La Bataille d'Anghiari (Léonard de Vinci)∆

La Bataille d'Anghiari (Léonard de Vinci)∆

La Bataille d'Anghiari (Léonard de Vinci)

La Lutte pour l'Étendard
Peter Paul Ruben's copy of the lost Battle of Anghiari.jpg
Pierre Paul Rubens, 1603
42,8 × 57,7 cm
Musée du Louvre

La Bataille d’Anghiari est une fresque (aujourd’hui réputée perdue) peinte par Léonard de Vinci de 1504 à 1506 sur le mur est de la salle du Grand Conseil (appelée aujourd'hui Salle des Cinq-Cents) du Palazzo Vecchio de Florence. Léonard de Vinci quitta Florence en 1506, laissant la fresque inachevée. Celle-ci était encore visible en 1549, mais elle disparut définitivement en 1563, recouverte par le nouveau décor (des scènes de bataille) peint par Vasari.
Léonard de Vinci a laissé plusieurs études préparatoires, mais aucune d’entre elles ne montre l’ensemble de la scène. On connaît mieux la partie centrale, la Lutte pour l'Étendard, par des copies (notamment la Tavola Doria, ou une gravure due à Lorenzo Zacchia le jeune), ou par la réinterprétation qu'en fit plus tard Pierre Paul Rubens dans un dessin conservé au Louvre.

Sommaire

Sujet

La bataille d'Anghiari opposa les Milanais et les Florentins (vainqueurs) le 29 juin 1440 près d'Anghiari en Toscane.

La salle du Grand Conseil

Pierre l’Infortuné, fils de Laurent de Médicis, est chassé de Florence le 9 novembre 1494. Les Médicis avaient remplacé les vieilles institutions républicaines par des assemblées de plus en plus restreintes dont les membres n’étaient plus tirés au sort mais désignés par des accoupleurs choisis parmi leurs partisans[1]. Savonarole prêche désormais un retour à un véritable gouvernement populaire. C’est ainsi que les 23 et 24 décembre 1494, un nouvel organe de gouvernement est mis en place : le Grand Conseil, formé de tous les hommes âgés de plus de vingt-neuf ans dont l'un des ancêtres a été éligible ou élu à l'un des trois offices majeurs. Il est chargé de préparer l’élection des magistrats et d’examiner les lois. Une nouvelle salle est construite à l’intérieur du Palazzo Vecchio pour l’accueillir  : la Salle du Grand Conseil. Antonio da Sangallo en est l'architecte. Il est nommé le 23 mai 1495. Francesco Monciatto et Simone del Pollaiolo dit il Cronaca l'assistent. Le 24 mai 1498, une fois la construction en elle-même achevée, Antonio da Sangallo est remplacé par Baccio d'Agnolo qui exécute une grande partie des boiseries[2].

La commande

En 1503, la Seigneurie de Florence lance un prestigieux programme de décoration pour la salle du Grand Conseil. Il s’agit pour elle, à la fois de rivaliser avec le mécénat des Médicis, et d’exalter la grandeur et la puissance de Florence. On commande donc à Léonard de Vinci une fresque célébrant la victoire d’Anghiari sur les Milanais, et une autre, l'année suivante, à Michel-Ange, sur la victoire de Cascina contre les Pisans. Léonard reçoit sans doute la commande de la fresque à l’automne 1503. Le 24 octobre 1503, on lui remet les clés de la salle du Pape, à l’intérieur du cloître de Santa Maria Novella, où il installe son atelier[3]. Le 28 février 1504, on lui livre la structure de bois qui doit servir d’échafaudage, mais aussi des draps pour voiler les fenêtres de la salle (per impannare finestre). Le 4 mai 1504, le Grand Conseil lui accorde une avance de 35 florins et un salaire mensuel de 15 florins, à condition d’avoir achevé le carton avant février 1505. Une alternative est cependant offerte à Léonard de Vinci : s’il commence à transférer une partie de la composition au mur (sans même en avoir achevé le carton), son contrat sera automatiquement renouvelé[4]. Le 30 avril 1505, des dépenses additionnelles pour la fresque sont attestées, en particulier pour les assistants de Léonard de Vinci, Raffaelo d’Antonio di Biagio, Fernando Spagnolo (identifié au peintre espagnol Ferrante de Llanos), et Tomaso di Giovanni, qui « broie les couleurs » pour Fernando[5].

L’exécution de la fresque

Étude de Léonard de Vinci pour un des personnages de la Lutte pour l'Étendard

Léonard de Vinci commence à peindre la Bataille d’Anghiari le 6 juin 1505, comme il l‘écrit lui-même dans une note du Codex Madrid II : « ce 6ème jour de juin 1505, vendredi, sur le coup de la treizième heure, j‘ai commencé à peindre au Palazzo. Au moment où [j‘] ai appliqué la brosse, le temps est devenu mauvais, et la cloche a sonné pour appeler les hommes à se réunir. Le carton s’est déchiré, l’eau s’est renversée et le vase qui la contenait s’est brisé[6] ». Il commence par peindre la partie centrale de la fresque, la Lutte pour l’Étendard. La scène représente une charge menée par les Florentins pour s’emparer de l’étendard des Milanais. Le cavalier qui est décrit par Vasari comme « un vieux guerrier, coiffé d’un béret rouge » est probablement le condottiere Niccolò Piccinino. On livre encore des fournitures à Léonard de Vinci le 31 octobre 1505. Il s’agit de 60 livres de plâtre destinées à servir d‘enduit pour le mur (60 di gesse da murare)[7]. Le 30 mai 1506, il obtient l’autorisation de quitter Florence pour Milan. Il laisse la fresque inachevée mais il s’engage à être de retour dans les trois mois, et à payer, dans le cas contraire, la somme de 150 florins. Léonard de Vinci ne remplit pas cependant ses obligations puisque, le 28 août, Piero Soderini écrit à Geoffroy Carles, vice-chancelier de Milan : « s’il doit rester encore plus longtemps chez vous, qu’il nous rende l’argent que nous lui avons donné pour le travail, qu’il n’a d’ailleurs pas commencé, ainsi nous serons satisfait ; pour cela nous nous en remettons à lui. » Le 9 octobre 1506, Piero Soderini se plaint encore à Geoffroy Carles de Léonard de Vinci  : « Il a pris une bonne somme d’argent et n’a fait qu’un tout petit commencement d‘une grande œuvre (uno piccolo principe a una opera grande)[8]. »  Le 14 janvier 1507, c’est le roi de France lui-même qui avertit Piero Soderini qu’il a besoin de Léonard de Vinci et « que nous entendons de luy faire fer quelque ouuraige de sa main[9]. » Selon Vasari, Léonard s’arrangea pour réunir la somme demandée par la Seigneurie de Florence, mais Piero Soderini la refusa[10].

Le carton de Michel-Ange pour la Bataille de Cascina fut exposé dans la Salle des Papes de Santa Maria Novella et celui de Léonard de Vinci pour la Bataille d’Anghiari au Palais des Médicis (l’actuel Palais Médicis-Riccardi). Benvenuto Cellini les évoque dans ses mémoires : « Tant qu’ils restèrent entiers, ils furent l’école du monde[11]. »

En 1510, Albertini, dans une sorte de guide consacré à Florence signale « les chevaux de Léonard » au Palazzo Vecchio [12] ». En 1513, la Seigneurie met en place une palissade qui doit protéger la fresque de Léonard. Paolo Giovio , dans sa vie de Léonard de Vinci, rédigée vers 1525, décrit « dans la salle d’assemblée du Palais municipal de Florence une bataille et victoire sur les Pisans, d’une suprême excellence. » En 1549, la partie centrale de la fresque est toujours visible puisque Anton Francesco Doni note dans un guide dédié à Alberto Lollio : « quand tu auras gravi l’escalier qui monte à la Grande salle, regarde bien un groupe de chevaux qui te semblera une grande chose. »

La salle est entièrement rénovée par Vasari, à la demande de Cosme Ier de Médicis. En 1563, il peint six scènes de bataille sur les murs Ouest et Est, recouvrant ainsi les dernières traces de la Lutte pour l‘Étendard.

La controverse

Comment expliquer la disparition d'une fresque de cette importance ? Deux hypothèses s'ouvrent aux historiens de l'art :

La thèse de la destruction

Les premiers biographes de Léonard de Vinci s'accordent pour considérer que c'est bien un échec technique qui conduisit Léonard de Vinci à abandonner la fresque. C'est ce qu'explique la toute première biographie de Léonard de Vinci, le Libro d‘Antonio Billi, rédigée vers 1518 : « [Léonard de Vinci] avait emprunté à Pline la recette des couleurs qu‘il employa, mais sans l‘avoir parfaitement comprise. Il l‘expérimenta pour la première fois dans la salle des Papes où il travaillait ; il fit devant le mur un grand feu de charbon qui devait par sa chaleur sécher la matière. Puis, lorsqu‘il commença de peindre dans la salle du Conseil, il apparut que le feu séchait et consolidait la parte inférieure de la fresque, mais qu‘il ne pouvait, en raison de la distance qui l‘en séparait, atteindre à la partie supérieure, où, n‘étant pas fixées, les couleurs se mirent à couler. ». Vasari affirme que « s’étant mis en tête de peindre à l’huile sur le mur, il élabora une mixture si épaisse qu’elle commença à couler pendant l’exécution de la peinture aussi y renonça-t-il, la voyant s’altérer. » La peinture murale, inachevée, fut effacée pour faire place à la décoration de Vasari commandée par les Médicis.

La thèse de la conservation

Pour d'autres (beaucoup moins nombreux), Vasari aurait été victime d'un dilemme : exécuter rapidement la commande des Médicis ou sauver coûte que coûte le chef-d'œuvre d'un maître qu'il admirait par dessus tout. Il aurait résolu ce dilemme en faisant monter un second mur de briques devant la fresque du Vinci (déjà peinte sur un mur de briques) en laissant un espace de quelques centimètres entre les deux murs. Vasari montra en 1570 son respect pour les grands maîtres de la Renaissance. Il fut chargé de peindre une Madone du Rosaire, en l'église Santa Maria Novella de Florence, à l’emplacement même où Masaccio avait peint sa fresque de la Trinité. Vasari refusa de détruire l'oeuvre de Masaccio et se contenta de la dissimuler derrière sa propre peinture. Il pourrait avoir agi de la même façon pour la fresque de Léonard de Vinci.

C’est la conviction de l’historien de l’art Carlo Pedretti. En 1975, Pedretti, assisté de l’ingénieur Maurizio Seracini, mène une première campagne de recherches pour retrouver l’emplacement de la fresque de Léonard de Vinci. Seracini, qui a entretemps fondé la société Editech poursuit ces recherches. Il utilise pour ce faire des technologies de pointe (aussi bien médicales et militaires : échographie, radar, scanneur, etc…). Il découvre une inscription, Cerca, trova (« cherche, trouve ») sur une des fresques peintes par Vasari (La Bataille de Marciano). Il y voit un indice laissé par Vasari désignant l’emplacement de la fresque disparue de Léonard de Vinci. Sa conviction est renforcée lorsqu'il découvre la date de 1553 sur une copie de la Lutte pour l'Étendard conservée à la Galerie des Offices de Florence. Il en déduit qu'à cette date (seulement 10 ans avant que Vasari se charge de la transformation du Palazzo Vecchio), l'œuvre de Léonard de Vinci était toujours visible et si l'on en juge par cette copie encore en bon état[13].

Malheureusement la « timidité » des Offices et l'appel à des fonds aussi rares que privés ne permettent pas aux recherches de Seracini d'aboutir.

Alessandro Vezzosi, directeur du musée d'art Leonardo da Vinci de Florence qui partage cette opinion, déclare en mai 2005 : « Nous pouvons voir dans les écrits de Vasari qu’il considérait vraiment Léonard comme très important… et qu'il a déjà utilisé des techniques similaires pour protéger d'autres chefs-d'œuvre, victimes toutes désignées de l'égoïsme des grands ».

Notes et références

  1. Réformes du 11 août 1458, du 5 septembre 1465, du 8 avril 1480.
  2. J. Wilde, The Hall of the Great Council of Florence, Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, VII, 1944.
  3. Florence, Archives d‘État, Signori e Collegi, délibérations in forza d‘ordinaria autorita, 105, f.106r.
  4. Florence, Archives d‘État, Signori e Collegi, délibérations in forza d‘ordinaria autorita, 106, f.40v-41r.
  5. Florence, Archives d‘État, Operai di Palazzo, registre des dépenses 110, f.76v-80r.
  6. Ms Madrid II, f.1r.
  7. Florence, Archives d‘État, Signori e Collegi, délibérations in forza d‘ordinaria autorita, 107, f.83r.
  8. Florence, Archives d‘État, Signori , minutes des correspondances, liasse 19, f.124v (ex 108v).
  9. Florence, Archives d‘État, Diplomatico, Reformazioni, actes publics, 14 janvier 1507.
  10. Giorgio Vasari, Le vite de più eccelenti pittori, scultori e architettori, 1550 puis 1568 (édition française sous la direction d’André Chastel, Berger-Levrault, 1981-1989).
  11. Benvenuto Cellini, Vita di Benvenuto Cellini, Colonia, 1728, édition française : la vie de Benvenuto Cellini écrite par lui-même, Scala, 1986
  12. Francesco Albertini, Memoriale di molte statue et picture di Florentia, Florence, 1510.
  13. La thèse de Maurizio Seracini part du principe que la copie des Offices aurait été réalisée d’après la fresque elle-même. Il existait cependant d'autres sources pour un copiste : le carton préparatoire de la fresque, l’essai réalisé par Léonard de Vinci pour expérimenter le procédé technique tiré de Pline, ou encore les autres copies existantes.

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