- Ethnikos Dikhasmos
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Schisme national
Le Schisme national (en grec moderne : Εθνικός Διχασμός / Ethnikós Dikhasmós) fut la rupture définitive entre les partisans du roi Constantin Ier de Grèce et ceux d'Elefthérios Venizélos en 1916. Elle se matérialisa dans la création d'un second gouvernement, dit de Défense Nationale, par Venizélos à Thessalonique.
Sommaire
Contexte : une neutralité difficile
Au début de la Première Guerre mondiale, le Royaume de Grèce resta neutre, mais les grandes puissances essayèrent d'obtenir sa participation au conflit. Le pays traversa alors une grave crise intérieure. La Cour, et surtout Constantin qui était marié à la sœur de Guillaume II, penchaient plutôt pour les puissances centrales. Elefthérios Venizélos préférait quant à lui l'Entente[1].
Cependant, dans un premier temps, la neutralité de la Grèce était acceptée par les deux hommes, pour des raisons différentes. Venizélos ne voulait pas engager son pays dans le conflit tant qu'il n'avait pas obtenu de l'Entente des garanties concernant la Bulgarie. Il voulait, dans un premier temps, ne s'engager aux côtés de l'Entente que si la Bulgarie s'y engageait aussi, ou au moins restait neutre. Il craignait les appétits territoriaux bulgares. La Bulgarie monnayait en effet son adhésion à la Triple Alliance ou à l'Entente en fonction de ce qui lui était proposé en termes de gains territoriaux. Venizélos refusait de lui accorder des territoires grecs en Thrace (le problème de Kavala), même si l'Entente le lui demandait, sans garanties très fortes que la Grèce obtiendrait la région de Smyrne en échange. Il était, par contre, prêt à céder des territoires serbes ou roumains. De plus, comme pour les guerres balkaniques, Venizélos craignait de déclarer la guerre à l'Empire ottoman. Il restait soucieux du bien-être des très nombreuses populations grecques réparties dans cet empire[2],[3],[4].
La rupture
Venizélos aurait voulu que son pays participât à l'expédition des Dardanelles au début de l'année 1915. Mais le roi Constantin et l'état-major s'y opposaient : ils préféraient que la Grèce intervînt seule et prît Gallipoli par surprise. Ainsi, elle serait en position de force pour s'emparer de Constantinople. De plus, l'état-major ne voulait pas dégarnir la frontière des troupes qui surveillaient la Bulgarie. Début mars, Venizélos proposa d'envoyer 35 000 hommes participer avec les alliés à la conquête de Constantinople. En fait, en plus de l'attitude royale, Venizélos devait compter sur les réticences de la France et de la Grande-Bretagne qui avaient promis Constantinople à la Russie. Le Premier ministre démissionna donc le 6 mars 1915. Le désastre naval du 18 mars porta un coup à sa popularité. On lui reprocha d'avoir voulu entraîner la Grèce dans cette aventure. Au contraire, le roi était loué pour sa clairvoyance. Absent, Venizélos continua à peser sur la vie politique et diplomatique de son pays. L'Entente, après sa défaite, chercha à s'attacher la Grèce et lui proposa tout ce qu'avait demandé Venizélos l'année précédente. Mais le gouvernement fit traîner les négociations : les élections législatives prévues pour le 13 juin approchaient. Les vénizélistes étaient favoris, aussi était-il urgent d'attendre. Entre temps, l'Entente signa avec l'Italie le Pacte de Londres dont les promesses contredisaient celles faites à la Grèce[5].
Le 13 juin 1915, Venizélos remporta les élections législatives avec une majorité de 184 sur 317 députés. Il redevint Premier ministre le 16 août[6]. À la suite de leur défaite aux Dardanelles, les forces alliées évacuèrent en octobre 1915 vers Thessalonique, qui constitua une base logique pour aider la Serbie attaquée par la Bulgarie et à laquelle la Grèce était aussi alliée. Pour cette raison, ils obtinrent du Premier ministre Venizélos l'accord de débarquer le 3 octobre. Il se justifia de cette décision lors d'un long et houleux débat au Parlement hellénique le 4 octobre. Il insista sur la nécessité d'aider la Serbie, ce dont les 150 000 soldats franco-britanniques seraient plus capables que les soldats grecs. Il compara aussi la situation de cet automne 1915 avec celle d'avant le coup de Goudi de l'été 1909. Sa politique fut approuvée par la Chambre. Le lendemain, 5 octobre, le roi le convoqua à Tatoï et lui signifia son renvoi. L'Entente, dont il était devenu l'homme en Grèce, se demanda alors si elle ne devait pas intervenir pour exiger son rappel[7]. La défaite des troupes françaises à Krivolak (27 octobre) les empêcha de porter secours à la Serbie. Le 4 novembre, Venizélos suscita un débat au Parlement hellénique. Il insista sur le fait que les Bulgares étaient entrés en guerre aux côtés des Allemands et des Autrichiens et que Thessalonique était menacée. Il réussit à faire tomber le gouvernement d'Alexandros Zaimis qui lui avait succédé, mais il ne fut pas rappelé pour former un gouvernement. Le débat avait aussi définitivement mis face à face les politiques du roi et de Venizélos, accentuant leur opposition[8]. Le roi procéda alors à la dissolution de la Chambre. Aux élections législatives de décembre, le parti du roi obtint une très large majorité : Venizélos et ses partisans avaient refusé de prendre part au scrutin. L'affrontement sortit des voies démocratiques[9].
Les diplomates français à Athènes mirent alors leurs moyens au service de Venizélos. L'analyse était claire : le roi était pro-allemand ; sa neutralité était signe qu'il souhaitait la victoire de l'Allemagne ; l'armée d'Orient, coincée dans Thessalonique, ne pouvait ouvrir de réel deuxième front qui soulagerait le front en France au moment où se déroulait la bataille de Verdun ; Venizélos était pro-Entente ; il fallait donc remettre Venizélos au pouvoir en Grèce. L’Agence radio chargée de la propagande française vantait les mérites de Venizélos. On songea dès le 1er janvier 1916 à créer une République grecque provisoire gouvernée par Venizélos. Celui-ci était alors tellement populaire que, lors de la grande manifestation en son honneur le 3 janvier, il serra tellement de mains qu'il fallut lui bander la sienne le lendemain. Des « agents militaires français » à Athènes et Thessalonique envisagèrent alors une « opération chirurgicale » pour « retirer » le roi. Paris dut cependant compter sur les réticences russes et italiennes. De son côté, Venizélos affirma aux diplomates français que 80 % de la population et de l'armée grecque étaient avec lui. Il multiplia les manifestations (comme celle de la fête nationale le 25 mars) pour pousser le roi, soit à le rappeler, soit à abdiquer, à moins que l'Entente ne consentît enfin à déposer un roi pro-allemand. En attendant, il suggéra que Paris cessât de répondre positivement aux demandes d'emprunt du gouvernement qui, sans argent, finirait par tomber[10].
Le roi Constantin ne voulant pas des troupes de l'Entente sur son territoire, autorisa, en avril-mai 1916, les Bulgares à avancer en Thrace et à y occuper un certain nombre de places fortes pour menacer les alliés[1],[11]. En réponse, Venizélos proposa, le 30 mai, de se rendre à Thessalonique où il soulèverait l'armée (il annonça qu'il contrôlait au moins cinq ou six régiments) ; convoquerait l'ancienne chambre (d'avant les élections de décembre 1915) et formerait un gouvernement provisoire. Aristide Briand donna son accord. La flotte de l'amiral Dartige du Fournet fut autorisée à se rendre à Athènes pour préparer ce pronunciamiento vénizéliste. La Grande-Bretagne, par la voix de Georges V, la Russie et l'Italie, firent alors savoir leur opposition au projet. La France se contenta d'envoyer une note demandant à la Grèce de démobiliser son armée et de procéder à de nouvelles élections. Cet ultimatum fut accepté. La rumeur courut alors que le roi allait faire arrêter Venizélos. La France mit à sa disposition un torpilleur pour lui permettre de quitter rapidement Athènes[12].
Au mois de juillet, le Premier ministre Zaïmis essaya de réconcilier le roi et Venizélos. Il essaya aussi de convaincre l'Entente d'attendre les élections de septembre, afin de ne pas pousser à la rupture définitive. Les princes Nicolas et André furent envoyés faire la tournée des capitales de l'Entente. Ils furent poliment écoutés, mais la décision avait été prise. L'Entente avait choisi Venizélos au détriment du roi, elle avait choisi la rupture[13]. Mais, cette division toucha cruellement les Grecs. Le roi et Venizélos étaient alors les deux personnalités politiques préférées du pays. « C'est comme ci vous me demandiez de choisir entre mon père et ma mère. » déclare un paysan grec interrogé par l'envoyé du gouvernement français à Thessalonique Denys Cochin[14]. La campagne électorale fit monter la tension en août. Les partisans des deux camps s'opposèrent de plus en plus violemment dans les rues d'Athènes. Le 27 août, les vénizélistes y réunirent 50 000 personnes. Les royalistes répondirent avec une manifestation équivalente deux jours plus tard[15].
L'installation à Thessalonique
La présence franco-britannique dans Thessalonique, l'évolution du conflit et l'entrée en guerre de la Roumanie poussèrent un certain nombre d'habitants de Thessalonique et des officiers grecs à se ranger du côté de l'Entente. Un « Comité de Défense Nationale » fut créé le 31 août (17 août julien) 1916 et immédiatement reçu (et donc reconnu) par le commandant en chef des forces franco-britanniques, le général Sarrail[16]. Elefthérios Venizélos quitta Athènes dans la nuit du 24 septembre, avec l'aide des ambassades française et britannique, à bord de l’Hesperia, pour la Crète. Certains de ses partisans partirent directement pour Thessalonique[17]. En Crète, il publia une proclamation nationaliste à « l'hellénisme entier » lui demandant de prendre en main ses propres destinées et de « sauver ce qui pouvait être sauvé » en coopérant avec l'Entente pour que « non seulement l'Europe soit délivrée de l'hégémonie allemande, mais aussi les Balkans des prétentions à la suprématie bulgares »[18].
Il rejoignit ensuite Thessalonique le 9 octobre (26 septembre julien) et entra dans le « Comité de Défense Nationale » transformé en « Gouvernement de défense nationale » qu'il dirigea avec l'amiral Koundouriotis et le général Danglís. Ce gouvernement ne fut cependant pas reconnu officiellement par l'Entente : la Russie et l'Italie s'y opposèrent alors que la France l'aurait voulu. Il fut alors diplomatiquement considéré comme un « gouvernement de fait », ce qui irrita Venizélos[19].
La Grèce était alors coupée en trois par l'« Ethnikos Dikhasmos » : au sud la zone dépendant du gouvernement royal avec pour capitale Athènes ; au nord, celle du gouvernement provisoire (Thessalie et Épire, avec pour capitale Thessalonique) et entre les deux, une zone neutre contrôlée par les forces alliées pour éviter la guerre civile qui menace[20] comme le montrèrent les événements de décembre 1916.
Les événements de décembre 1916 à Athènes
Une flotte franco-britannique, commandée par l'amiral Dartige du Fournet, occupa en effet la baie de Salamine pour faire pression sur le gouvernement royaliste à Athènes, à qui divers ultimatums successifs, concernant principalement le désarmement de l'armée grecque, avaient été envoyés. Le 1er décembre 1916, le roi Constantin sembla céder aux exigences de l'amiral français, et les troupes débarquèrent pour s'emparer des pièces d'artillerie demandées. L'armée fidèle à Constantin s'était cependant secrètement mobilisée, et avait fortifié Athènes. Les Français furent accueillis par un feu nourri. L'amiral dut se réfugier au Zappéion, et ne put s'enfuir qu'à la faveur de la nuit. Le massacre des soldats français fut surnommé les « Vêpres grecques ». Le roi félicita son ministre de la guerre et ses troupes. Les anti-vénizélistes s'attaquèrent alors très violemment à leurs adversaires politiques[1]. Ce fut le premier épisode de la « guerre civile » qui opposa partisans et adversaires de Venizélos.
Le Gouvernement de la Défense Nationale
Venizélos mit sur pied une armée grecque pouvant se ranger aux côtés des alliés et déclara la guerre à l'Allemagne et à la Bulgarie le 24 novembre 1916. Au lendemain des événements d'Athènes, il demanda à nouveau que son gouvernement fût reconnu formellement par les alliés. Royaume-Uni, Russie et Italie s'y refusaient toujours, mais envoyèrent des représentants à Thessalonique[21].
Le développement du conflit finit par servir Venizélos. Au printemps 1917, l'Entente s'attendait à une attaque allemande dans les Balkans, pour soutenir son allié bulgare. Or, la Grande-Bretagne désirait retirer ses troupes de Thessalonique pour les utiliser en Palestine. L'Italie désirait faire de même pour mieux occuper l'Épire du nord. La seule solution, sur le front d'Orient, serait alors de remplacer les troupes partantes par des troupes grecques, mais il fallait reconnaître le Gouvernement de Défense Nationale. En mai, Charles Jonnart fut alors nommé Haut-Commissaire des alliés à Athènes, avec pour première mission de recréer l'unité nationale grecque. L'agitation monta dans la capitale. Les partisans du roi promettaient des émeutes plus graves que celles de décembre si on leur imposait Venizélos. De Thessalonique, celui-ci bombardait les alliés de télégrammes les poussant à agir le plus vite possible[22]. Début juin, il devint évident qu'il n'était plus possible de concilier le roi et Venizélos. Il fut donc décidé de déposer le roi et de demander à Venizélos qui mettre sur le trône à sa place[23].
Fin du schisme
Le 11 juin, Charles Jonnart remit au Premier ministre grec Alexandros Zaimis la note des alliés demandant l'abdication de Constantin Ier. Le conseil de la couronne lui suggéra alors de ne pas obtempérer. Mais, comme il le dit lui-même, « fidèle à sa politique de neutralité », il accepta de quitter le pays, en compagnie du diadoque Georges et de laisser le trône à son second fils Alexandre[24]. Le 21 juin, Venizélos débarqua au Pirée. Le gouvernement Zaimis, royaliste, démissionna et le 26 juin, appelé par le jeune roi, Venizélos forma un nouveau gouvernement. En fait c'est celui de Thessalonique qui s'installait à Athènes[25],[1].
Notes et références
Bibliographie
- (en) Richard Clogg, A Concise History of Greece, Cambridge UP, Cambridge, 1992. (ISBN 0-521-37-830-3)
- (fr) Edouard Driault et Michel Lheritier, Histoire diplomatique de la Grèce de 1821 à nos jours. Tome V, Paris, PUF, 1926.
- (en) Barbara Jelavich, History of the Balkans. Twentieth century., Cambridge UP, 1983. (ISBN 0521274591)
- (fr) Dimitris Michalopoulos, Attitudes parallèles : Éleuthérios Vénisélos et Take Ionescu dans la Grande Guerre. Préfaces de Georges K. Stefanakis et Dan Berindei. Institut de recherches sur Éleutherios Vénisélos et son époque, 2005. (ISBN 960-88457-3-4)
- (fr) Apostolos Vacalopoulos, Histoire de la Grèce moderne., Horvath, 1975. (ISBN 2-7171-0057-1)
Notes
- ↑ a , b , c et d A. Vacalopoulos, op. cit., p. 220-225.
- ↑ B. Jelavich, op. cit., p. 120
- ↑ Edouard Driault et Michel Lheritier, op. cit. Tome V, p. 164-176.
- ↑ Dimitris Michalopoulos, Attitudes parallèles., p. 23-27.
- ↑ Edouard Driault et Michel Lheritier, op. cit. Tome V, p 174-191.
- ↑ Edouard Driault et Michel Lheritier, op. cit. Tome V, p 193 et 197.
- ↑ Edouard Driault et Michel Lheritier, op. cit. Tome V, p 204-206.
- ↑ Edouard Driault et Michel Lheritier, op. cit. Tome V, p 210.
- ↑ Edouard Driault et Michel Lheritier, op. cit. Tome V, p 228.
- ↑ Edouard Driault et Michel Lheritier, 'op. cit. Tome V, p 234-237
- ↑ R. Clogg, op. cit., p 89-91
- ↑ Edouard Driault et Michel Lheritier, op. cit., Tome V, p 243-247.
- ↑ Edouard Driault et Michel Lheritier, op. cit., Tome V, p 249-250.
- ↑ Edouard Driault et Michel Lheritier, op. cit., Tome V, p 219.
- ↑ Edouard Driault et Michel Lheritier, op. cit., Tome V, p 252.
- ↑ Edouard Driault et Michel Lheritier, op. cit. Tome V, p. 255.
- ↑ Édouard Driault et Michel Lheritier, op. cit. Tome V, p. 260.
- ↑ La France héroïque et ses alliés, Larousse, 1919, tome 2, p. 255.
- ↑ Edouard Driault et Michel Lheritier, op. cit. Tome V, p. 261-262.
- ↑ Edouard Driault et Michel Lheritier, op. cit. Tome V, p. 267.
- ↑ Edouard Driault et Michel Lheritier, op. cit. Tome V, p. 274-275.
- ↑ Edouard Driault et Michel Lheritier, op. cit. Tome V, p. 296-298.
- ↑ Edouard Driault et Michel Lheritier, op. cit. Tome V, p. 300-301.
- ↑ Edouard Driault et Michel Lheritier, op. cit. Tome V, p 303-304.
- ↑ Edouard Driault et Michel Lheritier, op. cit. Tome V, p 310.
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