cacophonie. Ne pourrait-on pas comparer l’emploi de la dissonance à celui de certains poisons qui sont salutaires, si on les prend à petites doses, mais qui tuent immanquablement s’ils sont administrés en quantités plus grandes ?
On a cherché aussi à faire un mérite à M. Wagner d’une prétendue recherche de la vérité dans l’expression scénique, mais ce n’est point encore sous ce rapport que brille Tannhäuser ; et pour se convaincre de l’imprudence de cette assertion, il suffit d’écouter, - si on en a la force, - ce que l’auteur fait chanter à Vénus. La déesse des voluptés s’exprime dans le langage d’un sauvage affamé ou d’une sorcière un jour de sabat ; elle se fait accompagner par le tonnerre des instruments de cuivre et le ricanement de la petite flûte ; c’est un déchaînement de tout l’orchestre à propos d’amour. Je ne sais pas si on peindrait autrement l’éruption d’un volcan ?
Un des passages où s’est le mieux accusé le prétendu système de M. Wagner, c’est cette grotesque psalmodie que chante un pâtre (vers le milieu du premier acte) et dont les accompagnements de hautbois ont commencé à mettre le public en gaieté. Cela n’a pas de forme appréciable ; bien entendu, ce n’est pas une mélodie, mais c’est encore moins une mélopée ou un récitatif. Chacun peut s’en donner facilement une idée sans même prendre la peine d’aller jusqu’à l’Opéra. Il suffit de se faire bander les yeux, puis de promener ses doigts au hasard sur le clavier d’un piano, et le résultat obtenu différera peu de la plaisanterie en question. – Que dire du tournoi des chanteurs où ce qui manque le plus, c’est justement le chant ? du finale du second acte, ce chœur strident et barbare, où les voix se mêlent et se heurtent d’une si plaisante façon, qu’on dirait une meute au plus fort de la chasse ? Que penser encore de la prière d’Elisabeth et du languissant récit de Tannhäuser, revenant de Rome et racontant son voyage avec un soin de détails qui tombe dans la puérilité ? ... Toutes ces choses sont tellement baroques, qu’il ne faut pas s’étonner si les mots manquent pour en donner une idée suffisante.
Mais, anomalie singulière ! M. Wagner – daignant faire quelques concessions au passé ! – a consenti à intercaler, au milieu de toutes ces extravagances, deux ou trois morceaux qui se présentent d’une manière plus lucide et sont les seuls échantillons de musique que contienne cette longue et diffuse partition de Tannhäuser. On vous aura sans doute déjà parlé de la marche ; le style en est très-grand, la mélodie ample, le rythme bien marqué et l’harmonie heureuse. (On voit que nous faisons comme le public qu’on n’accusera pas d’avoir eu un parti pris contre M. Wagner, puisque cette marche fameuse a été applaudie avec enthousiasme.) Il faut encore noter le chœur des pèlerins, quoiqu’il n’ait pas à la scène toute la portée que nous lui supposions, quelques mesures du septuor à la fin du premier acte, et l’hymne à l’étoile, dont on aurait mieux saisi les curieuses harmonies, si elle eût été encadrée convenablement. Mais voilà toute la récolte à faire à travers cette prétendue terre-promise, qui n’est qu’un Sahara infertile et aride.
La légende dont M. Wagner s’est confectionné un livret est d’une simplicité élémentaire. Tannhäuser, qui en est le héros, se trouve combattu entre l’amour sensuel dont il brûle pour la déesse Vénus et l’amour idéal que lui a inspiré Elisabeth, fille du landgrave de Thuringe. Vénus l’emporte d’abord ; mais l’inconstant troubadour se convertit aux charmes d’Elisabeth et aspire à l’épouser, ce qui l’oblige à aller à Rome chercher le pardon de ses fautes. Quand il revient en Thuringe, la mort a surpris Elisabeth au milieu du chagrin d’une attente trop prolongée.
Félicitons MM. Niemann, Morelli et Cazeaux, Mmes Tedesco, Sax et Reboux des efforts qu’ils ont faits pour mener à bonne fin la triste et indéchiffrable partition ; n’oublions pas les décorateurs qui ont fait des merveilles, ni même M. Wagner, à qui nous devons un moment de gaieté... C’est si bon de rire !
- Charles Baudelaire, Richard Wagner et Tannhäuser à Paris, article paru dans la Revue européenne le 1er avril 1861 et repris ultérieurement dans L'Art romantique. Texte de l’article sur wikisource.
Traduction du livret en français
- 1860. Traduction de Charles Nuitter, par révision complète d'une traduction de Roche et Lindau. Elle fut utilisée pour les représentations de mars 1861 à Paris.
- 1861. Traduction par Challemel-Lacour[2] ; dans Quatre Poèmes d'opéras traduits en prose française, précédés d'une lettre sur la musique, A. Bourdilliat et Cie
- 1896. Traduction par J. Arthur Delpit, Librairie Fishbacher. [2]
Enregistrements
Quelques enregistrements :
- Erich Leinsdorf au Metropolitan Opera de New-York (1941); Melchior, Flagstad, Thorborg, Janssen, List (Arkadia)
- Wolfgang Sawallisch à Bayreuth. Windgassen, Silja, Waechter, Bumbry. Live, 1962 (Philips).
- Georg Solti, Orchestre philharmonique de Vienne. Kollo, Dernesch, Braun, Ludwig, Sotin. 1970 (Decca).
- Giuseppe Sinopoli, Royal Philharmonic Orchestra, avec Placido Domingo (Tännhauser), Cheryl Studer (Elisabeth), Matti Salminen (Landgrave), Agnès Baltsa (Vénus), Andreas Schmidt (Wolfram). 1989 (Deutsche Grammophon).
Notes et références
Bibliographie
- Richard Wagner, Ma Vie, tr. N. Valentin et A. Schenk, 3 vol., Librairie Plon, 1911-12.
- Gaston Paris, Légendes du moyen âge, 3e édition, Hachette, 1908. Chapitre La Légende du Tannhauser, p. 111. Texte sur Gallica : [3].
Liens externes
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