La cité des dames

La cité des dames

La Cité des dames

Miniature tirée de La Cité des dames

La Cité des dames est un récit allégorique de Christine de Pizan paru à Paris en 1405.

Sommaire

Histoire

Christine de Pizan souhaitait donner sa version du De mulieribus claris (Des Femmes Illustres) de Boccace tout en poursuivant le débat qu'elle avait contribué à susciter autour d'œuvres misogynes et cyniques comme la seconde partie du Roman de la Rose ou Les Lamentations de Matheolus de Jehan Le Fevre[1].

Pizan décrit une société allégorique, où la dame est une femme dont la noblesse est celle de l'esprit plutôt que de la naissance. L'ouvrage cite une série de figures féminines du passé que Pizan donne comme exemple de la façon dont les femmes peuvent mener une existence pleine de noblesse tout en apportant leur contribution à la société.

Ce livre contient également des dialogues didactiques entre trois figures allégoriques, la déesse de la Raison, de la Droiture et de la Justice. Cette dernière demande à Pizan de construire une cité métaphorique où pourront résider les Dames.

Construction de la ville

  • Les fondations et les murs
La raison est représentée avec le miroir de la connaissance à la main. C'est donc avec l'aide de la raison, ciment solide et apte à résister au temps, que Pizan peut entreprendre la construction de cette cité aux fondations profondes et aux murailles élevées[2].
Cette cité moderne sera édifié à l'aide de blocs de pierre qui représentent des femmes illustres de l'antiquité : Sémiramis, Amazone, Frédégoride, Clélie, Bérénice, Zénobie et Artémis.
  • Les bâtiments
Ensuite, Pizan édifiera les bâtiments qui symbolisent les vertus avec l'aide de la Droiture. Celle-ci tient en main une règle qui mesure le juste et l'injuste, le bien et le mal; cette règle sert à montrer la voie droite aux bons et à frapper les méchants[2] .
  • Les finitions et le peuplement de la cité
La Justice tient une coupe à la main où elle verse à chacun selon ses mérites. Cette troisième allégorie, à son tour, va aider la narratrice en mettant la dernière main aux bâtiments qu'elle recouvrira d'or fin. Ensuite elle sélectionnera les femmes dignes de venir dans la cité, formant une communauté vertueuse[2]. La cité peuplée, elle ouvre ses portes à la reine, la Vierge Marie, accompagnée des saintes et des martyres. La narratrice se voir remettre les clefs.

Pizan demande si les femmes doivent recevoir la même éducation que les hommes et pourquoi cette idée déplaît aux hommes. Elle évoque également des questions comme celle de l'illégalité du viol, l'affinité des femmes pour l'étude et leur capacité à gouverner.

Interprétations critiques

Le livre de Christine de Pizan est considéré par certains auteurs contemporains comme un des premiers ouvrages féministes de la littérature[1], en ce sens qu'il ne reprend pas les tropes usés du débat rhétorique utilisés par les auteurs masculins pour attaquer ou défendre la femme, mais se place délibérément dans une perspective nouvelle, la narratrice prenant conscience de ce que sa vision d'elle-même est en fait déterminée par les clichés qui circulent sur les femmes et leur infériorité "naturelle"[1].

L'allégorie de la cité renvoie aussi aux arts de la mémoire ou théâtres de la mémoire hérités de l'antiquité. Dans une époque où le livre est rare et cher, la mémoire entraînée est la bibliothèque de son possesseur[1]. Pizan fait appel à une série de loci faciles à mémoriser, placés selon un plan logique qui suit celui de l'édification de la cité.

  • Premièrement l'exposition des thèse antiféministes des Boccace et autres Jean de Meung, ordes pierres broconneuses et noires (643) qu'il faut déblayer pour creuser les fondations de la ville. Chaque pierre ôtée par la narratrice correspond à une opinion erronée d'un auteur masculin, sans épargner les plus grands, Aristote, Virgile, Ovide ou Cicéron.
  • Deuxièmement la réfutation par l'exemple en édifiant un nouveau paradigme à l'aide de belles reluysans pierres (787):
D'abord les pierres qui formeront le soubassement de la cité, la première étant Sémiramis, célèbre bâtisseuse de l'antiquité. Comme celle des autres exempla, sa figure est décrite de façon saisissante, sous forme d'une statue d'airain, l'épée à la main, les cheveux tressés d'un côté mais non de l'autre car la reine a interrompu sa toilette pour aller soumettre une rébellion dans ses royaumes. Les autres pierres qui forment l'assise de la cité correspondent toutes à des femmes fortes, comme il convient à ce rôle d'étayage. Ce détournement de la plus virile des vertus, la Force, non sous forme d'allégorie mais d'exemples, répond aux critiques sur l'infériorité physique et morale des femmes.
Lorsqu'on s'élève dans la construction de l'édifice, on passe à des vertus plus cérébrales, comme la prudence, de nouveau à travers des exemples qui forment les murs de la cité. Les premiers bâtiments sont édifiés dans la même perspective, y ajoutant des exemples de bon gouvernement (Didon) et de piété filiale avec Pero, souvent prise comme exemple de la Charité.
Les femmes choisies pour peupler la cité illustrent des vertus conjugales : ce sont des épouses exemplaires, héroïques dans la défense de leur époux, chastes et constantes.
La dernière étape de la construction est l'arrivée de la reine, la Vierge Marie, chief du sexe femenin (977), fontaine mystique à laquelle les femmes pourront venir boire toutes les vertus. La Vierge sera entourée des Vierges et des martyrs, illustrant la plus importante des vertus théologales, la foi.

Sources

La littérature allégorique chrétienne commence avec la Psychomachie de l'auteur latin Prudence; composée au IVe siècle, elle était encore très populaire au Moyen Âge. Ce poème épique raconte le triomphe des vertus contre les vices dont l'étape ultime est la construction du temple de l’âme chrétienne. Ce texte fondateur fournit aux poètes des générations suivantes les prototypes des allégories chrétiennes qui vont se généraliser avec leurs attributs respectifs dans la littérature, le spectacle et les arts plastiques, ainsi que deux schèmes narratifs, celui du combat et celui de la construction d'un édifice allégorique.

À la fin du XIIe et du XIIIe siècles, les figures allégoriques des vices et des vertus sont présentes dans tous les arts, sacrés et profanes. Vincent de Beauvais avait déjà mis en scène la figure de dame Raison avec son miroir. Le mot miroir, en latin speculum, est employé dans un grand nombre de titres d'ouvrages didactiques médiévaux, tant religieux que scientifiques, avec le sens de "traité" ou d' "encyclopédie". Les plus célèbres sont le Speculum majus de Vincent de Beauvais, qui date du milieu du XIIIe siècle, le Speculum iuris de Guillaume Durand (c. 1271) ou le Speculum humanae salvationis (Miroir du salut humain) du début du XIVe siècle. Le miroir de dame Raison indique donc à la fois le caractère encyclopédique de l'œuvre entreprise par la narratrice tout en réclamant pour les femmes une éducation semblable à celle des hommes.

À côté des figures allégoriques, Christine cite toute une galerie de personnages féminins historiques ou légendaires. La tradition des catalogues d’hommes illustres remonte à l'antiquité, avec des œuvres qui ont eu une influence majeure comme les Vies parallèles de Plutarque ou les différents De viris illustribus latins. Plutarque avait également abordé la question des vertus féminines dans ses Moralia, illustrant son propos d'une série d’exempla[3]. La forme du catalogue avait été reprise par Pétrarque, dans un nouveau De viris illustribus, dont le livre II notamment fournit l'inspiration du de claris mulieribus de Boccace[4]. Les exemples choisis par Christine lui ont été fournis par Boccace, auquel elle se réfère plusieurs fois[5]. La vogue de ce genre de catalogue était alors très grande en Europe, et l'année même où Christine compose La Cité des dames, Laurent de Premierfait donne une traduction française de l'ouvrage de Boccace qui sera très populaire en Europe[6]. Dans la tradition évhémériste, Christine cite plusieurs personnages de la mythologie auxquels elle attribue une existence réelle, par exemple Arachné.

Postérité

Les ouvrages manuscrits de Christine étaient illustrés de portraits de l'auteure, qui disparaîtront plus tard des éditions imprimées. C'est peut-être la raison pour laquelle le nom de Christine disparaît et que la Cité des dames est attribuée à un auteur masculin, tant d'érudition sans doute paraissant difficile à verser au crédit d'une femme[7]. Cependant la chercheuse Susan Groag Bell a montré qu'il y avait eu une certaine diffusion de tapisseries basées sur l'ouvrage allégorique de Pizan[7] dans le milieu des cours européennes.

Voir aussi

Les exempla de la Cité des dames

  • Force :

SémiramisTomyrisPenthésiléeZénobieArtémise • Lilie, mère de Théodoric le GrandFrédégondeCamille • Bérénice, épouse d'Ariarthe de CappadoceClélie

  • Intelligence :

Cornificia (XXVIII) • Probe la romaine (XXIX) • Sappho • Manthoa (contemporaine d'Œdipe de Thèbes) • MédéeCircé

  • Invention

MinerveCérèsIsisArachné • Pamphile • Timarete

Bibliographie

  • Le Livre de la Cité des Dames, Texte traduit et présenté par Thérèse Moreau et Éric Hicks, 2005, Stock, collection Moyen Âge, (ISBN 2) 234 01989 3

Liens internes

Liens externes

Notes et références

  • (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu d’une traduction de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Cité des Dames ».
  1. a , b , c  et d (en) Construction de la cité idéale
  2. a , b  et c [ http://expositions.bnf.fr/utopie/cabinets/extra/antho/moyenage/3.htm] Exxtraits de la Cité des Dames
  3. Plutarque, « Moralia » : Actions courageuses et vertueuses des femmes, chapitre 19
  4. Brown, introduction de l'édition traduite des Femmes illustres de Boccace, page xi; Harvard University Press, 2001; ISBN 0-674-01130-9
  5. (en) P. A Phillippy, « Boccaccio's " De claris mulieribus " and Christine de Pizan's " le Livre de la cité des dames " », dans Romanic review, vol. 77, no 3, 1986, p. 167-194 (ISSN 0035-8118) 
  6. (en) Patricia M. Gathercole, "The Manuscripts of Laurent de Premierfait's 'Du Cas des Nobles' (Boccaccio's 'De Casibus Virorum Illustrium')" Italica 32.1 (Mars 1955:14-21).
  7. a  et b C. Le Ninan, «The Lost Tapestries of the City of Ladies : Christine de Pizan’s Renaissance Legacy», Cahiers de recherches médiévales, Comptes rendus
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