Milady De Winter

Milady De Winter

Milady de Winter

Milady, dans le roman d’Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires, joue une double partition, dictée par le récit romanesque et par la trame historique. Elle a été religieuse, maîtresse d’un prêtre, marquée au fer rouge comme voleuse, puis l’épouse d’Athos, qui l’a pendue, ou cru la pendre ; elle est un moment la maîtresse de d’Artagnan, elle tente en vain de faire tuer Athos et d’Artagnan, réussit au moins à empoisonner Constance Bonacieux. Elle est d’autre part l’agent anglais du cardinal de Richelieu. Sur son ordre, elle fait assassiner Buckingham et compromet la reine Anne d’Autriche en lui volant les ferrets de diamant. Dans l’épilogue, elle est exécutée à Armentières par les mousquetaires et par le bourreau de Béthune, pour ses crimes privés et publics. Son identité, mêlant des références historiques à des épisodes purement romanesques, emporte dans la mort plusieurs questions qui sont exposées ci-dessous. Quelques-unes sont éclairées par Alexandre Dumas dans Vingt ans après et dans deux drames, La Jeunesse des mousquetaires (1849) et Les Mousquetaires (1845), adaptations respectives des Trois Mousquetaires et de Vingt ans après.

Sommaire

Recherches en identité

Première apparition du personnage

La scène se passe à Meung « le premier lundi du mois d’avril 1625 » (chap. Ier). Rochefort, émissaire du cardinal de Richelieu, en se parlant à haute voix à lui-même, désigne cette « Milady » sous ce titre anonyme auquel pourraient répondre des centaines de femmes de la gentry anglaise et qui constitue un de ces sobriquets commodes et discrets, un nom de code qu’on adopte dans les sociétés ou les services ou secrets. Milady a plus ou moins droit à quantité de noms, par naissance, mariage ou distraction du romancier – ou encore par manque de coordination entre ses différents nègres ; mais c’est son nom de guerre qui lui reste définitivement, pour les personnages du roman comme pour les lecteurs d’Alexandre Dumas : un critique du Times Literary Supplement parlait en 2006 du caractère « miladiesque » de la marquise de Brinvilliers. Elle rejoint dans ce semi-incognito, parmi les trois mousquetaires, son premier mari, Athos ; on préférera toujours le surnom escarpé et hellénique à son titre, platement berrichon, de comte de la Fère.

En ce beau lundi d’avril 1625, la dame ne quitte pas son lourd carrosse de voyage pour conférer avec Rochefort ; l’espion s’adresse à sa complice du marchepied, tandis que d’Artagnan la voit, telle un portrait en buste encadré par la portière qui ne laisse voir que la partie supérieure de sa beauté anglaise. C’est cet instantané qui se fixe dans sa mémoire ; d’Artagnan ne liera connaissance avec l’original que bien plus tard... Pour l’instant, la charmante vision disparaît, emportée par le galop des chevaux : un espion, cela voyage et, en somme, Milady traverse le roman dans une course perpétuelle, sur terre ou sur mer, semblable à une « lionne en cage » quand on la contraint à l’immobilité, galopant à travers la France et l’Angleterre vers son ultime rendez-vous d’Armentières avec le bourreau de Lille.

Profession : agent secret

Milady qui semble donner toute satisfaction à son cardinal employeur a pourtant une faiblesse : sa couverture d’espionne est percée à jour. M. de Tréville qui se fait raconter la scène de Meung par d’Artagnan, connaît manifestement l’identité de l’homme de Meung comme celle de la femme. Et lorsque Buckingham, ministre de Charles Ier d’Angleterre, découvre le vol de deux ferrets de diamants dérobés à la parure qu’eut l’imprudence de lui confier la reine de France Anne d’Autriche, il ne lui faut que quelques secondes de réflexion pour reconnaître la patte de la comtesse de Winter, une ancienne et vindicative maîtresse à lui, dont il sait aussi qu’elle est une créature du cardinal. D’Artagnan, lui, a quelque peine à faire le lien entre l’inconnue de Meung et la voleuse de ferrets. À Londres, monté à bord d’un bâtiment qui seul a le droit d’appareiller, il reconnaît, sur un des bateaux en attente, l’inconnue de Meung, mais ne songe pas à l’identifier avec la comtesse de Winter. Il lui faut un concours de circonstances, favorisé par les manigances de Porthos (lequel, c’est le moins qu’on puisse dire, n’est pas la tête pensante des quatre amis), pour identifier enfin à l’église Saint-Leu, dans le Marais, la belle dame qu’il a vue à Meung, à Calais et à Douvres (inconséquence de Dumas : c’est sur la Tamise, non à Calais ou à Douvres, que d’Artagnan a aperçu Milady).

De Saint-Leu, il la poursuit jusqu’à Saint-Germain-en-Laye. On fait enfin connaissance, Milady toujours en carrosse montrant seulement sa tête blonde par la portière à d’Artagnan à cheval ; la dispute avec le prétendu frère de Milady qui se présente sous les noms de « Lord de Winter, baron de Sheffield » devrait rappeler à d’Artagnan les confidences de Buckingham sur la comtesse de Winter ; il n’en est rien.

Mon nom est Milady

Le chapitre XXI, titré « La comtesse de Winter » , nous apprend donc ce que nous comprenons être le véritable nom de la femme de Meung ; Richelieu avait envoyé à Milady par Vitray l’ordre de couper deux des douze ferrets de diamants ; Buckingham attribue immédiatement le larcin à la comtesse de Winter, donnant ainsi l’identité de l’agent du cardinal.

Cependant, lord de Winter présente sa sœur ou plutôt sa belle-sœur sous le nom de lady Clarick ; il révèle ici les sources de Dumas et le modèle historique de son personnage. En effet, La Rochefoucauld raconte dans ses Mémoires, brièvement mais exactement, comment lady Clarick déroba sur l’ordre de Richelieu deux des ferrets de la reine. Le nom de Clarick, par ailleurs, est la corruption française du nom de la bien réelle la comtesse de Carlisle, Lucy Percy, maîtresse délaissée de Buckingham qui l’avait placée aux côtés d’Henriette de France, reine d’Angleterre ; Richelieu avait exploité sa jalousie pour l’enrôler au nombre de ses espions. Courtilz de Sandras, dans ses Mémoires de Monsieur d’Artagnan, mentionne une lady Clarick que d’Artagnan songe à épouser. Comtesse de Winter ou lady Clarick ? Avant de l’exécuter, dans le roman, Athos ne lui accorde ni l’un ni l’autre de ces titres. Il lui donne du « lady de Winter, baronne de Sheffield », les mêmes noms sous lesquels s’était présenté son beau-frère à d’Artagnan ; cela est absurde, puisque c’est le titre de son beau-frère, que le de Winter survivant ait été l’aîné de son défunt frère comme Milady le raconte à d’Artagnan ou qu’il ait été le cadet comme elle le déclare à Felton. En effet, suivant les usages en vigueur dans l’aristocratie anglaise, qui distribue à sa progéniture mâle les titres dont dispose la famille, les deux frères de Winter ne pouvaient jouir de la même baronnie. Le présent lord de Winter, frère cadet, n’a pu hériter des titres de son frère puisque celui-ci a laissé un fils – le digne rejeton de sa mère, le Mordaunt de Vingt Ans après. Milady semble bien s’être mariée dans la famille de Winter pourvue d’une baronnie (Sheffield) et d’une pairie (Carlisle ou Clarick) ; mais l’appellation de comtesse de Winter employée par Buckingham, qui doit bien savoir de quoi il parle, suggère qu’elle porte le titre de l’aîné de la famille. On ne sait plus trop dans ces conditions quel est le véritable nom de la famille ; de toute évidence Dumas n’en a cure. Dans La Jeunesse des Mousquetaires, Athos l’appelle plus normalement et fort solennellement « Charlotte Backson, qui s’est appelée comtesse de la Fère, puis lady de Winter, baronne de Clarick. »

Milady avant les Trois Mousquetaires

Et de toute façon, la suite des événements montre que Milady n’a droit à aucune de ces titres aristocratiques : au regard de Dieu et de la Loi, elle est mariée à Athos, comte de la Fère. Mais ce qu’Athos lui-même paraît ignorer jusqu’aux révélations finales du bourreau de Lille, c’est que même ce premier mariage est nul : en effet, Milady était religieuse au couvent de Templemar quand elle s’est enfuie avec un prêtre ; elle avait prononcé des vœux définitifs qui ne pouvaient être déliés que par Rome. Elle avait au moins un nom de jeune fille avant d’entrer au couvent. Athos le prononce une fois à l’auberge du Colombier Rouge où il vient lui arracher le blanc-seing signé de Richelieu : Anne de Bueil (variante : Anne de Breuil).

Alexandre Dumas a emprunté le nom de Bueil à une famille de Touraine à laquelle appartenait Jacqueline, comtesse de Moret, ancienne maîtresse d’Henri IV et en 1625... épouse du comte de Vardes (ou Wardes), l’un des amants de Milady dans le roman de Dumas (voir Tallemant des Réaux, Historiettes, « lady de Winter, baronne de Sheffield »). Milady a-t-elle épousé Athos sous son véritable nom ? Ce fut certainement la première pensée de Dumas, qui la fait confirmer par Mordaunt, dans Vingt Ans après « Anne de Bueil – C’était ma mère. » Mais l’écrivain n’en est pas si sûr. Lord de Winter, désireux de se débarrasser d’elle sans la tuer, lui remet un passeport établi au nom de Charlotte Backson. La conversation montre que ce nom est inventé. Or, dans le prologue du drame de La Jeunesse des Mousquetaires, le vicomte de la Fère, futur Athos, et son épouse lisent un parchemin :
— Le vicomte : William Backson.
— Charlotte : Mon père…
— Le vicomte : Anne de Breuil…
— Charlotte : Ma mère (…) J’avais perdu depuis longtemps mon père et ma mère…
— Le vicomte : Oui, votre père en 1612… Votre mère en 1615…
Il est manifeste que Dumas, ou son nègre, donnant une forme dramatique au roman écrit cinq ans plus tôt, a essayé de donner consistance et cohérence à l’invention de la Charlotte Backson de lord de Winter, tout en justifiant à demi le nom d’Anne de Bueil. On reviendra, autant qu’aux noms, à la nécessité de donner au personnage une ascendance franco-anglaise. Dans la masure d’Armentières, à l’épilogue du drame, Athos lui donne tous ses noms sauf celui d’Anne de Bueil. Vingt Ans après nous suggère une autre possibilité. John Francis de Winter, fils de Milady et dépouillé par Charles Ier des titres et de la fortune de son père en raison de la nullité du mariage de ses parents, a pris le nom de Mordaunt, emprunté à une famille noble de l’époque. Un fils naturel portant d’ordinaire le nom de sa mère, ne peut-on imaginer qu’il s’agit du nom de jeune fille de Milady qui se serait alors présentée à Athos sous un faux nom. Athos à l’auberge du Colombier Rouge semble avoir quelques doutes sur l’authenticité du nom d’Anne de Bueil : « N’était-ce pas ainsi que vous vous appeliez quand votre honoré frère nous a mariés ? » Cette phrase pourrait suggérer que Milady s’était présentée à Athos sous un nom d’emprunt français, peut-être celui de sa mère, mais que sa véritable identité est anglaise.

Deux récits qui se recoupent partiellement révèlent le passé de Milady : la confession d’Athos et l’histoire du bourreau de Lille. Anne de Bueil était une jeune fille venue s’installer avec son prétendu frère, un prêtre, dans une cure située sur le domaine d’un seigneur berrichon, le comte de la Fère ; cet honnête homme amoureux l’a épousée sans enquêter sur ses origines mais s’est aperçue quelque temps après le mariage qu’elle était marquée à l’épaule de la fleur de lys ; pas plus curieux dans la fureur que dans l’amour, il la pend sans autre forme de procès. Athos a compris que le prétendu frère était un complice. Mais le récit du bourreau de Lille remonte plus loin dans le passé : la fausse ou vraie Anne de Bueil était religieuse, elle est partie avec le frère du bourreau, en volant le trésor du couvent. Arrêtée et enfermée avec le prêtre coupable, elle s’en est enfuie grâce à la complicité du fils de son geôlier. Le bourreau contraint de marquer son propre frère de la fleur de lys en fait autant à la religieuse défroquée.

Les lacunes du récit

Entre le dénouement du mariage d’Athos et la réapparition de Milady à Meung, il y a bien des choses qu’on aimerait savoir sur la dame. Elle est passée en Angleterre, c’est certain mais n’y était-elle pas déjà allée auparavant ? Elle y était peut-être même née ; sa connaissance de l’anglais est parfaite comme d’ailleurs celle du français ; elle a aussi une connaissance bien trop solide des chants puritains pour qu’elle puisse les tenir d’un vieux serviteur de son mari, comme elle le dit à Felton. Conformément au prologue de La Jeunesse des Mousquetaires, on l’imagine anglaise par son père, élevée dans la religion puritaine, née d’une mère française catholique ou convertie qui, devenue veuve, revient en France et confie, avant de mourir elle-même, l’enfant aux bénédictines de Templemar. Une version de ce genre est implicitement proposée par Athos, quand il donne en priorité à Milady un nom anglais, version parfaitement acceptable si l’on considère que son fils Mordaunt porte le nom de sa mère. Le mélodrame qu’elle raconte à Felton ne contient-il pas quelques éléments de vérité ? Certes, elle n’a pas été violée par Buckingham mais elle a bien été sa maîtresse. Le duc le dit lui-même à d’Artagnan. Sa carrière anglaise, sinon son nom, semblent donc bien assurée. Accessoirement, il semble bien que les récits d’Athos et du bourreau laissent dans l’ombre les démarches que dut faire le comte de La Fère après avoir tué ou cru tuer sa femme. Comment comprendrait-on qu’il se mette après la mort de Mme Bonacieux à la recherche du bourreau de Lille s’il ne connaissait pas l’épisode qui le rattache à Milady ? Pourtant, le hasard et l’invraisemblance semblent bien avoir conduit Athos chez le bourreau puisqu’il est aussi surpris que ses amis des révélations de celui-ci sur les premiers crimes de Milady.

L’énigme la plus mystérieuse demeure la première mort de Milady. Comment la comtesse de La Fère, que son mari avait « si bien pendue », a-t-elle pu renaître en comtesse de Winter ? Athos qui la revoit seulement à l’auberge du Colombier Rouge, croirait volontiers à « un démon envoyé sur terre…que l’enfer a ressuscité. » Son collègue Rochefort n’est pas loin de partager cet avis qui, la quittant à Béthune, lui lance en guise d’adieu : « Recommandez-moi à Satan. » Il ne croit pas si bien dire...

Toutefois, il pourrait il y avoir une explication moins fantastique à la survie de Milady. Comme l'exécution semble avoir été conduite brusquement, sous le coup d'une émotion passionnelle due à la « trahison », et qu'Athos n'est ni un médecin, ni un bourreau professionnel, il est tout à fait possible qu'il se soit agit d'une « pendaison sans chute. » La belle, qui ne serait alors pas morte sur le coup, aurait ainsi pu s'échapper d'elle-même, ou être libérée (par exemple par son soi-disant frère curé qui a disparu par la suite), dès que le comte de La Fère eut le dos tourné.

La figure littéraire

Une source biblique

On trouve dans l'ancien testament deux exemples de maris qui se font passer pour le frère de leurs femmes. En effet, l'histoire de Sarah, femme d'Abraham (genèse 20) et celle de Rebecca femme d'Isaac (genèse 26) nous parlent de cette surprenante façon de se présenter. Les deux couples se sont faits passer pour frères et sœurs lors de leurs séjours en Egypte.

Il semble que, dans ce pays, le mari d'une belle femme risquait de se faire tuer. La femme, en se faisant passer pour la sœur de son époux, lui sauvait donc la vie.

Comme une bonne partie de ses contemporains, Alexandre Dumas n'ignorait certainement pas certains récits célèbres de l'Ancien Testament. Cette source biblique a peut-être inspiré Dumas pour créer le contexte du couple déguisé en frère et sœur, Athos, dans une moindre mesure, faisant figure de pharaon ayant pouvoir de vie et de mort.

La Rose de Meung

Le roman de Dumas commence sous l’inspiration de la poésie médiévale : « Le premier lundi du mois de mai 1625, le bourg de Meung qui vit naître l’auteur du Roman de la Rose… » Ce début poétique fournit la conclusion mélancolique du film d’Ettore Scola, Une journée particulière. Quant aux Trois Mousquetaires, il serait, comme le Quichotte, une parodie du roman courtois. Le jouvenceau est là, sur un cheval ridicule ; la rose est empoisonnée. D’Artagnan la cueillera, sa fleur de rose, par la trahison puis par la hache quand il aura reconnu la supercherie dont il aura été la victime : la rose n’était qu’une fleur de lis imprimée au fer rouge de la main du bourreau, la flétrissure des voleurs. Pour l’instant, d’Artagnan, c’est « Don Quichotte à dix-huit ans », monté sur sa Rossinante.

Rapprochement cornélien : La Menteuse

« Elle loge à la Place (Royale)…  » (Le Menteur, Acte I, sc. 4) : il est amusant de constater la ressemblance entre le prénom de Clarice, cher à Corneille, qui l’attribue en particulier à un personnage du Menteur, logé sur la Place Royale, actuelle Place des Vosges, et la déformation de Carlisle en Clarick par les contemporains français de Lucy Percy. Milady n’est guère sédentaire ; cependant, à Paris, Dumas l’installe au 6, place Royale ; le quartier, construit sous Henri IV était à la mode comme l’atteste une autre comédie de Corneille, La Place Royale. L’hôtel fut la demeure, un peu plus tard, de Mme de Guéménée qui avait bien autant de galanteries que Milady. Le choix du numéro 6 vient aussi de ce que Victor Hugo l’habita et que Dumas connaissait bien les lieux.

L’influence du roman gothique

En l’absence d’explication rationnelle, on est d’abord tenté de suivre l’hypothèse d’Athos : Milady est une créature de l’autre monde. Une malédiction analogue à celle du Juif Errant ne la contraindrait-elle pas, tout autant que sa profession, à passer de ville en ville, d’Angleterre en France, sans jamais s’arrêter, ou si peu ? Elle ne craint ni les livres de messe, ni les signes de croix ni l’eau bénite qu’elle reçoit de la main de Porthos à Saint-Leu, mais cette lionne fait souvent penser à un vampire avec sa pâleur, son goût pour la nuit. Ses dents de carnassier déchirent les mouchoirs et laissent des traces de sang. Peut-être faut-il la décapiter et jeter son cadavre dans la Lys pour être sûr qu’elle ne sortira pas de sa tombe ? Le nom de Mordaunt s’explique en partie par sa sonorité sinistre qui parle de mort et de meurtre et non par la filiation. Les Romantiques français connaissent les romans noirs anglais sans en prolonger la veine ; Le Moine de Matthew Lewis était un des plus connus et l’épisode de la nonne sanglante qui inspira à Gounod un médiocre opéra a peut-être inspiré Dumas ; le moine Ambrosio est en effet débauché par Matilda, une novice qui se révèle finalement être une créature infernale envoyée par Satan pour le précipiter dans la damnation. Il est certain que les écrivains français n’ont pas eu besoin de gothic novels pour s’intéresser à ce qui se passe derrière la clôture conventuelle. Mais ils incitèrent peut-être les incrédules Stendhal et Mérimée à décrire sous un jour fantastique et romanesque les horreurs que Diderot avait dénoncées avec un réalisme infiniment plus audacieux. Milady serait alors sortie, discrètement fantastique et franchement démoniaque, des rêves ou des cauchemars que donnèrent aux Français Lord Ruthven, Dracula, Carmilla et Erzébeth Bathory. Et d’ailleurs, les mousquetaires s’en sont-ils vraiment débarrassés lors de la terrible nuit d’Armentières ? Mordaunt – qui pourrait bien être le fils d’Athos – est la vivante réincarnation de sa mère et comme elle, il périra par le fer et sur l’eau à la surface de laquelle il flotte comme les sorcières de son pays natal. La figure de la marquise de Merteuil, marquée au visage comme Milady l’est à l’épaule, s’est peut-être superposée sur les grimaces des sorcières anglaises ? En cette veille de Révolution, indifférente aux affaires publiques, elle n’agit que pour son compte, mais son esprit d’entreprise au service de sa vengeance, son absence totale de scrupules autorisent un rapprochement.

Alexandre Dumas, auteur de série noire

Milady dérobe deux ferrets de diamant et arme le bras de Felton, assassin de Buckingham, comme l’exigent sa conscience professionnelle, son employeur le cardinal de Richelieu et la réalité historique ; mais elle en fait bien d’autres à titre privé. Soustraire deux ferrets aux douze que George Villiers arbore assez bêtement sur son pourpoint relève de la routine pour qui, dès l’âge de seize ans, a volé les vases sacrés d’un couvent. Passons sur le crime de bigamie, évidemment privé, fréquent dans l’Angleterre d’après Henry VIII (Moll Flanders, Jane Eyre…). Est-ce aussi habituel dans les lettres françaises ? Et Milady ne dédaigne pas de pratiquer l’assassinat pro domo. Elle a un penchant pour le poison. Le mari anglais n’a pas fait de vieux os ; il est mort en trois heures d’une maladie qui laisse des traces livides sur le corps ; le vin d’Anjou que d’Artagnan et ses amis auraient dégusté si un valet amateur de bon vin n’avait payé de sa vie le prélèvement qu’il en fit était accommodé de la même façon. Et l’infortunée Mme Bonacieux périt pour avoir bu un verre de vin auquel Milady avait ajouté prestement une poudre blanche de sa façon.

Les poisons et les empoisonneuses intéressent Dumas qui n’a pourtant pas traité la période du règne de Louis XIV où ils fleurirent. On chercherait en vain la Voisin et la Brinvilliers dans un index de ses personnages ; mais il y a des similitudes entre des épisodes de la vie de la marquise de Brinvilliers et les aventures de Milady. Dans Le Vicomte de Bragelonne, Dumas quitte la Montespan avant l’affaire des Poisons et le chevalier de Lorraine avant qu’il ait envoyé d’Italie un poison que d’Effiat versa dans la limonade de Madame Henriette. Dans La Reine Margot, on rencontre une Catherine de Médicis qui fait merveille en compagnie de René le Florentin, avec des gants de senteur, des savonnettes parfumées, un livre de chasse aux feuilles funestement collées, qui envoient reines et rois dans l’autre monde. La dame de Montsoreau se venge dans Les Quarante-Cinq du duc d’Anjou qui ne se remet pas d’une pêche offerte par elle. Dans Le Comte de Monte-Cristo, Madame de Villefort met à profit les renseignements fournis par un voyageur rencontré en Italie et verse allègrement sa poudre de succession à toute sa belle-famille avant d’y goûter elle-même avec son fils. Enfin, parmi ses Crimes célèbres, Dumas réserve la meilleure place aux poisons des Borgia.

Une autre criminelle, immortalisée par Dumas, fait penser à Milady. C’est Jeanne de La Motte qui compromet Marie-Antoinette dans Le Collier de la Reine. La Révolution Française encore toute proche pousse les écrivains du XIXe siècle à dépeindre Anne d’Autriche comme une première incarnation de Marie-Antoinette. Richelieu faisait travailler l’Anglaise pour compromettre Anne d’Autriche ; Cagliostro manipule la comtesse pour perdre Marie-Antoinette et déclencher la Révolution. Milady vole deux ferrets qu’elle envoie scrupuleusement à Richelieu ; Jeanne met la main sur le collier de la reine tout entier, qui fit probablement le même voyage que les ferrets, en sens inverse, pour Londres, où il dut finir en pièces détachées chez les joaillers et les receleurs. Milady est marquée secrètement pour vol et Jeanne publiquement ; toutes deux s’exilent en Angleterre. Dans la San Felice, l’anglophobie et la haine des Bourbons de Naples qui empoisonnèrent le père de l’écrivain, le général Dumas, se déchaînent à travers deux personnages, lady Hamilton et la reine de Naples Marie-Caroline, l’intrigante anglaise et la furie royale, deux plausibles petites-filles de Milady dans l’univers de Dumas.

Défense et réhabilitation de Milady

Milady innocente

On pourrait s'étonner qu'à notre époque, peu de personnes évoquent l'âge de Milady quand elle a été flétrie. Il semble, d'après les révélations du bourreau et d'Athos, qu'elle ait eu à peine 14 ans au moment des faits.

Lorsqu'il se confie, Athos parle d'une jeune fille d'environ 16 ans, et lors de la mascarade du procès, le bourreau se pose en victime. Il a fait 2 ans de prison parce que son frère s'est évadé. Le bourreau a été libéré quand le prêtre est revenu, après le mariage de Milady (alors Anne de Breuil) avec le comte de La Fère. Les explications sur cette époque sont très succinctes. Néanmoins elles portent à croire que la jeune fille avait au plus 14 ans.

Cela soulève d'autres questions importantes : à quel âge aurait-elle prononcé des voeux perpétuels ? dans quelle mesure est-elle responsable de ses voeux ? et surtout est-elle responsable d'avoir séduit un prêtre très probablement plus âgé qu'elle ? Ne serait-ce pas plutôt l'inverse ? Milady jeune fille ne serait-elle pas victime d'un détournement de mineure ?

D'autre part, les possibilités offertes par l'Édit de Nantes en vigueur à l'époque, permettaient peut-être de changer de religion ?

Milady in love

En dépit de sa froideur professionnelle, Milady agit aussi par sentiment : il est probable qu’elle a rencontré de Vardes blessé à Boulogne et qu’il lui a plu (d’Artagnan lui-même s’était attendri un instant en considérant ce beau jeune homme blessé qu’il abandonnait dans un bois en-dehors de Boulogne) ; et, comme une vraie lionne qu’elle est, elle fait les premiers pas et lui envoie une lettre sans équivoque. Elle reçoit celui qu’elle croit être de Vardes puis celui qu’elle sait être d’Artagnan au vu et au su de tout le monde ; seule la question de la fleur de lys oblige à quelques précautions... Après tout, elle est riche, veuve et libre. Démasquée par d’Artagnan, elle prend bravement la direction des opérations : sans doute ne parvient-elle pas à le tuer elle-même mais elle engage des bravi, lui envoie de son fameux vin d’Anjou et profite de l’énormité du service exigé par Richelieu pour demander sa tête. L’espionne est aussi une femme amoureuse et qui a de bonnes raisons d’être jalouse.

Milady victime

On pourrait ainsi proposer une lecture féministe des Trois Mousquetaires qui inverserait les rôles : Milady serait une attendrissante victime et ses ennemis d’abominables canailles. L’idée est soufflée par une fortune littéraire, peu connue en France, de son modèle la comtesse de Carlisle : cette authentique intrigante inspira à Robert Browning (Strafford, a Tragedy, 1837) un personnage héroïque qui essaye en vain – toujours la fatalité historique – de sauver le comte de Strafford. Expédions d’abord l’affaire du couvent de Templemar : il est évident qu’on a enfermé chez les Bénédictines pour des raisons de famille une pauvre enfant aussi dépourvue de vocation religieuse que la Suzanne Simonin de Diderot. Il est impossible, avons-nous dit, quand on a prononcé ses vœux, de quitter légalement la clôture ; il faut bien trouver un protecteur et le seul homme qu’on ait l’occasion de rencontrer est évidemment un prêtre. Il ne va pas aider gratuitement la jeune religieuse. Mais est-ce la faute de l’homme, ou de la malheureuse enfant ? La vengeance qu’en tire le bourreau de Lille est privée et infâme. Après quoi il faut bien vivre et, si le prêtre doit exercer sa profession, sa maîtresse n’a guère d’autre choix que de se faire passer pour sa sœur et de chercher un bon établissement ; l’occasion se présente en la personne du comte de La Fère qui l’épouse comme un galant homme qu’il est. Devenue comtesse et parée des joyaux de famille qui lui reviennent de droit elle fait, au dire même d’Athos, une comtesse plus qu’acceptable, tenant admirablement son rang. Le funeste accident de chasse qui occasionne la découverte de la fleur de lys n’est pas à l’honneur d’Athos : il argue de droits féodaux parfaitement barbares pour pendre sa femme à l’arbre le plus proche, et il dissimule hypocritement son acte. « Ciel ! Athos ! un meurtre ! » s'écrie d'Artagnan, l'apprenant finalement. Et Athos d'acquiescer « Oui, un meurtre, pas davantage. »

La comtesse de La Fère ressuscitée d’une façon ou d’une autre n’a plus qu’à gagner le large. Elle trouve refuge en Angleterre. Elle choisit un autre grand seigneur benêt et honnête homme à qui elle donne un enfant, à moins qu’elle n’ait arrangé ce mariage que pour donner un père au fils d’Athos, ce qui aurait le piquant de faire de ce vertueux personnage l’assassin de sa femme et de son fils. Le comte de Winter meurt subitement et manifestement empoisonné. Milady accuse son beau-frère dans son récit à Felton. Et si elle disait vrai ? Lord de Winter l’accuse quand les mousquetaires la jugent, mais est-il vraisemblable qu’il eût gardé des relations cordiales avec sa belle-sœur, amenant des amis chez elle, place Royale, buvant son vin d’Espagne, s’il la prenait pour une empoisonneuse ? On pourrait penser qu'elle a été vraiment violée par Buckingham, car même si le narrateur extérieur en parle comme « des accusations infâmes et imaginaires de Lady de Winter », le duc anglais est décrit par les chroniques du temps comme un habitué de la méthode à la hussarde. Tallemant des Réaux par exemple raconte la rencontre de Buckingham et d'Anne d'Autriche dans les jardins d'Amiens en termes crus : "Buckingham tint la Reine toute seule dans un jardin; au moins il n'y avait qu'une Madame du Vernet, soeur de M. de Luynes, dame d'atours de la reine, mais elle était d'intelligence et s'était assez éloignée. Le galant culbuta la reine et lui écorcha les cuisses avec ses chausses en broderies..." (Tallemant des Réaux, Historiettes, cité dans l'édition d'Emile Magne, Le Cardinal de Richelieu, sa famille, son favori Bois-Robert, Editions Complexe, Paris, 1990, p. 48){référence nécessaire}.

L’attitude de d’Artagnan est également inqualifiable : il lit un billet dont il sait pertinemment qu’il ne lui est pas destiné, passe la nuit avec Milady en se faisant passer pour le comte de Wardes, lui envoie une lettre ignoble au nom de ce gentilhomme ; couche encore avec Milady, cette fois en son nom propre parce qu’elle a l’imprudence de payer d’avance à d’Artagnan le service qu’elle attend de lui, c’est-à-dire le meurtre de de Wardes. Ajoutons que pendant ce temps, le mousquetaire séduit la soubrette, pour laquelle tout lecteur de Dumas a toujours un faible, parce qu’elle est une autre victime des soi-disant gentilshommes du temps.

L’épilogue du roman constitue un condensé de violence et d’hypocrisie masculines : pour dissimuler ce corps martyrisé par l’emprisonnement, le viol, le fer rouge, les tromperies des roués, ils sont six hommes armés à le décapiter, à l’enfermer dans un sac, à le jeter dans la Lys, en s’abritant derrière la « Justice de Dieu. » Et ce n’est pas fini : on s'acharnera encore sur le fils de la victime. Le sort de Mordaunt reproduit celui de sa mère ; élevé par des domestiques dans le luxe d’une demeure aristocratique anglaise (car il est peu probable que sa mère l’ait emmené sur le continent), il a été dépouillé de ses titres, ce qui est admissible étant donné sa naissance ; ce qui l’est moins est l’abandon total où il a été jeté par sa famille anglaise ; Lord de Winter aurait pu assurer de façon décente l’avenir de celui qu’il croyait sans doute le fils naturel de son frère aîné.

On pourrait aussi soutenir que beaucoup de ces actions qualifiées de crimes par les mousquetaires ne relèvent que de son travail d'espion, comme leur travail de mousquetaires. Elle est loyale à son employeur, le Cardinal (lui moins envers elle...). Peut-on dire que, par exemple, essayer de faire en sorte que la liaison secrète de la reine de France avec le premier ministre de l'Angleterre soit découvert, soit nécessairement plus criminelle que d'essayer de faire que cette liaison reste cachée au roi français? Egalement, en temps de guerre avec l'Angleterre, quand le Duc de Buckingham s'apprête à mener une flotte contre les français, ne peut-on dire qu'une espionne française envoyée pour faire assassiner le duc, ne fait que son devoir? De surcroît elle fait bien son travail, elle est courageuse et ingénieuse, est une sorte de James Bond au féminin, peut-être avec quelques scrupules de moins.. Elle n'était pas coupable d'être allée en Angleterre pour tuer son beau-frère comme l'on a prétendu - ceci n'était pas son but. Si elle a parfois abusé d'autres personnes, et parfois tué sans beaucoup s'en soucier, l'on pourrait dire la même chose pour les mousquetaires, toujours prêts a tuer les inconnus dans des duels pour quelque prétendue offense à leur honneur etc. Elle est une femme forte et indépendante à une époque ou les femmes étaient souvent dominées par les hommes.

Il reste à chacun de se former sa propre lecture du personnage qu'est Milady de Winter.

Bibliographie

  • Dumas (Alexandre), Les Trois Mousquetaires, Vingt Ans après, édition Gilbert Sigaux, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1962 ; Les Trois Mousquetaires, édition Charles Samaran, Paris, Garnier, 1969. La Jeunesse des mousquetaires (1849) suivi de Les Mousquetaires (1845), Paris, La Table Ronde, Paris, 1994
  • Tallemant des Réaux (Gédéon), Historiettes, édition Antoine Adam, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1960-1961, 2 vol.
  • Courtilz de Sandras, Mémoires de Monsieur d’Artagnan.
  • La Rochefoucauld (François, duc de), Mémoires, dans Œuvres complètes, édition Louis * Martin-Chauffier, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1964.
  • Duchein (Michel), Le Duc de Buckingham, 2001, Paris, Fayard.

Interprétations

Cinéma

Au cinéma, le rôle de Milady est interprété par :

Télévision

Pastiches

  • Milady mon amour, une femme dans la tourmente de Yak Rivais, Ed. Jean Picollec 1986 [1]
  • Le Club Dumas ou l'ombre de Richelieu d'Arturo Pérez-Reverte, 1993

Voir aussi

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