Fracture numerique

Fracture numerique

Fracture numérique

La fracture numérique est la disparité d'accès aux technologies informatiques, notamment Internet. Il recouvre parfois le clivage entre « les info-émetteurs et les info-récepteurs »[1]. Cette disparité est fortement marquée d'une part entre les pays riches et les pays pauvres, d'autre part entre les zones urbaines denses et les zones rurales. Elle existe également à l'intérieur des zones moyennement denses : ainsi en région parisienne, 25% des lignes ne peuvent avoir un débit ADSL supérieur à 5 Mbits.

Ainsi le Rapport Attali (Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française[2]) propose une définition de la fracture numérique en France, fixe plusieurs objectifs et propose plusieurs décisions pour réduire la fracture numérique:

  1. OBJECTIF Démocratiser le numérique en accélérant le déploiement des infrastructures - Décision 49 (Garantir une couverture numérique optimale en 2011[3]) et décision 50 (Réaliser l’accès pour tous au très haut débit en 2016)
  2. OBJECTIF Réduire les fractures numériques - DÉCISION 51 (Faciliter l’accès de tous au réseau numérique)


La fracture numérique concerne les inégalités dans l'usage et l'accès aux technologies de l'information et de la communication (TIC) comme les téléphones portables, l'ordinateur ou le réseau Internet. La fracture numérique ne représente donc qu'une toute petite partie de l'ensemble des inégalités de développement. On parle parfois aussi de fossé numérique. L'expression fracture numérique (en anglais : digital divide) est calquée sur celle de fracture sociale employée par Jacques Chirac, lors de la campagne présidentielle de 1995.

D'une manière générale, le fossé numérique peut être défini comme une inégalité face aux possibilités d'accéder et de contribuer à l'information, à la connaissance et aux réseaux, ainsi que de bénéficier des capacités majeures de développement offertes par les TIC. Ces éléments sont quelques-uns des plus visibles du fossé numérique, qui se traduit en réalité par une combinaison de facteurs socio-économiques plus vastes, en particulier l'insuffisance des infrastructures, le coût élevé de l'accès, l'absence de formation adéquate, le manque de création locale de contenus et la capacité inégale de tirer parti, aux niveaux économique et social, d'activités à forte intensité d'information.
Elie Michel in « Le fossé numérique. L'Internet, facteur de nouvelles inégalités ? », Problèmes politiques et sociaux, La Documentation française, n° 861, août 2001, p. 32.

L'existence et l'évolution d'une fracture numérique au sein d'une population peuvent être évaluées en tenant compte d'indicateurs tels que le nombre d'utilisateurs d'Internet, le nombre d'ordinateurs connectés (rapportés à la population). Cependant, ces indicateurs ne permettent pas, en eux-mêmes, de déterminer les usages des TIC par ces populations qui devraient accéder à la « société de l'information ».

La Journée mondiale de la Société de l'information qui a lieu tous les ans le 17 mai depuis 2006 a pour but de sensibiliser le public sur le sujet et sur les avantages que peut offrir l'internet.

Une fracture numérique existe entre pays du nord et pays du sud. Elle est également qualifiée de fracture horizontale lorsqu'elle est constatée au sein d'un pays (y compris développé) avec des différences en zones urbaines et zones rurales ou encore entre catégories sociales ou entre les sexes.

La fracture numérique est donc un sujet très vaste. Nous nous intéresserons principalement ici aux inégalités liées au réseau Internet.

Sommaire

La fracture numérique et Internet

La fracture numérique dans le domaine politique

Que ce soit aux États-Unis ou en France, la fracture numérique est un sujet de bataille pré-électorale. Aux États-Unis, dès 1994, le vice-président Al Gore disait dans ses discours qu'Internet permettrait l'avènement d'une démocratie en ligne, d'un agora électronique. C'est d'ailleurs lui le premier qui a parlé du réseau Internet comme 'autoroutes de l'information'. Et le président Clinton envisageait en 1997 de connecter chaque salle de classe et bibliothèque à Internet d'ici l'an 2000, chaque maison d'ici 2007.

En France, après le thème de la fracture sociale cher à Jacques Chirac, c'est la fracture numérique qui arrive dans les discours pré-électoraux.

La fracture numérique dans le domaine du commerce

Dans les pays développés, un bon nombre de ces publicités sont centrées autour du thème de la révolution Internet. Voici quelques exemples :

Bienvenue dans un monde meilleur
Rhône-Poulenc

Bienvenue dans la vie.com
France Télécom

Les publicités liées à ce sujet présentent Internet comme un univers quasi-magique quitte à nier toute complexité à l'outil informatique pour mieux promouvoir une logique purement marchande. Le sociologue Philippe Breton n'hésite d'ailleurs pas à parler du Culte de l'Internet dans notre société.

La fracture numérique médiatisée : un argument commercial ?

Il faut combattre la croyance messianique selon laquelle relier tout le monde à Internet est une révolution sociale.
Prêtre François HOUTARD

Ce n'est pas la technique qui nous asservit mais le sacré transféré à la technique.
Jacques ELLUL in Les nouveaux possédés

Dans ce contexte, la fracture numérique est parfois perçue par les entreprises comme un argument supplémentaire pour inciter les gens à acheter un ordinateur ou à s'abonner à un fournisseur d'accès Internet (FAI). Loin de toute réflexion sur l'utilité et l'intérêt réel d'un tel outil, on peut penser que les publicistes ne favorisent donc pas par leur travail une meilleure compréhension de la réalité de l'Internet par le grand public. Il ne faut pas oublier que, comme toute innovation technologique, Internet ne demeure qu'un outil. Il peut être en de bonnes mains comme en de mauvaises.

De tout temps, chaque nouveau moyen de communication a été générateur d'une certaine utopie. Lors de la pose des premiers câbles sous-marins, Victor Hugo pensait qu'ils permettraient ni plus ni moins que « la réconciliation de la grande famille humaine ». De même, au cours des années 1990, une sorte d'euphorie boursière a accompagné l'émergence des NTIC dans notre société.

La réalité de la fracture numérique dans l'accès à Internet

Du fait de l'évolution extrêmement rapide du réseau Internet, on se limitera à quelques exemples numériques. Bien qu'un peu datés, ils sont intéressants. Pour des données plus récentes, on se reportera utilement aux sources bibliographiques précisées en fin d'article.

Comparaisons population/internautes en septembre 2000
États-Unis d'Amérique Continent africain
Pourcentage de la population mondiale 4,9 % 12%
Pourcentage des internautes mondiaux 43 % moins de 1%

Bien que le mandarin (chine) soit, et de loin, la première langue mondiale, seulement 8.4% des internautes ont le mandarin pour langue maternelle. De même, anglais et espagnol sont deux langues maternelles aussi courantes l'une que l'autre dans le monde et pourtant, 45% des internautes parlent anglais pour seulement 5,4% espagnol. La « comparaison des langues » est donc une autre manière de constater la réalité et l'importance de la fracture numérique.

En 2008, les internautes représentent seulement une minorité de la population mondiale. Selon le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement), l'internaute type est « un homme de moins de 35 ans, diplômé de l'enseignement supérieur, disposant de revenus élevés, habitant en ville et parlant anglais », soit « un membre d'une élite très minoritaire ».

Des inégalités dans l'architecture même du réseau Internet

Ces inégalités sont aisément visibles avec une petite expérience, un court périple dans l'architecture du « réseau des réseaux ». Il existe de nombreux logiciels (tel tracemap) qui, à partir de l'adresse d'un site permettent de situer le lieu de son hébergement avec plus ou moins de bonheur. On n'entrera pas ici dans une explication technique du principe de fonctionnement de ces logiciels, nous nous contenterons d'essayer d'accéder à quelques sites convenablement choisis pour voir où ils sont hébergés.

Avec de telles expériences, on s'aperçoit par exemple que certains sites gouvernementaux africains sont hébergés aux États-Unis d'Amérique ! Et, en ce qui concerne les autres, il est intéressant de remarquer que le trajet suivi par les données de la France à l'Afrique du Sud n'est pas le plus court. Parties de France, les données traversent l'Atlantique, tous les États-Unis d'Amérique pour, enfin, revenir sur le continent africain.

Comment expliquer ce phénomène ?

L'explication est la suivante : l'architecture du réseau Internet ne s'intéresse qu'à la logique marchande. Pas à la logique humaine. Les États-Unis sont de fait la plaque tournante des télécommunications mondiales. Écoutons ce que nous dit Philippe QUEAU, directeur de la division informatique de l'Unesco :

La géographie de l'Europe ou de l'Asie en est elle-même bouleversée : l'Amérique s'est virtuellement installée au cœur de ces régions. En moyenne, le coût des liaisons spécialisées entre les pays européens -- les fameuses « autoroutes de l'information » ou « dorsales » (backbones) -- par lesquelles transite le trafic Internet est 17 à 20 fois supérieur au coût de liaisons équivalentes aux États-Unis d'Amérique. Une liaison Paris - New York ou Londres - New York est moins chère qu'une liaison Paris - Londres ou Paris -Francfort. La Virginie est devenue la plaque tournante des liaisons intra-européennes ! Conséquence : les fournisseurs européens d'accès Internet sont obligés de se connecter aux États-Unis d'Amérique en priorité. De même, en Asie plus de 93 % de l'infrastructure Internet est tournée vers les États-Unis d'Amérique.

Cette situation engendre de nombreux inconvénients. Plutôt que de financer des liaisons inter-régionales ou de connecter enfin des régions défavorisées au réseau Internet, les fournissseurs d'accès se contentent généralement de renvoyer tout leur trafic vers les États-Unis d'Amérique.

Quelques exemples de fracture numérique à un niveau plus local

La fracture numérique est flagrante au niveau mondial. Cependant, elle existe aussi à l'intérieur même des pays que l'on pourrait croire protégés.

La France et la fracture numérique

Selon le CREDOC (Centre de Recherche pour l’Étude et l’Observation des Conditions de Vie) dans son étude de « La diffusion des technologies de l'information dans la société française », en recoupant les informations sur l’utilisation de l’ordinateur au travail et au domicile, on constate que 40% de la population n'est jamais confrontée à l’informatique. Il s’agit principalement des plus de 60 ans, des personnes peu diplômées (83% des non-diplômés et 49% des titulaires d’un Bepc) et des personnes vivant dans un foyer percevant moins de 1 500 Euros mensuels.

Enfin, au-delà de 60 ans, 80 à 95% de la population ne se connectent jamais. C’est aussi le cas de 87% des non-diplômés et de 65% des personnes vivant dans des foyers modestes.

Par ailleurs l'architecture du réseau téléphonique historique français sur lequel s'appuie la grande majorité des accès haut débit (ADSL) est une source d'inégalité[4]. En effet

  • 2% des lignes téléphoniques (600000 foyers environ) sont inéligibles à l'ADSL (zones blanches)
  • 8% des lignes téléphoniques (2,4 millions foyers)ne permettent pas un accès à plus de 512Kbits/seconde. Ces foyers ont un accès très/trop lent à de nombreux sites
  • 27% des lignes (8 millions de foyers)ne permettent pas un accès à plus de 2Mbits/seconde. Ces foyers seront bientôt exclus des sites Internet qui sont de plus en plus gourmands en bande passante. Ces foyers sont très nombreux en zones rurales, mais sont également présents à Paris et en Ile de France (lignes de cuivre éloignées du central France Telecom)

L'arrivée de la fibre optique et du très haut débit, tel qu'annoncé par les trois plus gros opérateurs de télécommunication français ne va pas réduire cette fracture, car les déploiements vont commencer là ou c'est le plus rentable, c'est-à-dire en zone dense, en général proche des centraux téléphoniques.

Les collectivités locales sont très sensibles à cette fracture numérique. Ainsi sous la pression des collectivités locales, France Telecom a commencé à déployer une offre NRA-ZO[5] (NRA Zone d'ombre) qui permettrait, avec un partenariat public-privé, de désenclaver les zones banches complètement non éligibles à l'ADSL.

Par ailleurs, la loi LME oblige France Telecom à dégrouper la sous-boucle locale, ce qui permettra une amélioration notable du débit dans des zones non desservies à moyen termes par la fibre optique.

En 2008, la solution technique WiMAX ouvre des perspectives nouvelles pour les zones d'habitation isolées.

Différences et inégalités entre noirs et blancs aux USA

Aux États-Unis d'Amérique, la fracture numérique entre noirs et blancs est une réalité concrète.

Il existe des différences notables entre ces deux populations au niveau de la possession d'un ordinateur et de l'accès à Internet. On peut expliquer en partie ces différences par la question de l'éducation : (le revenu entre aussi en jeu mais pour une moindre part). À un niveau d'éducation supérieur correspond une plus forte probabilité d'accéder à un ordinateur au travail et d'utiliser Internet.

Cette constatation est valable quel que soit le groupe étudié.

Cependant, l'éducation et le revenu n'expliquent pas à eux seuls la différence entre groupes dans la possession d'un ordinateur à domicile. Les blancs ont toujours plus de chance de posséder un ordinateur à domicile que les noirs américains de même niveau d'éducation. Cette différence est particulièrement nette dans le cas des étudiants. Il y a plus de probabilité qu'un étudiant blanc possède un ordinateur à domicile qu'un étudiant noir.

Dans leur article, la conclusion des auteurs, M NOVAK et Mme HOFFMAN est sans appel. Ils estiment que, si l'on veut que tout le monde ait accès à Internet aux États-Unis d'Amérique, il faut multiplier les points d'accès au réseau dans les bibliothèques et les universités et encourager leur usage. Aux yeux des auteurs, c'est même un choix politique indispensable.

Les disparités en Suisse

Dans les entreprises suisses équipées d’au moins un ordinateur, un peu moins de la moitié des employés y ont accès en moyenne en l’an 2000. La proportion est plus élevée dans les services (56%) que dans l’industrie (35%) et la construction (22%). Dans les entreprises disposant d’Internet, 29% des employés ont la possibilité de s’en servir.[6]

La situation de l'Internet en Afrique

Dans le domaine d'Internet, l'Afrique accuse un très important retard. D'ailleurs, il a fallu attendre jusqu'à novembre 2000 pour que le dernier pays africain (l'Érythrée) soit connecté. Et une très faible minorité de la population africaine a accès au réseau.

Cependant, aujourd'hui, Internet connaît une croissance rapide, notamment du fait de la privatisation du secteur de la communication et de l'attrait du courriel par rapport au courrier papier pour les échanges avec l'étranger. Cette opportunité favorise l'éclosion de nombreux nouveaux fournisseurs d'accès. En conséquence, bien qu'encore hors de prix, le coût de l'accès à Internet a tendance à baisser.

Nuançons cependant ce discours, en rappelant qu'il existe de fortes différences entre les États africains :

  • L'Afrique du Sud notamment est la figure de proue du continent en matière de connexion à Internet.
  • Et, en matière d'usage d'Internet au niveau gouvernemental, les pays francophones semblent parfois en avance, grâce aux aides des agences pour la francophonie, sur leurs voisins.

Une première explication du coût relativement élevé de la connexion à Internet en Afrique a déjà été abordée précédemment. Les inégalités dans l'architecture du réseau nécessitent de la part des fournisseurs d'accès à Internet africains la mise en place de nouvelles infrastructures (câbles sous-marins ou connexions satellitaires) que leurs homologues européens ou américains possèdent déjà et ont amorties depuis plusieurs années.

Réflexions sur la fracture numérique

Trois niveaux d'inégalités à distinguer

La fracture numérique ne se limite pas à l'accès aux nouveaux moyens de communication. Il importe de distinguer trois niveaux d'inégalités vis-à-vis des nouvelles technologies :

  • L'inégalité dans l'accès à un ordinateur, à Internet...
  • L'inégalité dans l'usage d'outils.
  • L'inégalité dans l'usage des informations issues de ces outils.

Quelques exemples de lutte contre la fracture numérique

Aujourd'hui, la fracture numérique est un problème à la mode. Le PNUD notamment l'a nommé en 2001 un de ces six axes de lutte « Information et technologies de la communication ».

À un niveau plus local, d'innombrables associations luttent avec leur moyen contre la fracture numérique en permettant à une population pauvre un premier contact avec l'outil informatique et le réseau Internet.

D'autres organismes (Artisans du monde, Max Havelaar, ...) se servent des possibilités naissantes de commerce sur Internet pour essayer de mettre en place à leur échelle de nouveaux rapports Nord/Sud. Cela ne se rapproche pas directement de la lutte contre la fracture numérique mais se servir de l'outil Internet dans un but solidaire, c'est donner une raison de plus d'intéresser et de former une population défavorisée au 'réseau des réseaux'.

Mise en perspective

La fracture numérique apparaît pour certains comme un problème hypocrite. À l'heure où :

  • plus de 2,5 milliards de personnes vivent avec moins de 2$ par jour.
  • 20% des plus de 15 ans sont analphabètes.
  • en France même « 10 à 20 % des adultes auraient des difficultés à lire et écrire. » ("Vies de familles", magazine de la CAF).

Il y a d'autres urgences que la fracture numérique.

Le problème de fond est le sous-développement, la fracture numérique ne faisant que reflèter des inégalités qu'il sous-tend. Résoudre la « fracture numérique » peut faciliter l'accès à l'information et à l'éducation, et aider à la transformation économique, mais ne peut être le moteur principal d'un développement durable.

Voir aussi

  • Fracture sociale Pour beaucoup la fracture numérique n'est qu'une nouvelle expression de la fracture sociale. La combattre c'est lutter pour l'e-inclusion comme le souligne un rapport d'experts européens.
  • Aménagement numérique Démarche visant à réduire les fractures numériques par des actions, notamment publiques, sur les infrastructures de réseaux de communications électroniques

Références

Notes

  1. Hervé Le Crosnier, SMSI, Genève du 10 au 12 décembre 2003, cité par Dominique Lahary « La propriété intellectuelle s'invite au sommet de l'information » in Bulletin des bibliothèques de France t. 49, n°2, p.104.
  2. untitled
  3. Par « couverture numérique optimale » il faut entendre l’accès de tous au bouquet de services offert aujourd’hui avec la Télévision numérique terrestre (TNT), d’une part, et, d’autre part, l’accès à un débit minimum de 10 mégabits par seconde à Internet
  4. Zones d'ombre, zones blanches et nouveaux NRA
  5. Atelier Aménagement Numérique des Territoires - La solution "NRA-ZO"
  6. La société de l’information en Suisse État des lieux et perspectives, Office fédérale de la Statistique, 2002, p.28
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