Agnes d'Aquitaine

Agnes d'Aquitaine

Agnès d'Aquitaine

Agnès d'Aquitaine
Henri III et Agnès dans un évangéliaire autour de 1050, musée de l'Escorial.
Henri III et Agnès dans un évangéliaire autour de 1050, musée de l'Escorial.
Naissance Entre 1020 et 1030
Décès 14 décembre 1077
Rome
Pays France
Titre Impératrice du Saint-Empire
(1043 - 1062)
Enfant de Guillaume V de Poitiers
et de
Agnès de Bourgogne
Conjoint Henri III du Saint-Empire
Enfants Mathilde de Franconie

Henri IV du Saint-Empire

Conrad de Franconie

Judith de Franconie


Agnès de Poitou, (dite parfois Agnès d'Aquitaine), est née entre 1020 et 1030 et morte le 14 décembre 1077 à Rome. En 1043[1], elle épouse Henri III dit Henri III le Noir, empereur germanique[2]. Devenue veuve en 1056, l'impératrice Agnès assume la régence du Saint-Empire romain germanique jusqu'à la majorité de son fils Henri IV le Grand en 1062.

En 1061, après la mort du pape Nicolas II et contrairement à la coutume, le Sacré Collège ne fait pas confirmer l'élection d'Alexandre II par le Saint-Empire. L'aristocratie de Rome conteste l'élection et fait appel à Agnès, qui fait élire à Bâle l'antipape Honorius II. Le schisme dure peu, puisque Honorius est désavoué par tous en 1064, mais encourage la papauté dans sa réforme, ce qui conduira à la Querelle des Investitures.

Pendant la régence, les grands féodaux et les grands évêques du royaume d'Allemagne se révoltent et vont jusqu'à enlever en 1062 son fils Henri, roi des Romains. Après un voyage en France, elle se retire dans un couvent en Italie, d on l'appelle en 1072 pour réconcilier le duc de Souabe Rodolphe de Rheinfelden avec son fils. Après avoir évité la guerre civile, elle se retire à nouveau et meurt à Rome.

Femme érudite, elle fit traduire les ouvrages de Constantin l'Africain, moine médecin de l'abbaye du Mont-Cassin. Saint Pierre Damien, cardinal d'Ostie, est une des principales sources sur sa vie.


Sommaire

État des recherches sur le personnage d'Agnès

Agnès du Poitou est un personnage historique très controversé. Bien que femme, elle a dirigé l'un des plus grands empires européens, pendant presque dix ans, mais sa régence a été une période de réformes ecclésiastiques et l'occasion pour le trône de Saint-Pierre de commencer à sémanciper de la monarchie germanique, émancipation dans laquelle elle joue un rôle. Mais Agnès était-elle vraiment la régente faible, confite en dévotion, complètement dépassée par les charges que son mari lui avait laissées en mourant de conduire les affaires du gouvernement et de parfaire l'éducation de leur fils, l'héritier du trône Henri IV ? C'est ainsi que l'historiographie la présentait.

Pendant longtemps il n'y eut aucun doute : Agnès avait été une régente trop faible. Ainsi, en 1923, Marie-Louise Buhlst-Thiele estime que « le fait d'entrer dans les ordres à la fin de sa vie, [est considéré] pour l'impératrice, comme une faiblesse ». Wilhelm von Giesebrecht va jusquà décrire Agnès comme étant d'une nature indécise et d'un caractère craintif. Dans son « Histoire de l'Empire allemand » (1890) il ne voit en elle quune régente faible, épouse du puissant empereur Henri III.

Pourtant dans les vingt dernières années l'opinion des chercheurs sur Agnès du Poitou a fortement changé. Cette évolution est surtout lœuvre de deux historiens qui ont étudié le sujet en profondeur.

Tilmann Struve, en 1995, démontre entre autres que l'entrée au couvent de l'impératrice ne doit pas être considérée comme une conséquence directe du coup d'État de Kaiserswerth, mais date du voyage d'Agnès à Rome en 1065. Cela donne à penser que l'impératrice n'a ni abdiqué ni fui ses responsabilités, mais au contraire qu'elle a tenu sa place légitime de régente aussi longtemps que cela lui a été possible.

Mechthild Black-Veldtrup a rédigé une critique historique des sources à propos d'Agnès du Poitou, dans laquelle elle résume les nombreuses nouvelles connaissances sur l'impératrice, modifiant profondément son image (2006).

Tilmann Struve et Mechthild Black-Veldtrup ont réussi, avec de nouvelles méthodes de datation et un travail critique sur les sources, à remettre en question les opinions des chercheurs et à les corriger sur des points qui ne sont nullement secondaires. Cependant les recherches sur Agnès du Poitou sont loin dêtre épuisées, il reste à éclaircir bien des points de sa vie, comme par exemple ce coup de force de Kaiserswerth, près de Düsseldorf, toujours obscur...

Le mariage d'Agnès avec Henri III

une famille puissante

Agnès est la fille de Guillaume V de Poitiers, duc d'Aquitaine et de sa troisième épouse, Agnès de Bourgogne.

Mariage politique

Agnès, fille de Guillaume duc dAquitaine et comte de Poitou, fut couronnée reine à Mayence en 1043[3] et, en novembre de la même année, elle épousa Henri III à Ingelheim.

Agnès, à cette date, avait tout au plus 18 ans, et elle devait être une jeune fille tendre, instruite et pleine dune profonde piété. Cest ainsi que le monastère de Cluny était une fondation de sa famille et Hugo, son abbé, devait être plus tard le parrain de l'héritier du trône, le futur Henri IV, et devenir le confident intime de la famille impériale.

Henri avait choisi Agnès comme épouse après que sa première femme, Gunhild, fut morte du paludisme. Ce mariage présentait surtout pour lui des avantages politiques en affermissant son pouvoir. Une alliance avec la dynastie française qui était peut-être la plus puissante renforçait la pression sur la royauté française et était de nature à améliorer la position d'Henri en Bourgogne, puisque aussi la famille dAgnès avait de riches possessions.

Tous deux furent couronnés empereur et impératrice le 25 décembre 1046 à Rome[4].

Vie d'impératrice

La vie de cour joyeuse et les festins ne plaisaient guère au couple royal qui avait une notion très claire de ses devoirs religieux. Cest ainsi que ménestrels et jongleurs, qui normalement ne manquaient à aucune fête du Moyen Âge, neurent pas lautorisation de venir au mariage pour montrer leurs talents[5]. Tout ce qui entourait les souverains devait être empreint de sérieux et de dignité.

Henri senthousiasma pour lidée de la Trêve de Dieu (Treuga Dei) qui était apparue en France et il sefforça de mettre fin au droit du plus fort et aux vengeances privées[6]. Il se heurta à des résistances mais il était trop puissant pour que ses adversaires pussent agir efficacement contre lui. Cependant sa veuve devait rencontrer plus tard les mêmes problèmes.

On peut croire quAgnès encouragea Henri dans sa conception religieuse de lautorité, quelle soutint et même inspira son action dans sa politique de réforme religieuse ; du vivant de son mari, malgré tout, elle neut aucune occasion dintervenir activement dans la politique. Ses fonctions étaient surtout représentatives : lépouse et la mère occupaient le premier rang.


Mort d'Henri III et maintien au pouvoir

Après la mort de son mari, dont elle avait été très proche (ce qui ne caractérisait peut-être pas le comportement médiéval), ce fut à Agnès que revint le soin dassurer la régence que le roi défunt lui avait confiée sur son lit de mort au nom de leur fils Henri IV, qui était encore mineur. Elle essaya bien au début de continuer la politique de son mari, mais se heurta à des résistances considérables dans l'Empire, particulièrement en Saxe ; la situation ayant changé, on ne pouvait plus suivre les mêmes principes, il fallait sadapter, trouver un moyen pour garder lhéritage dHenri III à leur fils et à la dynastie salienne.

Après la mort d'Henri III le 5 octobre 1056[7], Agnès prit la régence au nom dHenri IV, mineur, mais déjà couronné. Au début, elle continua la politique de son mari en sappuyant surtout sur Hugues de Cluny et le pape Victor II. Ce dernier, en tant quévêque d'Eichstätt et administrateur de lEmpire, faisait tout ce quil pouvait pour maintenir le pouvoir des Franconiens, issu de Conrad le Salique. L'impératrice, comme son époux Henri III, était du côté des réformateurs de léglise clunisienne, tandis que Hugues de Cluny, le parrain de son fils, qui était labbé de Cluny, centre de la réforme, menait une politique déquilibre et de paix. Le pape Victor II[8], qui devait la tiare à Henri III, jouait les bons offices entre la couronne, la noblesse et lépiscopat. De cette façon la régence de l'impératrice, femme sans expérience politique, était acceptée, même si une loyauté complète était loin dêtre garantie du côté des grands de l'Empire. La régence semblait navoir rien à craindre.

Pourtant, le pouvoir dans lEmpire échappait de plus en plus aux mains de la maison salienne, puisquAgnès navait pas encore réussi à simposer politiquement. Dans lEmpire, biens et droits passaient des mains de la noblesse dans celles de lÉglise impériale, ce qui affaiblissait le pouvoir des Brunonen et des Billunger et créait de sérieux problèmes en Saxe. « Au vrai, on ne parle pas après 1057 de graves désordres ou de révoltes, mais sur les questions politiques essentielles, la régence se contentait de réagir au lieu de diriger les événements. Le danger croissait que les grands de l'Empire shabituassent à se passer dun roi. »

L'impératrice était bien forcée dagir. Comme son autorité n'était pas aussi grande que celle dHenri III, elle commença bientôt à s'attacher les nobles en leur concédant en fiefs des duchés, ce qui n'était pas possible sans leur accorder des droits seigneuriaux directs. Dès Noël 1056 elle attribuait déjà à l'Ezzon Konrad le duché de Carinthie, qui pendant un an était resté vacant[9]. En 1057 Rudolf von Rheinfelden fut pourvu de la Souabe et devait aussi régir la Bourgogne. Berthold de Zähringen, qui avait rappelé son droit sur le prochain duché vacant, se sentit lésé et reçut en 1061 la Carinthie, après la mort du duc Konrad. Frutolf de Michelsberg, un chroniqueur de lépoque, nous apprend dans sa Chronique du Monde que Rudolf von Rheinfelden avait extorqué lattribution de la Souabe en enlevant Mathilde, la fille de l'empereur qui navait que 12 ans, et en se mariant deux ans plus tard avec elle. Mathilde était un gage qui pesait plus que promesse de la Souabe faite par Henri III, puisque Berthold von Zähringen pouvait maintenant l'appuyer sur une alliance avec l'empereur.

En 1061 les difficultés de la politique extérieure, entre autres le différend avec la Hongrie, contraignirent l'impératrice à se dessaisir aussi de la Bavière, qui était le dernier duché relevant encore directement de la maison royale et le plus important de l'Allemagne du Sud. Elle nomma duc le comte saxon Otto von Northeim, chef de guerre expérimenté. Cest à lui quincomberait désormais la défense du sud-est de l'Empire.

Évidemment les ducs ainsi créés étaient destinés à devenir par la suite les pires ennemis dHenri IV, mais comment le reprocher à Agnès ? Il lui fallait bien faire quelque chose pour apaiser lopposition de la noblesse à sa personne. Les historiens continuent cependant à lui reprocher quen diminuant la puissance des Saliens et en distribuant à tout de bras les duchés elle ait fortement diminué les pouvoirs de la royauté.

Pour le moment Otto von Northeim agissait exactement comme lavait voulu la maison salienne. Comme lavait souhaité Agnès, il protégeait efficacement l'empire contre les menaces extérieures, et faisait jeu égal avec la Hongrie, ce que n'avait pas réussi Henri III pendant sa vie. Les historiens le décrivent comme un homme d'action.

L'exemple de la Bavière confirme que, quand elle distribuait les duchés, Agnès n'avait pas le choix. Les voisins orientaux, en tout premier lieu la Hongrie, représentaient pour l'empire un danger quon ne pouvait sous-estimer, et pour Agnès, la régente de fait, il ne lui était pas légalement possible de conduire des expéditions. Elle avait besoin à ses côtés de ducs puissants, comme cétait le cas en Bavière avec Otto von Northeim. Sûrement, Agnès aurait pu empêcher les Zähringer, les Rheinfelder et les Northeimer de donner à leur pouvoir une base aussi forte, mais lélévation de ces trois hommes jeunes, appartenant à de jeunes dynasties, était peut-être à cette date un moindre mal, un risque calculé.

Le début des années soixante : la situation politique s'aggrave

Dans un empire garanti pour linstant au-dedans comme au dehors, Agnès semblait respectée. Les concessions quelle avait faites avaient beau être énormes, on lui assura par serment que, si le trône devenait vacant, cest-à-dire en cas de mort prématurée dHenri IV dont le frère, Konrad, était déjà décédé en 1055, elle aurait le droit de désigner elle-même son successeur, cest-à-dire que les Électeurs seraient obligés daccepter le nom quelle proposerait.

Une telle obligation par serment (le principal engagement entre personnes au Moyen Âge) montre qu'Agnès était désormais considérée par tous les partis dans l'Empire comme la souveraine légitime. Sans son consentement, aucun nouveau roi ne pourrait être proclamé par les princes. Le sérieux d'un tel serment fut mis en évidence par les scrupules des princes lors de lélection dun antiroi contre Henri IV, en 1076.

La mort du pape Victor II, son conseiller et son ami, en 1057, fut un tournant pour la pauvre régente. Agnès perdait le contact avec ceux qui voulaient réformer lÉglise. Ses intérêts et les leurs commençaient à nêtre plus les mêmes. L'ère des Empereurs fidèles au Pape prenait fin.

Beatrix, la belle-fille d'Agnès, qui patronnait la riche abbaye de Gandersheim en Saxe se vit reprocher par le chapitre des dames nobles, qui se recrutait principalement dans la noblesse saxonne, dabandonner aux ministériels les biens de la fondation et de compromettre ainsi la subsistance des chanoinesses. Victor II avait encore tranché en faveur de Beatrix. Le légat du nouveau pape Étienne IX réétudia laffaire et décida en faveur du chapitre. Cétait un coup pour le prestige et le pouvoir des Saliens en Saxe. Étienne IX avait déjà été élu en 1057 sans que la régente fût consultée et elle avait mis du temps à le reconnaître ; après sa mort, le 29 mars 1058, l'aristocratie romaine sentit quelle avait une chance dinfluencer l'élection du nouveau pape et, dès le 5 avril 1058, fit élire Benoît X. Ce nest quaprès le retour du légat du pape, Hildebrandt, qui à ce moment ne se trouvait pas en Italie, quavec le consentement de l'impératrice l'évêque Gérard de Florence fut élu pape à Sienne sous le nom de Nicolas II.

Cétait bel et bien le schisme et Nicolas II fut contraint de souvrir par les armes la route de Rome ; mais la lutte tourna en sa faveur.

Les grandes décisions politiques hors de l'Empire, comme par exemple l'élection du pape Etienne IX, se firent de plus en plus sans que les Saliens eussent rien à dire. Cest ainsi quen 1059 le pape Nicolas II promulgua le décret concernant lélection des papes sans avoir consulté l'impératrice. Par ce décret, l'élection du pape était confiée aux cardinaux. Mesure dirigée autant contre l'empire que contre l'aristocratie romaine. Dans lEmpire même les intrigues politiques et les luttes pour le pouvoir étaient toujours à lordre du jour. « Chacun voulait sélever encore plus haut ou au moins y songeait. » Agnès était littéralement écartelée entre les contraintes politiques et ses propres intérêts.

Certains conseillers de limpératrice commençaient à penser dabord à leurs propres intérêts, ce qui lincitait à se fier toujours davantage aux personnes appartenant aux services royaux, cest-à-dire aux ministériels. Ainsi, elle chargea le ministériel Kuno de léducation de son fils en même temps quOtnand, déjà partisan fidèle dHenri III, sélevait au premier plan de la politique.

Et cest précisément leur zèle à servir les intérêts de la couronne qui provoqua une opposition contre limpératrice qui donnait sa confiance à « des gens issus de rien ». On alla jusquà insulter Otnand en lappelant « Orcus ille », chien denfer.

Que le jeune Henri IV fût élevé par des personnages daussi basse condition paraissait au plus haut point scandaleux à la noblesse et au clergé. Plongée dans un dilemme, Agnès prit lévêque Heinrich dAugsbourg comme son conseiller personnel.

Un nouveau problème se présenta quand l'impératrice fut soupçonnée d'amour illicite avec Heinrich d'Augsbourg, car on pensa généralement quelle ne pouvait pas mettre en lui une telle confiance sans quil y eût quelque chose entre eux. Les chercheurs nous peignent latmosphère de la cour au début des années soixante du XIe siècle comme particulièrement agitée et bouillonnante dintrigues, dhostilités, de jalousies et de coups bas. Mais les processus qui devaient finalement plonger l'empire dans une crise et conduire Agnès à vouloir se retirer de la politique nétaient pas encore enclenchés.

Conflit pour lélection du pape

En 1060 Agnès demanda le pallium (insigne de la dignité archiépiscopale) pour lévêque, de Mayence. Nicolas II refusa. Alors, réunis dans un synode, les évêques de lEmpire déclarèrent invalides toutes les dispositions de Nicolas II pour montrer leur mécontentement.

Après la mort de Nicolas II le 19 juillet 1061, les cardinaux usèrent de leur nouvelle prérogative et le 30 septembre 1061 ils choisirent comme pape lévêque réformateur Anselme de Lucca, qui prit le nom dAlexandre II[10]. Agnès refusa alors de le reconnaître, et lui opposa son propre candidat, lévêque de Parme Cadalus. Cétait un nouvel échelon dans le conflit qui couvait déjà sous Nicolas II entre la cour et la papauté réformatrice.

Lélection de Cadalus, devenu lantipape Honorius II le 28 octobre 1061 à Bâle, nétait donc que « la continuation logique de la politique romaine dHenri III. »

Dès lélection cependant, le petit nombre de ceux qui y avaient participé avait clairement montré à limpératrice quelle ne pouvait pas compter dans lEmpire sur un soutien inconditionnel pour faire triompher son candidat. Elle pouvait bien tenter dimposer Honorius envers et contre tout, elle se rendait bien compte que saccrocher à la décision quelle avait prise non seulement porterait un coup mortel à la politique de réforme commencée par Henri III, mais encore quon allait au schisme, un schisme qui devait durer deux ans et demi.

La cour allemande se retrouvait donc adversaire de la papauté réformatrice et l'impératrice portait la responsabilité dans la division de lÉglise. Laffaire prenait un tour qui n'était absolument pas dans les desseins d'Agnès.

Cette élection de Bâle marque une cassure dans la régence de l'impératrice. Dans le gouvernement de lEmpire la barre semblait lui échapper des mains. En particulier le fait quHonorius II navait pas su s'imposer à Rome et avait au bout du compte revenir dans son évêché de Parme était pour Agnès un grave échec politique. Pour la première fois, un pape nommé par la cour dAllemagne n'avait pas été capable de s'imposer.

Elle jouissait bien sûr du soutien des adversaires de la réforme, mais cétait ce qui devait durant toute sa vie la remplir dun sentiment de culpabilité et la mettre mal à laise. Pourtant on ne saurait lui reprocher davoir, par faiblesse personnelle, adopté une politique ecclésiastique contraire à celle de son mari. Cest que les temps avaient changé. Par ses réformes la papauté s'était émancipée de la cour dAllemagne contre les intérêts de laquelle elle agissait désormais. Mise au pied du mur, Agnès se décida contre sa conviction personnelle, elle agit comme devait le faire une régente : elle prit le parti de lEmpire et de ses dignitaires. Il semble quelle ne voyait aucun autre choix pour elle que de se retirer de la politique pour laisser à dautres la possibilité de reprendre à zéro la question de la papauté sans tenir compte de ses propres décisions. Cest directement en relation avec le conflit sur le choix du pape que, selon M. Black-Veldtrup, doit être considérée la prise de voile dAgnès à Spire, ce qui comme conséquence logique conduisit à linstallation comme vice-régent de lévêque Heinrich dAugsbourg en qui elle avait confiance. Par conséquent non seulement la retraite d'Agnès peut sexpliquer parce quelle était fatiguée de gouverner ou trop faible, mais on doit la placer dans son contexte : cétait la conséquence de ses erreurs d'appréciation dans sa politique vis-à-vis de Rome.

Le coup d'État de Kaiserswerth

La décision dAgnès de se retirer de la politique est, de façon très probable, une prise de conscience de sa responsabilité personnelle dans cette crise au sujet de lélection du pape. L'impératrice voulait laisser la voie libre pour un réglement définitif de la question avec la participation de la Cour[11].

Mais rien de cela ne se produisit du fait quHenri d'Augsbourg, le vice-régent mis en place par Agnès, nétait pas accepté par la majorité des princes. Sa nomination à un tel poste constituait peut-être la deuxième grave erreur d'appréciation de l'impératrice, surtout en raison de la liaison quon leur avait imputée (voir plus haut).

Cette tentative d'Agnès de limiter les dégâts précipitait définitivement au bout du compte l'empire dans la crise. Au début d'avril 1062, un groupe de seigneurs spirituels et temporels, sous la direction de Anno II, larchevêque de Cologne, réussit à enlever le jeune roi Henri IV à Kaiserswerth : cet événement devait rester dans les livres dhistoire comme le coup d'État de Kaiserswerth.
Les motifs de cette action sont encore débattus, du fait surtout que les sources se contredisent beaucoup -dessus. L'opinion des chroniqueurs de lépoque est divisée. Ainsi, la chronique de Lambert semble encore relativement objective quand il écrit que les ravisseurs, et avant tout Anno, aspiraient « à soustraire le fils à l'influence de sa mère, et à prendre en mains l'administration de l'empire.[12] » Lambert ne hasarde aucune spéculation sur les motifs qui ont fait agir les conspirateurs. Il indique seulement la possibilité quils auraient pu être poussés par « la rancune politique », mais il est aussi possible quils aient pu croire agir pour le bien de lEmpire.

Bruno fait plus ou moins retomber sur Henri la responsabilité de son propre enlèvement : infatué de l'orgueil dêtre roi, le jeune Henri naurait plus écouté que dune oreille les mises en garde de sa mère. Le « respectable » Anno après l'enlèvement le fait éduquer avec le plus grand soin. Selon Bruno, Agnès naurait absolument pas eu lautorité nécessaire, et elle se serait montrée trop faible pour éduquer correctement le jeune roi et assurer la régence, tandis que Bruno félicite Anno pour sa politique. Cette critique envers Henri IV sexplique par le fait que Bruno ne devait pas approuver par la suite la politique personnelle de son souverain, si bien quil sattache à lui trouver des traits de caractère négatifs dès sa jeunesse[13]. Il est manifeste que, politiquement, il ne se trouvait pas non plus du côté dAgnès.

Bien que les sources ne nous donnent rien de sûr quant aux motifs qui ont fait agir les ravisseurs, la recherche actuelle part du fait que la lutte pour le pouvoir (en particulier chez Anno de Cologne) mais aussi le souci de l'éducation dHenri IV quon jugeait abandonné étaient des éléments décisifs. Agnès se voyait privée du pouvoir de gouverner, en fait elle ne pouvait plus rien. L'archevêque Anno de Cologne et larchevêque Adalbert de Brême se partageaient la responsabilité des affaires. Bien que le jeune roi fût assis sur le trône, cest à eux quappartenait désormais le destin de lEmpire.

Anno et Adalbert devinrent bien vite des adversaires irréconciliables, mais l'archevêque de Brême sétait hâté détablir des rapports de confiance avec le jeune roi, tandis quAnno se sentait avant tout politiquement lié au parti de la réforme religieuse et réussissait rapidement à sentendre avec Rome puisquil était capable de faire reconnaître par lEmpire le pape réformateur Alexandre II.

Au fond, Anno était ainsi arrivé à ce règlement de la question pontificale quAgnès avait espéré. On suppose en général quAgnès, libérée à présent de la responsabilité des affaires, na pas tardé à renoncer complètement à la vie mondaine pour se consacrer au salut de son âme.

Cette opinion provient de recherches déjà anciennes de Meier-Kronau, Giesebrecht et Buhlst-Thiele. Cependant, Tillmann Struve sappuie sur le fait que ce nest que trois ans après Kaiserswerth quelle a entrepris son voyage à Rome et sest retirée du monde. Il y aurait donc eu des raisons politiques. Ce qui réfuterait cette vision de l'impératrice se retirant timidement du monde torturée par ses scrupules.

Agnès après Kaiserswerth

Longtemps les chercheurs ont accepté lidée quAgnès se fût retirée du monde immédiatement après Kaiserswerth ; il ny a pas de quoi sétonner puisque cest ce que nous ont transmis beaucoup de chroniqueurs contemporains. Cest ce que raconte entre autres dès 1056 Frutolf de Michelsberg dans sa Chronique du monde, en résumant ainsi les événements : l'impératrice se serait rendue directement à Fruttuaria après quon lui eut pris son fils et serait morte plus tard à Rome.

Il semble cependant quune telle opinion ait été révisée entre temps. Tillmann Struve a établi de façon claire et scientifiquement correcte qu'Agnès a entrepris son voyage à Rome, qui signifiait quelle se retirait du monde, non en 1062/63, mais seulement en 1065, cest-à-dire 3 ans après le coup d'État de Kaiserswerth. Pour cette chronologie Struve utilise surtout les rapports de Petrus Damiani, un fidèle d'Agnès qui dans ses écrits a parlé entre autres de son arrivée à Rome.

Comme Damiani, lui non plus, ne fournit aucune datation exacte, Struve compare toutes les sources connues, ce qui lui permet détablir à quelle date aussi bien Petrus Damiani que limpératrice Agnès se sont arrêtés à Rome. Par la suite Struve compare les éclipses de lune que rapporte Damiani, qui les met en relation avec lempereur Henri III et le pape Victor II, et une éclipse totale qui, toujours selon Damiani, aurait correspondu au schisme de Cadalus, les dates de toutes ces éclipses étant scientifiquement vérifiables. Struve en vient alors à la conclusion que le voyage à Rome de l'impératrice ne peut avoir eu lieu quen mai ou en novembre 1065. Il est vrai Agnès, tout de suite après Kaiserswerth, a écrit à l'abbé du monastère de Fruttuaria pour lui demander dêtre accueillie dans la communauté monastique, mais Lampert d'Hersfeld nous apprend, de façon concordante, qu'Agnès a été convaincue par ses conseillers de rester pour l'instant dans lEmpire.

Dun point de vue politique, le fait Agnès restât dans lEmpire était nécessaire bien quelle eût perdu la régence : jusquà la majorité dHenri IV, cétait elle le chef de la maison salienne. Ce nest quen restant sur place quelle pouvait la maintenir pour son fils et ainsi lui assurer lEmpire. Si la situation était telle, la relation de Lampert apparaît dans son contexte légal et gagne en authenticité : Agnès aurait donc, poussée par ses conseillers, abandonné son idée de se retirer dans un cloître. Dès qu'Henri IV fut devenu majeur le 29 mars 1065, par la cérémonie on lui fit ceindre lépée, Agnès put obéir à son long désir de finir sa vie dans la piété. Après sêtre acquittée de ses devoirs politiques jusqu'à la majorité de son fils et lui avoir garanti de succéder à son père, elle prit la décision de servir la réforme de la papauté à laquelle elle avait nui en faisant élire un antipape contre ses propres convictions religieuses.

Bilan

Même si la fin de la régence dAgnès a été regardée pendant des siècles comme une faillite (et elle lest encore), un tel jugement nest peut-être pas absolument sûr. À juger lensemble, la politique de l'impératrice doit être considérée en gros comme réussie, et sa retraite a été mûrement choisie en fonction de la situation politique de lEmpire. Cest ainsi que même des contemporains reconnaissent quelle s'est toujours efforcée d'obtenir un équilibre politique. Elle a réussi à assurer la stabilité de lEmpire et surtout à jeter les bases du pouvoir dHenri IV.

Les querelles dHenri III contre les Saxons nont pas été reprises par Agnès. Elle a plutôt cherché à sarranger avec eux, ce que confirme le fait que de 1057 jusquà la fin de la régence dAgnès on ne relève pas de troubles en Saxe. De même elle a évité une confrontation avec la Hongrie. Lattribution de duchés pris au domaine royal lui a procuré à lintérieur une stabilité politique, ce qui a permis par contrecoup le renforcement de lEmpire à lextérieur. Ainsi, cest seulement à partir des années 60 que lon connaît des exemples concrets de mécontentement contre son gouvernement ; jusque elle avait donc quand même pu, au début avec laide du pape Victor II, gouverner de façon presque incontestée. On lui reproche une longue querelle pour des raisons personnelles avec l'évêque Gunther de Bamberg, la préférence quelle donnait à l'évêque Henri d'Augsbourg, ses insuffisances dans léducation de son fils et sa trop grande retenue dans la conduite des affaires, mais tout cela sexplique par la conscience quelle avait dêtre responsable du schisme provoqué par le choix de lantipape Cadalus. Reconnaissant ses responsabilités pour avoir mal estimé la situation politique et créé des dissensions entre les partisans de la réforme de lÉglise et lEmpire elle avait décidé de prendre le voile. Le coup d'État de Kaiserswerth suivit peu après.

Lélévation de Henri d'Augsbourg au poste de vice-régent navait que peu affecté la position dAgnès. Anno de Cologne navait pris en fin de compte que la place de son collègue dAugsbourg en tant que régent et éducateur effectif du jeune roi. Pendant son administration, celle dAnno de Cologne et celle dAdalbert de Brême, Agnès a pu se consacrer à la restitution des biens aliénés et à la nomination des évêques. Son départ dAllemagne en mai ou en novembre 1065 n'est pas à Kaiserswerth, mais en fin de compte seulement à ce conflit de 1061 sur lélection du pape, qui est à lorigine de tous les autres événements.

Agnès d'Aquitaine était une femme remarquable, qui a exercé avec habileté la tâche que lui avait laissée son mari dadministrer et de maintenir lEmpire pour leur fils Henri. En tant que femme elle ne pouvait être ni un chef darmée ni un juge, ce quaurait été un homme dans sa situation, elle nen a pas moins agi en sachant ce quelle voulait, avec énergie et habileté. Alors quelle navait pas dexpérience politique, elle a conservé les assises du pouvoir pour son fils et a essayé d'adapter la politique de la dynastie salienne à ces conditions qui nétaient plus les mêmes dans un temps ou tout changeait, surtout en ce qui concerne la politique ecclésiastique. Agnès a remplir sa tâche sans y avoir été préparée et sous la pression des circonstances. Elle devait tenir compte dun grand nombre de facteurs et il était inévitable quelle consentît bien des compromis. Toutes ses décisions nont pas été heureuses, quon pense aux problèmes quHenri IV rencontrera par la suite, mais elle agissait probablement en toute conscience pour le bien de lEmpire. Elle a rempli la tâche qui lui était assignée, ni plus ni moins. La fermeté quelle y a montrée est toutefois remarquable.

Voir aussi

Notes et références

  1. Patrick Corbet, Autour de Burchard de Worms: l'Église allemande et les interdits de parenté, Vittorio Klostermann, 2001, p 137
  2. Francis Rapp, Le Saint Empire romain germanique, Tallandier, 2000, p 86
  3. Patrick Corbe, p 142
  4. Francis Rapp, p 92
  5. Francis Rapp, p 87
  6. Francis Rapp, p 89
  7. Francis Rapp, p 93
  8. Francis Rapp, p 130
  9. Frutolf von Michelsberg, Chronik, S. 75f
  10. Francis Rapp, p 131
  11. Mechthild Black-Veldtrup, Kaiserin Agnes, p. 360
  12. Lambert d'Hersfeld, Annales, p. 73
  13. Lambert dHersfeld, Annales, p. 75

Bibliographie

  • Francis Rapp, Le Saint-Empire romain germanique, d'Othon le Grand à Charles Quint, Point Histoire, Seuil, 2003, (ISBN 2020555271) Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Joseph Rovan, Histoire de l'Allemagne, Seuil, 1994, (ISBN 2020351366)Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Patrick Corbet, Autour de Burchard de Worms: l'Église allemande et les interdits de parenté, Vittorio Klostermann, 2001, (ISBN 3465031385), p 137 et suivantes disponible sur Google livres [1]
  • (de) Mechthild Black-Veldtrup, Kaiserin Agnes (1043-1077). Quellenkritische Studien. Böhlau Verlag, Cologne 1995, (ISBN 3-412-02695-6)
  • (de) Tilman Struve, Salierzeit im Wandel, Böhlau Verlag, Cologne, 2006, (ISBN 3-412-08206-6)
  • (de) Marie-Luise Buhlst-Thiele, Kaiserin Agnes. Gerstenberg, Hildesheim 1972 (Reprint de Leipzig 1933), (ISBN 3-8067-0149-0).
  • (de) Wilhelm von Giesebrecht, Geschichte des Deutschen Kaiserzeit, Band 2. Hobbing, Berlin 1923 (Reprint de Leipzig 1890).

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