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Incendie du Reichstag
L’incendie du Reichstag, ou Reichstagsbrand en allemand, est l'incendie criminel du Palais du Reichstag, siège du parlement allemand à Berlin, dans la nuit du 27 au 28 février 1933.
Immédiatement exploité par les nazis à des fins politiques, il est suivi par la proclamation de la Reichstagsbrandverordnung qui suspend sine die les libertés individuelles et par une campagne de répression dirigée contre les communistes allemands.
L'identité du ou des incendiaires a fait l'objet de nombreux débats. Les historiens sont toujours partagés entre la thèse l'attribuant au seul communiste hollandais Marinus van der Lubbe et celle l'imputant aux nazis pour qui il s'agissait du « début de la révolte communiste » selon Hermann Göring.
Sommaire
Le contexte politique
Nommé chancelier le 30 janvier 1933, Adolf Hitler obtient du président Paul von Hindenburg la dissolution du parlement et l'organisation de nouvelles élections prévues le 5 mars 1933[1]. Si le NSDAP est le premier parti au Reichstag, avec 196 sièges sur 584, il dépend du soutien des partis de la droite traditionnelle et doit compter avec une forte opposition de gauche composée par 121 députés socialistes et 100 députés communistes. Si la SA fait régner la terreur dans les rues, la crainte d'un coup de force communiste est très vive chez les nazis, mais aussi dans la droite allemande[2].
Les faits
Le 27 février 1933, vers 21h15, un étudiant en théologie passant devant le Reichstag entend le bruit d'une vitre brisée[3]. Il alerte le gardien du parlement qui aperçoit une silhouette courant à l'intérieur du bâtiment en y boutant le feu[3]. Les pompiers et la police arrivent rapidement sur les lieux où ils constatent de nombreux départs de feu[3]. « Dans la salle Bismarck, située au nord de l'édifice, un homme jaillit soudain, torse nu, ruisselant de sueur, l'air égaré, avec un regard halluciné.[3] » Cet homme, Marinus van der Lubbe, se laisse arrêter sans résistance et passe immédiatement aux aveux, affirmant que l'incendie est un geste de protestation et qu'il a agi seul[4].
L'exploitation politique de l'incendie
Rudolf Diels, chef de la police prussienne, arrivé immédiatement sur les lieux est alors persuadé que Marinus van der Lubbe a agi seul.
Les nazis décident d'exploiter immédiatement l'évènement, et présentent l'incendie comme le signe avant-coureur d'un vaste « complot communiste ».
« C'est un signe de Dieu, Herr Vice-Chancelier ! Si ce feu, comme je le crois, est l'œuvre des communistes, nous devons écraser cette peste meurtrière d'une main de fer ! »— Hitler au vice-chancelier von Papen, le 28 février 1933[5].
Dès le lendemain de l'incendie, le 28 février, Hindenburg signe un décret présidentiel « pour la protection du peuple et de l'État » : le Reichstagsbrandverordnung, qui suspend sine die les libertés individuelles et lance la chasse aux communistes. Dans la foulée, le gouvernement fait arrêter plus de 4 000 militants du KPD, le parti communiste allemand, dont son président Ernst Thälmann, ainsi que plusieurs dirigeants socialistes et intellectuels de gauche, au total plusieurs dizaines de milliers de personnes. Le journaliste vedette Egon Erwin Kisch est aussi arrêté. Ces opposants sont internés dans les premiers camps de concentration nazis, essentiellement à Dachau. La peine de mort est introduite avec effet rétroactif. Ce décret qui marque la fin de la démocratie reste en vigueur jusqu'en 1945.
Le procès s'ouvre le 21 septembre 1933 à Leipzig. Marinus van der Lubbe est condamné à mort et décapité le 10 janvier 1934. Le 21 avril 1967, un tribunal de Berlin, à titre posthume et symbolique, transforme la condamnation à mort de van des Lubbe à huit ans de prison pour « tentative d'incendie avec infraction ». En 1980, Robert Kempner, un des procureurs américains des procès de Nuremberg, convaincu de l'innocence de Marinus van der Lubbe, obtient son acquittement, mais ce verdict est cassé un an plus tard en appel. Finalement, le 10 janvier 2008, les services du procureur fédéral allemand, jugeant la condamnation officiellement « illégale » annulent le verdict soixante-quinze ans après[6].
Les interprétations
L'évènement a donné lieu à une longue controverse au sujet de l'identité des auteurs véritables de l'incendie.
Un complot communiste
Dès l'annonce de l'incendie et avant tout début d'enquête, la radio affirme que les communistes ont mis le feu au Reichstag[7]. Cette thèse est immédiatement reprise par Hermann Göring et Adolf Hitler et sert de base au procès qui s'ouvre à Leipzig le 21 septembre 1933.
Sur le banc des accusés figurent, outre Marinus van der Lubbe, l'ancien chef de groupe du parti communiste allemand, Ernst Torgler, et trois communistes bulgares, dont Gueorgui Dimitrov[8], futur secrétaire général du Komintern et futur premier ministre du gouvernement communiste bulgare. Pugnace, luttant pied à pied, tenant tête par sa rhétorique à Goebbels et à Göring à qui il fait perdre son calme, Dimitrov, qui a appris l'Allemand durant les mois de prisons précedant la condamnation, fait voler en éclat la thèse officielle et transforme le procès en tribune antinazie[8]. Finalement, seul Marinus van der Lubbe est condamné, les quatre autres accusés sont acquittés[8]. Ce verdict, qui ôte toute base à la thèse officielle des nazis, ne les empêchera pas de maintenir leur interprétation.
Une manœuvre des nazis
La version officielle est immédiatement contredite notamment par Willi Münzenberg qui, dans son Livre brun[9] attribue la responsabilité de l'incendie aux nazis, voulant se créer un prétexte pour déclencher une vague de répression. La parution du livre brun est suivie, en septembre 1933, par un procès organisé à Londres par un comité antifasciste international, qui s'affirme selon les mots du procureur comme « un simulacre de procès [qui] ne saurait avoir de validité juridique et n'avait d'autre but que de servir la vérité que les circonstances empêchaient d'éclater en Allemagne »[10].
« Quel était à Berlin, le 27 février au soir, l'homme qui détenait les clés du Reichstag?
Quel était l'homme qui en commandait la police?
»
Quel était l'homme qui pouvait en activer ou en arrêter la surveillance?
Quel était l'homme qui détenait la clé du souterrain par lequel on semble avoir pénétré?
Cet homme, c'était à la fois le ministre de l'Intérieur de Prusse et le président du Reichstag : c'était Hermann Göring— Me de Moro-Giafferi, Londres, 11 septembre 1933[11].
Pour Pierre Milza, Marinus van der Lubbe aurait été manipulé par les nazis[12] : « Utilisant le délire pyromane d'un jeune chômeur d'origine hollandaise, Marinus van der Lubbe, qui se dit communiste, les hommes de Göring l'ont laissé allumer un petit incendie dans le Palais du Reichstag, tandis qu'eux-mêmes inondaient les sous-sols d'essence[13]. » François Delpla penche lui aussi pour une manipulation de Marinus van der Lubbe par les nazis, par le biais d'un agent infiltré dans les milieux de l'ultra-gauche, lui faisant croire que l'incendie allait créer un soulèvement populaire contre Hitler. Il reproche aux tenants de la thèse de l'incendiaire isolé de croire que l'absence de preuves de complicités prouve l'absence de complicités[14].
Jacques Delarue estime que l'incendie a été perpétré par un commando de membres de la SA, dirigé par Karl Ernst et Edmund Heines, à l'initiative d' Hermann Göring[15]. Pour Gilbert Badia, il est impossible qu'un homme isolé comme van der Lubbe, dépourvu de tout soutien ait seul perpétré l'incendie, notamment compte tenu du fait qu' « on trouva dans le Reichstag assez de matériel incendiaire pour remplir un camion » et d'une déclaration de Göring au général Hadler lors de laquelle il affirme que « le seul qui connaisse bien le Reichstag, c'est moi ; j'y ai mis le feu »[16].
En 2001, en se basant à la fois sur les circonstances matérielles de l'incendie et sur des archives de la Gestapo conservées à Moscou et accessibles aux chercheurs depuis 1990, Bahar et Kugel reprennent la thèse selon laquelle le feu a été mis au Reichstag par un groupe de SA agissant sous les ordres directs de Göring[17].
Un acte isolé
En 1960, dans le Spiegel, puis en 1962, dans son livre Der Reichsbrand. Legende und Wirklichkeit [18], Fritz Tobias affirme que la thèse du complot nazi est aussi infondée que celle du complot communiste. Il qualifie de fallacieux les documents du Livre brun qui servait de base au dossier antinazi[19]. Selon Ian Kershaw, les conclusions de Tobias sont désormais largement acceptées[20]. Selon lui, la surprise et l'hystérie qui s'emparent des plus hauts dirigeants nazis la nuit de l'incendie, à commencer par Hitler lui-même, est un signe du caractère inattendu de l'évènement et du fait que l'incendie est bien le fait du seul Marinus van der Lubbe[21].
« Les premiers membres de la police à interroger van der Lubbe, aussitôt appréhendé et clamant haut et fort sa « protestation », n'avaient aucun doute : il avait agi seul, personne d'autre n'était impliqué dans l'incendie. Mais Göring, dont la première réaction en apprenant l'incendie semble avoir été pour s'inquiéter des précieuses tapisseries du bâtiment, se laissa facilement convaincre par les autorités sur place que l'incendie était le fruit d'un complot communiste. Hitler, qui arriva vers 22 h 30, soit une heure environ après Göring, se laissa rapidement persuader de tirer la même conclusion. Göring lui expliqua que l'incendie était sans conteste l'œuvre des communistes. L'un des incendiaires avait déjà été arrêté, tandis que plusieurs députés communistes se trouvaient dans le bâtiment quelques minutes à peine avant l'embrasement[22]. »L'analyse de Kershaw est vigoureusement contestée par Lionel Richard[23]. Pour Richard, « les analyse de Tobias, déjà fortement mises en cause par un groupe d'historiens quand elles ont été publiées, ne jouissent plus d'aucun crédit. Il a été démontré que son information documentaire n'était pas fiable. En l'occurrence, Kershaw aurait pu, au moins, prendre sérieusement en considération les travaux d'Alexander Bahar[24]. »
Voir aussi
Bibliographie
- Alexander Bahar, Wilfried Kugel, Der Reichstagbrand, edition q, 2001
- Jacques Delarue, Histoire de la Gestapo, Paris, Fayard, 1962
- Georges Goriely, 1933 : Hitler prend le pouvoir, Bruxelles, Editions Complexe, Coll. La Mémoire du siècle, 1985.
- Nico Jassies, Marinus van der Lubbe et l’incendie du Reichstag, Éditions Antisociales, 2004, ISBN 2-9521094-0-0.
- Ian Kershaw, Hitler, 1936-1945, vol. 1, Paris, Flammarion, 2001(ISBN 2082125297)
abondante bibliographie sur l'incendie du Reichstag à la page 1010.- Livre brun sur l'incendie du Reichstag et la terreur hitlérienne, Paris, Le carrefour, 1933
- Fritz Tobias, Der Reichstagsbrand - Legende und Wirklichkeit, Grote, Rastatt 1962
- Marinus van der Lubbe, Carnets de route de l’incendiaire du Reichstag et autres écrits, présentés par Yves Pagès et Charles Reeve, Éditions Verticales, 2003.
Notes et références
- ↑ Joseph Rovan, Histoire de l'Allemagne des origines à nos jours, Paris, 1999, p.652.
- ↑ Ian Kershaw, Hitler, 1936-1945, Paris, Flammarion, 2001, vol.1, p. 649.
- ↑ a , b , c et d Jacques Delarue, Histoire de la Gestapo, Fayard, Paris, 1962, p.31
- ↑ I. Kershaw, op. cit, p.650
- ↑ I. Kershaw, op. cit., p. 651
- ↑ Agence Reuters, dépêche du 10 janvier 2008, 18h08:23
- ↑ J. Delarue, op. cit., p.32
- ↑ a , b et c J. Delarue, op. cit., p.66-68
- ↑ Traduit en 17 langues et tiré à des millions d'exemplaires. Gorielly, op. cit., p. 130.
- ↑ J. Delarue, op.it., p.65
- ↑ J. Delarue, op. cit., p.66
- ↑ Pierre Milza, Les Fascismes, chap. 9, p. 286.
- ↑ Serge Berstein, Pierre Milza, Histoire du XXème siècle, Tome 1, p. 317.
- ↑ François Delpla, « Le terrorisme des puissants : de l’incendie du Reichstag à la nuit des Longs couteaux », paru dans : Guerre et Histoire n° 7, septembre 2002 [1]
- ↑ J. Delarue, op.cit., p. 68-76
- ↑ Gilbert Badia, Histoire de l'Allemagne contemporaine, 1933/1962, Paris, Éditions sociales, 1975, p. 15
- ↑ Alexander Bahar, Wilfried Kugel, Der Reichstagbrand, édition q, 2001
- ↑ Fritz Tobias, Der Reichsbrand Legende und Wirklichkeit, Rastatt, Baden, 1962.
- ↑ Georges Goriely, 1933, pp. 131-132
- ↑ I. Kershaw, op. cit., p. 1011
- ↑ I. Kershaw, op. cit. p. 649
- ↑ I. Kershaw, op. cit., p. 650.
- ↑ Lionel Richard, Goebbels. Portrait d'un manipulateur, s.l., André Versaille éditeur, 2008, p. 132
- ↑ Alexander bahar, Dieses Feuer ist erst der Anfang. Die Nazis und der Reichstagsbrand, in Bulletin - Berliner Gesellschaft für Faschismus- und Weltkriegsforschung / herausgegeben von Berliner Gesellschaft für Faschismus- und Weltkriegsforschung,Berlin, Edition Organon, 2005, Heft 25/26, pp. 87-120
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