Kalileh va Demneh

Kalileh va Demneh

Pañchatantra

Enluminure d’un manuscrit de 1354

Le Pañchatantra (du sanskrit पंचतंत्र Pañchatantra signifiant « Le Livre d’instruction en cinq parties ») est un ancien recueil de contes et de fables (probablement le plus ancien qui nous soit parvenu). Ce livre écrit sous forme d’apologues raconte l’histoire des chacals Karataka (करतक) et Damanaka (दमनक).

La compilation en est attribuée traditionnellement à un brahmane nommé Vishnusharman (विष्णुषर्मन) qui l’aurait produite, au Ve ou au VIe siècle, à la demande d’un râja comme un guide de gouvernement à destination des princes.


Sommaire

Structure de l'oeuvre

L’ouvrage, comme son nom l’indique, est composé de cinq parties thématiques regroupant plusieurs textes :

  • Mitra Bhedha (मित्रभेध) , « La Perte des amis » (22 histoires)
  • Mitra Lābha (मित्रलाभ), « L’Acquisition des amis » (7 histoires)
  • Suhṛda Bheda (सुह्ड़द- भेद), « Le Conflit des amis » (17 histoires)
  • Vigraha (विग्रह), « La Séparation » (12 histoires)
  • Sandhi (सन्धि), « L’Union » (15 histoires)

Son organisation en cinq livres semble indiquer un choix conscient plutôt qu’un empilement de textes au cours du temps, contrairement aux Jâtaka (जातक), recueils de fables bouddhistes plus anciens et plus nombreux. Tout deux comportent des fables mettant en scène des animaux au comportement anthropomorphe. On y a parfois vu le remaniement d’un texte du Cachemire, aujourd’hui perdu, le Tantrâkyayikâ (तन्त्राक्ययिका), qui daterait du IVe ou du Ve siècle. Une traduction en persan fut faite avec ajonction d’une préface d’Ali Ben Ach Chah al Farsi.


Extrait : L.X-F.02 - La Tortue et les deux Canards : Pilpay, Livre des Lumières, pp. 124-126, D’une Tortue et de deux Canards ; cf. Ésope, La Tortue et l’Aigle, mis en quatrain par Benserade (XCV).

Par une année de grande sécheresse, des canards abandonnèrent un étang où ils vivaient et vinrent faire leurs adieux à une tortue leur amie.
— Ce n’est pas sans peine que nous nous éloignons de vous, mais nous y sommes obligées, et quant à ce que vous nous proposez de vous emmener, nous avons une trop longue traite à faire et vous ne pouvez pas nous suivre parce que vous ne sauriez voler ; néanmoins, si vous nous promettez de ne dire mot en chemin, nous vous porterons ; mais nous rencontrerons des gens qui vous parleront et cela sans cause de votre perte.
— Non, répondit la tortue, je ferai tout ce qu’il vous plaira.
Alors les canards firent prendre à la tortue un petit bâton par le milieu, qu’elle serra bien fort entre ses dents et, lui recommandant ensuite de tenir ferme, deux canards prirent le bâton chacun par un bout et enlevèrent la tortue de cette façon. Quand ils furent au-dessus d'un village, les habitants qui les virent, étonnés de la nouveauté de ce spectacle, se mirent à crier tous à la fois, ce qui faisait un charivari que la tortue écoutait impatiemment. À la fin, ne pouvant plus garder le silence, elle voulut dire :
— Que les envieux aient les yeux crevés s’ils ne peuvent regarder
Mais, dès qu’elle ouvrit la bouche, elle tomba par terre et se tua.

Origines

Diffusion de l'oeuvre et descendance

Dès 570, l’empereur perse Khosro Ier envoya en Inde son premier médecin Borzouyeh avec comme mission d’en raporter une copie. Le Pañchatantra connaît alors une traduction en pehlvî, une langue iranienne (avec ajonction d’une préface d’Ali Ben Ach Chah al Farsi), puis en arabe par l’écrivain persan Ibn al-Muqaffa vers 750 à partir d’une version en pehlvî désormais perdue sous le nom de Kalîla wa Dimna, en grec au XIe siècle, en hébreu par Rabbi Joël au XIIe, en latin, entre 1263

Les contes se répandent aussi en Chine et dans l’Asie du Sud-Est sur les routes des pélerins bouddhistes. Le Pañchatantra connut aussi plusieurs adaptations en Inde-même, comme le très populaire Hitopadesha (हितोपदेष) et le Pañchâkhyânoddhâra (पंचाख्ह्यानोद्धार), rédigé au Goujerat par le moine jaina Meghavijaya vers 1660.

La version persane : Le Livre de Kalîla et Dimna

Les deux chacals, Kalîla et Dimna (dérivé du sanskrit Karataka et Damanaka), héros du premier conte du premier livre, sont à l’origine du titre de la version arabo-persane, Kalîla wa Dimna. Le Kalîla wa Dimna a été joliment enluminé, en particulier par l’école de miniature persane de Hérat en Afghanistan (à laquelle se rattache le grand peintre miniaturiste Behzad) au XVe siècle). La première traduction française est due à l’abbé Dubois.

Manuscrit persan datant de 1429, provenant de Hérat, l’illustration représente un chacal essayant de faire fuir un lion.

Une source d'inspiration pour la littérature européenne médiévale et du xviiième siècle

Traduit en 1278, par Jean de Capoue sous le titre de Directorium Humanae Vitae, il se répand dés lors dans tout le monde occidental. Une traduction latine fut exécutée par Raymond de Beziers et fut offerte en 1313 à Philippe le Bel à l’occasion de la chevalerie de son fils Louis, roi de Navarre, le futur Louis le Hutin. Une version persane est traduite en français par Gilbert Gaulmin sous un pseudonyme, en 1644, sous le titre Le Livre des lumières ou la Conduite des Rois, composée par le sage Pilpay Indien, traduite en français par David Sahid, d’Ispahan, ville capitale de Perse. Le Père Poussines en fait aussi une autre traduction en 1666 sous le titre Specimen sapientiae Indorum veterum (Modèle de la sagesse des anciens Indiens). Pilpaï est généralement l’auteur auquel on attribue l’œuvre en Europe à l'époque de La Fontaine[1], bien que son existence ne soit pas avérée .

Le Pañchatantra a ainsi vraisemblablement inspiré de nombreux auteurs comme Marie de France ou Grimm. On peut également sentir une filiation avec le Roman de Renart comme les fabliaux du moyen-âge.

Références à Pilpay dans l'oeuvre de La Fontaine

Il devient enfin l’une des sources des fables de Jean de La Fontaine qui reconnaît sa dette dans la préface de sa seconde collection de Fables : « Il ne m’a pas semblé nécessaire ici de présenter mes raisons ni de mentionner les sources à partir desquelles j’ai tracé mes derniers thèmes. Je dirai, comme dans un élan de gratitude, que j’en dois la plus grande partie au Sage Indien Pilpaï, sage indien. Son livre a été traduit en toutes les langues. Les gens du pays le croient fort ancien, et original à l'égard d'Ésope, si ce n'est Ésope lui-même sous le nom du sage Locman » »

En plus de cette préface, La Fontaine, fait référence par trois fois à ce Pilpay:

  • dans La Souris Métamorphosée en Fille (IX, 7):

(...) Par le moyen
de cet argument circulaire,
"Pilpay jusqu'au Soleil eût enfin remonté" (...)

  • dans Le Milan, le Roi et le Chasseur (XII, 12)

"Pilpay fait près du Gange arriver l'aventure."

  • dans Le Corbeau, La Gazelle, la Tortue et le Roi(XII, 15)

"Pilpay conte qu'ainsi la chose s'est passée".

Une dizaine de fables racontent à peu de choses près la même histoire avec les mêmes personnages, d'autre en sont inspirées. Longtemps, et malgré l'affirmation de La Fontaine, les lettrés ont préféré ignorer ces sources afin de mettre en valeur la filiation avec Ésope, alors que lui-même s'était inspiré de ces mêmes contes indiens.[2]

  • Le Cormoran, les Poissons et l'écrevisse; Panchatantra (I, 15): Un cormoran trouvant un lac habité par de nombreux poissons, mais ne pouvant les atteindre, il se fait passer auprès d'eux pour un pénitent qui a fait vœu de ne plus les manger. Leur amitié gagnée, il leur fait croire à l'arrivée chez eux d'un grand malheur et se propose de les aider en les transportant un à un ailleurs. C'est ainsi qu'il les mangea tous. Seule une écrevisse échappa aux desseins du cormoran, pour le punir, elle lui fit croire qu'elle désirait aussi être transportée ailleurs, une fois sur son dos, elle l'étrangla. Dans la version de La Fontaine (X, 3), c'est par le biais de l'écrevisse que le Cormoran affole les poissons, le danger prédit n'est pas la sécheresse mais l'arrivée d'un pêcheur, l'écrevisse ne venge pas les poissons. Ce qui permet à La Fontaine de donner une autre morale à la fable.
  • Les deux Aigles, la Tortue et le Renard; Panchatantra (I, 24): Deux aigles avaient lié amitié avec une tortue, lorsqu'ils eurent le projet de déménager, la tortue les supplia de les emmener avec eux. Pour ce faire, ils agrippèrent un bâton qu'elle serra dans sa gueule. Un renard voyant la scène provoque la tortue qui voulant rétorquer, tombe a terre. Durcie par les ardeurs du soleil, le renard ne peut la dévorer, la tortue lui propose alors qu'il la laisse se baigner. Ceci fait, elle parvint à s'échapper et renvoie la moquerie au renard. Chez la Fontaine (X, 2), ce sont deux canards qui transportent le tortue, celle-ci lâche prise par excès d'orgueil: la faune la voyant l'ayant tant admirée. En tombant, elle trouve la mort.
  • Le Brahmane, le Crocodile, l'Arbre, la Vache et le Renard; Panchatantra (I, 9): Un brahmane partant faire un pèlerinage, trouve en chemin un crocodile qui lui demande de le transporter avec lui jusqu'à son lieu de destination. Par compassion, le brahmane accepte. Une fois le voyage terminée, le brahmane libère de son sac le crocodile qui sitôt libéré dans l'eau tente de le dévorer. Indigné, le brahmane lui fait le reproche. Le crocodile lui répond qu'il est normal de tuer en retour les gens qui vous ont fait du bien. Pour arbitrer, ils cherchent trois témoins: un manguier, une vache et un renard. Les deux premiers, abusés par les hommes appuient le crocodile. Le renard quant à lui, demande à voir la scène: le crocodile retourne donc dans le sac et meurt écrasé par un rocher jeté par le renard. Chez La Fontaine (X, 1) c'est la couleuvre qui demande trois témoins. Les trois s'opposent à l'homme mais celui-ci ne voulant entendre raison, tue tout de même la couleuvre.
  • Le brahmane aux vains projets; panchatantra (V, 2): Un brahmane fort gourmand, ne rate pas l'occasion pour se rendre aux diners publics, ni pour épargner ses aumônes. Si bien qu'il se trouve le ventre plein et des pots de nourriture d'avance. Il décide de les vendre et élabore des projets de grand mariage. Se voyant puissant, il s'imagine battre sa femme pour la punir et se faisant, il donne un coup dans ses pots de nourriture, si bien qu'il se retrouve encore démuni. Dans la Laitière et le Pot au Lait (VII, 9), l'étourdie est une femme et sa bêtise lui fait craindre d'être battue par son mari.

On peut ajouter à ces comparaisons, Le Corbeau, la Gazelle, la Tortue et le Rat (La Fontaine XII, 15); Le chat, la belette et le petit lapin(VII, 15); La Souris métamorphosée en fille (IX, 7)...

Notes et références

  1. La Fontaine et ses sources orientales - Oumma.com
  2. Guy Deleury, J-A. Dubois; Le Pantcha Tantra; Imprimerie nationale, 1995

Bibliographie

  • Louis Frédéric, Dictionnaire de la civilisation indienne, Robert Laffont, 1987
  • Le Pantcha Tantra, traduit par l'abbé J-A Dubois, Imprimerie Nationale 1995.

Articles connexes

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