- Fusillade de Kent State University
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La fusillade de Kent State University (Kent State shootings en anglais) a eu lieu le 4 mai 1970, sur le campus de l'Université d'État de Kent, dans l'Ohio. La Garde nationale de l'Ohio a ouvert le feu à 67 reprises en 13 secondes sur des étudiants qui manifestaient de manière pacifique ; quatre d'entre eux furent tués, et neuf blessés (dont un paralysé à vie).
La plupart de ces étudiants manifestaient contre l'invasion américaine du Cambodge, annoncée par le Président Richard Nixon le 30 avril, mais certains ne faisaient que passer.
En réponse à cette fusillade, une grève et des manifestations impliquant quatre millions d'étudiants entraina des centaines d'universités et d'établissements scolaires à fermer à travers tous les États-Unis. Ceci retourna en partie l'opinion public déjà sensible à la présence militaire des États-Unis au Vietnam.Sommaire
Contexte
Richard Nixon est élu président des États-Unis en 1968, promettant dans son programme électoral de mettre fin à la guerre du Viêt Nam. Mais en novembre 1969, alors que la guerre se poursuit toujours, la presse révèle l'histoire du massacre de My Lai. Cette révélation entraine de vives réactions à travers le monde et une profonde horreur aux États-Unis, conduisant l'opposition publique à la guerre à s'intensifier. S'ajoute à cela l'institution le mois suivant de la "draft lottery (en)", sorte de tirage au sort sur la base des jours de naissance servant à choisir les appelés (en âge de combattre) à participer à l'effort de guerre. Cette méthode n'avait plus été utilisée depuis la Deuxième Guerre mondiale.
L'invasion du Cambodge par l'armée américaine en 1970 est perçue par ceux qui avaient espoir que la guerre du Vietnam prenne fin rapidement à la fois comme un échec et comme une exacerbation du conflit. Les jeunes, étudiants et professeurs sont concernés par le risque d'être appelés à combattre dans une guerre à laquelle ils sont farouchement opposés. Ainsi, l'expansion du conflit vers un autre pays est perçue comme un risque supplémentaire. De ce fait, à travers tout le pays, des mouvements de protestation se développent sur les campus.
Chronologie
Jeudi 30 avril 1970
Richard Nixon annonce qu'une "Incursion Cambodgienne" a été lancée par l'armée américaine.
Vendredi 1er mai 1970
Un mouvement de manifestation de près de 500 étudiants eut lieu au centre du Campus de Kent State University où les étudiants avaient l'habitude de se réunir pour protester. Alors que la foule se disperse afin de rejoindre les lieux d'études, un autre rassemblement fut programmé pour le 4 mai. Le mot d'ordre était globalement le même, il s'agissait de faire part de son opposition à la contagion du conflit Vietnamien vers le Cambodge qu'engendrait la politique de Richard Nixon.
L'ambiance était électrique, des étudiants énervés mirent feux à une Constitution américaine ainsi qu'à leurs cartes d'incorporation dans l'armée américaine.
La nuit venue, des violences éclatèrent. Les autorités publiques, rattachant ces violences aux manifestations, commandèrent l'intervention des forces de police et la fermeture des bars.
Samedi 2 mai 1970
La rumeur selon laquelle des révolutionnaires radicaux étaient en ville pour détériorer l'Université et la ville se développa. Cependant, cela restait une rumeur non vérifiée. Le maire Satrom réclama au Gouverneur la présence d'un détachement de la garde nationale de l'Ohio dans sa ville de Kent. Selon lui, cette présence militaire assurerait plus efficacement que la police locale la sécurité nécessaire face à la colère grandissante des étudiants.
Le détachement de la garde nationale n'arriva qu'autour de 17 heures dans la journée. Des manifestants occupaient déjà le Campus universitaire et un bâtiment d'entrainement des officiers de réserve venait d'être incendié. Les pompiers durent intervenir sous escorte militaire. Il y eut un grand nombre d'arrestations après l'utilisation de gaz lacrymogènes. Dans cette violente tentative de restaurer l'ordre publique, un étudiant fut blessé par une baïonnette, entrainant une radicalisation des positions.
Dimanche 3 mai 1970
Lors d'une conférence de presse le Gouverneur de l'État, James Rhodes, frappant du poing sur son bureau s'enflamma en affirmant que les manifestants étaient "d'anti-américains" "pire que des chemises brunes (nazi) ou des communistes". Le maire déclara le couvre-feu dans la ville de Kent.
Aux alentours de 20 heure, un nouveau cortège de manifestants se réunit sur le Campus. Moins d'une heure après, les gardes nationaux les dispersaient grâce au gaz lacrymogène. Afin d'obtenir un rendez-vous avec les maire de Kent ou d'autres hauts-fonctionnaires, les étudiants se déplacèrent vers un sit-in pacifiste au croisement de deux grandes avenues. À 23 heures, la garde déclara que le couvre-feu faisait désormais effet. Les étudiants furent forcés à regagner leurs logements dans la violence ; certain militaires blessant à la baïonnette des étudiants.
Lundi 4 mai 1970
Plan des tirs sur la foule
Alors qu'une manifestation devait se tenir à midi, comme il avait été prévu trois jours auparavant, l'administration de l'Université tentant de dissuader les étudiants de se réunir distribua 12.000 tracts annonçant que le rassemblement était annulé. En dépit de cela, près de 2.000 étudiants se réunirent sur le campus. Le début du rassemblement fut sonné par la "Victory Bell" (une cloche utilisée pour les victoires lors des matchs de football universitaire) et des étudiants commencèrent à prendre la parole.
Ayant peur que la manifestation dégénère en violence, deux compagnies de la garde nationale de l'Ohio se mirent en place pour disperser la foule. Le processus de dispersion commença tard dans la matinée, effectué par l'agent de sécurité du campus, roulant dans une Jeep de la garde nationale et ordonnant aux étudiants de se disperser sous peine d'être arrêtés. La Jeep du se retirer puisqu'accueilli par des jets de pierre.
Juste avant midi, les militaires sommèrent la foule de se disperser et usèrent de leur gaz lacrymogènes pour disperser les réfractaires. Les manifestants répliquèrent par des jets de pierre, retournant les grenades lacrymogènes sur la garde en chantant "Pigs Off Campus" ("les poulets hors de l'Université").Lorsqu'il fut évident que la foule ne se disperserait pas, on commanda l'envoi vers les étudiants d'un groupe de 77 gardes nationaux, baïonnettes aux fusils. L'avancé des militaires entraina le recul des manifestants qui quittèrent le lieux de rassemblement pour un point surélevé. Une fois sur cette petite colline, une partie des manifestants se dispersa en petits groupes vers différentes positions alors que les gardes nationaux marchaient à leur poursuite. Changeant de tactique, les militaires se regroupèrent sur un terrain de sport grillagé au bas de la colline. Des étudiants avaient quitté la manifestation cependant beaucoup restaient face aux soldats en exprimant toujours leur colère. Il s'ensuivit un échange de pierres et de gaz lacrymogènes. Au bout d'une dizaine de minutes, les gardes revinrent sur leurs pas, remontant la pente et contraignant les étudiants à revenir au point de rassemblement initial.
À ce moment, le Sergent Taylor ouvrit le feu avec son pistolet de calibre 45 (11,43mm) sur les manifestants. Quelques militaires à proximité de l'officier usèrent à leur tour de leurs fusils M1 Garand en direction du groupe estudiantin. Ce sont 67 coups de feu qui se firent entendre émanant de 29 gardes nationaux différents. La durée de la fusillade semble avoir été très courte : le New York Times affirma que cela avait duré une minute ou à peine plus et l'enquête conclut à 13 secondes de déchainement.
Au final, les tirs ont tué quatre étudiants et en ont blessé neuf. S'agissant des personnes décédés, si Allison Krause et Jeffrey Miller faisaient partie intégrante de la manifestation, Sandra Scheuer et William Knox Schroeder marchaient simplement entre deux salles de classe. Pour sa part W.K. Schroeder était même un membre du Corps d'entrainement des officiers de réserve de l'armée américaine. Parmi les blessés, aucun d'eux ne se tenait à moins de 20 mètres des militaires. Pour les personnes décédés, c'est Miller qui était le plus proche, à plus de 80 mètres de tout fusil. Les gardes ont en moyenne tué à plus de 100m de leur position. La théorie de l'autodéfense des garants de la sécurité nationale s'exclut donc rapidement.
Reste véritablement en suspens la question des motivations de ce massacre. Les différentes conclusions restent à l'heure actuelle toujours débattues.
L'adjudant général de la Garde nationale de l'Ohio a déclaré qu'un sniper aurait ouvert le feu sur les gardes. Cette allégation reste en débat bien qu'aucune preuve ne la corrobore. De nombreux Gardes Nationaux ont confirmé plus tard, lorsqu'ils furent interrogés sur leur proximité avec les personnes mortes ou blessés, avoir eu peur pour leur sécurité et leurs vies.
Par ailleurs, le Times Magazine conclut dans un article que "les gâchettes n'avaient pas été pressées par accident à Kent State".
On nomma une commission chargée d'éclairer les conditions de cette fusillade. Son président chargé de mettre à jour les raisons de l'ouverture du feu fut très contesté. Il n'éclaira en rien la situation et préféra critiquer ouvertement manifestants et gardes nationaux de l'Ohio. Il conclut cependant que "les tirs aveugles de fusils dans une foule d'étudiants et la mort entrainée par ces tirs ont été inutiles, injustifiés, et inexcusables"
En 2010, une analyse d'un enregistrement audio du drame par un groupe d'experts conclut que la Garde nationale aurait reçu l'ordre d'ouvrir le feu. Cette bande magnétique audio provient d'un étudiant en communication de l'Université qui avait sur la fenêtre de son dortoir déposé un microphone. Selon l'enregistrement retravaillé, on peut entendre un voix masculine crier "Garde !", quelques secondes se passent avant qu'on l'entende de nouveaux dire "Préparez vous à ouvrir le feu". Enfin la voix conclut par un "Garde !" suivi deux secondes plus tard de salves. Cette enregistrement étant d'une qualité médiocre et les paroles de l'officier très théâtrales, la crédibilité de l'analyse reste faible.
Témoignages
Victimes
Décédées
- Jeffrey Glenn Miller; âgé de 20 ans; situé à 81 m des gardes; Balle en plein visage, mort instantanément.
- Allison B. Krause; âgée de 19 ans; située à 105 m des gardes; Blessure fatale sur la gauche de sa poitrine, décédé au cours de la journée.
- William Knox Schroeder; âgé de 19 ans; situé à 116 m des gardes; Blessure fatale à la poitrine; mort près d'une heure plus tard dans un hôpital avant d'être opéré.
- Sandra Lee Scheuer; âgée de 20 ans; située à 120 m des gardes; Blessure fatale au cou; décédée en quelques minutes d'hémorragie.
Blessées
- Joseph Lewis Jr.; situé à 22 m des gardes; Touché par deux fois à l'abdomen et à la jambe gauche
- John R. Cleary; situé à 34 m des gardes; Blessé d'une balle dans la partie supérieure droite de la poitrine
- Thomas Mark Grace; situé à 69 m des gardes; Frappé à la cheville gauche
- Alan Michael Canfora; situé lui aussi à 69 m des gardes; Touché par une balle au poignet droit.
- Dean R. Kahler; situé à 91 m des gardes; Touché au dos, ses vertèbres se sont fracturées entrainant une paralysie permanente depuis le bas de la poitrine.
- Douglas Alan Wrentmore; situé à 100 m des gardes; S'est fait tirer sur le genou droit.
- James Dennis Russell; situé à 114 m des gardes; Blessé par une balle dans la cuisse droite et de la grenaille au front.
- Robert Follis Stamps; situé à 151 m des gardes; Touché à la fesse droite.
- Donald Scott MacKenzie; situé à 230 m des gardes; plaie au cou.
Conséquences et effets à long terme
Quelques semaines après la fusillade, le Weather Underground revendiquera un attentat contre la Garde nationale, ayant pris soin auparavant d'alerter les autorités de la présence d'explosifs afin d'éviter toute victime.
Le Mémorial de Kent State
Références Culturelles
Musique
"Ohio" de Crosby, Stills, Nash & Young
Article détaillé : Ohio (chanson).La référence culturelle à cet évènement la plus célèbre est sans aucun doute la chanson "Ohio" écrite par Neil Young pour le groupe Crosby, Stills, Nash & Young. Particulièrement choqué par cette fusillade, le groupe veut marquer les esprits. Malgré la commercialisation en cour de leur single "Teach Your Children", ils décident de diffuser en même temps sur les ondes leur protest song "Ohio". Le 45 tours qui sortira sera accompagné sur la face B d'une chanson de Stephen Stills s'opposant à la guerre du Vietnam. Le 4 mai 1997, Crosby, Stills & Nash en visite sur le campus jouent cette chanson en commémoration des victimes.
Autres références musicales à la fusillade de Kent State Univerty
Il existe un nombre conséquent d'hommages musicaux, en voici une liste non-exhaustive:
En 1970:
- "Hey Sandy" de Harvey Andrews en hommage à Sandra Scheuer décédée lors de la fusillade
- The Steve Miller Band enregistre sur son album Number 5 un réponse directe à ce massacre avec la chanson "Jackson-Kent Blues"
- Bruce Springsteen écrit une chanson intitulée "Where Was Jesus in Ohio"
- Les membres de Genesis composèrent "The Knife" sur leur album Trespass, recréant la situation du point de vu des Gardes Nationaux.
En 1971:
- Les Beach Boys sortent "Student Demonstration Time"
- "Long Distance Runaround" sur l'album Fragile du groupe de rock Yes s'inspire des faits du 4 mai 1970
- Halim El-Dabh, professeur de musique au sein de l'Université de Kent State compose un opéra nommé "Opera Flies" qui sera joué en 1971 sur le campus et lors de la commémoration de 1995.
En 1972:
- "Truth Is Fallen" de Dave Brubeck est dédiée aux étudiant de Kent State University.
En 1974:
- Le musicien expérimental Jandek sort "Governor Rhodes", une méditation sur le sujet.
En 1989 :
- Le groupe canadien de musique industrielle/électronique Skinny Puppy se réfère à l'événement dans sa chanson "Tin Omen" sur Rabies
Littérature
Il existe un grand nombre d'œuvres littéraires faisant référence à cet incident. Dans l'immense majorité, elles sont américaines et inconnues du public français.
En prose
- Harlan Ellison publie en 1971 un recueil de nouvelles sous le nom de "Alone Against Tomorrow" qu'il dédie aux victimes du massacre.
En poésie
- Allen Ginsberg mentionne la fusillade dans son poème "Hadda be Playin' on a Jukebox" en 1975
Au Théâtre
Photographie
- John Filo, photographe présent sur les lieux immortalisa sur pellicule la fusillade. Une de ses photographie est particulièrement émouvante : on y voit Mary Ann Vecchio, jeune fille de 14 ans à genoux dans l'angoisse face au corps de Jeffrey Miller qui vient d'être abattu par la Garde nationale de l'Ohio. Ce cliché marquant lui valut le grand honneur de recevoir le prix Pulitzer en 1971.
- L'artiste Renée Green utilisa comme thème pour une exposition photographique en 1996 la fusillade de Kent State University
Documentaire, Film & Télévision
- 1981 - Kent State (réalisé par James Goldstone) - documentaire dramatique pour la télévision
- 1995 - Le film Nixon de Oliver Stone montre des images réelles de la fusillade et donne une place importante à l'événement dans la narration du film.
- 2008 - National Geographic Channel consacre une série de documentaires sur la fusillade de Kent State
- 2009 - Le film Watchmen de Zack Snyder débute sur une série d'images marquantes de l'histoire américaine. Parmi ces dernières on voit un étudiant de Kent State placer une fleur dans le canon du fusil d'un Garde National avant que ce dernier n'ouvre le feu.
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