- Pierre Duhem
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Pierre Duhem
Physicien, historien et philosophe des sciencesNaissance 10 juin 1861
Paris (France)Décès 14 septembre 1916 (à 55 ans)
Cabrespine (France)Domicile Bordeaux Nationalité française Champs Physique théorique, thermodynamique Institution Faculté des sciences de Lille
Université de BordeauxDiplômé de École normale supérieure (1882) Renommé pour Fonction thermodynamique modifier Pierre Maurice Marie Duhem, né le 10 juin 1861 à Paris 2e[1] et mort le 14 septembre 1916 à Cabrespine, est un physicien, chimiste, historien et philosophe des sciences français.
Sommaire
- 1 Biographie
- 2 L'œuvre scientifique
- 3 Philosophie des sciences
- 4 Historien des sciences
- 5 Honneurs
- 6 Œuvres
- 7 Voir aussi
- 8 Liens externes
Biographie
Entré premier au concours de l'École normale supérieure en 1882, Duhem présenta une thèse sur le potentiel thermodynamique critiquant le principe du travail maximum de Marcellin Berthelot ; le jury refusa la thèse et Marcellin Berthelot devait être son adversaire universitaire et idéologique toute sa vie.
Duhem ne put jamais être nommé à Paris, en partie à cause de ses idées politiques et religieuses : proche de l'Action française (quoique légèrement critique envers l'athéisme de Maurras[réf. nécessaire]), il était catholique pratiquant et anti-républicain. Il enseigna la physique à la Faculté des sciences de Lille de 1887 à 1891. Après une année 1893-1894 à Reims, il obtint une chaire de physique théorique en 1894 à l'université de Bordeaux, où il passera toute sa carrière, en opposition avec les mandarins parisiens.
Lors de la Première Guerre mondiale, il s'engagea, avec d'autres, dans l'effort de guerre intellectuel, opposant dans La Science allemande (1915) la prétendue « science germanique », comparée à l'esprit géométrique, qui serait moins noble que la « science française », comparée à l'esprit de finesse (comparaison qui utilise et déforme celle de Pascal, De l'esprit géométrique et Pensées)[2].
L'œuvre scientifique
Duhem est un spécialiste de la thermodynamique qui est à l’époque la branche dominante en physique. Très tôt orienté vers les travaux de Gibbs et de Helmholtz, Duhem propose, dès ses premières contributions, d’utiliser la notion de potentiel thermodynamique (interne). Ce qui le conduira à la formulation de l’équation de Gibbs-Duhem sur les solutions[3]. Duhem poursuit ses recherches dans cette direction, proposant d’autres applications variées du potentiel thermodynamique à la statique et à la dynamique chimique[4],[5] ; ces travaux font de lui l’un des fondateurs de la chimie physique moderne avec les Van’t Hoff, Ostwald, Arrhenius, Le Châtelier. Ce faisant, au lieu de se proposer, comme beaucoup de ses contemporains, en France notamment, de réduire les phénomènes chimiques à la mécanique, il les rapportait à la thermodynamique.
Par ses conceptions et ses contributions en thermodynamique, Duhem apparaît comme un des principaux pionniers de l’étude de la thermodynamique des processus irréversibles. Le projet de Duhem était de fonder sur une énergétique ou thermodynamique générale l’ensemble de la physique et de la chimie, en harmonie avec les conceptions énergétistes de Rankine, Helmholtz, Mach et d’autres, et en opposition au projet de réduction mécaniste des atomistes comme Boltzmann. Il s’attache à poser les fondements logiques et axiomatiques de cette science. Le deuxième principe ne lui paraissait pas réductible à la mécanique – à quoi l’on rapportait généralement le premier, celui de la conservation de l’énergie, issu du principe de l’équivalence de la chaleur et du mouvement ; pour établir les deux principes sur un pied d’égalité, il fallait les traiter comme des postulats, et « la thermodynamique se développe alors selon un type de théorie nouveau en physique ». On perçoit déjà ici le lien entre ses recherches scientifiques et sa conception de la théorie physique. Duhem voyait dans sa tentative d’unifier les sciences physiques et chimiques au sein d’une thermodynamique généralisée sa principale contribution scientifique. Il est à noter que les mots « atome » et « molécule » sont totalement absents, conformément à son rejet de ces notions, de son Traité d’énergétique de 1911 qui propose l’accomplissement de ce programme[6].
Philosophie des sciences
I.2. La Théorie physique comme représentation
La théorie physique, dans sa conception métaphysique développée ci-haut, est confrontée à un problème qui lui est interne et inhérent : celui du degré de perfection. A ce titre, on ne peut pas en connaître la vraie nature. Cette dernière consiste en la représentation de la réalité. Mais en quoi consiste cette représentation et comment celle-ci se réalise-t-elle ?
I.2.1. La Représentation : véritable nature de la théorie physique
Voulant dépasser les conflits conceptuels introduits dans la physique par les systèmes métaphysiques, nous nous donnons pour tâche de montrer la nature d’une théorie physique. En paraphrasant notre auteur, nous nous proposons de poser dès maintenant la définition de la théorie physique. Laquelle définition nous révélera sa nature véritable. P. Duhem écrit : « Une théorie physique n’est pas une explication. C’est un système de propositions mathématiques, déduites d’un petit nombre de principes, qui ont pour but de représenter aussi simplement, aussi complètement et aussi exactement que possible, un ensemble de lois expérimentales » . En effet, cette définition renferme quelques opérations caractérisant la construction d’une théorie physique. Remarquons cependant que l’ordre de ces opérations accentue la particularité et l’originalité de notre auteur dans l’histoire des théories physiques, parce que la théorie se constitue de manière autonome, par rapport à l’expérience qui aura énormément besoin de la théorie pour sa réalisation, dans une sphère toute formelle et mathématique. Il se laisse établir quatre étapes à réaliser pour aboutir à une théorie dans la conception duhémienne, à savoir : « La définition et la mesure des grandeurs physiques ; le choix des hypothèses ; le développement mathématique de la théorie ; et la comparaison de la théorie avec l’expérience » . Il est certain que notre auteur défend l’idée d’une physique théorique qui soit une physique mathématique, pour qu’« (…) elle devienne une science claire, précise, exempte des perpétuelles et stériles disputes » . Sa construction théorique le prouve clairement. C’est pourquoi, P. Duhem propose que l’on fasse correspondre aux symboles mathématiques les propriétés physiques susceptibles d’être représentées par un calcul approprié. Dans cette perspective, ces symboles ne remplacent pas les propriétés qu’ils représentent, et ne prétendent même pas nous révéler la nature intime des choses ; mais plutôt, ils entretiennent avec les propriétés physiques une relation référentielle. C’est ce que confirme H. Poincaré, lorsqu’il dit : « (…) les théories mathématiques n’ont pas pour objet de nous révéler la véritable nature des choses ; ce serait là une prétention déraisonnable » . Ce caractère mathématique se trouve, en outre, dans la troisième étape où, après avoir élaboré les hypothèses qui servent de principe aux déductions mathématiques engendrant la théorie physique, il faudrait passer au développement mathématique de la théorie qui lui confère un caractère abstrait et général, parce que les représentations concrètes sont fragiles dans une théorie ; ce qui subsiste plutôt, ce sont des formes symboliques et abstraites auxquelles ces représentations sont conduites. En fait, cette troisième opération « (…) a pour objet de nous enseigner qu’en vertu des hypothèses fondamentales de la théorie, la réunion de telles circonstances entraînera telles conséquences ; que tels faits se produisant, tel autre fait se produira…en vertu des hypothèses de la Thermodynamique, que si nous soumettons un bloc de glace à telle compression, ce bloc fondra lorsque le thermomètre marquera tel degré » . D’ailleurs, nous savons bien que cette mathématisation de la nature nous offre un consentement universel de la connaissance de la réalité physique ; et aussi, elle confère un progrès technoscientifique à l’homme moderne. Disons, enfin, que la dernière opération est un apport le plus intéressant de P. Duhem. Ladite opération nous paraît très utile, puisqu’elle dépasse la problématique épistémologique entre rationalisme et positivisme, en conciliant la théorie et l’expérience dans les sciences physiques. Notre objectif, dans ce chapitre, était de préciser la nature de la théorie physique en tant que représentation des lois expérimentales, comme la définition de P. Duhem le stipule. Alors reprenons une grande question de notre problématique : pourquoi représenter au lieu d’expliquer ? C’est la question à laquelle il convient de répondre sans plus tarder.
I.2.2. De la représentation à la classification naturelle
Pour qu’une théorie atteigne son but, il faudrait écarter au préalable toutes considérations métaphysiques en son sein, puisque le but de la théorie physique n’est pas d’expliquer les phénomènes de la nature ni les lois expérimentales, mais bien plutôt de les représenter. P. Duhem récuse l’idée que le but de la physique puisse être de découvrir l’essence cachée des phénomènes. Comme nous l’avons vu, la théorie est une synthèse des propositions mathématiques. Ces symboles abstraits n’ont aucune prétention d’expliquer la réalité non perceptible par nos sens. Ils nous aident seulement à la représentation simple et exacte de la réalité qui se cache à nos perceptions. Ce formalisme mathématique qui représente le « réellement réel » n’entretient qu’une relation de signifiant à chose signifiée. Comme le dit P. Duhem, « Le symbole mathématique forgé par la théorie s'applique à la réalité comme l'armure au chevalier... Si nombreux que soient les fragments qui la composent, jamais l'armure n'épousera exactement le modelé du corps humain » . C’est ainsi que les théories physiques ont une exigence de s’exprimer en langage mathématique afin d’aider à l’interprétation théorique des résultats symboliques de l’observation. Il est clair, en effet, que la théorie physique est comprise comme une représentation du réel en tant que tel. Cela a été déjà conçu par Galilée qui, à la seule différence de P. Duhem, pense que les propriétés qu’elle distinguera seront distinctes dans le monde et celles qu’elle identifiera seront identiques. C’est ce qui crée le problème avec la conception conventionnaliste qui stipule que telle représentation du réel est la seule possible. C’est pourquoi, nous soutenons qu’une théorie physique représente la réalité étant donné qu’elle ne peut la saisir dans sa nudité. En fait, P. Duhem pense qu’une réflexion poussée au fond d’une théorie physique renvoie à parler aussi de la théorie comme classification naturelle. Pour lui, si les lois élaborées par la physique expérimentale sont toutes développées dans un ensemble sans les synthétiser selon leurs domaines respectifs, la physique théorique, quant à elle, se donne comme objectif de regrouper les lois expérimentales pour les soumettre à un ordre et à une classification. Pour ce faire, la théorie range chaque loi avec d’autres qui s’insèrent dans la même optique en vue de permettre au physicien de résoudre sans trop de difficultés un problème donné. Ainsi, on peut dire d’une théorie qu’elle ne représente pas seulement les lois expérimentales, elle les classe aussi, du fait que c’est déjà pendant sa construction que ressortent des traits spécifiques d’une belle œuvre d’art. Cette impression esthétique que la construction d’une théorie offre ne suffit pas parce qu’elle renferme l’idée d’une classification naturelle . Or, qu’est-ce qu’une classification naturelle ? Par classification naturelle, P. Duhem entend : « (…) un ensemble d’opérations intellectuelles, (…) des rapprochements purement idéaux, ne portant point sur les organes réels, mais sur les conceptions généralisées et simplifiées » . La classification est donc un regroupement, mieux un rapprochement des propriétés qui auraient des ressemblances de par leur forme abstraite, schématique et symbolique. C’est pourquoi, notre auteur pense que la théorie est appelée à devenir une classification naturelle, puisque « (…) les théories n’ont aucun pouvoir pour saisir la réalité, elles servent uniquement à donner des lois expérimentales une représentation résumée et classée » . Cette impression de classification naturelle que suggère la théorie physique chez P. Duhem s’affirme en ce qu’elle est susceptible de fournir même des prédictions des phénomènes non encore observés. Certes, à l’instar de la théorie vibratoire de la lumière, le physicien qui pensera que ces vibrations sont des explications s’enfonce dans l’illusion que nous ne saurons partager. Car nous considérons ce mouvement lumineux sous sa forme abstraite et générale. C’est pourquoi, au lieu d’expliquer, cette vibration lumineuse représente le mouvement réel de la lumière. Avec P. Duhem, nous comprenons que la marque d’une classification naturelle se reconnaît dans une théorie physique aussi, parce qu’elle n’a pas la prétention d’expliquer la réalité, mais entretient une relation référentielle dans laquelle les représentations théoriques concordent avec la réalité. C’est pourquoi notre auteur affirme : « la physique théorique ne saisit pas la réalité des choses ; elle se borne à représenter les apparences sensibles par des signes, par des symboles. Or nous voulons que notre physique théorique soit une physique mathématique, partant que ces symboles soient des symboles algébriques, des combinaisons de nombres » . Les théories physiques n'atteignent pas les causes des phénomènes, elles n'expriment que les rapports fonctionnels qui lient algébriquement les résultats des mesures. Ceux-ci sont des nombres concrets fournis par des procédés qui définissent les propriétés physiques. Pour ce faire, le physicien devrait abandonner son souci d’expliquer la nature, puisque cette explication subordonne la physique à la métaphysique, comme la réalité non perceptible fait l’objet de la métaphysique. Nous pouvons confirmer notre première hypothèse en disant : « (…) la théorie physique ne nous donne jamais l’explication des lois expérimentales ; jamais elle ne nous découvre les réalités qui se cachent derrière les apparences sensibles » ; mais plus elle se perfectionne, plus elle représente et classe les lois expérimentales. C’est pourquoi, selon P. Duhem, les théories qui se laissent apercevoir comme classification naturelle ne peuvent pas se poser en explication des lois expérimentales. Ainsi, nous pensons que pour notre auteur, la véritable « classification naturelle » vers laquelle doit tendre la physique ne peut pas être un « mécanisme général », mais bien une « thermodynamique générale » pure de tout élément métaphysique, et donc acceptable par tous . Ainsi, étant une représentation et une classification naturelle, la théorie doit savoir prévoir l’expérience.
I.2.3. La Théorie précédant l’expérience
Cette dernière section se veut être une critique de l’inductivisme. Selon K. Popper, « il est courant d’appeler « inductive » une inférence si elle passe d’énoncés singuliers (parfois appelés aussi énoncés particuliers), tels des comptes rendus des observations ou d’expériences, à des énoncés universels, telles des hypothèses ou des théories » . Les philosophes, qui soutiennent la méthode inductive, pensent que les théories scientifiques découlent de l’expérience. P. Duhem, dans son article sur La Valeur de la théorie physique, considère que selon l’empirisme, « la théorie tout entière sort de l’expérience, et veut être le décalque de l’objet empirique qui la fonde, la modèle, lui donne ses principes, sa direction, son développement pas à pas, ses résultats et sa confirmation » . C’est pourquoi les penseurs empiristes pensent que tout ce qui est théorie physique doit s’appuyer sur l’expérience et doit en être issu directement. Contrairement à cette acception générale des scientifiques, nous nous proposons de préciser que les théories physiques viennent avant l’expérience. En effet, il convient de dire dès maintenant que, sur base de notre argumentation précédente et même selon la définition de la théorie physique que nous avons proposée, la théorie précède et détermine l’expérience, puisqu’elle se laisse comprendre comme une représentation et une classification naturelle : « (…) de même que les synthèses annoncées d’avance consacrent la notation chimique comme classification naturelle, de même, la théorie physique prouvera qu’elle est le reflet d’un ordre réel en devançant l’observation » . Ainsi, P. Duhem préconise que l’expérience n’a de sens que relativement à la théorie. Il devient alors possible d’interpréter les observations avec des langages mathématiques ou des théories. C’est cette idée même qui est au principe de la présente étude où nous concevons l’expérience de physique comme une interprétation théorique des faits. Mais, cette théorie devançant l’expérience n’accroît sa valeur que si elle représente exactement les lois expérimentales qui régissent les faits. Une loi théorique pourra être alors considérée comme une définition, de sorte que, si des faits la contredisent, cela pourra vouloir dire, non que la loi est fausse, mais que les faits incriminés ne tombent pas sous le coup de la définition. Certainement, il faut avoir une idée au préalable de ce qu’on recherche. L’observation n’est pas neutre, mais elle doit être dirigée par une hypothèse préalable. L’hypothèse précède donc toujours l’observation. Dès lors, il est faux de dire que la science consiste à collecter des faits afin d’en tirer une généralité. C’est pourquoi A. Chalmers, dans son célèbre ouvrage Qu'est-ce que la science ?, condamne l’idée selon laquelle le physicien procède à des observations pour aboutir à une théorie, puisqu’on ne peut pas observer sans « préjugés ». Le scientifique qui essaierait de le faire n’aboutirait à aucun résultat. Cette critique se base sur l’expérience électrique effectuée par H. Hertz, en 1888, pour tester la théorie électromagnétique de J. Maxwell . Ainsi, F. Renoîrte ne fait qu’affirmer cette idée de la théorie devançant l’expérience, en disant : « La physique théorique ne part pas de l'expérience ; elle cherche à savoir d'où il faut partir pour retrouver un aspect de la réalité. Autrement dit : il ne s'agit pas de parcourir la longue série des expériences particulières dont on peut détailler les éléments sensibles qualitatifs, et à partir de laquelle une adroite induction conduirait à une loi mais on veut définir certaines grandeurs conceptuelles dont les rapports, déduits mathématiquement, reproduisent, avec l'approximation de l'expérience, les rapports entre les mesures effectuées » . Toutefois, P. Duhem pense que pour que la théorie soit féconde et qu’elle suggère des découvertes, elle doit remplir une condition : devenir une classification naturelle. C’est aussi à cette condition qu’elle obtient le droit de précéder l’expérience qui est, d’ailleurs, une interprétation des phénomènes sur base d’un ensemble théorique admis par l’expérimentateur. Par conséquent, dire que la théorie physique est construite en s’appuyant directement sur les faits est une erreur, puisque la théorie, pour P. Duhem, ne se fonde pas sur l’expérience, elle est plutôt contrôlée par l’expérience. En d’autres mots, la théorie physique ne part pas des faits expérimentaux, elle cherche quelles sont les propriétés fondamentales qu’il faut attribuer aux choses et les relations qu’il faut poser entre les changements de ces propriétés pour pouvoir en déduire des relations équivalentes à celles que donne l’observation. Même K. Popper, à la suite de P. Duhem, confirme notre point de vue. D’ailleurs, il pousse très loin son analyse en envisageant dès lors que, les résultats des expériences sont des interprétations qui se fondent sur les théories physiques. Pour ce faire, K. Popper estime que la théorie devance les faits, parce que les hypothèses précèdent et orientent l'observation. Son but était celui de montrer que la théorie vient avant l’expérience et qu’elle la guide également. C’est pourquoi, dans son souci de contredire et de réfuter les théories inductives, K. Popper pensent que les énoncés d’observation sont des interprétations faites à la lumière des théories. Cette conception poppérienne contribue aussi à justifier notre hypothèse de base et, nous projette dans le second chapitre du présent travail. Chapitre dans lequel nous affirmerons clairement, et en d’autres termes que ces-là de K. Popper, que l’expérience de physique est une interprétation théorique de faits, puisque le théorique devance l’expérimental.(H. MBULU,L'expérience comme interprétation des faits dans "la Théorie physique" de Pierre Duhem. Mémoire présenté à l'Université Catholique du Congo, 2010-2011).
La Théorie physique. Son objet et sa structure (1906)
Instrumentalisme
Opposé à toute interprétation matéraliste et réaliste de la chimie et de la physique, Duhem proposa une conception qu'on qualifiera ensuite d'« instrumentaliste » de la science dans La Théorie physique. Son objet et sa structure (1906). Selon l'instrumentalisme, la science ne décrit pas la réalité au-delà des phénomènes mais n'est qu'un instrument le plus commode de prédiction.
- "Une théorie physique n’est pas une explication. C’est un système de propositions mathématiques, déduites d’un petit nombre de principes, qui ont pour but de représenter aussi simplement, aussi complètement et aussi exactement que possible, un ensemble de lois expérimentales[7]."
Holisme épistémologique
Il soutient aussi qu'il n'y a aucune « expérience cruciale » (contrairement à ce que disait Francis Bacon) en physique. Une expérience, une observation ou un fait ne peut pas suffire à trancher entre deux théories puisque chaque théorie peut s'adapter à une expérience récalcitrante en faisant d'autres aménagements, tels que la modification d'une hypothèse auxiliaire. Une proposition isolée n'est donc pas en jeu dans une expérience, c'est toute la théorie qui doit être confrontée à l'expérience.
- "L'accord avec l'expérience est, pour une théorie physique, l'unique critérium de vérité[8]."
La thèse fut reprise par Quine et est appelée « thèse de Duhem-Quine[9] » ou « holisme de la confirmation ».
La théorie considérée comme une économie de la pensée
- "La réduction des lois physiques en théories contribue ainsi à cette économie intellectuelle en laquelle M.E.Mach voit le but, le principe directeur de la Science[10]."
La théorie considérée comme une classification tendant à se transformer en une classification naturelle
- "Ainsi l'analyse des méthodes par lesquelles s'édifient les théories physiques nous prouve, avec une entière évidence,que ces théories ne sauraient se poser en explication des lois expérimentales; et, d'autre part,un acte de foi que cette analyse est incapable de justifier, comme elle est impuissante à le réfréner, nous assure que ces théories ne sont pas un système purement artificiel, mais une classification naturelle[10]."
Critère de stabilité
A partir d’un problème d’instabilité étudié par Hadamard, Duhem énonce :
- « Une déduction mathématique n’est pas utile au physicien tant qu’elle se borne à affirmer que telle proposition rigoureusement vraie a pour conséquence l’exactitude rigoureuse de telle autre proposition. Pour être utile au physicien, il lui faut encore prouver que la seconde proposition reste à peu près exacte si la première est seulement à peu près vraie[11]. »
Ce passage est souligné par les spécialistes des systèmes dynamiques instables[12],[13].
Sauver les apparences. Sur la notion de théorie physique de Platon à Galilée. (1906)
Dans cet ouvrage, Duhem examine "quelles sont les relations de la théorie Physique et de la Métaphysique", question qui " a été, pendant 2000 ans, formulées de la manière suivante : quelles sont les relations de l'Astronomie et de la physique ?" Duhem expose la longue opposition entre les tenants de l'Astronomie de Ptolémée qui évolue pour "sauver les apparences" et les partisans de la Physique d'Aristote qui refusent tout modèle n'utilisant pas exclusivement les sphères homocentriques. Il défend l'idée que c'est le cardinal Robert Bellarmin qui avait raison contre Galilée puisque la science se doit de « sauver les apparences » (ou « sauver les phénomènes ») sans prétendre décrire la réalité ultime.
Physique de croyant
Un article publié en 1904 : la philosophie scientifique de M. Duhem[14], concluait :
- "dans ses tendances vers une conception qualitative de l'Univers matériel, dans sa défiance vis-à-vis de l'explication complète de cet Univers par lui-même, telle que le rêve le Mécanisme, dans ses répugnances, plus affirmées que réelles, à l'égard d'un scepticisme scientifique intégral, elle est la philosophie scientifique d'un croyant."
En réponse, Duhem publie, en 1905, dans les Annales de philosophie chrétienne, un article intitulé Physique de croyant, où il déclare :
- "Constamment, en effet, je me suis proposé de prouver que la Physique procédait par une méthode autonome, absolument indépendante de toute opinion métaphysique; j'ai minutieusement analysée cette méthode, afin de mettre en évidence, par cette analyse, les caractères propres et l'exacte portée des théorie qui résument et classent les découvertes, à ces théories j'ai refusé tout pouvoir de pénétrer au delà des enseignements de l'expérience, toute capacité de deviner ce qui se cache sous les données sensibles; par là j'ai dénié à ces théories le pouvoir de tracer le plan d'aucun système métaphysique, comme aux doctrines métaphysiques le droit de témoigner pour ou contre aucune théorie physique."
Duhem considère qu'il n'est pas nécessaire d'être croyant pour adhérer à sa théorie de la science, car la science n'a pas à se prononcer sur des questions métaphysiques. Mais il nie que la religion (et en particulier la religion catholique) soit un obstacle au progrès de la science, comme le prétend une certaine conception réaliste de la science (que l'on pourrait appeler scientisme ou positivisme) ; au contraire, il affirme que la religion catholique favorise le progrès scientifique.
À de nombreuses reprises dans La Théorie physique, Duhem se réclame de Blaise Pascal, savant et théologien. Si la croyance dans l'existence d'un ordre du monde ne peut aucunement être justifiée rationnellement par le scientifique (c'est une question métaphysique et non proprement physique), en revanche c'est un objet de foi. Incapable de fonder cette conviction, le scientifique est également incapable de s'en défaire.
Historien des sciences
Il fut aussi un historien des sciences, notamment dans son œuvre Le Système du monde. Histoire des doctrines cosmologiques, de Platon à Copernic, somme remarquable et véritable monument de l'histoire des sciences des origines à la Renaissance, dont la publication en dix volumes s'est étalée de 1913 à 1958, où il défend une interprétation continuiste du progrès scientifique et réévalue l'importance du Moyen Âge avant l'émergence de la science moderne.
Honneurs
Il devint membre correspondant de l'Académie des sciences en 1900 et membre titulaire non résident en 1913.
Il a reçu le titre de docteur honoris causa de l'université Jagellon de Cracovie en 1900[15].
Œuvres
- Le potentiel thermodynamique et ses applications à la mécanique chimique et à l'étude des phénomènes électriques, Paris, A. Hermann, 1886 [lire en ligne]
- Des corps diamagnétique, 1889 (notice BNF no FRBNF30370599m)
- Cours de physique mathématique et de cristallographie de la Faculté des sciences de Lille. Hydrodynamique, élasticité, acoustique : I. Théorèmes généraux, corps fluides ; II. Les Fils et les membranes, les corps élastiques, l'acoustique, A. Hermann, 1891
(notice BNF no FRBNF303706000)
- Leçons sur l'électricité et le magnétisme : I. Les Corps conducteurs à l'état permanent ; II. Les Aimants et les corps diélectriques ; III. Les Courants linéaires, Paris, Gauthier-Villars et fils, 1891 [lire en ligne]
(notice BNF no FRBNF30370608r)
- Introduction à la mécanique chimique, Paris, G. Carré, 1893 [lire en ligne]
- Sur les déformations permanentes et l'"hysteresis", Bruxelles, impr. de Hayez, 1894 [lire en ligne]
- Les Théories de la chaleur, 1895
- Traité élémentaire de mécanique chimique fondée sur la thermodynamique. Les mélanges doubles : statique chimique générale des systèmes hétérogènes, Paris, A. Hermann, 1897 [présentation en ligne]
- Traité élémentaire de mécanique chimique fondée sur la thermodynamique. Faux équilibres et explosions, Paris, A. Hermann, 1898 (1re éd. 1897) [lire en ligne]
- Le Mixte et la combinaison chimique. Essai sur l'évolution d'une idée, 1902
- L'Évolution de la mécanique, 1902
- Les Origines de la statique, 1903
- La Théorie physique. Son objet, sa structure, 1906 (réimp. Vrin, 2007). [3]
- Sauver les phénomènes. Essai sur la notion de théorie physique de Platon à Galilée. Sozein ta phainomena, Bibliothèque des Textes Philosophiques, Paris, Vrin, 2005 (publications précédentes : en 1908 aux éd. Hermann, en 1992 dans la collection "Mathesis" aux éditions Vrin), isbn 978-2711616084
- Traité d'énergétique, 1911
- Le Système du Monde. Histoire des Doctrines cosmologiques de Platon à Copernic, 10 vol., (1913—1959). Texte en ligne :
- volume I : La cosmologie hellénique (L'astronomie pythagoricienne, La cosmologie de Platon, Les sphères homocentriques, La physique d'Aristote, Les théories du temps, du lieu et du vide après Aristote ...)[4]
- volume II : La cosmologie hellénique, suite. L'astronomie latine au Moyen-Âge (Les dimensions du monde, Physiciens et astronomes...) [5]
- volume III : L'astronomie latine au Moyen-Âge, suite [6] [7]
- volume IV : L'astronomie latine au Moyen-Âge, suite [8]
- volume V : La crise de l'aristotélisme [9]
- volume VI : Le reflux de l'aristotélisme (Henri de Gand, Duns Scot, l'essentialisme, les deux vérités...)
- volume VII : La physique parisienne au XIV° siècle
- volume VIII : La physique parisienne au XIV° siècle, suite (Le vide et le mouvement dans le vide, L'horreur du vide, le mouvement des projectiles, La chute accélérée des graves, L'astrologie chrétienne, Les adversaires de l'astrologie) [10]
- volume IX : La physique parisienne au XIV° siècle, suite (La théorie des marées, L'équilibre de la terre et des mers, Les petits mouvements de la Terre et les origines de la géologie, La rotation de la Terre, La pluralité des mondes [11]
- volume X : La cosmologie du XV° siècle. Ecoles et universités au XV° siècle, Les Universités de l'Empire au XV° siècle (L'Université de Paris au XV° siècle, Nicolas de Cues, L'école astronomique de Vienne, La pensée italienne au XIV° siècle, Paul de Venise. Table générale des matières de l'ouvrage) [12]
- Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus, ceux qui l'ont lu, 3 vol., Hermann, Paris (1906—1913)
Voir aussi
Notes
- Archives de l’état civil de Paris en ligne, 2e arrondissement, acte de naissance n° 1011, année 1861
- La « science française » dans la guerre des manifestes, 1914-1918., Mots. Les langages du politique, n° 76, novembre 2004, p. 9-23. Anne Rasmussen,
- Potentiel chimique Relation de Gibbs-Duhem voir l'article
- [1] Inégalité de Clausius-Duhem,
- [2] Équation de Duhem-Margules,
- Extrait de Denis Collin, Pierre Duhem: qu'est-ce qu'une théorie physique?, ouvrage cité.
- p.24
- p.26
- http://en.wikipedia.org/wiki/Duhem–Quine_thesis
- p.27
- p. 214
- Prigogine et Stengers, La nouvelle alliance, Folio Gallimard, 1986 p.400
- René Thom, Paraboles et catastrophes, Champs Flammarion, 1983, p.163
- Abel Rey, Revue de Métaphysique et de Morale, Juillet 2004.
- (pl) Uniwersytet Jagielloński w Krakowie - Wyróżnienia - Godność doktora honoris causa
Bibliographie critique
- Jean-François Stoffel, Pierre Duhem et ses doctorants : bibliographie de la littérature primaire et secondaire, Turnhout, Brepols, 1996, 325 p.
- Jean-François Stoffel, Le Phénoménalisme problématique de Pierre Duhem, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2002, 391 p.
- Thomas Lepeltier, "Was Pierre Duhem a precursor of postmodernism?", Angelaki: Journal of the Theoretical Humanities, 10 (2), 2005.
Liens externes
- La théorie physique, son objet, sa structure (1906) [16]
- Sauver les apparences. ΣΩΖΕΙΝ ΤΑ ΦΑΙΝΟΜΕΝΑ. (1908) [17]
- (en) Pierre Maurice Marie Duhem par J.J. O'Connor et E.F. Robertson.
- (en) Dans "Stanford encyclopedia of philosophy"
- Article de Duhem sur le livre de mécanique de Bouasse, en ligne et commenté sur le site BibNum.
- Denis Collin, Pierre Duhem: Qu'est-ce qu'une théorie physique? [18]
- Note de lecture Le mixte et la combinaison chimique.[19]
- Note de lecture Le système du Monde, tomes 1 à 3 [20]
- Note de lecture Le système du Monde, tome 8 [21]
Précédé par Pierre Duhem Suivi par Albert Terquem Chaire de physique de la faculté des sciences de Lille (1887-1890) Benoît Damien - Chaire de physique mathématique de la faculté des sciences de Lille (1890-1891) - Catégories :- Philosophe des sciences
- Philosophe catholique
- Chimiste français
- Historien des sciences et techniques français
- Élève de l'École normale supérieure (rue d'Ulm)
- Enseignant à l'université Lille I
- Naissance en 1861
- Naissance dans le 2e arrondissement de Paris
- Décès en 1916
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