Opération Anthropoid

Opération Anthropoid

Durant la Seconde Guerre mondiale l'Opération Anthropoid était le nom de code d'une opération planifiée par le Special Operations Executive (branche des services secrets britanniques qui soutenait la résistance en Europe) visant - et réussissant - à assassiner le dirigeant nazi Reinhard Heydrich, alors numéro deux de la SS. Elle fut exécutée par des soldats tchécoslovaques entraînés à Londres et parachutés sur le territoire du protectorat de Bohême-Moravie.

Reinhard Heydrich était le chef du Reichssicherheitshauptamt (RSHA) – l'Office central de la sécurité du Reich – et Protecteur de Bohème-Moravie, ainsi que l'organisateur en chef de la Solution finale (le programme nazi d'extermination des Juifs d'Europe) et des Einsatzgruppen.

Sommaire

Contexte

Reinhard Heydrich

Depuis 1939, Heydrich dirigeait l'Office Central de la sécurité du Reich (RSHA), une organisation regroupant la Gestapo (Police politique), la Sicherheitsdienst (SD) (agence de sécurité du parti nazi), la Kripo (Police criminelle) – et depuis 1942, il était également le Président d'Interpol.

Il joua un rôle essentiel dans l'élimination des opposants d'Hitler et, plus tard, fut l'un des organisateurs clefs dans le génocide des Juifs. En raison de ses compétences et de son pouvoir, il était redouté de presque tous les généraux allemands.

En septembre 1941, Heydrich devint Protecteur de la Bohême-Moravie, c'est-à-dire « dictateur » de facto, en remplacement de Konstantin von Neurath, qu'Hitler considérait comme trop modéré.

Il avait l'habitude de se déplacer dans une voiture ouverte, afin de montrer sa confiance dans les forces d'occupation et l'efficacité de leur répression à l'encontre des populations locales.

En raison de sa cruauté, Heydrich était surnommé le boucher de Prague, la Bête blonde ou encore le Bourreau.

En tant que successeur virtuel d'Heinrich Himmler, Reinhard Heydrich était l'un des hommes les plus importants du pouvoir nazi.

Contexte stratégique

Apogée des conquêtes nazies 1941–42

Vers la fin de 1941, Hitler contrôlait pratiquement toute l'Europe continentale, et les forces allemandes approchaient de Moscou. Les alliés considéraient comme probable la capitulation de l'Union soviétique.

Le gouvernement tchécoslovaque en exil, dirigé par Edvard Beneš, subissait la pression des services de renseignement britanniques, car l'activité de résistance en territoire tchèque apparaissait comme très limitée depuis le début de l'occupation allemande en 1939. La Tchécoslovaquie produisait d'importantes quantités de matériel pour le Troisième Reich.

Le gouvernement en exil devait susciter une action qui galvaniserait les populations, et montrerait au monde que les Tchèques étaient aux côtés des alliés. Les unités spéciales britanniques du Special Operations Executive (SOE) entraînèrent les agents tchèques et aidèrent à planifier l'opération[1].

La mort de Heydrich devait constituer une perte énorme et représenter une victoire, sinon stratégique, du moins psychologique profonde. Parmi d'autres raisons invoquées pour organiser son assassinat figurent, pour les Britanniques, l'intérêt de préserver la position de l'Amiral Canaris, jugé moins dangereux, et celui d'éviter à tout prix qu'Heydrich puisse devenir le gouverneur de Paris.

L'Opération

Préparation

Sept soldats de l'armée tchécoslovaque en exil au Royaume-Uni, Jozef Gabčík, Jan Kubiš et deux autres groupes (Silver A et Silver B), furent parachutés par la Royal Air Force en territoire tchécoslovaque dans la nuit du 28 décembre 1941.

Jozef Gabčík and Jan Kubiš atterrirent à l'est de Prague ; bien que l'atterrissage fut initialement prévu près de Plzeň (Pilsen en allemand), suite à des problèmes de navigation. Les soldats se rendirent donc à Plzeň pour retrouver leur contact, puis à Prague, où l'attentat était prévu.

À Prague, ils prirent contact avec plusieurs familles et organisations anti-nazies qui les aidèrent à planifier l'assassinat. Jozef Gabčík et Jan Kubiš avaient initialement l'intention d'abattre Heydrich dans un train mais, après analyse, abandonnèrent cette idée. La deuxième possibilité était de l'attaquer dans la forêt, sur la route entre sa résidence et Prague. Ils envisageaient de tendre un câble en travers de la route pour arrêter la voiture de Heydrich, mais après plusieurs heures d'attente, leur commandant, le lieutenant Adolf Opálka, du groupe Out Distance, vint les récupérer pour les ramener à Prague. Le troisième plan consistait à assassiner Heydrich dans Prague.

L'assassinat

La voiture où Heydrich fut abattu, actuellement au Musée d'histoire militaire de Prague.

Le 27 mai 1942 à 10 h 30 du matin, Heydrich entreprit un trajet le menant de son domicile au village de Panenské Břežany jusqu'à l'aéroport d'où il devait s'envoler pour Berlin. La veille, il avait rencontré les dirigeants du protectorat et avait vraisemblablement obtenu la participation tchèque à la guerre, aux côtés des Allemands. Pressé, il n'attendit pas l'escorte de police qui l'accompagnait habituellement. Jozef Gabčík et Jan Kubiš attendaient à l'arrêt du tram dans la courbe près de l'hôpital de Bulovka (situé dans le quartier de Prague-Libeň). Valčik se tenait à environ 100 mètres au nord de Jozef Gabčík et Jan Kubiš, faisant le guet pour signaler l'arrivée de la voiture.

Alors que la Mercedes-Benz découverte de Heydrich s'approchait des deux agents, Jozef Gabčík se jeta devant le véhicule et tenta d'ouvrir le feu mais sa Sten s'enraya. Heydrich ordonna à son chauffeur, le SS-Oberscharführer Klein, de s'arrêter. Lorsque Heydrich se leva pour tenter d'abattre Jozef Gabčík, Jan Kubiš lança une grenade anti-char modifiée sur le véhicule. Bien qu'elle ne tombât pas dans le véhicule, ses éclats traversèrent la portière droite et atteignirent Heydrich. Jan Kubiš fut également blessé par les éclats. Heydrich, apparemment inconscient de ses blessures, descendit de la voiture, fit feu et essaya de pourchasser Jozef Gabčík avant de s'effondrer. Il ordonna à Klein, qui revenait de sa tentative de poursuivre Jan Kubiš, de poursuivre Jozef Gabčík. Gabčík, utilisant son revolver tira sur Klein à deux reprises et le blessa[2].

Alors que les agents étaient convaincus d'avoir échoué, Heydrich devait mourir huit jours plus tard de septicémie.

Théories du complot

Heinrich Himmler, le supérieur direct de Heydrich, prit sur lui de s'occuper des soins de son subordonné. Aucun médecin tchèque ou de la Wehrmacht ne fut autorisé à opérer Heydrich. Himmler préférant envoyer ses médecins personnels. Le 4 juin, Heydrich succomba à ce que les médecins de Himmler décrirent comme une septicémie. Selon eux les crins de la sellerie de la voiture de Heydrich qui avaient pénétré dans ses blessures à la suite de l'explosion de la grenade, avaient causé cette infection généralisée qu'ils n'avaient pas les moyens de combattre.

Compte tenu des rumeurs selon lesquelles Himmler était à la fois jaloux de Heydrich et le craignait, la validité de ce diagnostic et les intentions des médecins de Himmler ont donné lieu à de nombreuses spéculations.

Selon une autre hypothèse plus rarement évoquée par les historiens[3], Heydrich pourrait avoir été victime d'une arme biologique antipersonnelle, ce qui expliquerait son décès alors que le pronostic vital n'était pas engagé. L'Obergruppenführer serait ainsi mort du botulisme[4], provoqué par la toxine botulique mêlée à la couche de colle enduisant la grenade.

Conséquences

Représailles

Hitler ordonna aux SS et à la Gestapo de mettre la Bohème à feu et à sang pour retrouver les tueurs. Initialement, Hitler envisageait une campagne générale d'exécution des Tchèques, mais « limita » les représailles à plusieurs milliers de personnes afin de ne pas mettre en danger l'activité industrielle de la zone, essentielle pour l'armée allemande.

Au total, plus de 13 000 personnes furent arrêtées[réf. nécessaire]. Les exactions les plus notables furent perpétrées dans les villages de Ležáky et Lidice[5], lequel fut totalement détruit après que tous les hommes aient été assassinés sur place, les femmes déportées à Ravensbrück et les enfants déportés à Chełmno ou placés dans des familles allemandes dans le cadre du programme Lebensborn[6],[7].

Winston Churchill, furieux, suggéra que trois villages allemands soient rasés pour chaque village tchèque détruit par les Nazis[réf. nécessaire]. En pratique, les alliés cessèrent de planifier de telles opérations par peur des représailles. Deux ans après, il envisagèrent une nouvelle opération, cette fois en visant Hitler, l'opération Foxley, mais elle ne se concrétisa pas.

L'opération "Anthropoid" reste le seul assassinat réussi d'un dignitaire nazi durant le Troisième Reich.

Tentative de capture des agents

Fenêtre criblée de balles de l'Église Saint-Cyrille-et-Méthode à Prague où le commando s'était réfugié.

Les assaillants se cachèrent d'abord chez deux familles pragoises impliquées dans la résistance, puis trouvèrent refuge dans une église orthodoxe, l'église Saint-Cyrille-et-Méthode à Prague. La Gestapo fut incapable de les retrouver jusqu'à ce que Karel Čurda (du groupe "Out Distance", qui avait une mission de sabotage) ne leur donne les noms des contacts locaux de l'équipe contre une récompense d'un million de Reichsmarks.

Čurda trahit plusieurs caches du group Jindra, y compris celle de la famille Moravec à Zizkov. À cinq heures du matin le 17 juin, leur appartement fut investi. La famille fut regroupée dans le couloir pendant que la Gestapo fouillait leur logement. Mme Moravec, autorisée à aller aux toilettes, se suicida avec une capsule de cyanure. M. Moravec, ignorant l'implication de sa famille dans la résistance fut transféré avec son fils Ata au Palais Peček. Là Ata fut torturé toute la journée, soulé avec du cognac et on lui montra la tête de sa mère coupée et mise dans un aquarium[8]. Ata Moravec finit par révéler à la Gestapo ce qu'il savait. Les SS assiégèrent l'église, mais en dépit de l'action résolue de plus de 700 soldats, ils furent incapables de prendre les parachutistes vivants. Trois des résistants, dont Jan Kubiš, celui qui avait abattu Heydrich, furent tués dans la salle de prière[9] après une bataille rangée de deux heures[10]. Les quatre autres, dont Jozef Gabčík, se suicidèrent dans la crypte après avoir repoussé les assauts des SS, qui tentèrent de les enfumer et de les noyer[11]. Les SS et la police subirent également des pertes avec 14 SS tués et 21 blessés[12],[13].

L'évêque de Prague Gorazd Pavlik, afin de minimiser les représailles parmi ses ouailles, prit sur lui la responsabilité des actions dans l'église, écrivant même aux autorités nazies. Le 27 juin 1942, il fut arrêté et torturé et le 4 septembre 1942, lui, les prêtres de l'église et plusieurs notables laïques furent fusillés[14]. Par la suite, d'autres arrestations eurent lieu dans le réseau. C'est ainsi que la fiancée de Jan Kubis, Anna Malinova, a rapidement été arrêtée, torturée, confrontée à la tête de Jan coupée et conservée dans l'alcool, puis déportée et gazée à Mauthausen.

Conséquences politiques

À l'issue de l'opération les Alliés décidèrent qu'après la défaite nazie les territoires des Sudètes seraient restitués à la Tchécoslovaquie, la vigueur des représailles fit également progresser l'idée que les populations allemandes devaient être expulsées de Tchécoslovaquie.

Heydrich était l'un des principaux dirigeants nazis, deux grandes cérémonies funèbres furent organisées. Une à Prague, où la route du château fut bordée de milliers de SS portant des torches, l'autre à Berlin, en présence de hauts responsables du régime nazi, Hitler lui même plaça sur un coussin les médailles de l'Ordre d'Allemagne et l'Ordre du sang.

Karel Čurda, après une tentative de suicide infructueuse, fut pendu pour haute trahison en 1947.

Suites diverses

Cette opération servit de base à plusieurs films :

Elle a également servi de base aux livres :

  • Alan Burgess, Seven Men at Daybreak, 1960. La traduction en français par Marie Tadié a paru en 1962 aux éditions Albin Michel.
  • Laurent Binet, HHhH, 2010, éditions Grasset.
  • David Chacko : Like a man (2003-Foremost press)

L'assassinat inspira au groupe de rock British Sea Power la chanson A Lovely Day Tomorrow. Initialement face B d'un single, la chanson fut réenregistrée avec l'orchestre tchèque « The Ecstasy of St. Theresa » en anglais et en tchèque (Zítra bude krásný den) pour une édition limitée en 2004.

Pour commémorer les héros de la résistance tchèque et slovaque, le Musée National Slovaque en mai 2007 réalisa une exposition présentant cette opération comme l'une des plus importantes dans toute l'Europe occupée.

Notes

  1. Reference MRD Foot SOE and others
  2. Alan Burgess: Seven Men At Daybreak, p.160. (ISBN 0-553-23508-7)
  3. Elle est notamment développée par Patrick Berche dans son ouvrage L'histoire secrète des armes biologiques. Mensonges et crimes d'État (Éditions Robert Laffont, 2009, p. 65).
  4. Quelques heures avant de mourir, Heydrich présente les symptômes du botulisme, à savoir la « paralysie progressive des muscles des membres, des muscles du thorax, de la face et de la gorge » (ibid, p. 65).
  5. "Lidice" dans, Larousse, consulté le 29 août 2011
  6. Laurent Binet, HHhH, 2010, éditions Grasset
  7. Encyclopédie BS, : au fil des jours (2ième guerre mondiale)
  8. McDonald, Callum: The Killing of Reinhard Heydrich: The SS “Butcher of Prague”, p.202. ISBN 0-306-80860-9
  9. Jan Kubiš aurait survécu à l'assaut mais succomba à ses blessures peu après
  10. McDonald, Callum: The Killing of Reinhard Heydrich: The SS “Butcher of Prague”. ISBN 0-306-80860-9
  11. Alan Burgess: Seven Men At Daybreak. ISBN 0-553-23508-7
  12. Axis History Forum • View topic – Dernier combat des assassins d'Heydrich
  13. Ray R. Cowdery with Peter Vodenka: Reinhard Heydrich: Assassination. Victory WW2 Publishing Ltd. (1994) Lakeville, MN, USA
  14. Pour cette action, l'évêque Gorazd fut plus tard glorifié comme martyr par l'Église orthodoxe.

Bibliographie

  • (en) McDonald, Callum: The Killing of Reinhard Heydrich: The SS “Butcher of Prague”. (ISBN 0-306-80860-9)
  • (en) Burian, Michael: Assassination: Operation Anthropoid 1941–1942. Prague: Avis, 2002.
  • (en) Valka.cz, a complete Operation Anthropoid overview
  • (en) Ray R. Cowdery with Peter Vodenka, Reinhard Heydrich: Assassination, Victory WW2 Publishing Ltd. (1994) Lakeville, MN, USA
  • (fr) Alan Burgess, Sept Hommes à l'aube, Albin Michel, 1962 ; traduction par Marie Tadié de (en) Seven Men At Daybreak, Evans Brothers Limited, 1960, (ISBN 0-553-23508-7) et Editions J'ai lu Leur aventure N°A58-59
  • (en) Blairspey at Uboat.net
  • Robert Gheysens, "La mort de Heydrich. Il y a 25 ans : l'attentat contre Heydrich", Historia (mensuel) n°247 juin 1967 p.102-112.

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