Leucemie lymphoide chronique

Leucemie lymphoide chronique

Leucémie lymphoïde chronique

La leucémie lymphoïde chronique, ou LLC est une maladie cancéreuse du sang (leucémie), caractérisée par la prolifération de lymphocytes ce qui la place dans la catégorie des hémopathies lymphoïdes chroniques. Il s'agit d'une maladie rare, touchant de façon préférentielle les personnes âgées. En dehors de quelques cas familiaux, on ne connaît pas de facteurs favorisants le déclenchement de la maladie qu'ils soient environnementaux, génétiques ou infectieux. Cette affection est incurable à ce jour, mais le pronostic est extrêmement variable d'un malade à l'autre. Pour 60 % des patients il n'est pas nécessaire de débuter un traitement lors du diagnostic initial de la maladie compte tenu de sa lente évolutivité.

Lymphocytes B (cytoplasme bleu et noyau violet) lors d'une leucémie lymphoïde chronique observés sur sang périphérique

Sommaire

Histoire

Les premières recherches sur les leucémies datent du XIXe siècle. La leucémie lymphoïde a été individualisée grâce aux colorations cytologiques d'Ehrlich au sein des leucémies chroniques vers 1880. [1]

Physiopathologie et cytologie

La leucémie lymphoïde chronique est définie par la prolifération monoclonale d'une population mature de lymphocytes B (il peut s'agir d'un lymphocyte de type T dans 5 % des cas) et qui vont envahir progressivement le sang, les organes lymphoïdes et la moelle osseuse.

Les mécanismes cellulaires induisant la prolifération des lymphocytes sont imparfaitement connus. On estime que les lymphocytes en cause dérivent des couronnes péri-folliculaire des ganglions, que certains réarrangements dans les gènes d'immunoglobulines induisent des lymphocytes de type B, que ce sont les processus de mort programmée cellulaire qui sont perturbés et non la surexpression d'oncogène de multiplication. La dysrégulation semble atteindre une sous-population particulière de lymphocyte B étroitement impliquée dans l'ordonnancement de la reconnaissance et la tolérance du soi. Cette atteinte sélective explique probablement la grande quantité de maladies auto-immunes compliquant la leucémie lymphoïde chronique (voir Complications).

L'étude du réarrangement des gènes d'immunoglobulines montre de nombreuses mutations somatiques ce qui est caractéristique des lymphocytes matures post-germinales et non pas de lymphocytes natifs.

Ces lymphocytes B expriment normalement à leur surface membranaire des protéines antigéniques dites cluster de différentiation et numérotées CD19+ et CD20+ ainsi que de façon anormale un cluster de différentiation CD5+ généralement présents à la surface des seuls lymphocytes T de façon constante et le CD23+. Les CD5 et CD23 sont parfois présents sur des lymphocytes B lors de leur activation antigénique mais pas de façon constante.

Ils expriment avec une faible intensité la même immunoglobuline de membrane à chaîne légère κ ou λ et chaîne lourde de type M parfois de type D ce qui caractérise leur caractère monoclonal. (IgG et IgA dans 10% des cas)

Ces cellules lymphocytaires B sont immuno-incompétentes donc incapables de répondre à la stimulation antigénique pour fabriquer des anticorps et défendre l'organisme contre une agression. Ils expriment de façon réduite, en particulier, les récepteurs membranaires qui sont présents en grand nombre sur les lymphocytes B normaux. Ce déficit ne semble pas être due à un défaut de synthèse mais à une anomalie de repliement empêchant leur expression sur la membrance cellulaire[2].

Ces lymphocytes B monoclonaux présentent de manière fréquente de nombreuses mutations ainsi que des anomalies chromosomiques sans que le rôle exact de ces derniers dans la genèse de la leucémie puisse être établi[3].

L'hypothèse d'une apoptose réduite (mort cellulaire programmée) a été évoquée comme possible cause de la prolifération de lymphocytes matures : l'expression de certains gènes en rapport avec l'inhibition de l'apoptose semble être augmentée dans certains cas[3].

Épidémiologie

En matière de leucémie lymphoïde chronique, le ratio homme/femme est de 2/1 et le pic de fréquence se situe vers l'âge de 65 ans. La LLC est exceptionnelle avant 40 ans, touche un patient de plus de 50 ans dans 90% des cas et de plus de 60 ans dans 66 %. C'est la leucémie chronique la plus fréquente dans les pays occidentaux, son incidence est évaluée à 3.5 nouveaux cas pour 100 000 personnes aux États-Unis[4]. Elle est cependant sensiblement plus rare en extrème-orient[3].

Il semble exister une prédisposition familiale avec un risque multiplié par trois si un membre de la fratrie est atteint[5].

Il ne semble pas avoir de facteurs environnementaux déclenchants à l'exception de l'exposition à un défoliant, l'Agent Orange[3]. De même, le rôle potentialisateur d'une irradiation reste controversé[6]. Des infections répétées, en particulier pulmoniares, semblent cependant représenter un facteur de risque de la maladie, probablement en raison d'une stimulation itérative du système immunologique[7].

Éléments diagnostiques

Le diagnostic est souvent suspecté sur l'apparition, chez un sujet d'âgé de nombreuses ganglions palpables superficielles (adénopathies). Le plus souvent le diagnostic est suspecté devant une augmentation du nombre de lymphocytes à la numération formule sanguine supérieure à 4000 éléments/ml retrouvée à plusieurs reprises.

Présentation clinique

Dans environ un tiers des cas, il n'existe aucun signe clinique de la maladie. Celle ci-est souvent découverte au décours d'une prise de sang (comportant un hémogramme) demandé à titre systématique. La forme clinique la plus fréquente reste la découverte par le patient ou au décours d'un examen d'adénopathie superficielle ou d'une splénomégalie (rate augmentée de volume). Plus rarement, le diagnostic est porté au détours d'une complication infectieuse ou d'une manifestation auto-immune. La présence d'une fièvre, de sueurs nocturnes ou d'une altération de l'état général doit faire rechercher une infection sous-jacente, une transformation de la LLC en lymphome de haut grade (syndrome de Richter) ou un cancer touchant d'autres organes.

Examens complémentaires

Bilan systématique

Une fois le diagnostic suspecté, le bilan diagnostic comprendra de façon systématique un hémogramme avec frottis sanguin, une étude immunophénotypique des lymphocytes sanguins en cytométrie de flux, un caryotype, une électrophorèse des protéines sériques complètée par une immuno-électrophorèse, plus sensible, un test de Coombs et une radiographie thoracique.

L'immunophénotypage des lymphocytes sanguins est l'examen central du diagnostic. il confirme la présence d'une prolifération monoclonale de lymphocytes B (CD19+ CD20+) coexprimant CD5+, marqueur habituel des lymphocytes T. Le caractère monoclonal est caractérisé par l'expression d'une seule chaîne légère κ ou λ.

L'hémogramme montrera de façon constante un nombre de lymphocytes supérieure à 4000/ml (lymphocytose). Cette lymphocytose est indispensable au diagnostic. Elle est variable et atteint parfois des valeurs très élevées (> 200.10⁹/l). L'anémie et la thrombopénie (baisse du nombre de plaquettes sanguines) ne sont pas systématiques et sont caractéristiques de formes plus graves. Les causes de l'anémie et de la thrombopénie sont plurifactorielles (cf. complications).

Le frottis sanguin montre fréquemment des cellules altérées et des noyaux nus, appelés « ombre de Gümprecht ».

L'immuno-électrophorèse retrouve une hypogammaglobulinémie (dans 30 à 60% des LLC), une immunoglobulinémie monoclonale (dans 10% des cas de LLC), une auto-immunisation anti-érythrocytaire.

L'examen cytogénétique des cellules de la lignée lymphocytaire n'est pas indispensable au diagnostic mais semble avoir une valeur pronostique importante. Le caryotype retrouve des anomalies chromosomiques dans 50% à 80 % des cas. Les anomalies les plus fréquemment retrouvées sont les délétions des chromosomes 13 (délétion 13q) et les trisomies 12. Certaines anomalies sont de mauvais pronostic comme les délétions des chromosomes 11 et 17 (17q avec perte du gène suppresseur de tumeur p53, 11q23).

Bilan optionnel

Depuis le développement de l'immunophénotypage, le myélogramme, nécessitant une ponction de la moelle osseuse, n'est plus indispensable au diagnostic. la biopsie ostéo-médullaire ou ganglionnaire peut être utile dans certains diagnostic difficiles ou lors d'une suspicion de transformation en lymphome de haut grade (syndrome de Richter)

Formes cliniques

  • Les lymphomes lymphocytiques ayant un syndrome tumorale prépondérant sur la phase leucémique.
  • Les leucémie lymphoïde chronique de phénotype B CD5 négatives représentent environ 10 % des LLC.
  • Les leucémie lymphoïde chronique de phénotype T représentent environ 5 % des LLC.

Diagnostic différentiel

Les principaux diagnostics différentiels de la leucémie lymphoïde chronique peuvent être les hyperlymphocytoses infectieuses, le lymphome non-Hodgkinien, le lymphome du manteau, la leucémie à prolymphocytes, la leucémie à tricholeucocytes, la maladie de Waldenström.

Dans certains cas, il existe un prolifération monoclonale de lymphocytes mais dont le nombre reste en deça du seuil duquel on pose le diagnostic de LLC. Cette entité, appelé lymphocytose monoclonale de type B pourrait être une forme pré-leucémique mais cela reste discuté[8].

Histoire naturelle de la maladie

Complications

L'hyperuricémie (augmentation du taux d'acide urique dans le sang) n'est pas rare.

Le syndrome de Richter survient dans 10 % des cas, se caractérisant par un syndrome tumoral lié à l'envahissement de l'organisme par une multiplication de cellules lymphocytaires B pouvant mimer un authentique lymphome malin non-hodgkinien de type immunoblastique à grandes cellules.

L'insuffisance médullaire peut être consécutive à l'envahissement de la moelle osseuse ce qui empêche le tissu sanguin de se régénérer. La diminution de fabrication des globules rouges (érythrocytes) conduit à l'anémie, celle des plaquettes à la thrombopénie et aux syndromes hémorragiques, celle des autres cellules de l'immunité (granulocytes) favorise les infections.

Le déficit d'immunité humorale est en grande partie dû à l'hypogammaglobulinémie. Les infections sont plus fréquentes et touchent la sphère ORL et pulmonaire.

L'auto-immunité qui se développe dans de rare cas peut entraîner des anémies hémolytiques avec test de coombs direct positif.

Pronostic

Le pronostic de la leucémie lymphoïde chronique est extrêmement variable suivant les patients. Des classifications pronostics ont été développées pour adapter le traitement au rythme évolutif de la maladie. Celles les plus fréquemment utilisées sont la classification de Rai_[9] aux États-Unis et la classification de Binet[10] en Europe.

Classification de Binet [10]
Stades Pronostic Critères de définition Répartition des LLC en % survie médiane (en mois)
Stade A Bon pronostic Lymphocytose, taux d'hémoglobine > 100 g/l et numération des plaquettes > 100 G/l,
moins de trois aires ganglionnaires atteintes
63 % > 120
Stade B Pronostic intermédiaire Lymphocytose, taux d'hémoglobine > 100 g/l et numération des plaquettes > 100 G/l,
plus de trois aires ganglionnaires atteintes
30 % 70
Stade C Mauvais pronostic Lymphocytose, taux d'hémoglobine < 100 g/l ou numération des plaquettes < 100 G/l,
quel que soit le nombre d'aires lymphoïdes atteintes
7 % 40

Les aires lymphoïdes peuvent être les aires cervicales, axillaires, inguinales (qu'elles soient unilatérales ou bilatérales), la rate ou le foie. Ces anomalies étant déterminées par la palpation lors de l'examen clinique.

Cette classification est suffisamment précise pour caractériser les formes graves. En revanche, il est nécessaire de déterminer de nouveaux marqueurs biologiques pour mieux connaître le pronostic des LLC de stade A. Certains paramètres biologiques ont une valeur pronostic péjorative comme :

  • un temps de doublement du nombre de lymphocytes inférieur à 12 mois,
  • un taux sérique des LDH élevé,
  • un taux sérique de β2 microglobulines élevé.
Classification de RAI (publiée en 1975 [9]révisée en 1980)
Stades Critères de définition Pronostic survie médiane (en mois)
Stade 0 Lymphocytose sanguine > 5.109/L et médullaire isolées sans adénopathies ni splénomégalie Bon pronostic >120
stade I Stade 0 ( hyperleucocytose) et adénopathies sans splénomégalie ni hépatomégalie pronostic intermédiaire >100
Stade II Stade 0 et splénomégalie et/ou adénopathies et/ou hépatomégalie 70
Stade III Stade 0 et anémie (Hb<11g/dl) qu'il y ait ou non adénopathies ou splénomégalie ou hépatomégalie Mauvais pronostic 24
Stade IV Stade 0 et thrombopénie (Plaq<100.000/mm3 ) qu'il y ait ou non adénopathies ou splénomégalie ou hépatomégalie

Traitement

Le traitement dépend évidemment du stade de la maladie. Aujourd'hui il n'y a pas d'indication à traiter les patients au stade A (de Binet) ce qui correspond à 65 % des patients. En revanche, il est nécessaire de traiter les patients de stade B ou C (de Binet). Le traitement étiologique repose sur la chimiothérapie orale ou injectable. Dans les formes de mauvais pronostic, il peut être proposé un traitement intensif soit sous la forme d'une chimiothérapie intensive suivie d'une greffe de moelle, le donneur pouvant être le patient lui-même (auto greffe) ou quelqu'un d'autre (allogreffe). Les complications auto immunes sont traitées par corticoïdes.

La LLC entraînant une immunodépression, les complications infectieuses sont fréquentes et doivent être prévenues et prises en charge de façon adéquate.

Modalités thérapeutiques

Chimiothérapie

Les produits de chimiothérapie utilisés dans le traitement intensif de la leucémie lymphoïde sont le chlorambucil employé seul, la fludarabine employée seule, un traitement de type CHOP (association de quatre produits de chimiothérapie utilisés ensemble en cure mensuelle, CHOP étant les initiales des produits : Cyclophosphamide-(H)adryamicine-Oncovin(vincristine)-Prednisone).

Traitement des complications auto-immunes

Les complications auto-immunes sont traitées avec une corticothérapie générale continue. En deuxième intention l'injection en intra-veineuse d'immunoglobulines permet une amélioration transitoire. La radiothérapie de la rate voire l'ablation chirugicale de cette dernière (splénectomie) sont utiles en dernier recours.

Traitement des complications infectieuses

Les complications infectieuses d'origine bactérienne sont traitées par des antibiotiques adaptés. Les infections itératives liées à un déficit d'immunité humorale peut être traité par l'utilisation d'immunoglobulines intraveineuses polyvalentes. En cas de lymphopénie CD4, un traitement préventif par Bactrim est souvent nécessaire.

Stratégie thérapeutique

Stade A de Binet

Il existe à l'heure actuelle un consensus pour ne pas traiter les leucémie lymphoïde chronique au stade A (de Binet).

Stade B et C de Binet

gold standard : fludarabine + endoxan + anti-CD20

Notes et références

  1. Quelques éléments d'histoire de l'hématologie biologiqueP. Triadou Annales de Biologie Clinique Vol 58;1: 19-28,Jan-fév 2000
  2. Payelle-Brogard B, Dumas G, Magnac C et Als. Abnormal levels of the alpha chain of the CD22 adhesion molecule may account for low CD22 surface expression in chronic lymphocytic leukemia, Leukemia, 2006;20:877-878
  3. a , b , c  et d Dighiero G, Hamblin TJ, [371:1017-1029 Chronic lymphocytic leukaemia], Lancet, 2008;371:1017-1029
  4. National Cancer Institute. SEER cancer statistics review 1975–2001
  5. Sellick GS, Catovsky D, Houlston RS, Familial chronic lymphocytic leukemia, Semin Oncol, 2006;33:195-201
  6. Hamblin TJ, Have we been wrong about ionizing radiation and chronic lymphocytic leukemia?, Leuk Res, 2008;32:523-525
  7. Landgren O, Rapkin JS, Caporaso NE, et als. Respiratory tract infections and subsequent risk of chronic lymphocytic leukemia, Blood, 2007;109:2198-2201
  8. Marti GE, Rawstron AC, Ghia P, et als. Diagnostic criteria for monoclonal B-cell lymphocytosis, Br J Haematol, 2005;130:325-332
  9. a  et b Clinical Staging of Chronic Lymphocytic Leukemia Rai KR, all Bloodjournal 1975 Aug;46(2):219-34
  10. a  et b A clinical staging system for chronic lymphocytic leukemia: prognostic significance Binet JL et col "Cancer" 1977 Aug;40(2):855-64.
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