- Historikerstreit
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La querelle des historiens (Historikerstreit) est une controverse historiographique et politique en Allemagne de l'Ouest durant les années 1980, essentiellement entre 1986 et 1989. Cette controverse porta sur la place à accorder à la Shoah dans l'histoire allemande et sa singularité, et se cristallisa autour de la définition de la date à laquelle fut prise la décision d'exterminer les Juifs d'Europe. Elle a opposé les tenants de la thèse intentionnaliste, selon laquelle la Shoah fut le fruit d'une décision politique datant d'avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, et ceux de la thèse fonctionnaliste, pour qui l'assassinat systématique des Juifs ne fut décidé qu'à la fin de l'été 1941 et découla largement de l'évolution du régime hitlérien et de son contexte historique, en particulier l'invasion de l'Union soviétique et ses conséquences.
Sommaire
Les questions centrales
Le débat s'est centré sur quatre questions principales :
- Les crimes de l'Allemagne nazie incarnent-ils le mal absolu dans l'Histoire, ou est-ce que les crimes de Joseph Staline en Union soviétique sont équivalents, sinon pires ?
- L'histoire allemande a-t-elle suivi une « voie spéciale » (Sonderweg) conduisant inévitablement au nazisme ?
- D'autres génocides, dont le génocide des Hereros, le génocide arménien et le génocide des Khmers rouges au Cambodge, sont-ils comparables à la Shoah ? Beaucoup avaient le sentiment que ces comparaisons tendaient à banaliser la Shoah, mais d'autres ont maintenu que la Shoah pourrait être mieux comprise dans le contexte du XXe siècle par le biais de ces comparaisons.
- Les crimes commis par les nazis sont-ils une réaction aux crimes soviétiques sous Staline, comme Nolte l'a soutenu ? Le peuple allemand devrait-il supporter un fardeau de culpabilité pour les crimes nazis, ou bien les nouvelles générations d'Allemands pourraient trouver des sources de fierté dans leur histoire ?
La thèse intentionnaliste
Article détaillé : Intentionnaliste.Élaborée par les premiers historiens de la solution finale, comme Gerald Reitlinger[1] en 1953, partagée par des spécialiste de l'idéologie d'Adolf Hitler, comme Eberhard Jäckel[2], la thèse intentionnaliste domine largement l'historiographie des années 1950 au milieu des années 1980.
Pour les concepteurs et les partisans de cette thèse, la solution finale est le « déroulement logique d'une idée conçue de longue date », au centre de la pensée hitlérienne depuis la publication de Mein Kampf ; toujours selon ceux-ci, « seuls la position prééminente de Hitler dans le Troisième Reich et son antisémitisme (ainsi qu'en témoignèrent les responsables nazis) avaient rendu possible un tel programme[3]. »
La thèse fonctionnaliste
Article détaillé : Fonctionnaliste (histoire).Lancée par Ernst Nolte, cette thèse est notamment partagée par Klaus Hildebrand, Michael Stürmer et Hans Mommsen. Elle a été très critiquée au départ, parce qu'elle émanait surtout d'historiens allemands, qui étaient donc accusés de complaisance envers le régime nazi. Le travail monumental de Raul Hilberg, juif autrichien ayant fui les nazis, a permis au fonctionnalisme de sortir de ce stéréotype.
La polémique
Le débat a entraîné un immense intérêt en Allemagne de l'Ouest. Il commença le 6 juin 1986, quand un texte du philosophe et historien Ernst Nolte fut publié dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung : Die Vergangenheit, die nicht vergehen will (« Le passé qui ne veut pas passer »). Il affirmait que le « meurtre de race » des camps d'exterminations nazis était une « réaction défensive » au « meurtre de classe » du système stalinien du Goulag. Face à la menace bolchevique, il était raisonnable que le peuple allemand adopte le fascisme nazi. Nolte avait en fait déjà développé cet argument l'année précédente dans un essai publié en anglais : « Auschwitz [...] était avant tout une réaction engendrée par les événements destructeurs de la révolution russe [...] la soi-disant extermination des juifs sous le Troisième Reich fut une réaction ou une copie déformée et pas l'acte premier ou un original. »
Le philosophe Jürgen Habermas, répondant brièvement dans le journal Die Zeit, rejeta cette position. Dans cet article, il critiqua aussi d'autres historiens, en particulier Michael Stürmer et Andreas Hillgruber, les accusant de chercher à blanchir le passé allemand. Les points de vue d'Ernst Nolte et de Jürgen Habermas ont été au centre d'un débat au ton souvent agressif, avec des attaques personnelles. Les protagonistes publièrent de nombreuses tribunes et donnèrent des interviews télévisées.
La polémique a brièvement éclaté à nouveau en 2000 lorsque Ernst Nolte a reçu le prix Konrad Adenauer.
Une tentative de synthèse
Des historiens, comme Ian Kershaw, ont tenté de sortir de l'impasse en proposant une synthèse entre les deux courants. Hitler est reconnu comme ayant donné l'impulsion cruciale de départ à la « Solution finale », mais c'est grâce au rôle actif et à l'ingéniosité de l'administration nazie (armée, SS et fonctionnaires d'État étaient en lutte de pouvoir permanente), que ce projet a pu aboutir. La culpabilité est ainsi partagée.
Notes et références
- (en) Gerald Reitlinger, The Final Solution : The Attempt to Exterminate the Jews of Europe, Londres, Vallentine Mitchell, 1953.
- Eberhard Jäckel, Hitler idéologue, Paris, Calmann-Lévy, 1973 et (en) Hitler in History, Hanovre, Brandeis University Press, 1984
- Breitman, p.32-33
Bibliographie
Voir aussi
Article connexe
Lien externe
- (de) « Le passé qui ne veut pas passer » (Article de Nolte dans la FAZ, 1986, conservé sur le site hde.de)
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