Matérialisme dialectique

Le matérialisme dialectique ou la dialectique matérialiste est une conception philosophique général du monde réel englobant la nature et l'histoire. C'est une extension du matérialisme historique (histoire et homme/travail) qui permet d'étudier scientifiquement une société dans son environnement global. Le matérialisme soumet autant que possible la pensée subjective, la transcendance, à l'être objectif, l'immanence. La méthode scientifique qui résulte de la pensée dialectique matérialiste est la méthode du passage de l'abstrait au concret^[1] utilisée par Karl Marx dans l'étude de la société capitaliste du XIX^e siècle.

Engels avec le soutien de Marx^[2] emploie, à partir de 1873^[3], la vision dialectique matérialiste du monde réel aux domaines des sciences naturelles^[4]. Engels écrit ainsi Le Rôle du Travail dans la Transformation du Singe en Homme en 1876 puis des notes non exhausives regroupées dans le recueil Dialectique de la Nature en 1883. C'est cette extension de la dialectique aux phénomènes naturels qui sera le plus critiquée par les philosophes comme Jean-Paul Sartre par exemple. Quelques scientifiques seulement useront de ce mode de pensée dialectique dans leurs recherches comme Alexandre Zinoviev en logique, Richard C. Lewontin en biologie, Stephen Jay Gould en paléontologie et Eftichios Bitsakis en Physique.

Sa naissance

Suite à la critique des matérialistes anciens et de la dialectique de l'école hégélienne, Marx et Engels utilisent la dialectique matérialiste comme méthode générale de pensée philosophique par opposition à l'idéaliste. Il fonde ainsi par ce passage philosophique une méthode scientifique sur les problèmes de l'origine historique et sociale de l'humanité et de la société capitaliste du XIX dans un système global en mouvement permanent et contradictoire. Parallèlement, le rapprochement inaliénable du matérialisme et de la dialectique est également utilisé comme système de pensée par Joseph Dietzgen.

L'expression et l'exposé du matérialisme dialectique sont dus non à Marx lui-même, qui n'a jamais utilisé le terme, mais à Engels, qui dans Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, publié en 1886 (après la mort de Marx), désigne du nom de matérialisme dialectique ou dialectique matérialiste cette nouvelle approche de la réalité^[5]. L'expression est, après Engels, reprise par Dietzgen, puis par Plekhanov et par Lénine^[6].

Le concept est cependant utilisé par Marx dés 1845 dans l'Idéologie allemande^[7]. Dans la post-face de la seconde édition allemande (1873) du capital, il y décrit également le contenu dialectique de sa méthode.

Bien que le matérialisme dialectique soit souvent présenté comme un concept essentiel de la philosophie marxiste^[8], voire comme un synonyme de cette philosophie prise dans son ensemble^[9], il est décrié dès le départ ou alors dénaturé au cours du XX^e siècle. Il est ainsi rejeté par les courants de pensée refusant l'immanence ou n'allant pas jusqu'au bout de la démarche de l'immanence comme chez Kant. Parmi les nombreux philosophes répudiant le matérialisme dialectique on peut citer Georges Sorel^[10], Edouard Bernstein^[11], Charles Rappoport ^[12], Jean-Paul Sartre ^[13], Constanzo Preve^[14], Alain Badiou^[15]...etc. Au cours du XX^e siècle, la conception du matérialisme dialectique a été dénaturée^[16] par le doxa du marxisme-léninisme^[17] qui l'a caricaturé^[18] et les réformistes^[19], du matérialisme dialectique que sont les orthodoxes Gramsci ou Althuser..., les hétérodoxes de l'école de Francfort... et les exégètes Denis Collin ou Lucien Sève... .

Méthode de pensée

par opposition à la dialectique classique

La dialectique, empruntée au philosophe Hegel, signifie que le cours de l'histoire n'est pas linéaire : il passe par des crises. Cependant les crises sont fécondes. Par exemple, selon le modèle du christianisme par Hegel : le Christ doit mourir pour ressusciter et affirmer sa divinité. Le moment négatif qu'est la mort est indispensable à la progression dialectique. Ce concept dialectique est repris par ce matérialisme.

Or, pour l'idéalisme comme Hegel, le terme de la dialectique est l'Esprit. C'est l'esprit qui influence la matière, c'est-à-dire le monde réel. Dès lors, le problème de la dialectique classique est qu'elle a tendance à plaquer « un système logique sur la réalité au risque de faire rentrer celle-ci de force dans le moule forgé par l'esprit »^[20].

Ce problème de méthode dit de "chausse-pied" selon l'expression de Stephen Jay Gould dans La vie est belle est résolu en posant comme base un terme matériel. Par conséquent c'est le monde réel qui influence la vie et l'esprit qui ne sont que des parties inaliénables du monde réel (à la fois organique et inorganique (nature et société)). Cette logique est la dialectique matérialiste. Le terme de cette dialectique est l'activité de la nature et de l'humanité elles-mêmes dans le monde réel, dans la nature et dans la société. L'action ou le mouvement des choses n'est donc plus dans ce cas une construction de l'esprit. C'est par l'étude du monde réel que la logique du monde se découvre.

par divergence au matérialisme évolutionniste

La première divergence avec les évolutionnistes est que ces derniers voient à travers la nature un cours de l'histoire linéaire et non dialectique. La seconde est que contrairement au matérialisme évolutionniste, le matérialisme dialectique fait la distinction entre les lois physiques au sens large et les lois sociales de l'homme (histoire et société). Ces deux sphères font pourtant partie du même monde global. Cependant, il y a une discontinuité entre la nature et la société. Ainsi, les phénomènes sociaux nécessitent une méthode et des notions propres.

Dès lors, l'enjeu est de définir l'origine de ces contradictions entre ces phénomènes.

Or, tous les phénomènes sont dans un état de changement permanent dont l'évolution continue par accumulation quantitative crée une discontinuité entre un état premier et un état second par un changement contradictoire qualitatif de ce premier état. Dès lors, le phénomène global n'est plus soumis à un même type de causalité. Une même cause peut produire des effets différents. La phylogénie entre chaque phénomène n'est plus linéaire comme chez les matérialistes évolutionnistes du XIX^e siècle. Elle est constituée de crises et de négations.

Aux origines historiques et sociales de l'humanité

La philosophie de Marx est matérialiste. Pour lui, les conditions matérielles d'existence ont une influence déterminante. Georg Lukács définit le matérialisme par « la primauté de l'existence sur la conscience »^[21]. Pour Marx, ce ne sont pas les théories économiques, politiques, ou philosophiques, qui déterminent le cours de l'histoire^[22], mais les conditions réelles d'existence et la lutte des classes.

Chaque période, chaque organisation, possède ses contradictions internes. Ses deux tendances antagonistes, ces contradictions aboutissent à des crises qui donnent naissance à de nouvelles formes d'organisations^[23]. Par exemple, le capitalisme, selon Marx, porte en lui des contradictions intrinsèques^[24] qui doivent le conduire à sa fin et à son remplacement par le communisme par l'action consciente des prolétaires.

Critiques

Pour certains marxologues et marxistes, cette expression est étrangère à la pensée de Marx, et donc au marxisme^[25]. Pour Cyril Smith, c'est une "caricature", utilisée en particulier par le stalinisme sous l'abréviation « Diamat »^[26]. Pour André Tosel, « la détermination du marxisme comme matérialisme dialectique et matérialisme historique oublie que l'innovation essentielle dont est porteuse la théorie marxiste, celle des rapports sociaux de production, fait de la philosophie avant tout une théorie de l'histoire, non pas un système se comprenant à partir d'un camp théorique déjà déterminé par toute l'histoire théorique passée » et le concept de matérialisme dialectique est avant tout une théorie léniniste, empruntée à Plekhanov et « issue d'une certaine lecture de Engels »^[27].

Le philosophe Julien Benda critique fortement le matérialisme dialectique dans la préface de 1946 à son ouvrage La Trahison des Clercs : il argue qu’en se référant à des lois supposées de l’histoire, il s’oppose en tout point à la démarche rationnelle qui devrait être celle des clercs. Il écrit : « Cette position [le matérialisme dialectique] n’est aucunement, comme elle le prétend, une nouvelle forme de la raison, le « rationalisme moderne » ; elle est la négation de la raison, attendu que la raison consiste précisément, non pas à s’identifier aux choses, mais à prendre, en termes rationnels, des vues sur elles. Elle est une position mystique. » C’est un principe d’action et non de raison pour Benda, un principe de révolutionnaire : « C’est pourquoi elle est d’une valeur suprême dans l’ordre pratique, dans l’ordre révolutionnaire, et donc tout à fait légitime chez des hommes dont tout le dessein est d’amener le triomphe temporel d’un système politique, exactement économique, alors qu’elle est une flagrante trahison chez ceux dont la fonction était d’honorer la pensée précisément en tant qu’elle se doit étrangère à toute considération pratique. » Il va plus loin dans sa critique, accusant expressément les tenants de cette doctrine de ne la défendre que pour faciliter les ralliements à leur cause (dans un contexte où le stalinisme est dominateur) : « Si l’on demande quel est le mobile de ceux qui brandissent cette méthode, la réponse est évidente : il est celui d’hommes de combat, qui viennent dire aux peuples : « Notre action est dans la vérité puisqu’elle coïncide avec le devenir historique ; adoptez-la. » ».

Bibliographie

Divers

• Encyclopedia Universalis, article "Histoire": 6, la conception marxiste de l'histoire.

Histoire et principe

• Pascal Charbonnat, Histoire des philosophies matérialistes, Syllepse, 2007, 650p
• Bertell Ollman, La dialectique mise en œuvre - Le processus d'abstraction dans la méthode de Marx, syllepse, 2005,140p.

Textes historiques

La fondation

• Marx, L'idéologie allemande, 1845
• Marx, Thèse sur Feuerbach', 1845
• Engels et Marx, L'antidhuring
• Engels, Dialectique de la nature
• Engels, Ludwig Feuerbach ou la fin de la philosophie classique allemande. , 1886
• Josef Dietzgen, Incursions d'un socialiste dans la région de la connaissance', 1887

La défense

• Georgi Valentinovich Plekhanov^[28]:
  • La conception matérialiste de l'histoire, 1897.
  • Les Questions fondamentales du marxisme. Le Matérialisme militant, Éditions sociales.
• Lénine^[29], Matérialisme et empiriocriticisme, 1908.
• Paul Lafargue^[30], Le matérialisme économique de Karl Marx
• Antonio Labriola^[31],

La dénaturation

• Les Caricatures^[32]
  • (en) Józef Maria Bocheński, Soviet Russian Dialectal Materialism (Diamat), Dordrecht, 1963
  • Albert Camus. L'homme révolté: III.
  • Georges Politzer, Principes élémentaires de philosophie, Paris : Editions sociales
• Les Réformistes^[33]
  • Henri Lefebvre, Le Matérialisme dialectique, Presses Universitaires de France - PUF, 168p., 1990 (1968)
  • Trần Đức Thảo : Phénoménologie et matérialisme dialectique, Édition Vrin.

Le renouveau

Le matérialisme en général est le mieux représenté par les scientifiques comme au XIX. Quelques scientifiques seulement reconnaissent l'emploie de la vision dialectique dans leurs études comme :

• Eftichios Bitsakis^[34],
  • Physique contemporaine et matérialisme dialectique, Editions Sociales, 1973
  • La nature dans la pensée dialectique, L'Harmattan, 2001.
• Stephen Jay Gould^[35],
  • La Structure de la théorie de l'évolution, 2002
  • Le Renard et le Hérisson : comment combler le fossé entre la science et les humanités ?, 2003
• Richard C Lewontin^[36]
  • (en) avec Richard Lewis, Le Biologiste dialectique, 1985
  • La triple hélice : Les gènes, l'organisme, l'environnement, Seuil, 2003
• Alexandre Zinoviev^[37],
  • Le communisme comme réalité, L'âge d'Homme, 1981
  • Les confessions d'un homme en trop, Gallimard, 1991

Voir aussi

Articles connexes

• Marxisme
• Matérialisme
• Matérialisme historique

Références

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