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Darwinisme social
Le darwinisme social est une doctrine politique évolutionniste apparue au XIXe siècle selon laquelle la lutte pour la vie entre les hommes est l'état naturel des relations sociales et la source fondamentale du progrès et de l'amélioration de l'être humain, et qui prescrit à l'action politique de supprimer les institutions et comportements qui font obstacle à l'expression de la lutte pour l’existence et à la sélection naturelle qui aboutissent à l’élimination des moins aptes et à la survie des plus aptes (survival of the fittest).
Envisagé à l’échelle de la compétition entre les individus, il préconise la levée des mesures de protection sociale, l’abolition des lois sur les pauvres ou l’abandon des conduites charitables.[réf. nécessaire] Son versant racialiste fait, à l’échelle de la compétition entre les groupes humains, de la lutte entre les « races » le moteur de l’évolution humaine. Il s’est conjugué à la fin du XIXe siècle avec les théories eugénistes.
Selon Patrick Tort, spécialiste de l'œuvre de Darwin, l'expression « darwinisme social » est apparu pour la première fois dans un tract intitulé Le Darwinisme social publié en 1880 à Paris par Émile Gautier, un théoricien anarchiste français[1].
Sommaire
Origine et développement
Herbert Spencer, savant contemporain de Darwin et tout aussi populaire, interprète cette théorie par la « sélection des plus aptes » (Survival of the fittest). Le darwinisme social suggère donc que l'hérédité (les caractères innés) aurait un rôle prépondérant par rapport à l'éducation (les caractères acquis). Il s'agit ainsi d'« un système idéologique qui voit dans les luttes civiles, les inégalités sociales et les guerres de conquête rien moins que l'application à l'espèce humaine de la sélection naturelle »[2]. Il fournit ainsi une explication biologique aux disparités observées entre les sociétés sur la trajectoire prétendument unique de l'histoire humaine : les peuples les moins « adaptés » à la lutte pour la survie seraient restés « figés » au stade primitif conceptualisé par les tenants de l'évolutionnisme anthropologique. Dans De l'Origine des espèces (sous-titré : La Préservation des races favorisées dans la lutte pour la vie), Darwin n'analyse pas la société humaine et n'a pas d'implication personnelle citée dans le « darwinisme social ». Herbert Spencer n'est pas un « darwinien » mais un lamarckiste ; il voit, en effet, dans l'évolution la marque d'une marche vers un progrès inéluctable, contrairement à Darwin, pour qui elle est le résultat du hasard[3].
Sur le plan politique, le darwinisme social a servi à justifier scientifiquement plusieurs concepts politiques liés à la domination par une élite, d'une masse jugée moins apte. Parmi ceux-ci notons le colonialisme, l'eugénisme, le fascisme et surtout le nazisme. En effet, cette idéologie considère légitime que les races humaines et les êtres les plus faibles disparaissent et laissent la place aux races et aux êtres les mieux armés pour survivre (Ernst Haeckel).
De nos jours, le darwinisme social inspire encore certaines idéologies d'extrême droite.
Le darwinisme social appliqué aux nations
À la fin du XIXe siècle, le darwinisme social a été étendu aux rapports entre les nations. Ce mouvement s'est surtout développé dans les pays anglo-saxons, et dans une moindre mesure en Russie. Si cette idée ne débouche en général pas sur des attitudes belliqueuses, il n'en est pas de même en Allemagne où l'affrontement entre les nations « jeunes », comme l'Allemagne, pleines de vitalité « virile », et les nations « anciennes », qualifiées par les tenants de cette théorie de « décadentes », comme la France, est considéré comme inévitable. Cette vision est à replacer dans le contexte social de l'époque.
De plus, la « vitalité » d'une nation se mesure presque exclusivement à l'aune de la démographie : plus une nation est féconde, plus elle est ou sera forte. Ainsi, la Russie et les peuples slaves en général faisaient peur à de nombreux dirigeants allemands, comme le chancelier Bethmann-Hollweg par son accroissement naturel, rendant inévitable, selon eux, un affrontement violent (phobie du rouleau compresseur russe). À ce stade, le darwinisme social rencontre le nationalisme racial.
On a pu penser que cette vision des rapports entre les nations, dominante en Allemagne et en Autriche au début du XXe siècle, a joué un rôle essentiel dans le déclenchement de la Première Guerre mondiale.
En 1910, le sociologue Jacques Novicow publie La critique du darwinisme social[4] où il critique de manière acerbe la tendance de ses collègues et d'autres essayistes et savants de son temps à mettre en avant le conflit et la guerre comme moteur de l'évolution et du progrès social. Il donne la définition suivante :
- « Le darwinisme social peut être défini : la doctrine qui considère l'homicide collectif comme la cause des progrès du genre humain. »
L'importance du darwinisme social dans le déclenchement de la Première Guerre mondiale doit être relativisée. Cette interprétation est en effet sérieusement démentie par le travail de Léon Schirmann qui a identifié les responsabilités réelles dans le déclenchement du premier conflit mondial après avoir travaillé sur les archives officielles des différents pays belligérants[5]. Ces responsabilités sont avant tout bien plus politiques que scientifiques.
Des éléments liés à la théorie de la sélection naturelle ont été incorporés par Shigetake Sugiura, l'un des tuteurs de Hirohito, dans ses écrits visant à justifier la supériorité de la race nipponne et son droit à dominer l'Extrême-Orient. Avec les éléments mythologiques propres au shinto, le darwinisme social servit donc de toile de fond à l'invasion de la Chine et des pays d'Asie du Sud-Est pendant l'ère Showa.
Critique du darwinisme social
Darwin et le darwinisme social: une lecture rétrospective[6]
L'épistémologue Patrick Tort[7] a mis en évidence l'incompatibilité des thèses du darwinisme social, particulièrement dans leurs prolongements malthusien et eugéniste, avec les propres positions de Charles Darwin à propos de l'évolution humaine, en s'appuyant sur un ouvrage peu connu de ce dernier[8], paru en 1871, soit douze ans après De l'origine des espèces. Darwin y soutient entre autres que l'homme est bel et bien le produit de l'évolution, ce qui balaye logiquement l'hypothèse créationniste (« On ne peut plus croire que l'homme soit l'œuvre d'un acte séparé de création » (ibid p728)), et replace celui-ci au sein du processus de sélection naturelle, en dépit de son apparente supériorité évolutive (« avec toutes ses capacités sublimes, l'homme porte toujours dans sa construction corporelle l'empreinte indélébile de sa basse origine. » (ibid p741)). En outre, contrairement aux interprétations du courant de ce qu'on devrait appeler le « pseudo-darwinisme » social, C. Darwin affirme la rupture qui s'établit chez l'homme dans le processus de lutte pour la survie, fondée sur l'élimination des faibles : « Nous autres hommes civilisés, au contraire, faisons tout notre possible pour mettre un frein au processus de l'élimination ; nous construisons des asiles pour les idiots, les estropiés et les malades ; nous instituons des lois sur les pauvres ; et nos médecins déploient toute leur habileté pour conserver la vie de chacun jusqu'au dernier moment. Il y a tout lieu de croire que la vaccination a préservé des milliers d'individus qui, à cause d'une faible constitution, auraient autrefois succombé à la variole. Ainsi, les membres faibles des sociétés civilisées propagent leur nature. » (ibid,p223) C. Darwin conclut alors par l'hypothèse d'une forme d'extraction de la nature humaine de la loi de la sélection naturelle, sans pourtant contrevenir à son principe originel, à travers le processus de civilisation, fondé sur l'éducation, la raison, la religion et la loi morale : « Si importante qu'ait été, et soit encore, la lutte pour l'existence, cependant, en ce qui concerne la partie la plus élevée de la nature de l'homme, il y a d'autres facteurs plus importants. Car les qualités morales progressent, directement ou indirectement, beaucoup plus grâce aux effets de l'habitude, aux capacités de raisonnement, à l'instruction, à la religion, etc., que grâce à la Sélection Naturelle ; et ce bien que l'on puisse attribuer en toute assurance, à ce dernier facteur les instincts sociaux, qui ont fourni la base du développement du sens moral. » (ibid, p740).
L'entraide, facteur de l'évolution
C'est ainsi qu'elle sera développée en 1902 par Pierre Kropotkine dans L'Entraide : Un facteur de l'évolution une critique claire vis-à-vis du darwinisme social.
Dans cet ouvrage, le prince et anarchiste russe répond spécifiquement aux théories de Thomas H. Huxley publiées dans La Lutte pour l'existence dans la société humaine en 1888. Kropotkine, sans nier la théorie de l'évolution de Darwin, y précise que les mieux adaptées ne sont pas nécessairement les plus agressives, mais peuvent être les plus sociales et solidaires. Il fournit des exemples empiriques du règne animal, ainsi que de ce qu'il appelle les « Sauvages », les « Barbares », les villes médiévales, ainsi que le temps présent. Kropotkine ne nie pas non plus l'existence de compétition, mais pense que la compétition est loin de constituer le seul facteur de l'évolution, et que l'évolution progressiste est plutôt due à la socialisation et à l'entraide mutuelle.
Voir aussi
Bibliographie sommaire
- Jean-Marc Bernardini, Le Darwinisme social en France (1859-1918). Fascination et rejet d'une idéologie, Paris, Editions du CNRS, 1997
- Jacques Novicow, La Critique du darwinisme social, Éditions Félix Alcan, 1910
- André Pichot, La Société pure. De Darwin à Hitler, 2000, Champs Flammarion (ISBN 2080800310)
- André Pichot, Aux origines des théories raciales, de la Bible à Darwin, 2008, éd. Flammarion.
- Peter Wetzler, Hirohito and War, University of Hawaii press, 1998
Notes et références
- ↑ « Patrick Tort: "L'altruisme n'est pas une invention humaine" », dans liberation.fr, 18 décembre 2008 [texte intégral (page consultée le 19 août 2009)]
- ↑ Hérodote consacre un petit article au darwinisme social
- ↑ Olivier Postel-Vinay, « Cent cinquante ans d'affaire Darwin », L'Histoire, n° 328, février 2008, p. 34-43.
- ↑ éd. Alcan, téléchargeable sur le site de Gallica.fr
- ↑ Mensonges et désinformation, août 1914, comment on vend une guerre Léon Schirmann, Editions Italiques, 2003
- ↑ La source essentielle de ce développement se trouve à l'adresse [1]
- ↑ Misère de la sociobiologie, PUF, 1985.
- ↑ La filiation de l'homme, Ed. Syllepse, 2000 pour l'édition française.[réf. incomplète]
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