Autonomie de rodrigues

Autonomie de rodrigues

Autonomie de Rodrigues

Siège de l'assemblée régionale de Rodrigues.

Le début de l'histoire de l'autonomie de l'île Rodrigues remonte à 1915 quand un mémoire est adressé au Roi George V d’Angleterre par 79 Rodriguais qui demandent que Rodrigues ait deux représentants au Conseil Législatif et déplorent que Rodrigues n'ait pas été incluse en tant que district électoral dans la Constitution de 1885.

Sommaire

Les débuts

La désapprobation et les revendications des Rodriguais sont moins visible par la suite, du fait notamment du départ d'un certain nombre de Rodriguais vers Sainte Suzanne en 1935 et de la Seconde Guerre mondiale.

Pierre Coralie, chauffeur de taxi de Maurice, relance le mouvement de mécontentement en lançant son journal Le Rodriguais, le 4 août 1957.

« Si l'on empêche aux Rodriguais de parler, les pierres de leurs montagnes parleront à leur place », écrit-il en guise de devise du journal.

Plusieurs natifs de l'île, dont Basile Allas, Xavier Prudence, Jean Azie, Joseph Ah Kang et Mani Ravina, entre autres, entrent en scène. Des meetings publics sont organisés les week-ends afin de mobiliser l'opinion derrière l'idéal rodriguais mais, les initiateurs de cet élan n'ayant aucune formation et étant pour la plupart analphabètes, le mouvement ne dure pas. La plupart se rallieront du côté du projet indépendantiste de Seewoosagur Ramgoolam juste avant les élections du 7 août 1967. Seul Soopramanien Sooprayen, un enseignant d'origine mauricienne venu travailler au Collège Saint Louis, en 1965, continue à prêcher une vraie identité politique rodriguaise. En 1970, il se rallie à Xavier Prudence pour former le Parti du Peuple Rodriguais (PPR).

Entre temps, Maurice a accédé au statut autonome. Maurice se trouve face à un gros problème démographique, le taux de naissance parmi la communauté hindoue étant très élevé, la pauvreté menace car il est très difficile de fournir du travail à une demande toujours croissante en matière d'emplois. Des experts britanniques envoyés sur place pour une étude, recommandent un système de contrôle de naissance par la stérilisation des jeunes époux en âge de procréer.

Charles Gaëtan Duval, jeune avocat qui s'est affirmé comme le digne successeur de Jules Koenig à la tête du Parti Mauricien Social Démocrate, riposte. Pour lui, la question est claire ; il faut impérativement que Maurice s’associe avec la Grande Bretagne afin que les Mauriciens puissent bénéficier du passeport britannique et pouvoir circuler et travailler librement en Europe. Il prône aussi l’émigration vers l'Australie qui recrute de la main d’œuvre. C'est là une issu qui sera très suivie par les Mauriciens, surtout les intellectuels créoles qui craignent les retombées de l'indépendance. Un grand nombre de Mauriciens — et de Rodriguais — partiront sur les Charter Flights et quitteront Maurice sur plusieurs années.

Du côté de l'Église, l'évêque de Port Louis, Jean Margéot, trouvera que la solution recommandée dans le rapport Wilson va à l'encontre de la dignité humaine. En avril 1963, il fonde, avec le Dr Arthur de Chazal, l'Action Familiale afin de contrecarrer le projet de stérilisation prévu par le gouvernement. Les frères Mohammed du Comité d'Action Musulman (CAM) et Aneerood Jugnauth, leader de l’Indenpdent Forward Block (IFB) s'allient à Seewoosagur Ramgoolam et la communauté créole se retrouve isolée. Les blancs et l'Église se rapprochent de Duval, mais celui-ci, craignant la force des hindous, veut impliquer le peuple rodriguais (créole à 99%), et du coup, offrir le droit de vote aux Rodriguais. Clément Roussety, jeune Rodriguais disciple de Duval, demande un Order in Council pour que les élections de 1959 et 1963 soient invalidées, les Rodriguais n'ayant pas participé à ces élections. Ce qui permet aux Rodriguais de voter pour la toute première fois, aux élections du 7 août 1967, élections ayant force de référendum en faveur de l’indépendance de Maurice.

Première campagne électorale

L'année 1968 débute avec des conflits entre les communautés créoles et musulmanes dans plusieurs régions de Maurice. Plusieurs morts sont à déplorer et la Grande Bretagne doit intervenir par l'envoi de troupes basées à Aden. Duval donne le mot d'ordre pour que ses partisans rodriguais boycottent la cérémonie du drapeau du 12 mars, jour de l’accession de Maurice à l'indépendance. À Rodrigues, les autorités n'arrivent pas à hisser le drapeau malgré l'usage de la force.

Lors de la première campagne électorale de Rodrigues et afin de rallier les Rodriguais à sa cause, Duval fait usage de la langue de bois. Il annonce que l'indépendance signifie que le bateau ne viendra plus approvisionner Rodrigues et que tous les enfants rodriguais vont mourir de faim, que les pensions de vieillesse et de retraite vont être abolies et que les églises seront être transformées en porcheries par les hindous qui débarqueront aussitôt l'indépendance acquise. Les Rodriguais, très attachés à leur culture et à leur foi en Jésus Christ ne tardèrent pas à démontrer leur solidarité envers Duval qui incarnait « le Roi Créole » ou le défenseur des valeurs morales et culturelles rodriguaises. Revenu d’un voyage aux États-Unis, Duval avait fait sien le slogan « Black is Beautiful » (Le noir est beau) cher aux Américains noirs après la période Martin Luther King.

Création du Ministère de Rodrigues

Devant l'instabilité sociale, Ramgoolam instaure l'état d'urgence, renvoye les élections législatives prévues pour 1972 et contracte une coalition avec Duval en 1971. À cette époque, le jeune Paul Raymond Bérenger, idéologue du « Mai 1968 » français est arrivé à Maurice et lance un réel et solide mouvement syndical. Des Rodriguais — Aurélie Perrine et Naine Bégué, entre autres — se trouvent parmi les Bérengistes travaillant dans le port. Comme ils suivent à la lettre les instructions de Bérenger à chaque action de grève, Duval conseille à Ramgoolam d'apporter des amendements au Deportation Act de 1968 afin de déporter les Rodriguais « fauteurs de troubles » dans leur île. Mais, Ramgoolam n'eut jamais recours à cette action.

Lors des élections du 20 décembre 1976, le Mouvement Militant mauricien de Bérenger obtient 30 sièges sur les 60 à pourvoir ; le reste va à l’Alliance Nationale dirigée par Seewoosagur Ramgoolam. Dans la nuit du dépouillement, Ramgoolam contracte une nouvelle coalition avec Duval. Celui-ci, sachant que les deux élus de son parti à Rodrigues - Ignace Lewis Nicol François et Cyril Guimbeau - sont les seuls capables d'aider à former un gouvernement, impose qu'un Ministère de Rodrigues soit créé et alloué à un élu du PMSD. Ainsi, Nicol François devient le premier occupant du portefeuille de Rodrigues en janvier 1977.

Si Rodrigues crée l'histoire avec ces nouveaux évènements, la mentalité de débauche des partisans du PMSD va entraîner l'île dans une anarchie totale. Une catégorie émerge et se comporte comme les propriétaires de Rodrigues. Le chômage fait du ravage et, alors qu'une pénurie de sucre frappe l'île, le bateau arrive avec une cargaison de vin de mauvaise qualité destiné à une fête populaire organisé par le ministre de Rodrigues lui-même.

Julie Collet, chanteuse historienne, pourtant fervente partisane de François, compose une chanson pour dénoncer cette attitude :

« Bateau quand rentre dans Rodrigues
Bateau quand rentre dans Rodrigues ô
Bateau quand li rentre dans Rodrigues
Juste divin li amené
Avion quand vine dans Rodrigues
Avion quand vine dans Rodrigues ô
Avion quand vine dans Rodrigues
Juste dimounes li amené
Di sucre qui nous pas ti gagné
Rodrigues, ce qui nous apé gagné
Juste divin la cloche. »

« Père Clair » et Micro Inter

Depuis quelques années déjà, un jeune prêtre d'origines rodriguaises, Serge Clair - connu des Rodriguais comme Père Clair -, est rentré à Maurice de ses études en France. C'est un homme qui veut révolutionner l'Église. Il fait entrer le rythme du séga à l'église et ose même aller chanter dans les fêtes. Le public mauricien est choqué de voir un prêtre venir chanter à la télé « La Source », une chanson écrite par Henri Djian et Guy Bonnet pour Isabelle Aubret. Serge Clair rencontre Lindsay Rivière et Sydney Selvon, deux journalistes mauriciens et le trio fonde l'Amicale Maurice-Rodrigues qui débouche sur le lancement d'un petit journal intitulé Le Courrier des Îles. Clair veut mieux faire connaître l'île Rodrigues, son peuple, sa culture et ses aspirations à la population mauricienne. Il lance et anime une émission radiophonique, Micro Inter, et met Rodrigues à l'avant-plan. Hélas, alors que Ramgoolam, le Premier ministre est absent du pays, Duval qui assure la suppléance pendant vingt-quatre heures seulement, interdit l’émission.

Rodrigues vit toujours au jour le jour et dans la misère. Les Rodriguais sont embauchés comme laboureurs pour une durée de onze mois. Pour pouvoir se faire réembaucher, les chefs de familles doivent, dans tous les cas, verser des pots de vin. Parfois, certains doivent offrir la totalité de leurs salaires en argent et garder seulement ce qu’ils reçoivent en nature, c'est-à-dire quelques kilos de maïs, de lait et quelques litres d'huile comestible. Parmi ceux qui arrivent à se faire embaucher, on compte principalement les proches du PMSD.

En août 1975, Serge Clair, encore au service sacerdotal, organise un séminaire sur les lois du travail et le Industrial Relations Act à l'intention des Rodriguais au collège de Rodrigues. Ceci est renforcé par Guy Ollivry, avocat, ancien député de Rodrigues et fondateur de l’Union Démocratique Mauricienne, venu donner un coup de main pour informer les Rodriguais sur le droit à un travail décent. Les Rodriguais s’organisent et demandent à Serge Clair de venir les aider pour lancer un parti politique sérieux, qui agirait comme défenseur des faibles et des opprimés rodriguais. Serge Clair accepte et en septembre 1976, soit trois seulement mois avant les élections prévues pour le 20 décembre, l'Organisation du Peuple de Rodrigues (OPR) prend naissance dans le village de Nassola. L'Organisation du Peuple de Rodrigues (OPR) est enregistrée comme parti politique auprès de la Commission Électorale le 12 novembre 1976.

Débuts difficiles

Dès le début, Clair définit sincèrement ses objectifs : œuvrer avec le pouvoir mauricien en faveur de la libération de Rodrigues mais ne jamais s'allier à aucun parti mauricien. « Nous pas pé la guerre CONTRE personne, mais nous pé emmène la bataille POUR qui peuple rodriguais capave deboute lors so propre li pieds ! » (Serge Clair, Victoire et Espoir pour l’OPR, 1982).

Les politiciens mauriciens savent qu'il serait difficile de venir combattre un Rodriguais, de surcroît un ancien prêtre, sur son propre terrain. Harold Walter déclare aux Rodriguais qu'il serait suicidaire de faire confiance à Serge Clair car « un prêtre qui a trahi Dieu est capable de trahir son peuple ». Des promesses sont faites aux Rodriguais ; et même des menaces au cas où le parti majoritaire de Maurice serait mis en minorité à Rodrigues, c'est la population rodriguaise qui en paierait les conséquences.

Malgré tout, les meetings sont organisés à travers l'île. Aux intimidations, Serge Clair répond de pardonner, car la violence ne mène nulle part. « Laisse zotte » disait Serge Clair.

Pour les élections de 1976, c'est Darcil Perrine, un enseignant de Brûlé, qui démissionne de son poste pour être le colistier de Serge Clair. Le parti essuie une défaite mais réussit quand même à rafler un pourcentage des votes exprimés de 33%. En fait, sur les 9 416 électeurs ayant répondu à l’appel des urnes, les votes étaient départagés comme suit :

No. Nom Parti Votes
1. Louis Nemours Cyril Guimbeau Parti Mauricien Social Démocrate 5 392
2. Ignace Lewis Nicol François Parti Mauricien Social Démocrate 5 304
3. Louis Serge Clair Organisation du Peuple Rodriguais 3 241
4. Darcil Perrine Organisation du Peuple Rodriguais 3 135
5. Joseph Karl Élysée Parti de L’Indépendance 854
6. Joseph Marcel Mason Parti de L’Indépendance 654
7. Jean Baptiste Maximilien Lucchesi Indépendant 132
8. Soopramanien Sooprayen Indépendant 120

Revivalisme culturel et éveil identitaire

La première problématique à laquelle avait à faire face Serge Clair consistait à éveiller un sens profond d'appartenance chez le peuple, et l'emmener à prendre conscience qu'il lui incombait de prendre en mains les rennes de sa propre destinée.

Clair décida, néanmoins, de jouer la carte de la spécificité culturelle.

Alors qu'ils étaient à l'école normale de Maurice, Karl Allas et Marcel Flore avaient suivi des cours de leadership dispensés par l'Institut pour le Développement et le Progrès (IDP) sous la houlette de Jean Noël Adolphe. À leur retour au pays, ils avaient la responsabilité d'enregistrer des émissions locales pour le compte du Studio d'Arts Sonores de Maurice. Alors qu'ils travaillaient sur le terrain, ils découvrirent que les musiques locales étaient en voie de disparition de par le fait même de l'auto-aliénation, la population locale considérant comme inférieure sa musique devant l'afflux de la culture occidentale. Afin d’essayer de sauver cette musique, ils organisèrent un concours de musiques traditionnelles destiné aux groupes folkloriques locaux. C'est ainsi que commencèrent à se former des groupes de musiciens et danseurs un peu partout à travers l'île.

Serge Clair entra dans la ronde et proposa de continuer le travail à travers la création d'un Groupement des artistes Rodriguais. La promotion des musiques locales avait un parrain et à coup de réunions, les artistes commencèrent à comprendre que la culture rodriguaise constituait une richesse. La fierté de la population allait atteindre son paroxysme quand, en 1983, M. Rama Poonoosamy, Ministre mauricien de la Culture, déclara que Maurice avait été invité à un Festival des Musiques Traditionnelles des Îles de l’Océan Indien en France et qu'il avait décidé que c'était Rodrigues qui serait la digne représentante de Maurice et que c'était là l’occasion pour elle d'aller y démontrer la richesse de sa musique et de sa culture. Une douzaine de musiciens et danseurs firent donc le déplacement et les Rodriguais comprirent qu'ils avaient aussi des choses à offrir au monde. C'était la toute première fois que la culture rodriguaise dépassait les rives africaines.

Le travail s'accentuait avec l'organisation dans l'île, sur une base annuelle, d'un Festival des Musiques Traditionnelles des Îles de l’Océan Indien à partir de 1977 et regroupant des artistes des îles de la région. Ces échanges dévoilaient au Rodriguais les affinités qu'il partageait avec les autres îles et il commença à se forger une perception plus égalitaire des peuples.

Avec la mise sur pied de Lasosyasyon bannzil en 1979, des Rodriguais ont l'occasion d'aller aux Seychelles et ailleurs pour des échanges, colloques et séminaires. En 1999, Rodrigues tente une première expérience dans l’organisation d'un Festival Kreol. Cela continue et Rodrigues prend de plus en plus de place sur la mappemonde et dans la presse internationale.

Le discours de Serge Clair

Selon ses partisans, la lutte politique de Serge Clair est mal comprise ou, volontairement, mal interprété à Maurice. Alors que certains politiciens considèrent que les Rodriguais veulent tenter un démantèlement du territoire mauricien, les journalistes, eux, s'adonnent à l'édification d'un sentiment de big-brotherisme et considérant l'île comme propriété exclusive de Maurice. Allusion est faite à Rodrigues comme étant le 10e district de Maurice, et cela agace de plus en plus les Rodriguais qui montent, de plus en plus souvent au créneau, pour dénoncer l'attitude considéré comme néocolonialiste de Port-Louis vis à vis de Rodrigues.

Cette contestation de la dignité du Rodriguais, d'où une attitude antirodriguaise, débouche inévitablement sur une réaction similaire de la part des Rodriguais qui trouvent, désormais, un exploiteur en chaque mauricien. Il est donc revenu à Serge Clair lui-même d'intervenir afin de bien faire comprendre que la lutte ne peut être menée CONTRE ceux qui dégradent le Rodriguais, mais bien AVEC tous ceux — Mauriciens ou étrangers — qui ont foi dans le respect des valeurs et de la dignité du peuple rodriguais.

Un conseil consultatif

Le 12 mars 1992, le gouvernement mauricien met sur place un Conseil Exécutif à Rodrigues. Ce conseil est doté de 21 membres nommés par le Ministre de Rodrigues et agit sur la base d'un statut consultatif concernant certains projets à être mis en place à Rodrigues. La présidence est confiée à Mlle Antoinette Prudence qui s'est distingué dans les domaines social, culturel et politique. Cependant, arrivé au pouvoir en 1995, Navin Ramgoolam ne renouvelle plus le contrat du conseil. Et il refuse de confier le portefeuille de Rodrigues à un élu de l'île.

Après l'installation du gouvernement MSM/MMM de décembre 2000, Sir Aneerood Jugnauth, Premier ministre, et Paul Raymond Bérenger, Vice-premier ministre, lors d'une visite à Rodrigues en février 2001, annoncent qu'une autonomie maximale allait être accordée à Rodrigues. Le 20 novembre à 19 h 55, l'Assemblée Nationale vote à l'unanimité le Rodrigues Regional Assembly Act, accordant ainsi une autonomie administrative à Rodrigues.

Ce nouveau statut donne à Rodrigues le droit de faire des lois et réglementations pourvu qu'elles ne rentrent pas en conflit avec celles qui sont en vigueur à l'échelle de la République. Il autorise l'île non seulement à légiférer mais à passer également des accords et solliciter de l'aide à l'extérieur, ce après l'aval des Ministères des Affaires étrangères et du Plan. Le Conseil exécutif peut également lancer des appels d'offres d'une valeur maximale de 10 millions de roupies mauriciennes pour l'exécution des projets de développement.

Le 12 octobre 2002, la première Assemblée Régionale de Rodrigues est mise sur pied et Jean Daniel Spéville assume le poste de Chef commissaire. Cependant le 4 février 2003, celui-ci démissionne afin de donner la chance à son leader, Louis Serge Clair, d'assumer ces fonctions.

Difficile transition

Le fait que l'autonomie n'avait été annoncée que vingt mois avant les élections pour la mise en place de la nouvelle structure administrative, aucune provision n'avait été faite en matière de nouvelles facilités infrastructurelles ou au niveau du personnel additionnel que cela exigerait au niveau administratif.

Le Chef commissaire devait faire face au problème que posait la gestion de l'arrivée de dix-sept néophytes dans une toute nouvelle configuration politique, alors même qu'ils faisaient leur baptême de feu dans ce domaine.

Autre problème, la population a conservé une certaine mentalité par rapport aux projets de développement dans son île. Cette mentalité, développée par Monseigneur Jean Margéot dans sa lettre pastorale de 1990 sous le titre « Rodrigues, quel développement ? », est toujours d’actualité. En fait, Jean Margéot, sous l’item « Sources d’inquiétudes » écrivait ceci :

« En même temps que je me réjouis des progrès réels de Rodrigues sur la route du développement, je ne peux m’empêcher de partager aussi certaines inquiétudes exprimées par le Conseil Pastoral rodriguais par rapport à la façon dont l’île Rodrigues est en train de se développer. »

Commercialisation des produits rodriguais

Au moment où des mesures sont prises pour la relance de l'agriculture et de la pêche, le problème de la commercialisation des produits rodriguais demeure préoccupant. Malgré certains efforts pour assurer un marketing plus rationnel, l'incertitude et l'irrégularité de l'écoulement des produits rodriguais sur le marché mauricien découragent encore la production ; par contre, le poisson toujours abondant à Rodrigues est vendu à l'étranger, ce qui cause quelquefois une pénurie sur le marché local ; enfin, les producteurs rodriguais souffrent toujours de l'exploitation des commerçants qui achètent leurs produits à des prix très inférieurs pour les revendre à prix fort à Maurice ou à l'étranger.

Société de consommation et vente à crédit

De plus en plus de gens se plaignent de l'abus d'une pratique de vente à tempérament encouragée par les commerçants et les banques. Cette publicité qui encourage le crédit conduit les Rodriguais à s'endetter massivement.

Ressources humaines

La clé du développement d’un pays, ce sont ses ressources humaines. Or, à Rodrigues en ce moment, trois facteurs sont source d'inquiétude en ce domaine :

  • Avec l'émigration massive des Rodriguais vers l'Australie ou vers Maurice, Rodrigues connaît un manque de cadres et de main-d’œuvre. On ne peut qu'espérer que l'ouverture et l'expérience acquises par les Rodriguais émigrés puissent un jour être mise à profit pour le développement de leur île.
  • Par ailleurs, le taux d’échec au C.P.E. (Certificate of Primary Education) – 66% à Rodrigues — reste alarmant pour un pays qui veut se développer. Car ce taux d'échec au CPE se traduit dans la pratique par un pourcentage presque aussi élevé d’analphabètes.
  • De plus, l'alcoolisme est un fait massif qui inquiète beaucoup de Rodriguais.

Manque de participation

On assiste aussi à Rodrigues à un phénomène alarmant : il arrive que certains projets bien financés n'aboutissent pas ou n'atteignent pas les objectifs visés. En cours de route, ces projets perdent de leurs capacités de mobilisation. Des sommes importantes restent là inutilisées (comme dans le projet de bassins ronds) alors que les gens ont besoin de bassins et veulent en avoir. Ce qui semble manquer le plus cruellement — et par le fait même freiner le développement de Rodrigues — c'est la participation des Rodriguais eux-mêmes à la réflexion, et aux décisions. Il y a un esprit à créer et des structures adaptées à mettre en place pour que l'information circule et qu'une plus grande concertation puisse se faire.

Manque de communication

Une des choses qui aideraient à assurer cette participation des Rodriguais nécessaire au développement serait l'établissement d'un réseau de communication à l'intérieur de Rodrigues par une radio et une télévision adaptées à Rodrigues.

L’Homme rodriguais au centre du Développement

Après cette brève analyse du développement à Rodrigues aujourd’hui, certains seraient tentés de parler « du retard de Rodrigues ».

Au lieu de se poser la question du retard de Rodrigues, on ferait mieux de se poser la question de savoir si avec les améliorations matérielles parvenues à Rodrigues, les Rodriguais sont en train de grandir et de s'épanouir humainement ; il faut se demander si en gagnant ces avantages matériels, les Rodriguais ne risquent pas de perdre leur âme, leurs valeurs traditionnelles, leur identité culturelle propre, tout ce qui fait que la personnalité rodriguaise est, selon le Premier ministre, « une des plus gracieuses facettes de la diversité mauricienne. »

La vraie question qui se pose au développement de Rodrigues n'est pas comment faire pour rattraper un retard ; la vraie question serait plutôt comment le développement matériel qui arrive va-t-il respecter la dignité de l'homme rodriguais. Il est inutile de développer Rodrigues matériellement si en même temps le Rodriguais et la Rodriguaise ne peuvent pas se développer.

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