Sécularisation

Sécularisation

La sécularisation (étymologiquement rendre au siècle, au monde, de Séculier) consiste à faire passer des biens d’Église dans le domaine public, ou encore, à soustraire à l’influence des institutions religieuses des fonctions ou des biens qui lui appartenaient. Elle est en quelque sorte l'antithèse de la sacralisation, sans avoir le sens de profanation.

Sommaire

Définitions

John Sommerville (1998) a relevé six utilisations du terme sécularisation dans la littérature scientifique. Les cinq premières sont proches de définitions alors que la sixième est plutôt une clarification d'usage[1] :

  1. En parlant de structures macro sociales, la sécularisation peut se référer à une différenciation: un processus dans lequel les divers aspects sociaux, économiques, politiques, législatifs, et moraux, deviennent de plus en plus spécialisés et distincts les uns des autres.
  2. Lorsque l'on parle d'institutions individuelles, la sécularisation peut dénoter la transformation d'une religion en une institution séculière. On peut prendre en exemple l'évolution d'institutions telles que l'Université Harvard qui est passée d'une institution à dominance religieuse à une institution séculière.
  3. En parlant d'activités, la sécularisation se réfère au transfert d'activités religieuses en institutions séculières, comme par exemple des services sociaux donnés non plus par un groupe religieux mais par le gouvernement.
  4. Lorsqu'on parle de mentalités, la sécularisation se réfère au passage de préoccupations ultimes en des préoccupations de proximité. Par exemple, de nombreux occidentaux guident désormais leurs actions plus par leurs conséquences immédiatement applicables que par d'éventuelles conséquences post-mortem. Il s'agit là d'un déclin religieux au niveau personnel, ou d'un mouvement vers un style de vie séculier.
  5. En parlant de populations, la sécularisation fait référence à de larges domaines sociaux de déclin religieux, en opposition avec la sécularisation individuelle du point (4) ci-dessus. Cette définition de sécularisation est aussi différente du point (1) ci-dessus car elle fait référence spécifiquement au déclin religieux plutôt qu'à la différentiation sociale.
  6. Lorsqu'on parle de religion, la sécularisation peut uniquement être appliquée sans ambigüité à la religion au sens générique. Par exemple, une référence au christianisme n'est pas claire à moins de spécifier exactement de quelles dénominations du christianisme il s'agit.

En histoire

Il existe trois périodes principales de sécularisation des biens des Églises européennes :

En France, le pouvoir institutionnel s’affirme progressivement par la sécularisation du politique : Jean Bodin pose les fondements de l’Etat moderne dans ses Six livres de la République (1576) en faisant clairement apparaître le lien direct entre ce concept et la notion de souveraineté, laquelle est unique, indivisible, perpétuelle et absolue. Cette sécularisation du pouvoir politique, qui marque le début d’une conception moderne de l’Etat, transparait également dans la pensée de Nicolas Machiavel. Dans Le Prince (1513), ce dernier confère une dimension strictement humaine à l’action publique, excluant toute référence à une norme transcendante.

Des sécularisations eurent aussi lieu en Russie sous Catherine II et en Prusse.

En philosophie : origine de la notion

La notion de sécularisation est récente et apparaît dans la philosophie politique allemande du XXe siècle, notamment chez Carl Schmitt, Karl Löwith et Hans Blumenberg. Cependant, les contenus doctrinaux liées à la problèmatisation des conséquences de la perte d'influence de la religion sur la société dans la Modernité préexistent aux débats récents, notamment dans l'œuvre de Friedrich Nietzsche.

Le sens du terme sécularisation apparaît déjà dans les écrits du Nouveau Testament, notamment chez Saint Paul, où il désigne déjà sous l'aspect du saeculum, le siècle (latin de la Vulgate qui traduit le terme grec aiôn, présent dans Romains, 12, 2), c'est-à-dire de la temporalité de ce monde-ci, la dimension mondaine de la vie humaine, associée à la dimension du péché. On comprend ainsi que l'expression retourner dans le siècle signifie retourner dans le monde profane. La sécularisation s'identifie donc à la laïcisation, c'est-à-dire à un processus par lequel le contenu théologique s'efface au profit de modes d'être et d'habitudes populaires sans référence explicite au sacré. Plus globalement et plus largement, la sécularisation désigne le processus visible depuis la fin du Moyen Âge qui voit des activités ou des dimensions de la vie humaine reliées à la sphère religieuse comme l'Art, l'Éthique, la la Morale ou la Politique se couper de toute référence au sacré ou à la transcendance. La sécularisation, au sens en usage aujourd'hui définit un processus dans lequel le monde et l'histoire humaine peuvent se comprendre à partir d'eux-mêmes, de manière proprement immanente.

En sociologie

La sécularisation correspond à un processus de baisse de l'influence des religions dans la société, dit aussi laïcisation. Le phénomène de sécularisation est observé par le sociologue allemand Max Weber au début du XXe siècle. Weber inscrit la sécularisation dans le phénomène plus large de désenchantement du monde et de rationalisation.

Les débats contemporains : Verweltlichung et Säkularisation

C'est dans l'ouvrage daté de 1922 de Carl Schmitt, Théologie Politique (cf. la traduction française, Gallimard, 1988, p. 46), qu'apparaît pour la première fois le terme de Säkularisation, néologisme allemand calqué sur le français sécularisation, terme indiquant la translation dans la politique moderne de notions issus de la théologie et réinvesties dans le vocabulaire de la vie politique. Citons Carl Schmitt : « Tous les concepts prégnants de la théorie moderne de l'État sont des concepts théologiques sécularisés. »

Dans son cours sur Nietzsche professé en 1941, Martin Heidegger emploie le terme de Säkularisation.

Néanmoins, c'est sur la base d'une étude des processus qui ont vu naître les philosophies de l'histoire, que Karl Löwith va utiliser le terme de Verweltlichung, dans son étude Histoire et Salut.

Discussion

Sous réserve d'un inventaire précis et exhaustif de l'usage de la notion de sécularisation chez Carl Schmitt, son emploi s'opère chez Karl Löwith à la faveur d'un glissement de sens; si pour lui la philosophie de l'histoire moderne s'enracine très profondément dans un démarquage problématique de contenus eschatologiques anciens, dont le repérage peut faire remonter jusqu'à Joachim de Flore, c'est-à-dire jusqu'au XIIe siècle, le terme qu'il emploie plus volontiers est celui de Verweltlichung (qu'on peut rendre en français par : mondanéisation). Les diverses philosophies de l'histoire seraient ainsi redevables, dans et par le mouvement de reflux hors de la religion qui porte la marque de la Modernité, de contenus de pensée issus de la Théologie chrétienne, comme par exemple la notion d'eschatologie. L'étude de la responsabilité de la réorientation de contenus proprement théologiques, en direction des mouvements de libération sociale et en vue de redéployer l'organisation des structures politiques et sociales, a fait l'objet de certains des travaux de Eric Voegelin. Voegelin lui-même critique une partie de ses propres orientations concernant la thématique de la sécularisation (liée à ce qu'il appelle la Nouvelle Gnose), dans l'ouvrage posthume intitulé Réflexions Autobiographiques.

C'est Hans Blumenberg qui a cherché, dans la période récente, à rediscuter et à procéder à la critique du vocabulaire et des idées qui président aux diverse théories de la sécularisation. L'ouvrage extrêmement riche intitulé La Légitimité des Temps Modernes aborde la question avec force et précision.

On peut ainsi se demander si la question de la sécularisation, portée sur la scène philosophique par la philosophie allemande moderne et contemporaine (Nietzsche, Löwith, Carl Schmitt, Blumenberg, etc.) et plus récemment en France par le philosophe Marcel Gauchet qui a repris à son compte la thématique de Max Weber de désenchantement du monde, n'est pas corrélative d'une perception de l'histoire qui voit la religion perdre de sa puissance dans les démocraties laïques, pendant que les mentalités conservent des catégories de pensée et de vivre directement en prise sur la religion. Si, pour prendre un exemple, la question des Droits de l'homme peut apparaître comme une production politique sécularisée de la charité chrétienne, il n'en reste pas moins que cette dernière, loin d'être abandonnée, montre au contraire sa puissance en projetant dans la sphère politique l'exigence d'aimer tous les hommes. Autrement dit, la notion de sécularisation peut avoir des effets inattendus : faire entrer dans le siècle des contenus qui auparavant étaient réservés à la sphère théologique. Ce peut-être là que doit être posé le problème de la faiblesse de la pensée et de la vie politique moderne.

Sécularisation et salut

Les autorités de l'Église ont longtemps accueilli la sécularisation avec beaucoup de réticences, considérant qu'elle pouvait constituer un danger pour la foi. Ce n'est qu'à partir du concile Vatican I que l'Église a cessé de s'opposer à ce désir d'autonomie progressive du monde. Au concile Vatican II, l'Église a reconnu la légitimité de ce processus.

Plus récemment, la sécularisation a été bien accueillie chez les chrétiens. Les théologiens en ont même fait une condition pour la foi. Chez les théologiens catholiques, c'est Jean-Baptiste Metz qui montre le plus d'enthousiasme pour ce phénomène, et en discerne ses rapports avec la foi. C'est dans la théologie politique de ce théologien que l'on trouve une analyse des rapports entre la sécularisation et le salut[2].

L'historien et sociologue Jean Baubérot considère quant à lui que la sécularisation comporte des aspects positifs, en ce sens que l'adhésion au christianisme n'est plus le résultat d'un conformisme social mais un choix personnel[3].

Notes et références

  1. Sommerville, C. J. "Secular Society Religious Population: Our Tacit Rules for Using the Term Secularization. Journal for the Scientific Study of Religion 37 (2):249-53. (1998)
  2. Gabriel Chénard, sécularisation et salut, Laval théologique et philosophique, vol. 37, n° 2, 1981, p. 169-190.
  3. Jean Baubérot : « Benoît XVI oublie l'aspect positif de la sécularisation », La Croix

Bibliographie

  • Carl Schmitt, Théologie politique, Gallimard, 1988.
  • Karl Löwith, Histoire et salut, Gallimard, 2002
  • Martin Heidegger, Nietzsche, Frankfurt, Klostermann, 1961.
  • Eric Voegelin, La Nouvelle Science du Politique, Seuil, 2000
  • Eric Voegelin, Les Religions Politiques, Cerf, 1994
  • Eric Voegelin, Réflexions Autobiographiques, Bayard, 2003
  • Hans Blumenberg, La Légitimité des Temps Modernes, Gallimard, 1999
  • Jean-Claude Monod, La querelle de la sécularisation, Vrin, 2002
  • Rémi Brague, La sagesse du monde, Fayard, 1998
  • Dictionnaire critique de Théologie, Presses Universitaires de France, 1998
  • Marcel Gauchet, Le désenchantement du monde.

" La sainte ignorance - Le temps de la religion sans culture" de Olivier Roy (Seuil, 2008)

Voir aussi

Articles connexes

Laïcité | Modernité | Sociologie des religions | Philosophie de l'histoire | Sécularisme

Liens externes



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