- Fernand De Magellan
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Fernand de Magellan
Pour les articles homonymes, voir Magellan.Fernand de Magellan, (Fernão de Magalhães en portugais, Hernando de Magallanes en espagnol), né dans le nord du Portugal[1] aux environs de 1480 et mort sur l'île de Mactan aux Philippines le 27 avril 1521, est un navigateur et explorateur portugais de l'époque des Grandes découvertes. Il est connu pour être à l'origine de la première circumnavigation de l'histoire – achevée en septembre 1522 sous les ordres de Juan Sebastián Elcano après trois ans de voyage – en ayant navigué vers l'Ouest pour rejoindre les Moluques, découvrant sur son chemin le détroit qui porte son nom.
Au XVe siècle, contrairement aux idées reçues, la rotondité de la Terre était une idée acquise depuis l'Antiquité[2],[3]. Au IIIe siècle av. J.-C, Eratosthène en avait mesuré la circonférence avec un degré d'exactitude remarquable. Même si les écrits des Grecs, notamment ceux d’Aristote, perdirent leur autorité, cette idée perdura pendant tout le Moyen Âge. Le Traité de la Sphère de Joannes Sacrobosco, écrit à Paris en 1224, fut largement divulgué dans tous les cercles savants sans que l'Église y trouvât à redire. Le premier globe connu, c'est-à-dire le plus ancien conservé, est celui réalisé à Nuremberg par Martin Behaim en 1492.
À cette époque également, l'Europe avait développé un goût pour les épices exotiques, ce qui a développé, outre l'intérêt de géographes, celui d'explorateurs et de commerçants[4],[5]. Magellan était convaincu que les Moluques se trouvaient dans la moitié du globe qui revenait à la couronne d'Espagne depuis le Traité de Tordesillas qui partageait le monde entre Castillans et Portugais depuis 1494. Il pensait qu'il pourrait rejoindre par l'ouest les îles aux épices qu'il avait déjà approchées lors de son séjour à Malacca en 1511-1512. Avant même qu'il n'entreprenne son voyage aux îles Moluques d'où provenait en exclusivité le girofle, Magellan avait reçu des lettres d’un de ses amis personnels, le Portugais Francisco Serrão, qui s’y trouvait depuis 1512. C'est ce projet de rejoindre par l'ouest les îles des épices, soutenu finalement par la Couronne espagnole, qui conduisit la flotte qu'il commandait à effectuer le tour du monde, ce qui n'était en rien le projet initial. L'événement eut un retentissement considérable en Europe. Après un peu plus d'un quart de siècle, le projet de Christophe Colomb était enfin réalisé et comme le souligne Pierre Chaunu « jamais le monde n'a été aussi grand qu'au lendemain du périple de Magellan »[6].
Éléments historiographiques
Si le voyage donne lieu à différents récits, commentaires et témoignages au XVIe siècle, les premiers travaux importants concernant la personne de Magellan ne datent que du XIXe siècle avec la publication en 1864 au Chili d'une biographie du navigateur par Barros Arana. Ses travaux mènent des auteurs européens à écrire eux aussi sur le sujet à la fin du XIXe siècle jusqu'aux synthèses très importantes de José Toribio Medina en 1920 et celle du vicomte de Lagoa en 1938. Tous les documents d'archives disponibles sont alors connus et publiés[7]. Les origines et de nombreuses années de la vie de Magellan avant son grand voyage sont très mal connues. L'ensemble du voyage est en revanche bien connu par plusieurs documents d'époque dont en premier lieu la relation complète d'Antonio Pigafetta, un des survivants du périple. Il existe également un certain nombre de lettres et de dépositions, ainsi que des récits et témoignages plus fragmentaires mais précieux comme le journal de bord de Francisco Albo, la relation de Ginés de Mafra ou encore le carnet de bord du pilote génois. Tous ces documents ont permis aux historiens de retracer l'intégralité du parcours de la flotte au cours de sa longue navigation et d'identifier les différents lieux visités. Les chroniqueurs du temps ont rendu compte de l'exploit : côté espagnol, Maximilianus Transylvanus dès janvier 1523 mais aussi Pierre Martyr d'Anghiera en 1530, et le chroniqueur royal Antonio de Herrera y Tordesillas en 1601 – plus tardif, mais beaucoup plus fiable que ses prédécesseurs Fernández de Oviedo et López de Gómara ; côté portugais, Fernão Lopes de Castanheda (1552), Damião de Góis (1557) et João de Barros (1563).
Origines et premiers voyages en Orient et au Maroc
Fernand de Magellan appartient à l'une des branches de la vieille lignée des Magalhães, famille noble du nord du Portugal dont l'origine remonte à la fin du XIIIe siècle[8]. Les historiens peinent à le situer dans l'arbre généalogique et ignorent tout de sa jeunesse. La première mention historiquement sûre, une pièce d'archive, le désigne comme supplétif (sobresaliente) et pensionné (moradores) de la Maison du Roi sur la flotte de Francisco de Almeida, nommé vice-roi des Indes orientales portugaises. C'est à bord de cette armada de vingt navires qu'il quitte Lisbonne le 25 mars 1505[9],[10]. Il découvre les Indes, combat de concert avec Francisco Serrão qu'il sauve à deux reprises[11] et se livre quelques mois au commerce du poivre, avant de participer à la prise de Malacca à l'été 1511 sous le commandement d'Afonso de Albuquerque[12]. Son ami Francisco Serrão atteint l'île de Ternate dans les Moluques où il s'établit après avoir gagné les faveurs du roi local[13]. Magellan recevra des nouvelles de son ami Francisco Serrão par courrier, avant de quitter Malacca le 11 janvier 1513 pour rejoindre le Portugal.
À l'été 1513, Magellan est envoyé au Maroc au sein d'une puissante armée qui doit s’emparer d’ Azemmour[14]. Durant les combats, il aurait été blessé à la jointure d’un genou, le laissant légèrement boiteux sa vie durant[15]. Après être parti sans permission, il est accusé de commerce illégal avec les Maures[16]. Ces accusations sont vite abandonnées, mais Magellan est alors un soldat qui ne jouit pas de la meilleure réputation auprès de l'administration de Manuel I, laquelle refuse d'augmenter sa pension de seulement 100 réaux. Le projet mûri par Magellan d'atteindre les îles des épices par l'ouest ne pouvait intéresser le roi de Portugal, qui captait déjà par l'intermédiaire de commerçants malais le trafic du girofle des Moluques et de la noix de muscade de Banda. Mécontent de ne pas voir ses mérites reconnus au Portugal, Magellan décide d'aller offrir ses services au roi d'Espagne[17], le futur Charles Quint, qui à ce moment n'a que 18 ans. L'enjeu est autant la découverte des îles, que l'établissement d'une cartographie exacte permettant de délimiter les domaines réservés à l'Espagne et au Portugal, définis par le traité de Tordesillas.
Le grand voyage autour du monde
Des préparatifs au départ de la flotte – 1517 / 1519
En octobre 1517 à Séville, Magellan se met en contact avec Juan de Aranda, facteur de la Casa de Contratación. Puis, suite à l'arrivée de son associé, Rui Faleiro, et grâce au soutien d'Aranda, ils présentent leur projet au monarque espagnol, Charles Ier, futur Charles Quint, qui vient tout juste d'arriver en Espagne[18]. La proposition de Magellan lui apparait particulièrement intéressante, puisqu'elle permettrait d'ouvrir la « route des épices » sans dégrader les relations avec le voisin portugais, une action qui ne manquerait pas d'apporter richesse et honneurs à la monarchie. Depuis la Junta de Toro en 1505 la Couronne s'était fixé pour objectif de découvrir la route occidentale qui mènerait les Espagnols jusqu'en Asie. L'idée était donc dans l'air du temps. Juan Diaz de Solis, Portugais passé au service de l'Espagne, venait de tenter de découvrir cette voie en explorant le Río de la Plata en 1515-1516, y perdant la vie.
Le 22 mars 1518 le roi nomme Magellan et Faleiro capitaines pour que ces derniers partent à la recherche de l'île aux épices et en juillet les élèvent au grade de commandeur de l'Ordre de Santiago. Le roi leur octroie[19] :
- le monopole sur la route découverte pour une durée de dix ans.
- leur nomination comme gouverneurs des terres et des îles qu'ils rencontreraient, avec 5% des gains nets qui en découleraient.
- un cinquième des gains du voyage.
- le droit de prélever mille ducats sur les prochains voyages, payant seulement 5% sur les surplus.
- la concession d'une île à chacun, mises à part les six plus riches, desquelles ils ne recevraient qu'un quinzième.
L'expédition est essentiellement financée par la Couronne et pourvue de cinq navires équipés en vivres pour deux ans de voyage.
Un nombre sans fin de problèmes surgissent dans la préparation de ce voyage, un manque d'argent, le roi du Portugal qui cherche à les faire arrêter, la méfiance des Castillans envers Magellan et les autres Portugais engagés, sans oublier le caractère difficile de Faleiro[20]. Finalement, grâce à la ténacité de Magellan, l'expédition voit le jour. Par l'entremise de l'évêque Juan Rodríguez de Fonseca ils obtiennent l’implication du marchand Cristóbal de Haro, qui fournit une partie des fonds et des marchandises à troquer.
La flotte lève l’ancre de Séville le 10 août 1519, mais doit attendre le 20 septembre 1519 pour hisser les voiles et quitter Sanlúcar de Barrameda, avec 237 hommes répartis sur cinq navires : la Trinidad, nef amirale commandée par Magellan ; le San Antonio commandé par Juan de Cartagena ; la Concepción commandée par Gaspar de Quesada, le Santiago commandé par Juan Serrano et la Victoria commandée par Luis de Mendoza. Les équipages sont formés d'hommes provenant de plusieurs nations. Paul Teyssier écrit : « outre les Espagnols, il y avait parmi eux des Portugais, des Italiens, des Grecs et même des Français. De sorte qu'on peut parler, en un sens, d'un personnel européen. »[21].
Navires au départ de l'expédition de Magellan[22]
Navire Tonnage Équipage Remarque Trinidad 110 62 Navire commandé par Magellan, il finit arraisonné par les Portugais aux Moluques, avec 20 marins ayant survécu à une dramatique tentative de traversée du Pacifique. San Antonio 120 55 Déserte l'expédition dans le détroit de Magellan et regagne Séville le 6 mai 1521. Concepción 90 44 Navire abandonné et brûlé devant l’île de Bohol, près de Cebu, en raison du manque d'hommes d'équipage. Santiago 75 31 Naufragé le 3 mai 1520 dans les parages du rio de Santa Cruz. Victoria 85 45 Seul navire à réaliser la circumnavigation. À l'arrivée ils ne sont plus que 18 européens et 3 Moluquois. Mais 12 Européens et un Moluquois laissés au Cap-Vert rejoindront Séville peu après. Total : 237 Le long de l'Amérique du sud, la mutinerie de San Julián – 1519 / 1520
Des cinq capitaines de l'expédition, il semblerait qu'au moins trois ne partagent pas les mêmes vues que Magellan, au point que certains veulent l'éliminer. À bord de cette expédition, l'italien Antonio Pigafetta tient un journal du voyage. C'est grâce à lui que nous sont parvenues non seulement les informations sur les mutins mais le récit complet du voyage parce qu'il fit partie des 18 survivants arrivés le 6 septembre 1522. Après un bref séjour aux îles Canaries, le chef de la mutinerie, Juan de Cartagena bâtard d’un grand d'Espagne, est fait prisonnier. Quatre mois passent et la flottille arrive près des côtes du Brésil en décembre. La flottille porte le pavillon espagnol et le Brésil est une colonie portugaise. Après une brève escale pour se ravitailler à la Ponta de Baleia, près de l'archipel des Abrolhos, Magellan décide d'ancrer le 13 décembre 1519 dans la baie de Santa Lucia, aujourd’hui connue sous le nom de Rio de Janeiro, qu’un de ses pilotes João Lopes Carvalho connaît bien pour y avoir séjourné sept ans auparavant. Celui-ci y retrouve Juanillo, le fils qu'il avait eu d’une Indienne, qu'il va embarquer sur la flotte. Après une escale de quatorze jours, on vogue ensuite en direction du sud pour essayer de contourner l'Amérique du Sud. Nous sommes en décembre 1519 et plus Magellan navigue vers le sud, plus il fait froid. Il décide d’hiverner en Patagonie (Argentine). Le 31 mars 1520, la flotte trouve refuge dans un estuaire abrité qu'ils nomment Port de San Julián[23]. C'est ici que va éclater « la mutinerie de Pâques » dont Magellan va se sortir mais avec de lourdes conséquences. La mutinerie éclate dès le 1er avril sous la conduite de Juan de Cartegena, Luis de Mendoza et Gaspar de Quesada qui tous s'inquiètent du tour que prend le voyage et doutent de l'existence de ce passage vers l'ouest et surtout de leurs chances de survie dans ces régions froides et désertes. Magellan et les marins qui lui sont restés fidèles parviennent habilement à se défaire des mutins[24]. Mendoza est tué par surprise par le prévôt (alguazil) Gonzalo Gómez de Espinosa, Quesada est exécuté, Cartegena et le prêtre Pedro Sánchez de la Reina sont abandonnés sur le rivage avec une épée et un peu de pain[25]. La peine à laquelle sont condamnés quarante autres mutins, dont Juan Sebastián Elcano, est finalement amnistiée. Certains, dont le cosmographe Andrés de San Martín, subissent tout de même le pénible supplice de l'estrapade. La clémence de Magellan ne doit pas surprendre. Il avait besoin de tous pour poursuivre son voyage comme l'écrit Stefan Zweig : « comment poursuivre le voyage, si, en vertu de la loi, il fait exécuter un cinquième de ses équipages ? Dans ces régions inhospitalières, à des milliers de lieues de l'Espagne, il ne peut pas se priver d'une centaine de bras. »[26].
Naufrage du Santiago, désertion du San Antonio et découverte du détroit de Magellan – 1520
Durant l'été (l'hiver dans l'hémisphère Nord), Magellan décide d'envoyer un de ses navires en reconnaissance pour trouver le fameux passage qui l'amènerait à l'ouest de l'Amérique, vers l'océan Pacifique. Malheureusement le Santiago s'échoue en mai. Trois mois plus tard Magellan décide de repartir vers le sud avec les quatre navires restants. C'est le 21 octobre 1520 que Magellan aperçoit un cap qu'il nommera le cap Virgenes. Celui-ci marque l'entrée du détroit. Il en commence l'exploration et y reconnaît un passage vers l'ouest. Dans le dédale de fjords, cerné de falaises « menaçantes », aux eaux « sinistres », qu'il mettra plus d'un mois à traverser, les récits indiquent que pendant la traversée du détroit, les marins aperçoivent de nombreuses fumées à l'intérieur des terres. La Terra de los Fumos (en français : Terre des Fumées) qui apparaît sur les cartes postérieures au voyage, deviendra la Terre de Feu. Le détroit, nommé d’abord « chenal de Tous-les-Saints », a rapidement pris le nom de détroit de Magellan en l’honneur du navigateur.
Au milieu du détroit, Estêvão Gomes, pilote du San Antonio, se rebelle avec ses hommes et met aux fers le capitaine Alvaro de Mesquita, cousin de Magellan. Il rebrousse chemin, déserte et repart vers Séville avec son chargement de vivres et de marchandises à troquer. Après avoir traversé l’Atlantique, le navire parvient à Séville le 6 mai 1521 avec 55 hommes à son bord[27].
Traversée du Pacifique et mort de Magellan – 1520 / 1521
À l'époque de Magellan, la circonférence de la Terre n'est pas encore connue avec précision, malgré le travail d'Eratosthène qui l'avait calculée près de 18 siècles auparavant. Mais Magellan ne sous-estime pas la dimension du Pacifique, comme une opinion courante le prétend. Son mémoire géographique, qu’il laisse au roi avant de partir[28], ainsi qu’une carte dressée par Jorge et Pedro Reinel en 1519 à Séville en font foi. La surprise du navigateur est de trouver un océan vide. Par malchance, il n'approche aucune des nombreuses îles qui parsèment l’océan, à l'exception de deux atolls déserts, baptisés islas infortunadas où il ne put accoster. L'eau n'est plus potable, les rations vont s'amenuisant, le biscuit même vient à manquer, l'équipage doit survivre en mangeant des rats. Antonio Pigafetta écrit : « nous ne mangions que du vieux biscuit tourné en poudre, tout plein de vers et puant, pour l'ordure de l'urine que les rats avaient faite dessus et mangé le bon, et buvions une eau jaune infecte. »[29]. Le scorbut et le béribéri attaquent l'équipage, mais sans le décimer. Une étude récente montre qu’il n'y a eu que neuf morts lors de cette traversée de trois mois et demi et que cela est sans doute dû au céleri sauvage abondamment récolté dans le détroit[30]. Le 6 mars 1521, ils parviennent en vue de Guam aux Mariannes où ils peuvent se ravitailler partiellement. Ils font voile ensuite pour les Philippines, et débarquent le 17 mars sur l’île d'Homonhon. Ils trouvent des paysages idylliques, les épices, les oiseaux multicolores, des indigènes qui semblent pacifiques. Une première escale a lieu sur l’île de Limasawa, où est dite la première messe, une seconde sur celle de Cebu où le roi se convertit au christianisme avec son peuple.
Lapu-Lapu, roi du minuscule îlot de Mactan, en face de Cebu, refuse de se plier aux envahisseurs. Magellan mène une expédition contre lui en estimant que soixante hommes en armure avec des arquebuses peuvent vaincre des indigènes nus trente fois plus nombreux. Magellan tombe sous les coups, avec six de ses compagnons, le 27 avril 1521[31],[32]. La chronique d'Antonio Pigafetta apporte des précisions essentielles sur cet épisode : les guerriers de Lapu-Lapu s'étaient eux-mêmes confectionnés des boucliers en bois extrêmement dur, résistant aux arquebuses, tout en s'armant de flèches empoisonnées dont le venin avait un effet quasi-immédiat. Quatre jours plus tard, après la défaite à Mactan, le 1er mai, le roi de Cebu tend une embuscade aux nouveaux arrivants lors d'un dîner au cours duquel il dit vouloir remettre aux officiers de la flotte les « joyaux et présents qu'il avait promis d'envoyer au roi d'Espagne » selon l'expression de Pigafetta[33], il s'agissait simplement pour le roi de Cebu de revenir en grâce auprès des seigneurs voisins qui souhaitaient se débarrasser des Européens. Selon Pierre Martyr d'Anghiera, l'origine de cette vengeance est tout simplement à chercher du côté du viol des femmes[34]. Ceux qui étaient restés à bord des navires à l'ancre s'enfuient. Selon le témoignage oculaire d'Antonio Pigafetta, auteur de la chronique relatant le voyage de Magellan, c'est bien Enrique, le domestique de Magellan, originaire des îles dont il parlait la langue, qui s'est rallié au roi Humabon, souverain de Cebu. En effet, dans son testament, Magellan avait stipulé qu'à sa mort, son fidèle serviteur devrait être affranchi. Or le gendre de Magellan, Duarte Barbosa, rejeta cette disposition testamentaire et exigea d'Enrique qu'il reste à bord. Se révoltant contre cette contrainte injuste et illégale, Enrique rejoignit Humabon. Ce dernier, s'étant aperçu des faiblesses des européens resté sans chef après la mort de Magellan, estima que le moment était opportun de se débarrasser d'eux.
Les épices des Moluques et le retour vers l'Espagne – 1521 / 1522
Mais il ne reste que 113 hommes, pas suffisamment pour manœuvrer trois vaisseaux. Le 2 mai 1521, la Concepción est brûlée devant l’île de Bohol[35]. La Victoria et la Trinidad prennent le large début mai, font escale à Palawan pour s’approvisionner en riz, puis gagnent à la mi-juillet la ville de Brunei, au nord de l’île de Bornéo, escale qui est le théâtre de riches péripéties. Enfin, le 29 juillet 1521, ils lèvent l’ancre et se dirigent vers les îles aux Épices qu’ils atteignent un peu plus de quatre mois plus tard.
Les navires arrivent à Tidore, aux îles Moluques, le 8 novembre 1521. Ces îles sont déjà connues des Portugais depuis une quinzaine d'années, Francisco Serrão, mort quelques mois avant l’arrivée des navires, y étant présent depuis 1512. Les équipages chargent d'épices les deux navires restants. Alors que la Victoria s'apprête à sortir du port, une importante voie d'eau est découverte dans la Trinidad. Elle est contrainte de rester pour faire des réparations, et repartira quatre mois plus tard. Avec 50 hommes à son bord et commandé par João Lopes de Carvalho, le navire est finalement arraisonné par les Portugais qui ne trouveront à bord que vingt marins très affaiblis par leur vaine tentative de rejoindre vers l'est l'Isthme de Panamá.
La Victoria, 60 hommes (dont 13 Moluquois), avec comme capitaine Elcano quitte l'île de Tidore le 21 décembre 1521 et réussit à traverser l'océan Indien et à passer le cap de Bonne-Espérance pour rejoindre l'Espagne. À leur arrivée, il ne reste que 18 membres d'équipage, incluant Antonio Pigafetta, qui a livré le récit le plus complet du périple. Mais il ne faut pas oublier 12 hommes restés prisonniers des Portugais au Cap-Vert, qui reviendront quelques semaines plus tard. La Victoria est le premier bateau qui effectue la circumnavigation complète du globe. La vente des épices rapportées à fond de cale rembourse grosso modo les frais engagés au départ, mais il ne faut pas oublier les arriérés de solde à verser aux survivants et aux veuves. En fait, le bilan financier est très négatif et les expéditions qui suivront (García Jofre de Loaysa en 1526 et Alvaro de Saavedra en 1527) seront des désastres. En 1529, par le traité de Saragosse, l'Espagne renoncera définitivement à ses droits prétendus sur les Moluques, qu'elle vendra néanmoins chèrement 350 000 ducats. Le gain politique sera quant à lui quasi nul jusqu'à l'ouverture de la ligne Manille-Acapulco en 1565 et l’occupation des Philippines que l'Espagne revendiquera au nom de la première découverte. Comme l'écrit Pierre Chaunu : « le retour d'El Cano par la voie portugaise de la Carreira da India a une valeur scientifique, non pas économique. Il est prouvé qu'on ne peut contrebattre valablement par le passage du sud-ouest la navigation indo-portugaise du cap de Bonne-Espérance. »[36]. Il faut attendre 58 ans avant que Sir Francis Drake ne réussisse la deuxième circumnavigation. Le détroit de Magellan comme voie de passage vers le Pacifique est quant à lui abandonné pendant plusieurs siècles.
Voici la liste des 18 occidentaux à avoir fait les premiers le tour du monde[37] :
- Juan Sebastián Elcano Capitaine
- Francisco Albo Pilote
- Miguel de Rodas Contremaître
- Juan de Acurio Contremaître
- Hans Canonnier
- Hernando de Bustamante Barbier
- Martin de Judicibus Prévôt
- Diego Gallego Marin
- Nicolás de Nauplie Marin
- Miguel Sánchez de Rodas Marin
- Francisco Rodrigues Marin
- Juan Rodríguez de Huelva Marin
- Antonio Hernández Marin
- Juan de Arratia Mousse
- Juan de Santander Mousse
- Vasco Gomes Gallego Mousse
- Juan de Cubileta Page
- Antonio Pigafetta Supplétif
Les douze hommes retenus prisonniers au Cap-Vert, qui reviennent quelques semaines plus tard à Séville, via Lisbonne[38] :
- Martín Méndez Secrétaire de la flotte
- Pedro de Tolosa Dépensier
- Richard de Normandie Charpentier
- Roldán de Argote Canonnier
- Maître Pedro Supplétif
- Juan Martín Supplétif
- Simón de Burgos Prévôt
- Felipe Rodas Marin
- Gómez Hernández Marin
- Bocacio Alonso Marin
- Pedro de Chindurza Marin
- Vasquito Mousse
Les cinq survivants de la Trinidad, qui eux aussi ont accompli le tour du monde, mais en ne revenant en Europe qu’en 1525-1526 :
- Gonzalo Gómez de Espinosa Prévôt de la flotte "(alguazil)"
- Leone Pancaldo Pilote
- Juan Rodríguez el Sordo Marin
- Ginés de Mafra Marin
- Hans Vargue Canonnier
Repères chronologiques
Date Description[39] 10 août 1519 Départ de Séville 13 décembre 1519 Arrivée dans la baie de Santa Lucia (Brésil) 12 janvier 1520 Début d'exploration du Rio de la Plata (Argentine) 31 mars 1520 Arrivée à Puerto San Julián (Patagonie, Argentine) 1er avril 1520 Mutinerie de San Julián 3 mai 1520 Naufrage du Santiago 21 octobre 1520 Découverte du cap Virgenes, entrée du détroit vers le 8 novembre 1520 Désertion du San Antonio qui rentre à Séville 28 novembre 1520 Entrée de la flotte dans l'océan Pacifique 6 mars 1521 Arrivée aux Mariannes 7 avril 1521 Arrivée à Cebu 27 avril 1521 Mort de Magellan et de six autres hommes lors du combat contre les indigènes de Mactan 2 mai 1521 Destruction volontaire de la Concepcion 8 novembre 1521 Arrivée aux Moluques sur l'île de Tidore 21 décembre 1521 Départ de la Victoria chargée de girofle pour l'Espagne 19 mai 1522 La Victoria passe le cap de Bonne-Espérance 6 septembre 1522 La Victoria accoste à Sanlucar de Barrameda Annexes
Bibliographie
- Jean-Michel Barrault, Magellan. La terre était ronde, Gallimard, 1997.
- Laurence Bergreen, Par-delà le bord du monde, Grasset, 2005.
- Xavier de Castro (dir) (préface de Carmen Bernand & Xavier de Castro), Le voyage de Magellan (1519-1522). La relation d'Antonio Pigafetta & autres témoignages, Chandeigne, coll. « Magellane », Paris, 2007, 1088 p.[40],[41]
- Stefan Zweig, Magellan, Grasset, Paris, 1938
Articles connexes
- Juan Sebastián Elcano, à l'origine maître d'équipage de la Concepcion, il finit capitaine de la Victoria, seul navire à effectuer le tour de monde.
- Antonio Pigafetta, le chroniqueur du voyage.
- Henrique de Malacca, l'esclave et interprète de Magellan.
Liens externes
- Magellan, le Premier Tour du Monde. Série radiophonique en 15 épisodes. CDMP3. L'histoire du Tour du monde de Magellan, d'après la chronique d'Antonio Pigafetta et les lettres du Pilote Francisco Albo. Diffusé sur Radio Exterior de España, programme francophone
- Site biographique consacré à Magellan, son voyage, les personnages rencontrés
Notes et références
- ↑ Le seul document du XVIe siècle indiquant un lieu de naissance est le manuscrit de Fernando de Oliveira daté de 1560 environ. Celui-ci, plutôt fiable et bien informé, écrit que Magellan est « né à Porto » (cité dans Xavier de Castro (dir) 2007, p. 749) ; c'est la meilleure hypothèse dont nous disposons (Xavier de Castro (dir) 2007, p. 40-41). En revanche, l'indication d'une naissance à Sabrosa est une pure fable qui a été forgée au XIXe siècle à partir de documents dont quatre historiens portugais dans les années 1921-1939 ont largement démontré la nature falsifiée, et qui de plus n'indiquaient aucun lieu de naissance... Malheureusement, malgré l'évidence, cette erreur a été répétée tant de fois depuis un siècle et demi, même par des historiens réputés sérieux, qu'elle semble désormais gravée dans le marbre (voir le résumé des démonstrations dans Xavier de Castro (dir) 2007, p. 312-315).
- ↑ Peter van der Krogt, « Le mythe de la terre plate » in Edward H. Dahl et Jean-François Gauvin, La découverte du monde. Une histoire des globes terrestres et célestes, Privat, 2001.
- ↑ William Randles, De la terre plate au globe terrestre. Une mutation épistémologique rapide 1480-1520, Armand Colin, 1980.
- ↑ « Il est difficile aujourd'hui de concevoir l'importance économique des épices à l'aube des temps modernes. (...) il faut néanmoins accorder aux denrées de luxe un rôle de premier plan dans l'expansion occidentale. », Xavier de Castro (dir) 2007, p. 15.
- ↑ Stefan Zweig écrit au tout début de sa biographie de Magellan : « Au commencement était les épices. Du jour où les Romains, au cours de leurs expéditions et de leurs guerres, ont goûté aux ingrédients brûlants ou stupéfiants, piquants ou enivrants de l'Orient, l'Occident ne veut plus, ne peut plus se passer d'"espiceries", de condiments indiens dans sa cuisine ou dans ses offices. », Stefan Zweig 1938, p. 17
- ↑ Pierre Chaunu, Conquête et exploitation des nouveaux mondes, PUF, Nouvelle Clio, 1969, p. 267.
- ↑ Xavier de Castro (dir) 2007, p. 36
- ↑ Xavier de Castro (dir) 2007, p. 37
- ↑ Xavier de Castro (dir) 2007, p. 42
- ↑ Stefan Zweig 1938, p. 44
- ↑ Xavier de Castro (dir) 2007, p. 43
- ↑ Stefan Zweig 1938, p. 54-55
- ↑ Xavier de Castro (dir) 2007, p. 45
- ↑ Xavier de Castro (dir) 2007, p. 49-50
- ↑ João de Barros, Décadas da Asia, 1563, III, v, 8.
- ↑ Stefan Zweig 1938, p. 62-63
- ↑ Xavier de Castro (dir) 2007, p. 54
- ↑ Xavier de Castro (dir) 2007, p. 55-56
- ↑ Xavier de Castro (dir) 2007, p. 326-328
- ↑ Xavier de Castro (dir) 2007, p. 329-332
- ↑ Paul Teyssier, « Les cent Glorieuses » in' Michel Chandeigne (dir), Lisbonne hors les murs. 1415-1580. L'invention du monde par les navigateurs portugais, Autrement, 1992, p. 38.
- ↑ Xavier de Castro (dir) 2007, p. 515
- ↑ Xavier de Castro (dir) 2007, p. 97
- ↑ Les événements sont narrés en détail par Stefan Zweig dans sa biographie de Magellan, op. cit., p. 155-171.
- ↑ Xavier de Castro (dir) 2007, p. 362-364
- ↑ Stefan Zweig 1938, p. 168
- ↑ Xavier de Castro (dir) 2007, p. 372-374
- ↑ Xavier de Castro (dir) 2007, p. 65-66
- ↑ Xavier de Castro (dir) 2007, p. 114
- ↑ Xavier de Castro (dir) 2007, p. 379-381
- ↑ Xavier de Castro (dir) 2007, p. 164-167
- ↑ Stefan Zweig écrit : « ainsi périt, dans une bagarre stupide avec une horde de sauvages, le plus grand navigateur de tous les temps. » Stefan Zweig 1938, p. 230
- ↑ Xavier de Castro (dir) 2007, p. 170
- ↑ Xavier de Castro (dir) 2007, p. 409-410
- ↑ Xavier de Castro (dir) 2007, p. 175
- ↑ Pierre Chaunu, op. cit., p. 134.
- ↑ Xavier de Castro (dir) 2007, p. 473
- ↑ Xavier de Castro (dir) 2007, p. 472
- ↑ « Chronologie du voyage » in Xavier de Castro (dir) 2007, p. 531-536.
- ↑ Présentation du livre Le Voyage de Magellan par les éditions Chandeigne
- ↑ Document audio : présentation du livre « Le voyage de Magellan », par Michel Chandeigne
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