- Journées versaillaises
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Journées des 5 et 6 octobre 1789
Au cours des journées révolutionnaires des 5 et 6 octobre 1789, une foule, composée majoritairement de femmes, se dirige de Paris à Versailles, officiellement pour réclamer du pain à Louis XVI qui répondit favorablement à cette demande. Elle réclamait aussi que les gardes du corps de sa majesté soit remplacés par la Garde nationale, commandée par La Fayette. L'assemblée constituante en profite pour exiger la ratification des décrets relatifs à la constitution et à la déclaration des droits. Au fur et à mesure du déroulement de ces journées, elle finit par exiger la venue du Roi à Paris. Sur ce point, Louis XVI se laisse la nuit pour réfléchir. Mais il est réveillé par une foule plus revendicative. Chargé désormais de la sécurité du château, La Fayette, en retard, est incapable d'empêcher son invasion meurtrière. Il sauve néanmoins à Versailles la famille royale qui est emmenée à Paris. L'Assemblée constituante y sera appelée quelques jours plus tard (le 19).
Sommaire
Contexte
Début octobre 1789, le Roi continue le bras de fer mené depuis le mois de septembre avec l'Assemblée, sur la promulgation des nombreux décrets dits du 4 août (abolition des privilèges), sur les premiers articles de la constitution ainsi que de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen. "Le roi tente de freiner le mouvement révolutionnaire"[1].
Le 1er octobre 1789, Louis XVI fait venir le régiment de Flandres, dévoué totalement à la couronne, pour renforcer la sécurité de Versailles. Or l'Assemblée constituante continue de siéger à Versailles.
Le 5 octobre, justement, l'Assemblée constituante décide de demander l'acceptation pure et simple des articles constitutionnels et de la déclaration précitée. Une députation s'apprête même à rencontrer le roi quand, à ce moment précis, des "centaines de "citoyennes" de la capitale (...) arrivent à la hauteur de la salle des Menus Plaisirs où siège l'Assemblée"[2]...
Dans la capitale, de nombreux politiciens parisiens, et notamment le milieu entourant le Palais-Royal craignent de perdre de leur influence sur le cours du mouvement révolutionnaire. Le Roi doit revenir à Paris (les articles du journal de Camille Desmoulins "Révolution de France et de Brabant", édité par Danton et proche, à ce moment, de Philippe d'Orléans le souligne). Tel est la véritable revendication de ce début octobre. Mais d'autres prétextes vont légitimer les évènements du 5 et 6 octobre 1789 :
- "Le piétinement de la cocarde tricolore par des troupes royalistes étrangères" : L'entourage royal a proposé d'organiser un grand banquet, dans la salle de l'opéra du Palais en l'honneur du régiment de Flandres. Ce 2 octobre "on boit à Louis XVI, à Marie-Antoinette, au Dauphin, on se dit prêt à verser le sang pour eux (...) Des officiers auraient piétiné la cocarde nationale (...) la nouvelle est, quelques heures plus tard exploitée à Paris avec le maximum de dramatisation"[3].
- L'approvisionnement de farine à Paris fait défaut, depuis deux jours: Organisée (selon une majorité d'historien), la disette menace Paris (et seulement Paris), ce matin du 5 octobre 1789, bien que, contrairement à 1788 où les récoltes de blés avaient été mauvaises, les moissons de l'été précédent aient été correctes. Dans ses mémoires, La Fayette parle "d'une disette moitié réelle, moitié factice"[4]
Départ
Il convient de préciser que les événements de cette journée ont fait l'objet d'une enquête de Police, instruite par le Châtelet [5]. (Lire infra, le paragraphe sur le duc d'Orléans). De nombreux témoins oculaires ont témoigné de cet événement trouble de la révolution. Les plus célèbres sont La Fayette lui même qui a rédigé deux récits qui figurent aux pages 529 et suivantes de ses mémoires[4]. Il y a aussi, du côté du roi, Mme de La Tour du Pin mais aussi Condorcet, Saint-Priest, Dumas...
Seulement, le récit de ces deux jours a été profondément dévoyé par le mythe de la "révolution propre", développé notamment par Michelet dans son histoire de la révolution française (commandé par le roi Louis-Philippe). De cette hagiographie, on retient, comme l'exprime Jean Tulard, "les émeutes de la faim"[6]. Grossièrement : du peuple de Paris, de braves citoyennes partirent pour Versailles, exiger du pain auprès du tyrannique roi. Face à son refus, il est ramené à Paris, avec sa famille.
En réalité, on ne mobilise pas une telle foule sans organisation. Ce mouvement n'avait rien de spontané.
C'est par le tambour que les "parisiens" sont appelés à se rassembler sur la place de l’Hôtel de ville. Ainsi arrive Antoine-Joseph Santerre, menant les gens du faubourg Saint-Antoine[7]. Mal défendu par quelques gardes nationaux, il sera même envahi et des pillages seront commis, le temps que le commandant général La Fayette arrive avec des renforts. On demande à ce dernier de se rendre à Versailles avec la garde nationale pour demander du pain et exiger le retrait du régiment des Flandres. Après en avoir délibéré avec le maire de Paris, Bailly, il interdit à ses troupes de bouger et lance un courrier prévenir le roi de cet événement. Il est 11 heures. Tout au long de la journée la tension ne fait que monter (cf infra).
Or, un groupe de femmes n'attend pas la réponse des autorités parisiennes pour marcher sur Versailles. Des armes légères ont été distribuées (selon les dépositions, il s'agit de pierres, de piques et de fusils). Quelques hommes font partie du cortège. Certains sont travestis. D'autres sont connus comme des vainqueurs de la Bastille. C'est le cas de Maillard[8].
Ce dernier, une fois arrivé à Versailles, monte à la tribune de l'Assemblée pour lire la déclaration suivante : "Nous sommes à Versailles pour demander du pain et en même temps pour punir les gardes du corps qui ont insulté la cocarde patriotique"[9]. Les manifestants parlent plus violemment, notamment contre la reine sur laquelle les imprécations les plus épouvantables sont prononcées.
Première négociation avec le Roi
Quand la foule arrive à Versailles, vers 16h, Louis XVI est au château. Le Roi, qui chassait à Meudon, avait été rappelé en toute hâte. A 14h, conseil avait été tenu pour prévoir toutes les situations. Le Roi avait suivi l'avis de Necker de ne pas quitter Versailles. Marie-Antoinette avait refusé de quitter son mari.
Quand la foule arrive, un groupe se rend, comme on l'a vu, à l'Assemblée. Tandis que le reste se presse contre les grilles fermées et gardées. Un premier affrontement a lieu à coup de pierres. Pour limiter la pression, le commandant des gardes du corps décide de faire entrer, dans l'enceinte du château, une délégation, uniquement de femmes non armées.
À 17h30, une députation de l'Assemblée rencontre le roi, exigeant l'adoption des articles de la constitution et de la déclaration dont le roi refuse la promulgation. Mais il leur demande d'attendre encore pour recevoir les femmes de Paris. À 17h45, six femmes sont à leur tour introduites chez Louis XVI. Ce dernier promet de faire distribuer de la farine dans la capitale. Elles crient « vive le Roi ». La tension de la foule s'apaise un peu à cette nouvelle. Comme convenu également, les troupes qui défendent les grilles reçoivent l'ordre de se retirer. La garde de nuit, composée de faibles effectifs, les remplace en attendant l'arrivée annoncée du très populaire commandant de la garde nationale, La Fayette.
Fin de la constituante ?
La députation, présidée par Jean-Joseph Mounier, est reçue une nouvelle fois. Louis XVI accepte, par écrit, les articles de la constitution et de la déclaration des droits. Il convoque plus tard, après l'arrivée de La Fayette, l'ensemble des députés présents pour leur assurer que le Roi ne se séparera pas de l'Assemblée Nationale.
La Fayette à Versailles
La Fayette, accouru trop tard pour empêcher ces premiers désordres, lutte toute la journée pour en limiter les conséquences. Le biographe de La Fayette Etienne Taillemite a montré que La Fayette était réticent pour se rendre à Versailles : Dans une extraordinaire pression qui règne sur la place de Grève, La Fayette refuse d'être complice d'une marche sur Versailles. Il a été plusieurs fois mis en joue. Finalement, vers 16 heures, poussé par ses propres hommes, il accepte. "Il espérait sans doute empêcher par son titre de général, que ces rebelles ne se portassent aux plus grands excès" rapporte Saint-Priest dans ses mémoires.[10] Un ordre de la Commune de Paris est pris et l’envoie à Versailles. Non seulement, il croyait le château suffisamment bien gardé pour faire face à une foule. Il part à la tête de quelques gardes nationaux, auxquels se joignent plusieurs militaires dévoués à l'ordre et à la monarchie, et certains hommes des faubourgs qu'attire l'espoir du pillage.
Il est dix heures du soir quand La Fayette débouche de la grande avenue de Paris à la tête de sa colonne. Le général fait prêter à ses hommes le serment d'être fidèles à la Nation, à la Loi et au Roi, envoie des détachements de grenadiers pour garder les ponts de Sèvres et de Saint-Cloud, paraît à l’Assemblée nationale envahie depuis quelques heures par le peuple et, après avoir fait part à ses collègues des dispositions qu'il vient de prendre, se rend chez le roi. Son entrée cause quelque étonnement parmi les gardes suisses et un chevalier de Saint-Louis, d'une taille élevée, s'écrie tout haut : «Voilà Cromwell! - Cromwell, répond froidement La Fayette, ne serait pas entré seul ici.»[11]
Son entretien avec le roi dure une demi-heure. Ses protestations de fidélité sont accueillies avec peu de faveur. Cependant, au sortir de cette conférence, il dit à plusieurs personnes qu'il a décidé le monarque à de salutaires concessions, dont le rappel des gardes français licenciés, car ayant participé aux journées révolutionnaires de juillet.
La nuit du 5 au 6 octobre
Tout paraissant calme à l'intérieur et autour du château, La Fayette, après avoir pris quelques dernières dispositions, se retire vers quatre à cinq heures du matin à l'hôtel de Noailles, résidence versaillaise de son beau-père. Une demi-heure à peine s'était écoulée lorsque des cris signalent qu’une troupe d'assassins a pénétré à l'intérieur du château par une grille (les conditions de l'ouverture de cette grille reste floue en fonction des différents historiens; séduction, ou profit de l'endormissement des gens d'armes censés la garder ; corruption, relève opportunément mal organisée ?).
Dirigés par des guides travestis, ils étaient parvenus jusqu'au grand escalier de marbre qui conduisait aux appartements de la reine. Deux gardes du corps sont tués (leurs têtes seront accrochées au bout d’une pique et ramenées "comme trophée" à Paris); onze autres résistent pendant que la reine se sauve dans l'appartement du roi. Mais la foule grossit et envahit le château, alors que La Fayette accourt à la tête de quelques grenadiers de la garde nationale et réussit à repousser les agresseurs.
Mais la foule, rassemblée sous les fenêtres du roi, demande à grands cris que la reine paraisse et somme impérieusement le roi de se rendre à Paris. Après avoir essayé de calmer les cris, La Fayette s'adresse à Marie-Antoinette et lui demande quelles sont ses intentions : « Je sais le sort qui m'attend, mais mon devoir est de mourir aux pieds du roi et dans les bras de mes enfants.»
La Fayette la conjure de se présenter avec lui sur le balcon. Elle y consent. Le général, ne pouvant dominer les cris de la multitude, baise sa main, comme pour annoncer au peuple que la réconciliation est complète, et le nom de Marie-Antoinette est porté aux nues par cette même populace qui, tout à l'heure, la menaçait de mort.
Louis XVI, après une délibération tumultueuse, se décide à se rendre à Paris. Le cortège insurrectionnel se met en marche, précédé des trophées de la journée, et suivi de la famille royale qu'accompagnent les gardes du corps, démontés, désarmés, humiliés.
Le retour du roi à Paris
Louis XVI est accueilli par Bailly qui lui remet, comme le 17 juillet précédent, les clefs de Paris. Deux discours et une déclaration du Roi sont prononcés. On crie "Vive le roi, vive la nation".
Après cette courte pause à l'Hôtel de ville, le roi et sa famille s'installent aux Tuileries où rien n'était préparé pour les recevoir. Étonné lui-même de ce délabrement, La Fayette dit à la reine qu'il allait s'occuper d'y pourvoir. Je ne savais pas, répondit-elle dédaigneusement, que le roi vous eût nommé intendant de sa garde-robe.[11]
Le duc d'Orléans
Une procédure instruite par le Châtelet contre les fauteurs de l'insurrection inculpe assez gravement le duc d'Orléans, qui est incité à fuir par La Fayette au cours d'une rencontre chez le ministre Montmorin. Le duc part pour Londres et ne revient en France que lors de la Fédération de 1790. Mais son éloignement ne décourage pas les efforts de ses partisans : des lettres adressées aux ministres dénoncèrent l'explosion imminente d'un complot tendant à placer sur le trône « un personnage puissant. » La Fayette ayant insinué au roi et à la reine que le soupçon ne pouvait regarder que le duc d'Orléans : « Il n'est pas nécessaire d'être prince, objecta Marie-Antoinette, pour prétendre à la couronne. - Du moins, Madame, répondit le général, je ne connais que le duc d'Orléans qui en voulût »[11]
L'assemblée constituante n'avait pas tardé à suivre le roi à Paris ; mais ce double déplacement ne calma pas les esprits.
Ambiguïté du rôle de La Fayette
Pour certains historiens, ces témoignages d'un entraînement passager seraient insuffisants, sans doute, pour absoudre La Fayette des reproches qui lui sont adressés au sujet de cet épisode de la Révolution française. Il faut remarquer, avant tout, que la marche de La Fayette sur Versailles avait été le résultat d'un ordre précis de la Commune de Paris. Placé par cet ordre dans une position mixte et presque équivoque entre la royauté, dont il semble menacer l'indépendance, et l’insurrection, La Fayette remplit, selon Michaud, tous ses devoirs[11]. De même, selon l'historien Etienne Taillemite : "Les journées d'octobre constituent un des épisodes les plus discutés de la vie de La Fayette et furent l'occasion pour ses ennemis de répandre sur lui les calomnies les plus dépourvues de fondement. Certains n'ont pas hésité à lui faire porter la responsabilité de ces scènes d'émeute et des graves menaces qui pesèrent sur la vie royale"[12]. Par ailleurs, l'enquête menée par le Châtelet sur ses journées (supra), conclut "le salut du roi, de la reine, de la famille royale, fut uniquement dû à la Garde nationale et à son général".
On lui a reproché son sommeil dans la nuit du 5 au 6 octobre et on l'a stigmatisé, à cette occasion, du sobriquet de général Morphée.(Antoine de Rivarol)
Les événements des 5 et 6 octobre sont, selon les probabilités les plus graves, le produit des manœuvres de la faction d'Orléans, qui espérait déterminer ainsi la fuite de la famille royale. Or, tout le monde sait combien La Fayette était opposé à cette faction, dont il avait toujours repoussé les avances avec dédain (voir : Mémoires de La Fayette, où il soutient que Laclos, aux ordres du duc d'Orléans, est le "véritable directeur" de cette insurrection, en utilisant Merlin de Douai, Barère et Danton)
Notes et références
- ↑ biographie de Louis XVI, de Viguerie, éditions du rocher, 2003
- ↑ biographie de Louis XVI, de Viguerie, éditions du rocher, 2003, "la marche des femmes sur Versailles" p.261
- ↑ biographie de La Fayette par Gonzague Saint-Bris
- ↑ a et b (fr)« Mémoires, correspondance et manuscrits du général La Fayette La Fayette, Gilbert Du Motier (1757-1834 ; marquis de) », dans {{{périodique}}}, 1837-1838 [texte intégral]
- ↑ Procédure criminelle instruite au Châtelet de Paris sur la dénonciation des faits arrivés à Versailles dans la journée du 6 octobre 1789, 1790, Archives nationales; reproduction en ligne sur le site Gallica
- ↑ La Révolution française, Jean Tulard, Pierre Gaxotte, janvier 1988, Complexe édition
- ↑ Histoire du faubourg Saint-Antoine, Jean PRAT, Paris, 1963
- ↑ (en) Copie du témoignage de Stanislas-Marie Maillard devant le tribunal du Châtelet sur les évènements des 5 et 6 octobre 1789
- ↑ biographie de Louis XVI, de Viguerie, éditions du rocher, 2003, "la marche des femmes sur Versailles" p.262
- ↑ "La Fayette" de Etienne Taillemite, 1989, Édition Fayard de 2008
- ↑ a , b , c et d « Journées des 5 et 6 octobre 1789 », dans Louis-Gabriel Michaud, Biographie universelle ancienne et moderne : histoire par ordre alphabétique de la vie publique et privée de tous les hommes avec la collaboration de plus de 300 savants et littérateurs français ou étrangers, 2e édition, 1843-1865 [détail de l’édition]
- ↑ "La Fayette" de Etienne Taillemite, 1989, Édition Fayard de 2008
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