Le mouvement ouvrier face à la première guerre mondiale

Le mouvement ouvrier face à la première guerre mondiale

Réactions du mouvement ouvrier français face à la Première Guerre mondiale

Sommaire

Le mouvement ouvrier contre la guerre

Jean Jaurès à un meeting pacifiste au Pré-Saint-Gervais en 1913.

Avant la Première Guerre mondiale, l’objectif du mouvement ouvrier était de renverser le capitalisme. Cela sous-entendait de défendre la paix, car la solidarité de classe primait sur la « solidarité nationale ». Autrement dit, la classe ouvrière était plus importante que la patrie, où se trouvent ceux qui l’exploitent. Les guerres ne faisaient, pour le mouvement ouvrier, que le jeu des capitalistes. Il n’y avait donc qu’une seule attitude à avoir : être antipatriotique, et même antimilitariste[1].

L’idéologie du mouvement ouvrier

1914. L'Autriche-Hongrie avait déclaré la guerre à la Serbie, et ce n’était qu’une question de jours avant que les alliés de la Serbie n’attaquent ceux de l’Autriche, c'est-à-dire que la Russie et la France n’attaquent l’Allemagne. En effet la France était doublement impliquée, par l’alliance avec la Russie et par sa politique coloniale et financière qui s’opposait à l’Allemagne. Le mouvement ouvrier était conscient du danger qui s’annonçait, et restait fidèle à son idéologie de refus catégorique de la guerre[2].

Depuis 1905, les socialistes français étaient rassemblés dans la SFIO, section française de l’Internationale ouvrière. Mais il existait des nuances quant à leurs positions face à la guerre.

À Jules Guesde, qui refusait de lutter contre la guerre (car le prolétaire français avait depuis 1848 une patrie), s’opposait en effet l’humanisme libéral de Jean Jaurès et Edouard Vaillant.[réf. nécessaire][3] Il y avait également des militants qui se démarquaient, comme Gustave Hervé, antipatriote et antimilitariste, qui encourageait le sabotage (hervéisme) et l’insurrection. [4] Il faut préciser que les socialistes en France étaient en phase avec l’Internationale, qui déclarait que c’était un devoir pour la classe ouvrière d’Europe de tout faire pour empêcher la guerre ou pour l’arrêter. Dès 1891, l’Internationale Socialiste invitait « tous les travailleurs à protester, par une agitation incessante, contre toutes les tentatives de guerre »[5].

Mais il n’y avait pas toujours que du pacifisme catégorique : le mouvement ouvrier était opposé à la guerre « bourgeoise », et devait lutter contre elle, au besoin par la grève générale. Face à l’extrémisme de Gustave Hervé, qui était pour la « guerre sociale », Jean Jaurès argumenta en 1910 en faveur d’une armée de citoyens, une armée populaire, contestant l’antipatriotisme de Hervé. [3] Le patriotisme était indispensable[citation nécessaire], et Jaurès n’était pas contre la guerre quand elle se limitait à défendre le sol national. [6]

La CGT (Confédération générale du travail) de son côté, avait sa propre politique, et se démarquait du parti socialiste. En tant qu’organisation prolétarienne la plus ancienne (datant de 1895), elle souhaitait rester indépendante vis-à-vis de sa politique. Dominée par le courant anarcho-syndicaliste, la CGT ressemblait à un véritable parti dont les vues étaient la conquête révolutionnaire du pouvoir, grâce à la grève générale, et l’instauration d’une société nouvelle qui graviterait autour des syndicats[7]. Ainsi, elle se méfiait des chefs socialistes qui voulaient faire de la CGT une annexe du Parti socialiste, comme Jules Guesde, mais se rapprochait du courant socialiste de Jean Allemane. La CGT organisait la plus grande partie de la masse du prolétariat. Elle comptait à peu près 700.000 syndiqués et constituait une véritable force ouvrière.

Jusqu’en 1909, le président de la CGT, Victor Griffuelhes, incarnait ce syndicalisme révolutionnaire, contre les patrons, l’État et les militaires, et à côté des socialistes. Quand il s’est retiré, il a cédé sa place à Léon Jouhaux. Celui-ci perpétua l’idée du pacifisme révolutionnaire et de la grève générale, comme on peut le voir dans les évènements du 16 décembre 1912, quand une grève générale a paralysé le pays. Ceci constituait une sorte d’avertissement pour ceux qui oseraient déclarer la guerre. À la veille de 1914, la position de la CGT était donc claire : la paix ou la révolution. La CGT faisait la « guerre à la guerre ».

Se situant principalement dans le cadre de la CGT, les anarchistes prévoyaient la réaction face à la guerre par le sabotage des voies ferrées, et des mobilisations. L’action anarchiste était symbolisée par « le mouvement anarchiste », revue dirigée par Henry Combes. Le symbole de la propagande des anarchistes était la « brochure rouge », qui expliquait la théorie de la guerre des classes plutôt que la guerre des races, et les actions utiles, comme le sabotage.

La modération socialiste

Les plus modérés du mouvement ouvrier avaient à partir de 1913, après la crise des Balkans et la crise marocaine, une nouvelle approche du problème de la guerre. Au lieu d’arrêter un possible conflit d’urgence, ils préféraient désormais favoriser la détente internationale, l’arbitrage, que défend Jean Jaurès en 1913, au meeting du Pré-Saint-Gervais. [8]

Les socialistes modérés tentaient d’apaiser les tensions entre la France et l’Allemagne, notamment sur le problème de l’Alsace-Lorraine. Certains avaient ainsi proposé une compensation à l’Allemagne pour la perte de cette région. La tendance était donc à régler le problème de la guerre par la diplomatie. Les socialistes combattaient la loi des « trois ans », qui ramenait le service militaire à 3 ans, et faisait le jeu du militarisme. De son côté, ayant pris la mesure des possibilités d'action réelle de la CGT, Jouhaux s'opposa finalement aux révolutionnaires qui demandaient une grève générale contre cette loi.

L’état d’esprit des socialistes avait donc évolué. On ne mettait plus l’accent sur le sabotage de la mobilisation, mais sur la détente internationale par le rapprochement des opinions publiques française et allemande, et par la lutte contre le militarisme, incarné par la loi des trois ans. [3]

Le poids des forces ouvrières dans la vie nationale des deux États était si fort que la guerre pourrait, selon eux, être empêchée, sans avoir besoin de faire d’abord disparaître le capitalisme. Le plus important était donc de rassembler les forces ouvrières pour lutter pour la paix. Si, le 18 juillet 1914, Jean Jaurès semble changer d’avis, et prend position pour la grève générale en cas de conflit, c’est surtout parce qu’il désirait augmenter les chances d’empêcher la guerre par une action simultanée. Les moyens d’empêcher la guerre étaient donc pour Jaurès, l’intervention parlementaire, les manifestations populaires, et des grèves simultanées dans les pays belligérants (action commune avec l’Allemagne).

La résignation et le retournement du mouvement ouvrier

L’opposition à la guerre et l’union des forces ouvrières

Mais malgré tous les efforts de Jaurès, les évènements étaient en marche et ne pouvaient être arrêtés. Le 24 juillet 1914, l’Autriche adressait un ultimatum à la Serbie.

La CGT s’inquiéta et en appela aux forces ouvrières. Jouhaux, secrétaire général de la CGT, lança « À bas la guerre ! »[2] et appela à une manifestation contre la guerre, le 27 juillet, dans « La Bataille Syndicaliste ». Dès que la guerre fut déclarée entre l’Autriche et la Serbie, le 28 juillet, la CGT appela les ouvriers à rester fermes, même si celle-ci était en réalité troublée et incertaine sur la conduite à prendre, face à un gouvernement dont elle avait approuvée la politique de paix.

Du côté du Parti socialiste SFIO, on voyait le salut dans la diplomatie des gouvernements. Jaurès était favorable à la diplomatie, à l’arbitrage. Comme il le dit en 1913 au Pré-Saint-Gervais : « L’ennemi du prolétariat, ce sera le gouvernement qui refuse l’arbitrage ». [8]

Ainsi, les socialistes soutenaient le gouvernement, ce qui était en contradiction avec toutes leurs déclarations enflammées contre le gouvernement qu’il taxait autrefois de bellicisme. Cela montre aussi que le Parti Socialiste ne soutenait pas la politique de la CGT et leur manifestation du 27 juillet. En effet, Jaurès désirait que l’action ouvrière soit internationalement coordonnée, et prônait la mesure. Jaurès finit par obtenir un congrès de l’Internationale à Paris, prévu pour le 9 août.

Finalement, Jaurès parviendra à se rallier la CGT, qui adhèrera à sa conception de lutte pour la paix et abandonnera la sienne. En effet, le gouvernement réprimait sévèrement les actions de la CGT, en interdisant ses réunions, en arrêtant ses membres et en réprimant ses manifestations, et conjuguée à cela, la pression des socialistes pour la convaincre de les rejoindre, l’amènera à renoncer à l’action révolutionnaire contre la guerre. Ainsi, le 31 juillet 1914, syndicalistes et socialistes étaient réunis dans la même conception de la lutte ouvrière pour la paix. C’était le triomphe de Jaurès. Mais celui-ci sera de courte durée, car le même jour, il est assassiné.

La résignation et l’Union Sacrée

Le 1er août, l’Allemagne et la France décrétèrent la mobilisation générale. L’assassinat de Jaurès, la veille, avait désemparé le mouvement ouvrier. Les dirigeants, qui avaient soutenu l’effort de paix du gouvernement, ne pouvaient plus désavouer celui-ci, et renoncèrent à la lutte contre la guerre. La défense nationale devint la priorité. Le pays désormais menacé, il fallait le défendre. Il ne semblait plus y avoir d’espoir de sauver la paix. Le Parti Socialiste se résigna, devant son « devoir envers la patrie » (en effet, Jaurès ne rejetait pas le patriotisme, qui selon lui allait de pair avec l’internationalisme). [9]

La CGT se résigna également, submergé par les événements, et constata son impuissance. [10] Lors des obsèques de Jaurès, Léon Jouhaux prononça un discours à tonalité patriotique, et déclara faire la guerre contre l’impérialisme et le militarisme Allemand, et non contre l’Allemagne. « La classe ouvrière, le cœur meurtri », se résigna. Elle combattra contre les Empereurs d’Allemagne et d’Autriche, en « soldats de la liberté ». Dans ce discours capital, Jouhaux renonçait donc à considérer la classe ouvrière comme étrangère à la patrie : il considérait désormais que la classe ouvrière faisait partie de la nation et devait défendre la République. Le mouvement ouvrier, puisqu’il n’avait pas pu empêcher l’entrée en guerre, se ralliait majoritairement à la défense nationale.

Le ralliement de la CGT à « l’Union Sacrée » (expression de Poincaré) et l’entrée de leaders socialistes dans le gouvernement ont provoqué de sérieux remous dans le monde ouvrier. Dans la classe ouvrière, il était d’usage de dire : « Un prolétaire n’a pas de patrie », or cela était en contradiction avec la guerre, qui n’était qu’un attentat contre la classe ouvrière et un moyen de diversion à ses revendications. Une minorité s’est élevée contre le ralliement de la CGT : la minorité internationaliste de la CGT et les pacifistes du Syndicat des Instituteurs. L’Union Sacrée a été condamnée par une minorité, dont Alfred Rosmer de « La Bataille syndicaliste », Pierre Monatte, Raoul Lenoir, et Raymond Péricat, qui a immédiatement demandé l’insurrection contre la guerre et la grève générale. [9]

En 1915, eut lieu la Conférence Internationale contre la guerre à Zimmerwald, réunissant une quarantaine de militants de la gauche socialiste internationale de tous pays. Entre les "pacifistes" comptant sur la négociation pour mettre fin à la guerre et les "révolutionnaires" souhaitant changer la guerre en révolution, le débat fut rude. La conférence exigea des socialistes qu’ils fassent tout leur possible pour la rupture de l’Union Sacrée, et se consacrent à l’action pacifiste et révolutionnaire. Mais les membres de la conférence ne furent guère entendus, et même si certains voyaient dans la lutte contre la guerre la possibilité de faire une révolution en Allemagne et d’instaurer une république socialiste, la majorité des socialistes restaient passifs ou acquis à l’Union Sacrée.

Des socialistes minoritaires (hostiles à la guerre) créent en 1916 le journal Le Populaire, dirigé par Jean Longuet.

Voir aussi

Notes et références

  1. Histoire des idées politiques, Dmitri Georges Lavroff, Dalloz, 2003
  2. a  et b « Guerre à la guerre ! », déclaration de Léon Jouhaux, La Bataille Syndicaliste, 26 juillet 1914
  3. a , b  et c Histoire du socialisme en France, Jean-Paul Brunet, Presses Universitaires de France, Que sais-je ?, 1989
  4. Du pacifisme révolutionnaire du mouvement ouvrier français devant la Grande Guerre, Vincent Chambarlhac, IHC - Université de Bourgogne, séminaire du 14 novembre 2001 Voir le compte rendu
  5. Résolution adoptée lors du congrès de Bruxelles.
  6. 1914 - La guerre et le mouvement ouvrier français, Annie Kriegel et Jean-Jacques Becker, Armand Colin, Kiosque, 1964
  7. Histoire de la CGT, cent ans de syndicalisme en France, Michel Dreyfus, 1995
  8. a  et b Discours de Jean Jaurès, le 25 mai 1913, au Pré-Saint-Gervais
  9. a  et b Le Mouvement ouvrier pendant la Première Guerre Mondiale, Alfred Rosmer, Les Bons Caractères
  10. La Bataille Syndicaliste, 2 août 1914
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