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Singularité technologique
La Singularité technologique (ou simplement la Singularité) est un concept, selon lequel, à partir d'un point hypothétique de son évolution technologique, la civilisation humaine sera dépassée par les machines – au-delà de ce point, le progrès n’est plus l’œuvre que d’intelligences artificielles, elles-mêmes en constante progression. Il induit des changements tels sur l'environnement que l’Homme d’avant la Singularité ne peut ni les appréhender ni les prédire de manière fiable.
Cet évènement est ainsi nommé par analogie avec l’impuissance de la physique moderne à proximité de la singularité gravitationnelle d'un trou noir.
De telles conséquences ont été débattues dans les années 1960 par I. J. Good (voir l’article Intelligence artificielle). Selon Ray Kurzweil[1], cette notion de Singularité technologique aurait été introduite par John von Neumann dans les années 1950[2]. La Singularité a acquis une certaine popularité dans les années 1980 grâce à Vernor Vinge. La venue éventuelle et la date de la Singularité sont sujets à débat, mais les futurologues et les transhumanistes l’attendent en général pour la troisième décennie du XXIe siècle.
D’autres, notamment Raymond Kurzweil, ont proposé des théories étendant la loi de Moore à des formes de calcul autres qu’informatique, qui suggèrent que les phases de croissance exponentielle du progrès technologique feraient partie de motifs visibles à travers toute l’histoire humaine et même avant l’apparition de la vie sur Terre. D’après Kurzweil, ce motif aboutit au XXIe siècle à un progrès technologique inimaginable.
Les hypothèses relatives à la Singularité sont régulièrement critiquées pour leur manque de solidité scientifique. Theodore Modis rappelle par exemple[3] qu'une courbe exponentielle ne débouche sur aucune singularité, mais continue à croître à l'infini. Douglas Hofstadter se montre lui aussi très critique, craignant que cette idée n'exprime en fait qu'un vœu pieux[4].
Le concept de singularité ne tient pas compte des besoins et des ressources disponibles en énergie. Il postule soit des ressources infinies, soit estime sans le démontrer que les besoins ne changeront que peu. Accessoirement, il ne tient pas compte de la limite quantique à laquelle la miniaturisation des composants électroniques se heurtera nécessairement un jour, ni de perturbations négligeables aux échelles actuelles et qui ne le resteront pas forcément à d'autres échelles (particules alpha, etc.).
Sommaire
Émergence du concept
Même s’il est communément admis que le concept de Singularité s’est développé au cours des deux dernières décennies du XXe siècle, l’origine du terme remonte en fait aux années 1950 :
- « L’une des conversations avait pour sujet l’accélération constante du progrès technologique et des changements du mode de vie humain, qui semble nous rapprocher d’une singularité fondamentale de l’histoire de l’évolution de l’espèce, au-delà de laquelle l’activité humaine, telle que nous la connaissons, ne pourrait se poursuivre. » — Stanislaw Ulam, mai 1958, au sujet d’une conversation avec John von Neumann.
Cette citation fut à plusieurs reprises extraite de son contexte et attribuée à John von Neumann lui-même, probablement du fait de sa réputation et de son influence.
En 1965, Irving John Good décrit un concept de singularité plus proche de son acception actuelle, dans le sens où il inclut l’arrivée d’intelligences artificielles qui prennent le relais (bootstrap) :
- « Mettons qu’une machine supra-intelligente soit une machine capable dans tous les domaines d’activités intellectuelles de grandement surpasser un humain, aussi brillant soit-il. Comme la conception de telles machines est l’une de ces activités intellectuelles, une machine supra-intelligente pourrait concevoir des machines encore meilleures ; il y aurait alors sans conteste une “explosion d’intelligence”, et l’intelligence humaine serait très vite dépassée. Ainsi, l’invention de la première machine supra-intelligente est la dernière invention que l’Homme ait besoin de réaliser. »
Le terme de singularité ne désigne pas une croissance devenant infinie à l'instar d'une singularité mathématique, mais représente le fait que les modèles prédictifs existants ne sont plus appropriés à sa proximité, de la même façon que les modèles physiques actuels ne sont plus adaptés au voisinage d’une singularité de l'espace-temps.
La singularité vingienne
Le concept de Singularité technologique est dû en partie au mathématicien et auteur Vernor Vinge[5]. Vinge a commencé à parler de la singularité dans les années 1980 et a formulé ses idées dans son premier article sur le sujet en 1993 : l’essai Technological Singularity (en). Il y postule que, d’ici trente ans, l’humanité aurait les moyens de créer une intelligence surhumaine mettant un terme à l’ère humaine. Depuis, la singularité a été le sujet de nombreuses nouvelles et essais futuristes.
Vinge écrit que des intelligences surhumaines, créées par des humains aux capacités augmentées cybernétiquement ou par d'autres intelligences artificielles moins développées, seraient capables d’améliorer leurs propres capacités plus efficacement que les esprits humains les ayant conçues. Ainsi, une spirale de progrès de plus en plus rapide amènerait à des progrès technologiques très importants en une courte période de temps.
La Singularité peut être vue comme la fin des civilisations humaines actuelles et le début d’une nouvelle organisation. Dans son œuvre, Vinge s’interroge sur les raisons de cette fin et conclut que les humains pourraient s'organiser pendant la Singularité en une forme supérieure d’intelligence. Après la création de cette intelligence "surhumaine", les humains seraient, d’après Vinge, des formes de vie ayant une moindre influence sur le développement du monde, plutôt membres participant à un système que "pilotes dans l'avion".
Critique des singularistes
Plusieurs auteurs sont très critiques à l'endroit de la notion de singularité, notamment telle que développée par Ray Kurzweil. Theodore Modis écrit ainsi : « Ce que je veux dire est que Kurzweil et les singularistes sont impliqués dans une sorte de para-science, qui diffère des vraies sciences en termes de méthodologie et de rigueur. Ils ont tendance à négliger les pratiques scientifiques rigoureuses telles que se concentrer sur les lois naturelles, donner des définitions précises, vérifier les données méticuleusement, et estimer les incertitudes. [...] Kurzweil et les singularistes sont plus des croyants que des scientifiques. » (« What I want to say is that Kurzweil and the singularitarians are indulging in some sort of para-science, which differs from real science in matters of methodology and rigor. They tend to overlook rigorous scientific practices such as focusing on natural laws, giving precise definitions, verifying the data meticulously, and estimating the uncertainties. [...] Kurzweil and the singularitarians are more believers than they are scientists »[3]). De son côté, Ted Gordon met également en doute les thèses de Kurzweil : « Kurzweil avance un argument frappant au sujet de l'accélération du changement. Il utilise de nombreuses courbes de croissance exponentielles, principalement concernant l'électronique, les nano-technologies et les ordinateurs, mais en incluant Internet et la biologie. Il montre une croissance similaire avec le PIB américain et le PIB par habitant. Il utilise également comme source majeure le travail de Modis sur le raccourcissement du temps entre les changements de paradigme. Il argumente en faveur de l'accélération du taux passé d'accélération et par conséquence de l'inévitabilité de la continuation de cet élan. Cependant, l'extrapolation sous toutes ses formes est dangereuse et condamnée en fin de compte à être fausse. » (« Kurzweil makes an impressive argument about the acceleration of change. He uses many exponential growth curves, primarily drawn from electronics, nano-technology and computers, but including Internet and biology. He shows similar growth in real US GDP and GDP per capita. He also uses as one major source work by Modis on the shortening time between paradigm shifts. He argues for the acceleration of the past rate of acceleration and by implication the inevitability that this momentum will carry on. However, extrapolation in any guise is dangerous and ultimately bound to be wrong »[3]).
Drew McDermott, sans être aussi sévère, s'inquiète des conséquences de ce genre de littérature pour les recherches en Intelligence Articielle : « Bien que je ne pense pas que Kurzweil ait prouvé son affirmation à propos de l'IA (et je n'ai rien à dire à propos de ses arguments concernant la génétique les nano-technologies, la politique ou l'écologie), il pourrait avoir juste. Mais juste ou faux, j'aimerais qu'il arrête d'écrire de tels livres ! Le domaine de l'IA est régulièrement empesté de lubies qui semblent surgir à la moindre perturbation » (« Although I don’t think Kurzweil has proved his case about AI (and I have had nothing to say about his arguments on genetics, nanotechnology, politics, or ecology), he may be right. But right or wrong, I wish he would stop writing these books! The field of AI is periodically plagued by “hype hurricanes” that seem to surge up from the slightest perturbation »[6]).
D'autres auteurs, sans critiquer directement la notion de Singularité, remettent en question l'idée d'accélération technologique. C'est par exemple le cas de Jonathan Huebner, qui écrit en conclusion de son article que « la preuve avancée indique que le rythme de l'innovation a atteint un pic il y a environ un siècle et est maintenant en déclin. Ce déclin est le plus probablement dû à une limite économique de la technologie ou à une limite du cerveau humain que nous approchons. Nous avons déjà parcouru 85% du chemin qui nous sépare de cette limite, et le rythme du développement technologique diminuera à chaque année écoulée. » (« the evidence presented indicates that the rate of innovation reached a peak over a hundred years ago and is now in decline. This decline is most likely due to an economic limit of technology or a limit of the human brain that we are approaching. We are now approximately 85% of the way to this limit, and the pace of technological development will diminish with each passing year »)[7]. De telles analyses se retrouvent également chez Bob Seidensticker[8] ou chez David Bodanis[9].
Plus simplement, on peut se rappeler que les singularités prévues en histoire de la physique (effondrement de l'atome de Bohr, catastrophe de l'ultraviolet...) n'ont jamais été observées, mais ont conduit plus simplement à un changement de modèle à leur voisinage.
Structure d'étude
À l'image du Santa Fe Institute créé pour regrouper les recherches sur le sujet de la complexité, mais sur une base d'activité saisonnière, une « université d'été de la Singularité » (Singularity University) a été créée en 2009 avec le concours de Google et de la NASA et offrira chaque été neuf semaines de cours sur le sujet à 120 étudiants[10] pour la somme de 25 000 dollars.
Voir aussi
Bibliographie
- Ray Kurzweil, « Humanité 2.0 : La bible du changement », M21 Editions, 2007 (traduction de « The Singularity is near »)
- Serge Boisse, « L'esprit, l'IA et la Singularité », ISBN : 978-2-9530512-1-6
Liens internes
Liens externes
- Scruter la singularité
- Technological Singularity (en)
- Imagining the Google future (en) voir le scénario 4.
- Numéro spécial de la revue IEEE Spectrum, de l'association professionnelle internationale IEEE.
Notes et références
- ↑ Ray Kurzweil, The Singularity is Near, Ed. Viking, 2005, p. 10
- ↑ Kurzweil appuie son propos en rapportant une citation apocryphe de Von Neuman, qui selon l'explication que donne Kurzweil (dans la 3ème note du premier chapitre de son livre The singularity is Near) serait une paraphrase de Von Neuman par Stanislaw Ulam dans "Tribute to John Von Neuman". Bulletin of the American Mathematical Society 64.3, pt. 2 (May 1958). Von Neuman aurait ainsi dit, selon Ulam : « The ever accelerating process of technology [...] gives the appearance of approaching some essential singularity. (La rapidité toujours croissante des technologies nous donne l'impression d'approcher une singularité essentielle. » Comme le relève Theodore Modis (dans Technological Forecasting & Social Change 73 (2006) 95–127), ces propos signalent plus une illusion qu'un phénomène réel, ce qui s'éloigne de l'interprétation que donne Kurzweil de la citation de Von Neuman.
- ↑ a , b et c Technological Forecasting & Social Change 73 (2006) 95–127
- ↑ An Interview with Douglas R. Hofstadter, following ''I am a Strange Loop''
- ↑ Voir les romans Un feu sur l'abîme, Au tréfonds du ciel et La Captive du temps perdu.
- ↑ D. McDermott, Kurzweil’s argument for the success of AI, Artificial Intelligence 170 (2006) 1227–1233
- ↑ Jonathan Huebner, A possible declining trend for worldwide innovation, Technological Forecasting & Social Change 72 (2005) 980–986
- ↑ Bob Seidensticker, Future Hype: The Myths of Technology Change, Berrett-Koehler Publishers, Inc., 2006
- ↑ David Bodanis, Slow Forward, Is the speed of technological change an illusion? Discover, Vol. 27 No. 06, June 2006.
- ↑ http://www.sfgate.com/cgi-bin/article.cgi?f=/c/a/2009/02/02/BUQO15LUGH.DTL&type=tech
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