- Islamologie appliquée
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L'islamologie appliquée une discipline nouvelle développé par Mohamed Arkoun et inaugurée dans diverses universités d’Europe et des États-Unis.
Cette notion est venue après l’indépendance de l’Algérie, en constatant et en analysant les contradictions dans la culture de son pays et des pays du Maghreb, ainsi que dans une certaine orientation politique, qui voulait réintroduire l'islam-après la fin de la période coloniale.
Elle s'occupe d'étudier les problèmes politiques tels qu’ils apparurent après la décolonisation, c’est-à-dire au moment où les pays arabo-musulmans gagnent leur indépendance. Mohamed Arkoun fait remarquer que les hommes politiques refusaient alors la prise en compte de l’histoire de l'Islam et de la culture arabe, ainsi que les particularités culturelles, sociales et anthropologiques des pays du Maghreb. Cette discipline analyse les contradictions d'une histoire ainsi que les différences entre le monde musulman et le monde occidental et les différents discours qui les expriment.
Elle ne s'oppose pas à l'islamologie classique dont elle utilise les acquits les plus fiables dans la critique philologique et historique des grands textes classiques. Elle prend en charge la relecture anthropo-historique de ces textes en intégrant les interrogations nouvelles et les explorations les plus récentes de la connaissance pluridisciplinaire. Parmi les tâches théoriques les plus éclairantes pour les débats en cours sur l'islam, l'Union européenne et l'Occident, on soulignera l'actualité des chantiers de la Critique de la raison islamique et ceux de l'impensable et de l'impensé dans la pensée islamique contemporaine.
Sommaire
Développements
Les développements récents de l’islamologie appliquée intègrent les acquis de la linguistique à la réflexion sur les questions liées à l’Islam et aux sociétés de religion musulmane: L'islamologie appliquée est à l'islamologie classique ce que la linguistique appliquée est à la linguistique générale (Mathieu Guidère). Cette interdisciplinarité est une réponse à la demande sociale concernant une compréhension plus « fine » et plus « scientifique » des faits islamiques. Parmi les questions nouvelles qui se posent dans le cadre de l’islamologie appliquée un peu partout dans le monde, on trouve : 1) L’apprentissage de la religion dans les sociétés à dominante musulmane et non-musulmane. Cette question renvoie à l’analyse des systèmes éducatifs et à l’acquisition du langage dans un contexte marqué par la religion. 2) Les formes de communication concernant les faits islamiques dans les médias nationaux et internationaux. Cette question renvoie au rapport entre « religiosité » et nouvelles technologies de l’information et de la communication, en particulier l’Internet et la communication médiatée. 3) L’expression de la foi et de la religiosité dans les sociétés multiculturelles, notamment occidentales. Cette question renvoie au rapport entre « islamité » et diversité culturelle, bilinguisme ou multilinguisme, mais aussi à la question de la traduction dans/pour les communautés musulmanes non-arabophones.
Islamologie appliquée en France
En France, l’un des premiers à avoir introduit les méthodes linguistiques dans l’étude des faits islamiques est Mathieu Guidère, à l’époque où il était professeur et directeur de recherche à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr. Ses travaux sur la mouvance d’Al-Qaïda (Les Martyrs d’Al-Qaïda, 2005 ; Manuel de recrutement d’Al-Qaïda, 2006 ; Al-Qaïda à la conquête du Maghreb, 2007) sont une illustration de ce qu'est l’islamologie appliquée aujourd’hui.
Utilisant les méthodes et les outils de la linguistique de corpus, Guidère aborde les faits islamiques contemporains suivant trois étapes :
1) Constitution de corpus de référence anciens et contemporaines concernant le phénomène visé par l’étude. Cela consiste, par exemple, à réunir un ensemble de textes médiévaux et récents sur la question du « martyre » et sous format électronique (cf. Les Martyrs d’Al-Qaïda, Éditions du Temps, 2005).
2) Etude textuelle comparative, de nature thématique et statistique, des occurrences et des concordances de la notion ou du thème considéré. C’est le cas, par exemple, de l’étude la notion du « Jihad / Djihad » dans le Manuel de recrutement d’Al-Qaïda (Éditions du Seuil, 2006, avec Nicole Morgan).
3) Implication et enjeux de l’étude des faits islamiques appliquée aux problèmes contemporains des sociétés musulmanes. C’est le cas, par exemple, de l’évolution de l’islamisme dans les pays d’Afrique du Nord dans Al-Qaïda à la conquête du Maghreb (Éditions du Rocher, 2007).
Dans toutes ces études, les connaissances relatives à la civilisation musulmane et les acquis de l’islamologie classique sont mis au service d’une meilleure compréhension des phénomènes étudiés, en procédant à une contextualisation historique et à une précision sémantique des notions.
Applications
Dans le même esprit, on note également, face à la multiplication des conflits dans le monde musulman (Irak, Afghanistan, Yémen, Somalie, Sahel, etc.), le développement d’un champ de l’islamologie appliquée dédié aux questions militaires et sécuritaires. Ce champ d’étude vise fondamentalement à réfuter la thèse du « choc des civilisations » (cf. Samuel Huntington) en formant les intervenants occidentaux essentiellement (militaires, casques bleus, humanitaires, missions diplomatiques, etc.) aux traits communs et aux spécificités linguistiques et culturelles des sociétés musulmanes. Plusieurs programmes de formation des armées occidentales ont été revus dans ce sens au cours des dernières années, avec des programmes de langue et de culture spécialisés, tant aux États-Unis et au Canada qu’en Europe. Il s’agit de faire appel à la connaissance culturelle pour mieux comprendre l’Autre et faire valoir une logique de dialogue en lieu et place d’une logique de la confrontation. Ainsi, dans Irak in Translation : De l’art de perdre une guerre sans connaître la langue de son adversaire (Éditions Jacob-Duvernet, 2008), Guidère montre à partir d’une étude de la gestion américaine de la guerre en Irak comment une ignorance de la langue et de la culture peuvent capoter les efforts les plus louables et entraîner les différentes parties dans des situations parfois absurdes. Cette approche s’inspire de la linguistique anthropologique et vise une meilleure « intelligence islamique ». L’étude du lien entre langage et culture religieuse est au cœur de cette dimension nouvelle de l’islamologie appliquée. Cela concerne notamment la manière dont les musulmans perçoivent certains faits politiques, sociaux et économiques de l’Occident. Cela concerne également les études comparées visant l’expression culturelle de l’identité communautaire et de l’appartenance religieuse, avec une focalisation particulière sur les faits de langage qui expriment cette identité ou cette appartenance. Au-delà, c’est la conceptualisation même de la perception et de la culture religieuse qui est en jeu. Ces aspects touchent bien sûr à l’ethnolinguistique et à la psycholinguistique mais, dans le cadre de l’islamologie appliquée, ils ont pour axe central « la sémantique et la cognition du fait religieux » (Guidere & Howard, The Clash of Perceptions, 2006). Enfin, dans une perspective interculturelle, l’islamologie appliquée intègre l’étude de la traduction et des problèmes que cela génère concernant les questions religieuses, notamment pour ce qui est des textes sacrés et des textes ayant une référentialité religieuse. La réflexion sur les solutions concrètes apportées par les traducteurs professionnels à ces questions sont une illustration de l’interculturalité en acte et non pas en théorie, qui méritent d’être mieux étudiés. Il semble à cet égard que les apports de la linguistique contrastive à l’étude des faits religieux, en mettant deux langues, deux cultures face à face et en faisant correspondre à chaque élément de chacune des deux cultures un élément de l’autre puisse participer à élucider un grand nombre d’ambiguïtés interprétatives dans les textes anciens et modernes.
Bibliographie
- L’Humanisme arabe au Xe siècle (1982, Vrin),
- Lectures du Coran (1982, Maisonneuve et Larose),
- Pour une critique de la raison islamique (1984, Maisonneuve et Larose),
- L’Islam, morale et politique (1986, Desclée de Brouwer/Unesco),
- Ouvertures sur l'islam. Paris : Grancher, 1992,
- Penser l'islam aujourd'hui. Alger : Laphomic ENAL , 1993,
- Humanisme et Islam : combats et propositions (Vrin 2005). (ISBN 2711617319) (ISBN 978-2711617319),
- Les Vicissitudes de la question éthique et juridique dans la pensée islamique (Vrin),
- La Pensée arabe, Que sais-je ?, PUF, (1991), 7e édition (2008). (ISBN 2130570852) (ISBN 978-2130570851),
- Mohammed ARKOUN et Louis GARDET : L'Islam hier, demain. Paris : Buchet-Chastel , 1982,
- Mohammed ARKOUN et Joseph MAÏLA : De Manhattan à Bagdad. Au-delà du bien et du mal. Desclée de Brouwer. 2003.
Articles
- Guidère M., « L’Irak ou la terre promise des jihadistes », in Critique internationale, n°34, 2007, p. 45-60
- Guidère M., « La Toile islamiste dans tous ses états », in la revue Maghreb-Machrek, n°188, 2006, p. 45-62.
- Guidère M. et Howard N., « The Clash of Perceptions », in Defense Concepts Series, Washington DC. : CADS Press, mars 2006.
- Guidère M., « Al-Qaeda’s Noms de Guerre », in Defense Concepts, Vol.1, Edition 3, Fall 2006, p. 6-16. ISSN 1932- 3816.
- « L’Irak ou la Terre promise des Jihadistes », in Critique internationale, n°34, janvier-mars 2007, p. 46-60
- « How to Decode Resistance Propaganda », in Le Monde diplomatique, mai 2005, édition anglaise
Liens externes
- (fr) « Comment concilier islam et modernité ? » par Mohammad Arkoun, Le Monde diplomatique, Avril 2003.
- (en) « Understanding Islam » Bulletin d'information de la Bibliothèque du Congrès, Vol. 60, No. 11.
- (fr) L'exemple de l'Islam 2003
Wikimedia Foundation. 2010.