- Honte noire
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La « Honte noire » (Die schwarze Schande (am Rhein) ou également Die schwarze Schmach (am Rhein)) est le nom donné à une campagne de propagande nationaliste et raciste déclenchée en Allemagne au début des années 1920 afin de dénoncer l'occupation de la Rhénanie par les troupes coloniales françaises : celles-ci, composées de soldats sénégalais, marocains et malgaches, étaient accusées de se livrer à divers sévices, incluant viols et mutilations, à l'encontre de la population allemande.
Sommaire
Historique
Serge Bilé, dans son ouvrage Noirs dans les camps nazis, note la forte hostilité de la société allemande du début du XXe siècle au mélanges raciaux. Dès 1905, une loi interdit aux colons allemands installés en Afrique (voir empire colonial allemand) les mariages entre Allemands et Noirs : la peine est la déchéance des droits civiques et la privation des droits civiques pour les enfants nés de ces unions[1]. Environ 1800 noirs et métis vivent à Berlin en 1914, principalement issus des colonies allemandes et de mariages mixtes. Ils sont très mal considérés, et cantonnés à des emplois marginaux[2].
Dans ce contexte, la rumeur lancée par la presse d'extrême droite allemande[3] est reprise par les autorités du Reich, qui y virent un moyen de contester le bien-fondé de l'occupation de la Rhénanie, le gouvernement français étant accusé de soumettre une population occidentale blanche au joug de ressortissants de peuples « primitifs[4]. » L'objectif du gouvernement allemand était de convaincre les alliés de la France (États-Unis et Angleterre) que celle-ci se comportait d'une manière indigne d'une nation civilisée[4].
Cette propagande est reprise par des journaux anglo-saxons[5], mais trouve peu de crédit dans les gouvernements pays visés[4] ; elle suscita une vive émotion en France et poussa le gouvernement, en même temps qu'il rejetait comme calomnieuses ces accusations, à remplacer progressivement les troupes coloniales stationnées sur le Rhin par des troupes métropolitaines[6].En Allemagne, cette campagne de propagande fut répercutée par des films, pièces de théâtre, romans, affiches[7], un film est intitulé La Honte noire[8], un journal spécialement créé : Die Nacht am Rhein (« La nuit sur le Rhin » [3]en référence au chant patriotique Die Wacht am Rhein). Le médailliste Karl Goetz lui consacra une série de médailles[9]. Elle fut ensuite reprise par Adolf Hitler, qui dénonça dans Mein Kampf l’« afflux de sang nègre sur le Rhin », en lequel il vit une manœuvre juive contre la « race aryenne[6] ». Parmi les vingt-quatre-mille métis nés de ces unions, bien peu purent quitter l’Allemagne dans les années 1930[10]. Ils furent la cible des lois aryennes du parti nazis, au même titre que les Juifs. En 1937, les nazis promulguèrent une loi instituant la stérilisation forcée des métis allemands. Les massacres de tirailleurs sénégalais prisonniers en 1940 ont également été décrits comme étant une conséquence de cette campagne de propagande de l'immédiat après-guerre[6].
Sources
Bibliographie
- Jean-Yves Le Naour, La Honte noire : L'Allemagne et les troupes coloniales françaises, 1914-1945, Hachette, Paris, 2004.
- Serge Bilé, Noirs dans les camps nazis, Paris : Éditions du Rocher/Le Serpent à plumes, 2005. ISBN 2-268-05301-6
Notes et références
- Serge Bilé, op. cit., p. 17
- Serge Bilé, op. cit., p. 18
- « Les tirailleurs sénégalais et l'anthropologie coloniale. Un litige franco-allemand aux lendemains de la Première guerre mondiale », in Éthiopiques, n°50-51, 1998. Hans-Jürgen Lüsebrink,
- « La « Honte Noire ». Racisme et propagande allemande après la Première Guerre mondiale », Institut Pierre-Renouvin, 2000. Estelle Fohr-Prigent,
- Serge Bilé, op. cit., p. 24
- « Compte-rendu de La Honte noire : L'Allemagne et les troupes coloniales françaises, 1914-1945 », sur le site getCITED. Dominik Kohlhagen,
- Pierre Mac Orlan et la Rhénanie », in 20/21.siècles, n°4, Cahiers du Centre Pierre Francastel, Paris, 2006, p. 131. Nicolas Beaupré, « La Démobilisation d'un combattant,
- [1] film de Carl Boese, en 1921 : Die schwarze Schmach
- KarlGoetz.com (K 262 à 264). Visibles sur le site
- Serge Bilé, op. cit., p. 26
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