Histoire du mouvement keplerien

Histoire du mouvement keplerien

La description du mouvement des planètes par Johannes Kepler à partir des tables établies par son maître Tycho Brahe est un tournant dans l'histoire des sciences qui prit naissance au début du XVIIe siècle. Malgré le retentissant procès de Galilée (qui doit abjurer sa conception copernicienne de l'univers le 21 juin 1632), le philosophe et mathématicien René Descartes verra, quelques années plus tard, le triomphe de sa méthode, d'après laquelle les sciences de la Nature reposent sur la méthode expérimentale[1] [2].

Environ cinquante ans plus tard, la théorie sera écrite dans les Principia par Isaac Newton de fin 1684 à 1687, sous l'impulsion de son commanditaire et ami Edmond Halley. Ainsi naquit la mécanique céleste, ainsi que la mécanique rationnelle.

Le XVIIIe sera le siècle où l'on n'aura de cesse de clarifier cette théorie.

Sommaire

Avant Kepler

ébauche :

Ptolémée et l'équant

Hypathie d'Alexandrie et ses Travaux sur les coniques d'Apollinius

Copernic (1543) et la "révolution copernicienne" (cf Koyré)

Tycho Brahe, Uraniborg, et son "équivalence des systèmes"

La réception de la théorie de Kepler

ébauche :

Galilée et les orbites circulaires, et les satellites médicéens.

Horrocks et le centre de "masse" ; Wallis et le centre de "gravité " du système Terre-Lune.

Le grand débat de la loi en 1/r^2

ébauche :

Newton : les mesures de Richer et Picard (Guyane), de Halley (Sainte-Hélène), de Flamsteed (observatoire de Greenwich, les comètes)

Wallis, Hooke (1679), Halley-Wren-Hooke et le pari.

Quelques démonstrations du mouvement keplerien

Depuis la découverte des trois lois de kepler sur le mouvement des planètes, il y a de nombreuses démonstrations relatives au mouvement keplerien dont les plus anciennes virent le jour au XVIIe siècle. En voici quelques-unes.

Newton (1684)

  • 1/. La première, celle de Newton en novembre 1684, est géométrique, le temps étant évalué par l'aire balayée (2ème loi de Kepler) : l'analyse en est faite dans l'Exégèse des Principia.

Hermann (1710)

Laplace la reprendra dans son traité de « Mécanique Céleste ».

Que cela est vite dit dans notre langage moderne ! En réalité, la démonstration géométrique est la remarque classique sur le rôle des podaires dans le cas de champs centraux. Danjon remarque (avec Hamilton) que l'antipodaire de l'inverse d'un cercle est une conique : cela était enseigné encore au baccalauréat des années 1960 (Cf. LEBOSSÉ & EMERY, cours de mathématiques élémentaires).

Quant à Hermann, c'est un tour_de_force :

Il possède trois intégrales premières en coordonnées cartésiennes tirées de \ddot{x} = -gR^2\cdot x \cdot r^{-3} et idem en y.

  • C := x\dot{y} -y\dot{x}
  • E_x := \frac{x}{r} - \frac{C}{gR^2}\cdot \dot{y}
  • E_y := \frac{y}{r} - \frac{C}{gR^2}\cdot \dot{x}

Éliminer la vitesse : on trouve  x \cdot E_x +y\cdot E_y = r- p  : c'est une ellipse (Cf. conique, Kepler). Mais comment a-t-il trouvé les deux intégrales premières du vecteur excentricité ? par un raisonnement analytico-géométrique horriblement compliqué ! On sait aujourd'hui le faire par la théorie de la représentation linéaire des groupes (Moser et SO(4) : 1968). On trouvera sur ce sujet un article de Guichardet dans la Gazette des mathématiciens (été 2008).

Transmutation de la force par Newton

Keill (1708)

  • 4/. La classique[3] : Newton-Keill (en 1708) - Bernoulli (1719)

Le problème est plan, si la force est centrale. Le plan de phase est donc ( x,y,\dot{x} , \dot{y}). Les deux équations du PFD (principe fondamental de la dynamique) sont :

\ddot{x} = - \Omega^2 \cdot x

et la même en y. [Évidemment Ω dépend de r!]. Cette notation est évidemment très réminiscente de celle de Hooke. Mais elle n'a rien à voir, sinon que la symétrie est centrale.

Choisir trois fonctions invariantes par rotation :

  • I := 1 \cdot (x^2+ y^2) = r^2, strictement positif,
  • J := 1 \cdot (x\dot{x} + y\dot{y}), de sorte que  \dot I = 2J (= 2r\dot{r}),
  •  \ K := {v^2}/{2}, énergie cinétique.

Remarquer cette particularité : r² est choisie comme variable, et non r. Et comme J est non-nulle, I va jouer le rôle d'une échelle de temps au moins sur une demi-période, du périgée à l'apogée.

Démontrer que le problème se réduit au système différentiel (S) :

  • \dot{I} = 2J
  • 2\dot{J} = K -I \Omega^2(I)/2 (théorème du viriel !)
  • \dot{K} = - J \Omega^2(I) (loi de Newton!)

Keill utilise alors l'échelle de temps I ; le système se réduit à :

  •  4\frac{d(J^2)}{dI} = 2K - I \Omega^2
  • \frac {dK}{dI} = - \Omega^2/2

En éliminant Omega² (et quelle que soit sa valeur ! donc c'est vrai pour toute force centrale !)

 K = \frac{J^2}{2I} + \frac{C_o^2}{2I}.

C'est un vrai tour de force : au début du XVIIIème, on vient de réécrire :

2KI = v^2\cdot r^2 = [\vec r \cdot \vec v]^2 + [\vec r \wedge \vec v]^2  = [\vec r \cdot \vec v]^2 +C_o^2

Emmy Noether connaissait-elle cette démonstration due à l'invariance par rotation ?

Puis, l'invariance temporelle donne la conservation de l'énergie :

1.\cdot H = K + V(I), où V(I) est l'énergie potentielle relative à la force centrale (= -\frac{1}{2}\int \Omega^2  dI)

Ces deux ensembles de surfaces feuillettent l'espace (I, J, K) et leur intersection donne l'orbite du mouvement dans cet espace.

Éliminer K conduit à travailler dans le demi-plan (I, 2J = \dot{I}), c'est-à-dire dans un plan de phase presque usuel (on joue avec r² plutôt qu'avec r) :

 H =  \frac{J^2}{2I} + \frac{C_o^2}{2I} + V(I),

ce qui est l'équation de Leibniz (1689), mais en notation I = r². (Remarquer que tout résulte de cette circonstance, non évidente du temps où les vecteurs n'existaient pas) :

x \dot{x}  + y \dot{y} = r \dot{r})

et pour finir, dt = dI/2J donne le mouvement sur cette orbite de phase et la primitive de 2J(I) donne l'action S(I) du problème.

Évidemment, actuellement, nous repasserions immédiatement en coordonnées (r et r'). Il n'empêche que voilà décrite la solution de Keill qui témoigne d'une virtuosité tombée dans l'oubli de l'Histoire[4]. La suite est très classique et correspond à différents paramétrages dans le cas de Kepler. L'équation de Leibniz se réécrit dans ce cas :

 H \cdot 8r^2 -4C_o^2 + 8(GM) \cdot r = 4J^2

qui est une conique en J et r, ellipse si H est négatif de grand axe 2a = - \frac{(GM)}{H} :

Il est usuel alors de paramétrer via l'« anomalie excentrique » :

r = a \cdot(1- e \cos{\phi}),

et « miraculeusement » :

\omega \cdot dt = \frac{r}{a} \cdot d\phi ,

qui s'intègre en donnant la fameuse équation de Kepler. En contrepartie l'équation en thêta est légèrement plus compliquée à intégrer (primitive de \frac{1}{r}) d'où :

tan \frac{\theta}{2} = \sqrt{\frac{1+e}{1-e}} \cdot tan \frac{\phi}{2}.

Clairaut (1741)

  • 5/. La méthode de Clairaut (1741), reprise par Binet consiste à écrire l'équation de Leibniz à l'aide de u := 1/r :

 \dot{r}^2 = 2H + 2gR^2 \cdot u - C^2 \cdot u^2

et cette fois le paramétrage adéquat est :

u := 1+e\cdot \cos \alpha et  \dot{r}: = e\cdot \sin \alpha

ce qui conduit au « miraculeux » dθ = dα ! la trajectoire est donc une ellipse. Mais la deuxième intégration conduit à dt = k d\alpha \cdot 1/u^2 plus difficile à intégrer (mais tout à fait faisable !)

Lagrange (1778)

  • 6/. La méthode de Lagrange est originale (1778) et n'utilise que la linéarité de F = m.a !

Partant de l'équation radiale de Leibniz (1689) :

\ddot{r} = C^2 u^3 - e^2u^2

il pose comme nouvelle variable z = C²-r et trouve :

\ddot{z} = -(GM) \cdot z \cdot u^3 ,

identique aux deux équations de départ en x & y : donc il obtient z & x & y linéairement liés, ce qui est la définition d'une ellipse (Cf. conique, discussion). CQFD

Laplace (1798)

  • 7/. Laplace, sans citer Lagrange, calcule, en force brutale, sans aucune intégrale première, l'équation en I = x² + y² du troisième ordre issue du système de Keill : d'où il tire

\frac{d^3I}{dt^3} = - \frac{\dot I}{I^{3/2}}

Laplace en tire cette fois quatre équations linéaires identiques : d/dt(r^3.Z") = - Z', avec Z = r, x, y, cste. D'où r = a x + by + c.cste : c'est une conique !

Hamilton (1846) et autres

  • 8/. Soit une ellipse ; le foyer F et sa polaire, la directrice (D). Soit P le point courant de l'ellipse et PH sa projection sur la polaire. Le théorème de Newton-Hamilton donne immédiatement la force centrale F ~ r/PH^3 soit ~ 1/r².e³.
  • 9/. Hamilton démontre aussi que pour toute mouvement sur une ellipse de paramètre Po, on obtient |a/\v|.Po = C^3/r^3. Donc si le mouvement est central de foyer F, |a/\v| = a.C/r d'où a ~ 1/r².
  • 10/. Hamilton est aussi le promoteur du renouveau de la méthode de l'hodographe circulaire que Feynman reprendra à son compte dans ses « lectures on Physics »
  • 11/. Hamilton va inspirer le Théorème de Siacci et puis Minkovski qui donnera beaucoup de propriétés des ovales : ceci donne encore une autre démonstration.

Goursat et régularisation dite de Levi-Civita

  • 12/. Goursat (1889), Bohlin (1911), AKN {Arnold & Kozlov, Neishtadt} reprennent la méthode z→ sqrt(z) = U (complexe) et le changement d'échelle de temps (dit de Levi-Civita ou de Sundman) dt/dT = 4 |z| : quelques lignes de calcul donnent via le théorème de l'énergie cinétique :

|dU/dT|² = 8 GM + 8 E |U|² ; soit par dérivation  {d^2U \over dT^2} +(-8E)\cdot U = 0, avec E négatif.

Donc U décrit une ellipse de Hooke et z =sqrt(U) l'ellipse de Kepler.

On aura reconnu en T(t), l'anomalie excentrique. Ce n'est donc qu'une des méthodes précédentes : mais cette méthode a des prolongements plus importants (Cf. théorème de Bertrand). Voir aussi plus bas.

Note : cette transformation du problème de Kepler en problème de Hooke est assez stupéfiante. Saari (p. 141) s'y attarde un peu plus qu'Arnold (BHHH) ; peut-être est-ce justifié ; voici :

Le problème de régularisation se pose s'il y a collision, c'est-à-dire, C très voisin de zéro. Saari dit : la collision entraîne un changement brutal de 2Pi . Afin de garder la particule sur la droite sans singularité, il "suffit de penser" à garder l'arc -moitié ; soit de changer de jauge (de fonction inconnue): \ U = \sqrt z et de variable (transmutation d'échelle de temps) dT = dt/r(t)(ATTENTION au facteur 4!)

La conservation de l'énergie s'écrit 2|U'|²-1 = Eo.r

et l'équation du mouvement : \ddot z = -z/r^3 devient :

r \frac{d^2z}{dT^2} - \frac{dr}{dT}\cdot \frac{dz}{dT} +z = 0 ,

équation LINEAIRE sans le r^3 ! Elle conduit à :

U" -U/r [2|U'|²-1] =0

soit \frac{d^2U}{dT^2}+ (-Eo/2)\cdot U = 0 (équation de Hooke).

Le gros avantage de cette solution est qu'elle est stable-numérique : les solutions restent sur la même iso-énergie.

Kustaanheimo (1924-1997) et Stiefel (1909-1978) en 1964 utilisèrent enfin les quaternions pour transformer le problème de Kepler dans R^3 en celui de Hooke dans R^3, via R^4 ! (congrès d'Oberwolfach): ils leur a suffi de prendre la quatrième coordonnées x4 = cste : alors le quaternion U se déplaçait sur la sphère ; ceci mit en exergue la symétrie SO(4) et mieux SO(4,2) qui correspondait à la version spinorielle du problème de Kepler (liée à la solution en coordonnées paraboliques) et mettait en avant le vecteur excentricité. Immédiatement, le traitement des perturbations fut amélioré (Stiefel et Scheifel, 1971), mais aussi la quantification (méthode dite de Pauli (SO(4)), et surtout la quantification lagrangienne SO(4,2), aux orbitales "paraboliques" de Kleinert (1967-1998)(cf Kleinert 2006).

Saari donne des raisons topologiques à l'obstruction du passage de R^2 à R^3 et la nécessité de passer à R^4 (les quaternions) : la relation U^2 = z, ne pouvait se régulariser sur la sphère à cause du célèbre théorème du hérisson de Brouwer-Poincaré. Mais si on ne peut "peigner" S2 , on peut peigner S3 (et même S7 : octonions), ce qui avec les trois vecteurs tangents donne la fameuse matrice 4-4 de la transformation K-S : rappelons que le maître de Stiefel était Hopf lui-même qui dressa la carte de S3 vers S2 : il n'y a pas de hasard, la formation, cela sert ! (cf Oliver (2004)).

Notes et références

  1. La méthode expérimentale"
    • L'expérience est là, première.
    • Une fois l'expérience apurée de ses artefacts de mesure,une théorie peut tenter de l'expliquer.
    • Une autre peut aussi survenir, plus précise et/ou plus englobante.
  2. Note d'épistémologie : il en résulte qu'on ne pourra plus jamais dire qu'une théorie est vraie pour toujours. Seuls des théorèmes de mathématiques ou de physique théorique ont statut de vérité définitive dans le cadre d' "axiomes de départ". Entre deux théories explicatives, on choisira la plus simple (principe du rasoir d'Occam). Entre deux théories non-compatibles, il y a problème en suspens, jusqu'à avancée réconciliatrice. Jamais une expérience ne saurait être cruciale pour justifier une théorie. Elle ne peut être cruciale que pour mettre en défaut une théorie : encore faudra-t-il être un analyste aigu du langage et des artefacts. Mais surtout, les arguments d'autorité de l'Eglise n'auront plus cours, en mécanique, malgré des tentatives avortées d'Equivalence des Hypothèses : on ne brûlera plus un Giordano Bruno (1600).
  3. Note de détail : Alain Chenciner et d'autres préfèrent la notation i = I/2 , et/ou j = J/2.
  4. Note d'histoire: cette équation ayant été écrite par Lagrange sous cette forme, le H ne saurait signifier « valeur de l'Hamiltonien » ! Peut-être faut-il y voir un hommage à Huygens (?), premier à utiliser la généralisation du théorème de l'énergie cinétique de Torricelli ? peut-être est-ce une simple notation fortuite

Bibliographie

  • Il existe une littérature abondante sur ce sujet : les démonstrations citées ont été récupérées d'un travail de Alain ALBOUY (IMCCE, Paris 75013). La note d'Alain Guichardet dans la Gazette des Mathématiciens (été 2008) prouve que le sujet intéresse encore certains érudits.
  • On pourra consulter avec profit les ouvrages de Koyré, Whitehall, Westfall, Cohen…mais la liste est très longue.

Voir aussi


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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Histoire du mouvement keplerien de Wikipédia en français (auteurs)

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