- Compétition Spermatique
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Compétition spermatique
Introduite pour la première fois par Geoff Parker en 1970[1], la compétition spermatique (ou concurrence spermatique) correspond à la compétition entre les éjaculats de différents mâles pour la fertilisation d’un set donné d’ovocytes. Pour se réaliser, elle nécessite que les femelles aient accès à des accouplements multiples et qu’elles puissent stocker le sperme[1][2].
On peut résumer les tactiques des mâles sous deux idées : attaquer, c'est-à-dire maximiser sa probabilité de paternité avec une femelle déjà appariée, ou défendre, c'est-à-dire éviter ou réduire la compétition avec les spermes d’autres mâles. Dans sa forme de base, la compétition spermatique ne concerne que les procédés physiologiques dans le tractus génital femelle, mais au sens large, elle inclut également les adaptations morphologiques et comportementales permettant aux mâles de s’assurer la paternité de l’ensemble des ovocytes de la femelle. Les adaptations des mâles engendrent de ce fait des pressions de sélection chez les femelles qui cherchent le plus souvent à pouvoir choisir le sperme ou à être inséminées par d’autres mâles.
Sommaire
Adaptations morphologiques des organes génitaux
Morphologie des testicules
Dès 1970, Parker avait remarqué que les mâles qui produisent plus de sperme que les autres sont avantagés[1]. En effet, lorsque les femelles copulent avec plusieurs mâles, si l’un d’eux déverse plus de sperme dans le tractus génital d’une femelle, son sperme dilue celui de ses concurrents, lui assurant la paternité d’une majorité des jeunes produits par la femelle. Ainsi, lorsque la compétition entre les mâles est la plus forte, on s’attend à ce que les mâles présentent des testicules plus volumineux que sous d’autres régimes de reproduction.
Chez le singe
Ce phénomène est bien connu chez les singes.
- Si l’on utilise une analyse comparative pour comparer le ratio [(masse des testicules)/(masse totale de l’animal)] entre les chimpanzés et les gorilles, on s’aperçoit que les chimpanzés ont de plus gros testicules que les gorilles à masse équivalente. Ceci s’explique par des différences de régime de reproduction entre ces animaux. Les chimpanzés sont promicuistes et de ce fait, une femelle peut s’accoupler avec différents partenaires, tandis que les gorilles sont polygynes et, par conséquent, les femelles se reproduisent principalement avec un seul mâle[3][4].
- Une autre étude[5] menée chez le singe rhésus a mis en évidence que dans les populations promicuistes, les mâles ont tendance à avoir de plus grosses testicules que dans des populations polygames ou monogames.
Chez le chat
Certaines espèces échappent à cette règle. Les chats, par exemple[6], peuvent, selon la distribution des ressources dans l’environnement, être promicuistes (beaucoup de ressources), monogames (intermédiaire), ou polygynes (peu de ressources). On observe que les animaux polygynes ont des testicules plus gros que ce que l’on attendait en théorie. Lorsque les ressources sont rares dans le milieu, comme c’est souvent le cas à la campagne, les chats mâles ont tendance à établir un territoire regroupant les territoires de chasse de quelques femelles. On peut alors comparer ce territoire au harem des gorilles en ceci qu’ils défendent ce territoire des intrusions d’autres mâles. Or, chez les chats, les testicules synthétisent la testostérone qui confère aux mâles le comportement agressif. De ce fait, les testicules des chats polygynes sont plus gros que ce que l’on attend en théorie si l’on considère que les testicules ne servent qu’à produire du sperme.
Morphologie du pénis
Les pénis présentent une diversité de forme extraordinaire selon les espèces. Par exemple, chez les agrions, les mâles ont un pénis présentant une petite brosse, le goupillon. Cette balayette racle le tractus génital de la femelle avant d’éjaculer, ce qui leur permet d’enlever le sperme provenant des précédents accouplements de la femelle[7]. Par conséquent, le mâle s’accouplant en dernier avec la femelle s’assure la paternité de la quasi-totalité de ses œufs. On parle d’avantage du dernier mâle.
Chez l’Homme, on retrouve un système comparable qui consiste en un gland surdimensionné par rapport à la verge du pénis[8],[9]. Le gland permettrait alors de retirer le sperme étranger, ce phénomène étant accentué par les contractions du vagin lors de la copulation.
Morphologie des spermatozoïdes
Il semble que des spermatozoïdes issus de plusieurs hommes, mélangés ensemble et reproduisant ainsi un rapport multi-partenaires, aient tendance à mourir plus vite que lorsque le sperme est homospermatique (les spermatozoïdes du sperme sont issus du même mâle). Cela laisse à penser que les spermatozoïdes de différents mâles ont tendance à se « combattre » mutuellement pour s'assurer une meilleure chance de féconder l'ovule.
Si l’on s’intéresse à la morphologie des spermatozoïdes d’un sperme homospermatique, on s’aperçoit qu’il existe une forte proportion de spermatozoïdes déformés par rapport à la forme classique (40% chez l’Homme[10], 30 à 50% chez le lion[11]). Ceci permet une véritable répartition des tâches dans le tractus génital femelle : ceux qui ont une forme normale vont attaquer en allant le plus rapidement possible vers l’ovule, tandis que les anormaux qui ont une mobilité réduite vont défendre en bloquant le sperme concurrent. Ces véritables spermatozoïdes kamikazes[12] vont former une ceinture de chasteté empêchant les spermatozoïdes d’un autre mâle de féconder les œufs, on parle de bouchon spermatique. Il a ainsi été proposé que ces spermatozoïdes anormaux soient des spermatozoïdes kamikazes qui se sacrifieraient en se fixant à l’acrosome de spermatozoïdes étrangers et limiteraient leurs déplacements[12][13].
Adaptations physiologiques
Chez certaines espèces, dont la drosophile, les mâles produisent un liquide séminal alcalin qui réduit la viabilité des autres spermatozoïdes. La toxicité est telle qu'elle peut réduire la viabilité des femelles dans certains cas. L'impact sur la durée de vie des femelles permet aux mâles produisant ces liquides séminaux particuliers de pouvoir s'approprier la paternité de la quasi totalité des ovocytes produits par une femelle au cours de sa vie. Ce caractère est donc sélectionné chez les mâles.[14]
Une autre stratégie consiste à émettre une substance empêchant les accouplements suivants. Chez les moustiques, par exemple, les mâles produisent une substance grâve à leur glande sexuelle secondaire qui inhibes la réceptivité des femelles inséminées. Ainsi, elle refusent la plupart des accouplements avec les autres mâles[15]. Une autre tactique est de rendre les femelles inattractives pour les autres mâles. Ce phénomène est particulièrement bien connu chez les papillons de nuits. En effet, les mâles déposent des anti-aphrodisiaques sur les femelles lors des accouplements.[16]
Adaptations comportementales
Lorsque nous avons parlé de la morphologie des testicules, nous avons dit que les mâles qui déposent plus de sperme que les autres dans l’oviducte d’une femelle sont avantagés car leur sperme dilue celui de leurs concurrents. Par conséquent, on pourrait imaginer qu’un mâle qui laisserait plus de sperme que ses concurrents dans un oviducte s’approprierait la majorité de la descendance de la femelle et que cette stratégie envahirait la population. Pourtant, une autre complexité apparaît lorsqu’on sait que le sperme est coûteux à produire[17] et donc que l'énergie consacrée à sa production peut être utilisée ailleurs, comme la défense du territoire face aux autres mâles. Sous de telles conditions, les mâles adoptent des comportements leur permettant d’ajuster la quantité de sperme à éjaculer selon le rapport performance/coût et donc d’adopter stratégie d’allocation par rapport à la production du sperme et à son utilisation[18].
Si l’on se souvient de l’exemple des agrions où le dernier mâle à s’être accouplé avec la femelle avant la ponte s’assure la quasi-totalité de la paternité de la descendance, on comprend que les mâles vont chercher à être les derniers à avoir copulé avec la femelle avant la ponte. Les mâles montrent en effet un comportement de gardiennage post-copulatoire, c'est-à-dire qu’ils vont rester en permanence avec la femelle après avoir copulé avec pour l’empêcher d’aller voir un autre mâle et c’est pourquoi on voit souvent les agrions en couple, le mâles s’accrochant à la femelle[19].
Chez l’Homme, le mariage peut être assimilé à un comportement de gardiennage pré- ou postcopulatoire. La compétition spermatique pourrait alors expliquer la jalousie et la possessivité du mâle[réf. nécessaire].
Références
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