Athée juif

Athée juif

Athéisme juif

L'athéisme juif est la forme particulière que prend l'athéisme chez les personnes qui se revendiquent de la tradition juive[1]. Il pose, depuis l'époque de l'Émancipation, la question de la possibilité d'un judaïsme entièrement sécularisé, de ses formes, de sa légitimité.

Sommaire

Athéisme juif et vie communautaire juive

Les organisations juives athées et laïques constituent une longue tradition, depuis le socialisme juif du Bund dans la Pologne du début du XXe siècle jusqu'à la récente Société pour le judaïsme humaniste aux États-Unis[2]. Des athées juifs se reconnaissent dans les dénominations, de réformistes juifs, de conservateurs juifs, ou de reconstructionnistes juifs. Cela présente moins de contradictions que ce qu'il pourrait y paraître, puisque certains guides juifs indiquent que la croyance en Dieu n'est pas un pré requis nécessaire pour se revendiquer Juif[3].

Cependant, bien que les quatre branches précitées du judaïsme comptent des athées parmi elles, l'existence de congrégations entières se revendiquent athées reste problématique, en dehors de la Société pour le judaïsme humaniste. Le mouvement de la Réforme, par exemple, a rejeté les demandes d'affiliations de certains athées, ces derniers ayant demandé à ce que les temples fassent moins allusion à Dieu[4].

Athéisme juif et théologie juive

La théologie juive récente est compatible avec l'athéisme d'un point de vue ontologique. Le fondateur du judaïsme reconstructionniste, Mordechai Kaplan, épousa une vision naturaliste de Dieu, tandis que des théologies post-Shoah ont esquissé la croyance en un dieu personnel, différent de la notion de Dieu religieuse précédemment établie[5]. Le philosophe juif Howard Wettstein a suggéré que les athées juifs pouvait parfaitement suivre les rituels juifs traditionnels, puisque la pratique juive est centrale, et se situait au delà des croyances de la vie religieuse juive[6]. Harold Schulweis, un rabbin juif conservateur appartenant à la ligne reconstructionniste, a affirmé que la théologie juive devrait arrêter de se focaliser sur la croyance en Dieu et se concentrer sur la notion de piété. Cette « théologie prédicative », bien qu'elle continue à utiliser un langage théiste, permet, par ces modifications d'exigences métaphysiques, de s'accorder avec ce que les non-croyants peuvent trouver d'objectif dans le discours[7].

Cependant, certains athées juifs restent opposés au langage théiste employé. Effectivement, ces derniers insistent sur le fait que la pratique traditionnelle et le symbolisme gardent encore un sens religieux très fort. Par exemple, pour la plupart des athées juifs, la Menorah devrait représenter le pouvoir de l'esprit juif, ou rester uniquement un symbole du combat contre la perte des valeurs juives. Ainsi, aucune mention de force divine dans l'histoire juive ne saurait être acceptée de façon littérale. la Torah est alors perçue comme une mythologie commune au peuple juif, et non un document de foi ou contredisant l'Histoire et l'archéologie.

Athéisme juif et Shoah

La Shoah a eu un impact important sur la relation au divin parmi les penseurs juifs et du Judaïsme. Shmuel Trigano estime ainsi que « la Shoa[h] a fondé le champ de l'athéisme juif contemporain » rapportant le raisonnement que « si Auschwitz a été possible, c'est que Dieu n'existe pas. »[8]

Le rapport entre la Shoah et le divin est également développé par des philosophes tels que Hans Jonas dans son ouvrage Le Concept de Dieu après Auschwitz où il se questionne sur certaines visions qu'on peut avoir de dieu après ces événements, dont par exemple sa toute puissance, ou par Elie Wiesel dans sa pièce Le procès de Shamgorod dans lequel une communauté juive met dieu en procès (et le condamne) pour les avoir abandonnés pendant des persécutions.

Juifs athées et culture juive laïque

Du fait que le terme « juif » désigne à la fois une appartenance ethnique et une profession religieuse, la locution « athéisme juif » ne présente pas a priori de contradiction dans les termes.

En effet, d'après les lois juives d'affiliation matrilinéaire, les autorités juives orthodoxes reconnaissent comme Juifs tous ceux dont la mère est juive[9], quels que soient par ailleurs leurs sentiments à l'égard de la religion israélite.

Beaucoup de Juifs athées, on l'a vu, rejettent le discours demandant de se soumettre à l'identification symbolique et ritualisée juive, en appellent à la laïcité, et basent leur dénomination « juif » essentiellement sur l'ethnie et la culture séculaire juive. Les possibilités pour une culture juive séculaire incluent une identification à l'histoire juive et à son peuple, une immersion dans la littérature juive (incluant de nombreux auteurs athées tels que Philip Roth et Amos Oz), la consommation de nourriture juive et un attachement aux langues juives telles que le yiddish, l'hébreu ou le ladino. Un grand pourcentage d'Israéliens se définissent comme laïcs, et rejettent la pratique de la religion juive. Enfin, certains descendants de juifs non-croyants ne se définissent plus comme juifs, préférant la seule appellation « athée ».

La culture juive est ainsi un paradigme de l'évolution d'une culture et d'une tradition qui peut être rejoint sans foi religieuse[10].

Juifs athées célèbres

Un certain nombre de Juifs célèbres à travers l'histoire ont rejeté la croyance en tout principe divin, et peuvent être considérés comme athées. Certains d'entre eux se sont battus contre l'idée de la divinité traditionnelle, tout en continuant à employer le langage religieux, et furent considérés comme hérétiques.

Ainsi, en 1656, le philosophe juif Baruch Spinoza fut excommunié par la synagogue d'Amsterdam après avoir fait part de son panthéisme, notion de Dieu qui, selon certains auteurs, ouvre la voie à l'athéisme moderne[11].

Profondément influencé par Spinoza, Albert Einstein utilisa un langage de type théiste et s'identifia comme Juif, tout en rejetant la notion de Dieu couramment admise[12]. Beaucoup d'autres Juifs célèbres étaient athées, rejetant la religiosité de leur temps.

Sigmund Freud écrivit L'Avenir d'une illusion, dans lequel il écarta les croyances religieuses et où exposa ses origines et recommandations. Dans le même temps, il demanda à un ami d'élever son fils dans la religion juive, arguant «  Si tu ne laisses pas ton fils grandir comme un juif, tu le priveras de repères qui ne peuvent être apportés par rien d'autre. »[13] Ainsi, la religion permettrait de trouver des repères en tant que système de valeurs, et non en temps que croyance en une déité quelconque.

L'anarchiste Emma Goldman est née dans une famille juive orthodoxe, et rejeta la croyance en Dieu, tandis que la première ministre Golda Meir, a indiqué aux journalistes : « Je crois au peuple juif, et le peuple juif croit en Dieu. »[14]

Plus récemment, le philosophe français juif Jacques Derrida écrivit, « Je me considère comme athée. »[15]

Enfin, dans le monde du divertissement, Woody Allen a mis en avant ses doutes sur la religion[16].

Annexes

Bibliographie

  • (en) S. Levin, « Jewish Atheism », dans New Humanist, vol. 110, no 2, mai 1995, p. 13–15 (ISSN 0306-512X)  ;
  • (en) Moshe Schwarcz, « Atheism and Modern Jewish Thought », dans Proceedings of the American Academy for Jewish Research, vol. 44, 1977, p. 127–150 .
  • (fr) Shmuel Trigano (éditeur), École de pensée juive de Paris, In Press, 2000, ISBN 2912404010.
  • (fr) Shmuel Trigano, « Le paradoxe des représentations du divin, l’image et l’invisible: Le Dieu absent et la question du pouvoir dans la pensée juive », dans Dedale, no 1 et 2, automne 1995. 

Liens externes

Articles connexes

Références

  1. Comme le corpus d'auteurs étudiés par Pierre Bouretz, dans Témoins du futur. Philosophie et messianisme.
  2. (en) Voir The Society for Humanistic Judaism, http://www.shj.org/
  3. (en) Voir par exemple Daniel Septimus, Must a Jew Believe in God?
  4. (en) Les juifs réformés rejettent la demande de temple sans Dieu, New York Times, 13 juin 1994
  5. (en) Voir, par exemple, Mordechai Kaplan, The Meaning of God in Modern Jewish Religion (New York: Behrman’s Jewish book house, 1937); Richard Rubenstein, After Auschwitz: Radical Theology and Contemporary Judaism (Indianapolis: Bobbs-Merrill, 1966).
  6. (en) Howard Wettstein, Awe and the Religious Life, Midwest Studies in Philosophy, 1997.
  7. (en) Voir Harold M. Schulweis. Evil and the Morality of God (Cincinnati: Hebrew Union College Press, 1984); For Those Who Can't Believe : Overcoming the Obstacles to Faith (Harper Perennial, 1995).
  8. Shmuel Trigano, Pardès, no.9-10, 1989.
  9. (en) What Makes a Jew "Jewish"? - Jewish Identity
  10. (en) Exemple d'un athée rejetant l'identification au terme « juif » sur Hipster Antisemitism, Zeek, janvier 2005.
  11. (en) Christopher Hitchens, ed., The Portable Atheist (Philadelphia: Da Capo Press, 2007), page 21
  12. (en) The Religious Non-believer: Einstein and his God, Moment, avril 2007.
  13. (en) David S. Ariel, What Do Jews Believe? (New York: Shocken Books, 1995), 248.
  14. (en) Voir Emma Goldman, The Philosophy of Atheism, in Christopher Hitchens, ed., The Portable Atheist (Philadelphia: Da Capo Press, 2007), 129-33; Golda Meir est interviewée par Jonathan Rosen sur So Was It Odd of God?, The New York Times, 14 décembre 2003.
  15. (en) Obituary de Jacques Derrida, Chronicle of Higher Education, 10 novembre 2004.
  16. (en) Woody Allen Quotes - The Quotations Page


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