Nouveau Bayreuth

Nouveau Bayreuth

Le nouveau Bayreuth (en allemand Neubayreuth ou neues Bayreuth) est le surnom du profond renouvellement que connut dans les années 1950 et 1960 le Festival de Bayreuth sous linfluence de Wieland Wagner, co-directeur du festival avec son frère Wolfgang.

Les mises en scènes visaient à trouver le sens profond de chaque œuvre en lextirpant de tout contexte historique ou politique, et rejetaient le style traditionnellittéral, réaliste et naturalisteen ce quil prenait le parti de symboliser et dévoquer plutôt que de figurer. Les personnages, conçus comme des symboles plutôt que comme des pseudo-humains, sont au cœur dune action universelle et intemporelle qui permet de multiples lectures.

Sommaire

Contexte historique

Le renouveau opéré par les petits-fils du compositeur naît dans lopprobre qui frappe après la Seconde Guerre mondiale le Festival de Bayreuth et la famille Wagner. Le festival a pleinement participé à la politique culturelle du régime nazi, sous le haut patronage dAdolf Hitler lui-même, intime de la famille. Dune certaine manière, cest également la méfiance manifestée envers un compositeur à lantisémitisme avéré, adulé par Hitler et utilisé jusquà plus soif par les nazis, qui déteint sur le lieu quil a conçu pour la célébration de ses propres œuvres.

Le festival rouvre six ans après la fin de la guerre, en 1951, lannée du soixante-quinzième anniversaire de sa création. Il a été pris en main par les petits-fils du compositeur, Wieland et Wolfgang Wagner. Leur mère Winifred, la belle-fille du compositeur et directrice depuis 1930, renonce à tout rôle sur la colline sacrée ; elle vivra jusquen 1980, sans manifester le moindre remords quant à la cordiale relation quelle entretenait avec le Führer. Ses deux fils vont sattacher à dissocier les ouvrages de Wagner d'un certain nationalisme allemand et l'abstraire de toute lecture politique.

À cela sajoute une conscience aiguë de la nécessité de sortir les ouvrages de la vision traditionnelle dont Bayreuth sétait fait la spécialité, bien quun premier rafraîchissement soit déjà advenu pendant la période nazie, sous limpulsion de Winifred et avec la bénédiction dHitler. L'influence d'Appia, aussi, est déterminante. Cette volonté, jugée radicale, heurtera une partie du public, à qui Wieland répondra en 1963 qu« on ne peut pas vivre dans un musée, même si cest celui de mon grand-père ».

Le 29 juillet 1951, la réouverture du festival constitue « le plus important événement lyrique germanique depuis la création de Wozzeck à Berlin en décembre 1925 » (Frederic Spotts).

Démarche artistique

Le premier festival voit bouleversée la conception de la mise en scène héritée du XIXe siècle, et renvoie au musée les décors au caractère littéral caractéristique de lancien style wagnérien. Wieland fait évoluer ses personnages sur de grandes plages monocolores stylisant le lieu, le contexte, latmosphère, ou létat desprit des personnages ; ainsi le rocher de lacte III du Siegfried de 1951 est réduit à un sol de pierre claire et un immense ciel bleu. Dans certaines productions, le décor même est remplacé par lobscurité et le vide : aucune forêt sacrée dans lacte I du Parsifal de 1951, aucun château dans lacte III du Tristan de 1952, mais une noirceur qui projette sur tout lespace scénique le désespoir de dAmfortas et de Tristan et la progression en eux du mal.

La nouveauté tient non seulement à ce quon voit, mais aussi à ce quon en voit plus, car toute ce qui est jugé inutile est supprimé, pour permettre au spectateur de se consacrer sur lessentiel, cest-à-dire le chant et laction. Dans le Parsifal du premier soir, pas de cygne, pas de temple, pas de château, pas de fleurs pour les filles-fleurs, etc. Des costumes simples et intemporels remplacent les peaux danimaux et les braies issus des mythes germaniques, et montrent luniversalité du message et lappartenance des personnages à lhumanité entière. Ce dépouillement culmine lors du duo damour du Tristan de 1952, lorsque les deux amants chantentau milieu dun infini bleu-noir d seules émergent leurs têtes.

Un élément récurrent de cette époque est, au centre de la scène, un vaste cercleou plutôt, pour des raisons de perspective, dune ellipse –, autour et sur lequel se concentre le déroulement de laction. On trouve de bons exemples dans LAnneau du Nibelung de 1951 la forme symbolise également lanneauou à lacte I du Parsifal de cette même année. Wieland, influencé par le théoricien de la mise en scène Adolphe Appia, utilise également la lumière comme un élément de mise en scène, que ce soit pour rendre latmosphère dun lieu ou pour lier musique et drame à travers la couleur.

Au milieu des années 1950, les principes évoluent en direction de lidée dun espace imaginaire (geistiger Raum), structuré et tourné vers le public. Certains éléments sinspirent de la tragédie grecqueune source importante chez Wagner, lecteur dEschyle et qui a arrangé la salle du Palais des festivals de Bayreuth avec des gradins en demi-cercle, dans le style antique. Les costumes des dieux de LAnneau de 1951 montraient déjà cette direction, ce qui contribue à « -germaniser » visuellement les ouvrages. Mais cest le traitement des chœurs dans le Tannhäuser de 1954 et le Lohengrin de 1958 qui portent une plus grande nouveauté : ils évoquent le chœur grec qui, en un vaste ensemble face au public, entoure et commente laction.

Dans les années 1960, la volonté de laisser au spectateur la liberté de voir fera préférer à labstraction lutilisation de formes symboliques et ambiguës qui peuvent, comme des taches de Rorschach, être interprétées de différentes manières, ouvrant ainsi tout le potentiel psychologique des ouvrages. Dans son célèbre Tristan de 1962, lespace scénique nest occupé que par détranges et hauts monolithes. Dans lacte II, une forme verticale dune dizaine de mètres de haut, au sommet incliné et percé de deux larges trous d tombent deux traînées sombresUne pierre tombale ? un symbole phallique ? lépée de Marke ? la surveillance de Bragäne ? une chouette ? De même, à lacte II de son Siegfried de 1965, une structure dapparence végétale formant une fresque de larges trous, et pouvant suggérer des racines, les alvéoles dune ruche, des terriers

Liste des mises en scène

Wieland Wagner a mis en scène tous les grands opéras de son grand-père au moins une fois, de la réouverture de 1951 jusquà sa mort en 1966.

Wolfgang a également signé quatre mises en scène pendant cette période, dans un style qui, sil s'inscrit dans les principes de son frère, est généralement considéré comme plus sage ou moins inspiré.

La mise en scène des Maîtres Chanteurs par Rudolf Hartmann en 1951, reprise en 1952 seulement, ne peut être liée au nouveau Bayreuth : Wieland a préféré se concentrer pour la réouverture sur Parsifal et le Ring, et na consenti à une troisième production dans le style traditionnel quafin de faire une courte transition avec les anciens festivals.

Réaction

Lapplication des principes de Wieland Wagner afin de dégager les opéras de la dimension historique et politique dans laquelle les avaient enfermés sept décennies de mises en scène « respectant les œuvres du Maître » a été vécue comme un bouleversement, et à ce titre diversement appréciée. Une partie des critiques et du public, dès le début, accueille favorablement les mises en scène de Wieland, et sy rallie avec parfois quelques réticences.

Cependant, une partie plus traditionaliste du public vivra la volonté de dépoussiérage comme une profanation, et luniversalisation comme un reniement. À chaque nouvelle production, les « révisions » sont critiquées : la scène de Lohengrin nest plus à Anvers, Heinrich ny est plus empereur ; aucun marin à lacte I de Tristan ; aucun jardin pour les filles-fleurs ; etc. En particulier, en 1956, la production des Maîtres Chanteurs de Nuremberg, surnommée « Les Maîtres Chanteurs sans Nuremberg » en raison de l'absence de toute figuration de la ville dans les décors des actes II et III, a suscité les premières huées de lhistoire du festival, et lire des traditionalistes, qui comparèrent les gradins de la scène du concours, rangés avec un dénivelé relativement élevé, à un amphithéâtre duniversité

Autre scandale célèbre, celui de Tannhäuser en 1961. Plus que la mise en scène, la Bacchanale très suggestive de Maurice Béjart et, surtout, la présence d'une chanteuse noire, Grace Bumbry qui chanta Vénus, provoquèrent de très vives réactions du public ("Une "négresse" à Bayreuth !").

Le travail de Wieland Wagner na cependant aucun caractère radical ou subversif : il faut y voir une volonté d'atteindre le sens profond, le message même de chaque ouvrage au-delà du détail ou de lanecdotique, et dêtre en ce sens plus « fidèle » à lœuvre wagnérienne que ceux qui sen sont servis à des fins de propagande politique. Il rencontre du reste un succès européen, et dirige dautres productions wagnériennes dans de grandes maisons dopéra, il contribue à faire prendre conscience quune page sest tournée dans lhistoire du théâtre lyrique.

Bibliographie

  • (en) Frederic Spotts, Bayreuth. A History of the Wagner Festival, chapitre 7 « “Marvel upon marvel how appears” », Yale University Press, New Haven et Londres, 1994 (ISBN 0-300-05777-6), pp. 212247

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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Nouveau Bayreuth de Wikipédia en français (auteurs)

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