- Rumeur d'Orléans
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La rumeur d'Orléans est le nom donné à une affaire à la fois judiciaire, médiatique et politique qui se déroula en 1969 dans la ville française d'Orléans (Loiret).
L'histoire de la rumeur est retracée dans un ouvrage de commande d'Edgar Morin[1].
Sommaire
Description
La « rumeur d'Orléans », apparue en avril 1969, laissait entendre que les cabines d'essayage de plusieurs magasins de lingerie féminine d'Orléans, tenus par des juifs, étaient en fait des pièges pour les clientes, qui y auraient été endormies avec des seringues hypodermiques et enlevées pour être livrées à un réseau de prostitution[2]. Elle prit parfois un tour canularesque lorsqu'on prétendit que des clientes disparues étaient prises en charge par un sous-marin remontant la Loire. Cette version n'a été rapportée que par un seul témoin, mais recopiée dans presque toutes les gloses sur le sujet.
Aucun démenti, même officiel (signalant par exemple qu'aucune disparition suspecte n'a été répertoriée dans les environs par les services de police), n'a jamais réussi à mettre fin à la rumeur, qui a finalement cessé d'intéresser les médias, sans autre intervention que le temps et l'oubli.
Le rôle des médias dans la naissance et la diffusion de la « rumeur d'Orléans » est important : ainsi que le rapporte l'équipe de sociologues dirigée par Edgar Morin, le « scénario » avait été publié un an auparavant dans un livre de poche (aux Presses de la cité), puis dans l'ouvrage d’un journaliste anglais (chez Albin Michel), puis enfin dans un magazine disparu depuis (Noir et blanc).
L'historien Léon Poliakov et l'écrivain Albert Memmi ont souligné le caractère antisémite de la rumeur[3].
La rumeur dite d'Orléans n'a pas circulé que dans cette ville. Ainsi que le retrace Pascal Froissart dans La rumeur. Histoire et fantasmes, elle a connu une très large diffusion : de 1959 à 1969, à Paris, Toulouse, Tours, Limoges, Douai, Rouen, Lille, Valenciennes ; en 1966 à Dinan et Laval ; en 1968 au Mans ; en 1969 à Poitiers, Châtellerault, et Grenoble ; en 1970 à Amiens ; en 1971 à Strasbourg ; en 1974 à Chalon-sur-Saône ; en 1985 à Dijon et La Roche-sur-Yon ; en 1987, à Québec ; et en 1990, à Rome et à Montréal ; en 1992 en Corée... Aujourd'hui encore elle circule et ressurgit de temps à autre sur Internet, sous des versions toujours plus surprenantes.
Version parisienne
Cette rumeur atteignit Paris à la fin des années 1960. À cette époque, un grand magasin de vêtements à bon marché se tenait à proximité immédiate d'un important service administratif bancaire. Pendant la pause du déjeuner, nombreux étaient les membres du personnel à se rendre dans ce magasin. Or il se dit que plusieurs fois, des jeunes femmes ne réapparurent pas l'après-midi. La rumeur prit corps, et on parla de cabines d'essayage munies de trappes donnant dans le sous-sol. Rares ont été à l'époque ceux qui désiraient entendre la vérité : en cette période de plein emploi, il arrivait assez fréquemment que de jeunes employées, peu satisfaites du travail qu'on leur proposait, décident de changer d'employeur. Le fait qu'aucune enquête de police n'ait eu lieu dans ce magasin n'a en rien arrêté cette rumeur.
Interprétation psychanalytique
Une thèse psychanalytique (cf. bibliographie), appliquant la méthodologie freudienne d’analyse du rêve à l'étude de cette rumeur délirante, postule que la Rumeur résulterait d'un puissant sentiment de culpabilité à l’égard de deux grandes figures résistantes catholiques de l’Histoire de France, abandonnées par le peuple français ; culpabilité rejetée sur le bouc émissaire traditionnel de la chrétienté. La violence de ce sentiment est le résultat de l’intrication de deux sentiments :
- un premier sentiment inconscient de culpabilité résiduelle à l'égard de Jeanne d'Arc, « la pucelle », brulée vive, à qui Orléans voue désormais un véritable culte[4] ;
- un second sentiment de culpabilité, cette fois-ci contemporain et plus intense, à l’égard de Charles de Gaulle, qui a démissionné le 28 avril 1969 suite au vote négatif sur le référendum sur la réforme du Sénat et la régionalisation.
Ce dernier sentiment de culpabilité, très anxiogène pour une partie de la population, aurait été généré par la combinaison très « œdipienne » d’une aspiration contemporaine à l’émancipation sexuelle proclamée en mai 1968, et d’un désir de mettre fin à la vie politique du « Père de la Nation ».
Voir aussi
Bibliographie
- Edgar Morin, La rumeur d’Orléans, Seuil, coll. «L’histoire immédiate», Paris, 1969. Présentation, INA
- Pascal Froissart, La rumeur. Histoire et fantasmes, Belin, Paris, 2002.
- Thierry Gourvénec, Une bouffée délirante, des syndromes délirants aigus ; leurs rapports avec la paradoxalité, le rêve et la rumeur, Université de Bretagne Occidentale (thèse de doctorat en Médecine), Brest, 1991, 120 p.
Liens internes
Liens externes
- La rumeur d'Orléans - Une enquete de Corinne Bian Rosa, Sylvain Hadelin Dailymotion
- La rumeur d'Orléans, quarante ans après, Le Point
Notes et références
- Voir bibliographie
- traite des Blanches Cf.
- Hervé Ryssen, Israël et la traite des blanches, Baskerville, p.29
- 28 avril 1429 pour la libérer le 8 mai. Voir Siège d'Orléans. Jeanne d'Arc atteignit Orléans le
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