Affaire des avions renifleurs

Affaire des avions renifleurs

L'affaire des avions renifleurs est une affaire majeure d'escroquerie au détriment dElf Aquitaine qui sest déroulée entre 1975 et 1979 en France. Elle a débouché sur un scandale politico-financier en 1983. Il sagit du financement très coûteux dun appareil fantaisiste censé détecter les gisements de pétrole. Un dispositif étant embarqué à bord d'un avion, le simple survol d'une zone aurait suffi à localiser à coup sûr les gisements.

Lexpression « avions renifleurs » a été lancée par les journalistes de lhebdomadaire satirique Le Canard enchaîné. Outre l'aspect cocasse de cette mystification et le montant des sommes engagées, cest le fait que le nom de Valéry Giscard d'Estaing soit associé à cette affaire qui lui a donné un tel retentissement.

Sommaire

Laffaire

L’« invention » et ses « inventeurs »

Deux personnages sont à lorigine de la pseudo-invention : Aldo Bonassoli, un agriculteur italien autodidacte et Alain De Villegas, un riche aristocrate vivant en Belgique. Ce dernier possède un diplôme dingénieur. Tous deux sont férus de science et avides de publicité.

À la fin des années 1960, les deux inventeurs prétendent déjà avoir fabriqué un appareil permettant la détection de nappes phréatiques. Le nouvel appareil est censé restituer sur un écran la composition du sous-sol, et donc déterminer lemplacement de gisements de pétrole. C'est cette nouvelle version qui sera l'objet de la fraude.

Ils rencontrent dans des circonstances obscures un avocat français du nom de Jean Violet. Celui-ci a longtemps travaillé pour le SDECE, en collaboration avec certains responsables de lÉglise catholique romaine afin de financer des opérations de déstabilisation dans les territoires satellites de lUnion soviétique via les communautés religieuses locales. C'est pourquoi il a pu développer un réseau de relations important, dont l'ancien président du Conseil Antoine Pinay et Philippe De Weck, un des patrons de lUnion des Banques Suisses (UBS).

Il est naturel que les promesses d'un tel appareil aient pu intéresser Elf. En effet, une détection aérienne des gisements de pétrole réduirait considérablement les frais engagés pour la prospection pétrolière.

La médiation avec Elf et les expérimentations

Elf est à lépoque une entreprise publique. Cela implique que les décisions importantes doivent avoir le consentement des représentants de lÉtat. Dautre part, linvention pouvait également avoir des implications militaires importantes, notamment dans le domaine de la détection des sous-marins. Enfin, de nombreux membres actifs ou anciens du SDECE (les services secrets français de lépoque) travaillaient au sein d'Elf. Ces trois facteurs expliquent pourquoi limplication des pouvoirs publics est si importante dans cette affaire.

Ce sont ces particularités que vont exploiter les médiateurs. Jean Violet utilise ses connaissances dans les milieux politiques et des services de lÉtat pour persuader la direction dElf dinvestir dans le développement de lappareil. Avec laide dAntoine Pinay, du dirigeant dUBS, de ses contacts parmi les anciens fonctionnaires des services secrets recyclés chez Elf (dont Jean Tropel, responsable de la sécurité au sein de lentreprise) et dans la hiérarchie catholique (notamment le révérend père Dubois, dominicain français), il persuade Pierre Guillaumat, président dElf à ce moment, de réaliser des expérimentations.

La manipulation devient alors une véritable mystification. En effet, des expériences ont lieu avec un avion équipé de lappareil des inventeurs au-dessus de sites déjà connus des ingénieurs dElf. Lappareil détecte tous les gisements car des sources internes à lentreprise avaient fourni aux inventeurs les données nécessaires.

Les responsables politiques, dont le président de la République Valéry Giscard d'Estaing et le Premier ministre Raymond Barre donnent leur agrément.

Les contrats

Le Président Valéry Giscard d'Estaing

L'expérience débouche en 1975 sur un premier contrat pour le perfectionnement et le développement de lappareil miraculeux. Le premier contrat représente 400 millions de francs de lépoque. Un deuxième contrat est signé en 1977, puis un troisième de 600 millions de francs en 1978. Au total, 1 milliard de francs sont engagés. Une partie de la somme servira aux pseudo-recherches, en particulier pour acquérir une flotte aérienne (dont un Boeing 707).

Entre-temps, les inventeurs prétendent avoir développé un appareil plus perfectionné et dautres expériences réussies sont menées. Lune delles se déroule au-dessus du golfe du Lion et conduit à la fausse détection de onze gisements, selon le procédé décrit plus haut. Au printemps 1979, une autre est conduite en présence de Valéry Giscard d'Estaing.

Il existe deux versions de la réaction de Giscard. Les inventeurs ont soutenu que celui-ci était enthousiasmé par l'appareil. Lintéressé affirme quil était circonspect. Plus tard, ll rendra publique une note dans laquelle il exprime ses doutes et son inquiétude dêtre face à une escroquerie.

La fin de la manipulation

La Cour des comptes

Albin Chalandon, président d'Elf à partir de 1977, diligente deux jeunes physiciens qui ne trouvent pas de trace de fraude. Cependant, la crédibilité des deux inventeurs seffrite. Ils affirment en effet avoir découvert un gisement de pétrole en Afrique du Sud. Elf perd 100 millions de francs dans des forages qui ne révèlent aucune trace dor noir.

Jules Horowitz, physicien au Commissariat à l'énergie atomique, dévoile lescroquerie par une astuce très simple. Les inventeurs ont lhabitude de démontrer lefficacité de leur appareil en faisant apparaître sur lécran un objet placé derrière un mur. Le professeur y dispose une règle. Limage de celle-ci apparaît effectivement, mais Jules Horowitz avait pris soin au préalable de la plier. Or elle apparaît droite sur lécran. Cela prouve que limage était une simple photo préalablement rentrée dans lappareil.

Enfin, la Cour des comptes sintéresse de près à lopération. Son rapport révèle des manipulations au sein d'Elf pour soutirer 800 millions de francs[1]et pointe du doigt la légèreté des pouvoirs publics. Raymond Barre exige dêtre lunique destinataire du document.

Le scandale

La révélation de l'affaire

Le 21 décembre 1983, Le Canard enchaîné révèle au grand public une partie de laffaire. Il titre : « Laffaire des avions renifleurs ».

Dès le lendemain à lAssemblée nationale, Henri Emmanuelli, alors secrétaire dÉtat au Budget qualifie de « forfaiture » la destruction du dernier exemplaire du rapport de la Cour des comptes. Le même jour, Valéry Giscard d'Estaing présente au journal télévisé dAntenne 2 lexemplaire du rapport en sa possession et dénonce ceux qui prennent « le risque honteux de l'abaissement de la France ».

Gilbert Rutman, n°2 dElf de lépoque, donne le 27 décembre 1983 une conférence de presse il sexplique sur les choix de la direction de lentreprise. Il déclare notamment « si c'était à refaire, je le referais ». Dautre part, il confirme que l'utilisation militaire de lappareil a été envisagée.

Le lendemain, Albin Chalandon qualifie laffaire de « misérable querelle ».

Le Canard enchaîné, à loccasion d'un autre article sur laffaire, conclut : « dans ce milieu, il vaut mieux passer pour un JR [en référence à John Ross "J.R." Ewing du feuilleton Dallas] que pour un gogo ».

Plus tard, le journaliste dinvestigation Pierre Péan parvient à se procurer un exemplaire du rapport de la Cour des comptes.

Les suites de laffaire

Raymond Barre parle d’« opération basse et indigne » et remet en 1981 à son successeur Pierre Mauroy un exemplaire du rapport.

Une commission d'enquête parlementaire rend un rapport de 650 pages qui laisse de nombreuses zones dombres. François Mitterrand intervient pour que son prédécesseur nait pas à être entendu par la commission.

Les zones dombres

Les intermédiaires

Les responsabilités nont pas toutes été mises en lumière. Il semble que de nombreuses personnes au sein dElf aient eu connaissance de lescroquerie et aient volontairement trompé leur direction.

Pierre Péan évoque des ramifications lointaines de laffaire. Il révèle notamment que certains rendez-vous ont eu lieu en territoire suisse, afin de compliquer les investigations policières et les poursuites judiciaires.

L'utilisation des fonds détournés

Les crédits ont été versés principalement à Fisalma, une société implantée à Panama et dont le fondé de pouvoir est Jean Violet et le président Philippe de Weck, président de la banque suisse UBS[2]. C'est cette société qui profitera des fonds détournés, et non les deux inventeurs.

Or cet individu se trouve lié à un cercle de conservateurs défendant les valeurs de lOccident et ayant en Italie des liens étroits avec des membres de la hiérarchie catholique (comme le cardinal Marcinkus). La justice italienne a plus tard mis au jour une organisation qui ressemble plutôt à une entreprise mafieuse. Cette affaire a fait également scandale.

Il semble que les fonds détournés aient servi au financement de cette organisation. Cependant, le manque de sources sérieuses ne permet pas à ce jour de connaître toutes les dimensions de cette vaste escroquerie.

Dans son ouvrage Les Industriels de la fraude fiscale, Jean Cosson, ancien chef de la section financière du parquet de Paris, devenu conseiller à la Cour de cassation, démontre qu'il s'agit d'une fausse escroquerie. En effet, selon l'ouvrage (pp. 146/149), les escrocs n'étaient pas crédibles et la somme aurait pu être récupérée. S'appuyant sur le rapport parlementaire et sa propre enquête, Jean Cosson conclut que la décision d'accepter, en toute connaissance de cause, cette fausse escroquerie et ce vrai détournement, incombe au Premier ministre de l'époque, c'est-à-dire Jacques Chirac. Il conclut également que les sommes ont servi, au moins en partie, à constituer une caisse noire électorale pour la droite française (pp. 149/150).

Voir aussi

Affaire Elf

Bibliographie

Notes et références

  1. Cécile Bonneau, Quand les scientifiques trichent, Science et Vie, novembre 2008, page 62.
  2. Bilan, juin 1992

Wikimedia Foundation. 2010.

Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Affaire des avions renifleurs de Wikipédia en français (auteurs)

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