Combats de Plancenoit

Combats de Plancenoit
Assaut sur Plancenoit (Ludwig Elsholtz, 1843, huile sur toile)

Plancenoit a joué un rôle essentiel au cours de la bataille de Waterloo. Pris et repris à plusieurs reprises par les Prussiens et les Français, le village a été le théâtre de combats acharnés et terriblement sanglants. C'est également sur le territoire de cette ancienne commune que se trouve le beau monument de l'Aigle blessé, dédié aux morts français de la bataille et situé à l'endroit approximatif où le fameux "dernier carré" de la garde impériale aurait combattu.


Sommaire

La "bataille" de Plancenoit

Lorsque l’aube du 18 juin 1815 se lève, la quarantaine de maisons de Plancenoit déborde littéralement de soldats français. C’est que la veille au soir, alors qu’ils ont combattu aux Quatre-Bras ou qu’ils ont marché des kilomètres, les malheureux, affamés – ils avaient depuis longtemps épuisé la ration de pain qu’ils avaient reçu le 15 au matin – , trempés – il pleuvait à seau depuis le 17 à 14 h 30 –, qui passaient par là ont vu dans ce petit village un abri d’autant plus providentiel que la population s’était enfuie dans les bois environnants.

Le village est évacué dans le début de la matinée du 18. On devine l’état lamentable dans lequel se trouvent les maisons désertées… Jusque vers 18 h, Plancenoit ressemblera à un village abandonné au milieu de nulle part.

Peu après 16 h, on aperçut les premiers cavaliers prussiens sortir du bois de Paris. Pendant ce temps, à couvert, la 15e brigade de Losthin s’était formée au nord du chemin de Plancenoit et la 16e (Hiller) au sud. Le tout est couvert par 32 pièces d’artillerie.

L’axe principal de l’attaque prussienne est donc perpendiculaire au front principal français et est représenté par le chemin de Lasne à Plancenoit. C’est d’ailleurs le clocher de l’église de Plancenoit qui constitue le point de mire pour les soldats prussiens.

Néanmoins, Blücher, toujours prudent, fait détacher trois bataillons sur sa droite afin de protéger son flanc droit (dans l’ordre les 2/18 R.I., 3/3 Landwehr Silésie et 1/18 R.I.). Ces unités prennent la direction du château de Fichermont et du hameau de Smohain. De même, à gauche, les 3/15 R.I. et 3/1 Landwehr de Silésie se dirigent vers la ferme Hannotelet. Ajoutons que les deux escadrons de von Falkenhausen sont toujours disposés dans la vallée de la Lasne vers Maransart. L’attaque du 4e corps est donc parfaitement protégée sur ses deux flancs.

L’intention de Blücher est parfaitement claire : il s’agit de pousser jusqu’à la chaussée et de couper la retraite à l’ennemi. En même temps, en poussant quelques bataillons vers Smohain, on donnera la main à Wellington. On s’est parfois demandé pourquoi les Prussiens étaient si tardivement intervenus sur le champ de bataille. Et on a cru y répondre en disant que c’est à la méfiance de Gneisenau qu’il fallait attribuer ce prétendu retard. Mais nous savons que dès 13 h 30, lorsque la grande batterie se déchaîna, Gneisenau était fixé ; que, d’autre part, Gneisenau était encore à Wavre à ce moment, occupé à régler la marche des 2e et 3e corps ; que Blücher était avec Bülow et que c’est donc lui qui ordonna l’attaque du 4e corps, avant même qu’il soit entièrement réuni. C’est aux difficultés du passage de la Lasne que Blücher attribue son retard (relatif). La plupart des sources prussiennes confirment ce point de vue. Müffling suggère même que l’on attendit les batteries de 12 pour engager franchement le combat. Quoi qu’il soit, les auteurs prussiens sont unanimes : on n’attendit pas que le 4e corps fût au complet pour se lancer dans la bagarre et cela est dû au fait que Wellington semblait en grande difficulté. Damitz va même jusqu’à écrire : « Les nombreux rapports que le feld-maréchal [Blücher] recevait du duc de Wellington montraient assez que celui-ci était à la dernière extrémité. Les forces de Napoléon se voyaient distinctement vers Belle-Alliance : à chaque instant elles pouvaient rompre la ligne ébranlée des Anglais[1] ».

Trois batteries prussiennes ouvrirent le feu sur la cavalerie française à la limite de leur portée. Selon Müffling, ce tir avait plutôt pour but d’avertir Wellington que les Prussiens entraient dans la bagarre . Thurn und Taxis confirme[2] . Si tel est bien le cas, l’effet fut complètement manqué. Dans son Memorandum de 1842[3], le duc précise que le premier avis qu’il reçut des mouvements de Blücher lui parvint à 18 h par un message arrivé de sa droite qui lui signalait qu’à ce moment, on apercevait dans le lointain, derrière la droite de l’ennemi, la fumée d’un tir d’artillerie qu’on supposait avoir lieu à Plancenoit … Il est vrai qu’à 16 h 30, déferlaient sur la ligne alliée les grandes charges de cavalerie françaises et, que dans la fumée et le vacarme de la bataille, de là où il se tenait, Wellington aurait été bien en peine d’apercevoir quoi que ce soit du côté de Plancenoit.

Canon prussien[4]

Au tir d’artillerie prussien, Domon fit avancer un de ses régiments de chasseurs dans l’intention manifeste de charger les batteries ennemies et, sans doute aussi, de laisser le temps au 6e corps de se déployer. À la vue de cette manœuvre, « le 2e hussards silésiens, le 2e de Landwehr de Neumark et les escadrons de la 16e brigade traversèrent les intervalles de l’infanterie et vinrent se former en bataille, les hussards à gauche du chemin, la Landwehr de Neumark à droite, les 2 escadrons silésiens en arrière. Cette masse de 10 escadrons refoula sans peine les 4 premiers escadrons de Domon, mais elle dut plier à son tour devant les 8 autres. » Les cavaliers prussiens repassèrent derrière leur artillerie et leur infanterie. Domon, emporté par son élan se trouva donc complètement à découvert et dut reculer face au feu d’enfer que dirigeaient contre eux les canons de Blücher et les fantassins de Losthin bien postés . Il passa en réserve, démasquant l’infanterie du 6e corps.

Malgré la faiblesse de son artillerie, Lobau sut l’utiliser à bon escient et les artilleurs français eurent la satisfaction de mettre hors de combat la moitié de la 14e batterie du 1er lieutenant Hensel. Malgré tout, encouragées par la maigreur du feu d’artillerie français, les brigades Losthin et Hiller sortirent résolument du bois et marchèrent à l’ennemi. À son tour, Lobau, qui ne désirait pas subir le choc passivement, porta son corps en avant et repoussa brièvement l’ennemi. Il était 17 h 30.

Cet incontestable succès n’eut pourtant aucun effet : voilà que du bois, surgissaient maintenant les 13e (von Hake) et 14e (von Ryssel) brigades. Toute la cavalerie du prince Guillaume suivait de près et deux batteries supplémentaires furent mises en œuvre. La résistance était presque impossible : Lobau alignait maintenant ses 6 500 hommes contre plus de 30 000 hommes du 4e corps prussien. À l’impossible, nul n’est tenu, dit-on. Et pourtant, Lobau s’en tint à l’impossible et offrit un très solide front aux attaques prussiennes.

Tentative d’enroulement par le village : première prise de Plancenoit

Gneisenau, arrivé sur ces entrefaites, comprit – et en avisa Blücher – que s’obstiner à attaquer de front Lobau ne servait à rien et qu’il valait mieux essayer de le tourner à gauche (vers le sud). En conséquence de quoi, la 16e brigade (Hiller) appuya à gauche, directement appuyée par la 14e (von Ryssel). La 13e brigade (von Hake) vint prendre la place de la 16e à gauche de la 15e (Losthin). Deux bataillons de Hake furent détachés sur la droite et reprirent les extérieurs du château de Fichermont. Pendant ce temps-là, les huit batteries prussiennes (59 pièces) pilonnaient le corps de Lobau. Celui-ci, dont la position devenait intenable, commença à redouter sérieusement d’être enroulé par sa droite. Il recula calmement et son corps exécuta une manœuvre excessivement difficile dans ces conditions. En effet, alors que jusqu’ici, chacune des deux divisions était en colonnes par division à distance de section, tout en reculant, elles se déployèrent de sorte à former la ligne sur trois rangs. Du nord au sud, le long de ce qui constitue aujourd’hui le chemin de Plancenoit et le chemin de Camuselle, était déployée la 20e division dans l’ordre suivant : le 2/107 R.I., le 1/107 R.I., le 2/10 R.I., le 1/10 R.I., le 2/5 léger, le 1/5 léger et le 2/84 R.I.. Un bataillon (le 1/84 R.I.) prit position dans le village de Plancenoit, près de l’église, tandis qu’autour, les 2/27 R.I., 1/27 R.I., 1/11 R.I., 1/5 R.I., et 2/5 R.I., se postaient le long des haies ou des murs, y cherchant une forte position défensive. En deuxième ligne, dans le village, se trouvaient les 2/11 R.I. et 3/11 R.I. Ainsi le village était-il défendu par l’équivalent d’une brigade. Tout cela se fit sous le feu des batteries prussiennes qui avançaient progressivement.

Eléments de la Landwehr prussienne (juin 2005)

Plancenoit n’est absolument pas un village facile à défendre : il constitue, selon l’expression consacrée, un « nid à obus ». C’est dire si les cinq ou six batteries d’artillerie prussiennes s’en donnèrent à cœur joie. Vers 18 h, les Prussiens passèrent à l’attaque générale. Au nord, le long des chemins, la division Losthin précédée d’une nuée de tirailleurs monta à l’assaut de la 20e division qui tint assez bien sa position mais qui commença à céder lentement le terrain. C’est sur le village que s’exerça la pression principale des Prussiens : en première ligne, par la division Hiller soutenue par la division Ryssel. En peu de temps, malgré une résistance acharnée, le village tomba aux mains des Prussiens qui s’y retranchèrent.

Pas de doute : si les Prussiens restaient là, ils étaient à même de menacer la ligne de retraite de l’armée française. Déjà, des boulets prussiens tombaient sur la chaussée de Bruxelles où était stationnée l’ultime réserve, la Garde. Napoléon fit donc appeler le général Duhesme et lui donna l’ordre de reprendre le village.

La jeune garde reprend Plancenoit

Le général Duhesme reçoit donc, peu après 18 h, de la bouche de l’empereur lui-même, l’ordre de reprendre le village de Plancenoit.

Entre 18 h 30 et 18 h 45, s’ébranle donc la jeune garde qui était jusque-là stationnée le long de la chaussée. Elle marche le long de ce nous nommons maintenant la rue du Champ de Bataille et la rue de la Bâchée. En tête marchent les 2e et 1er bataillons du 1er tirailleurs puis les 1er et 2e bataillons du 1er Voltigeurs, les 1er et 2e bataillons du 3e Tirailleurs, les 1er et 2e bataillons du 3e Voltigeurs. On a fort peu de détails sur cet assaut. Il semble bien toutefois que le 1/1 Tirailleurs se dirigea vers le nord du village et le 2/1 Tirailleurs vers le sud. Le reste, soutenu ou précédé par les 27e, 11e et 5e de ligne, s’engouffra dans le village dont ils chassèrent les Prussiens sans grosse difficulté. Après avoir reculé, la 16e brigade prussienne fut reformée et renforcée par le général von Hiller. Trois colonnes de 2 bataillons chacune furent constituées ; à droite, les 1/15 R.I. et 2/15 R.I. (major Wittig) ; au centre, les 1/1 Silésiens et 2/1 Silésiens (major Fischer) ; à gauche les 1/2 Silésiens et 2/2 Silésiens (Lt-col Blandowsky), soutenus en deuxième ligne par 2 bataillons de la 14e brigade (1/2 R.I. et 1/1 Poméraniens). Cependant, au nord, la 13e brigade (Hake) vint soutenir la 15e (Losthin), toujours aux prises avec le gros de Lobau.

Les tirailleurs et voltigeurs de la garde s’étaient retranchés à leur tour dans le village et dans le cimetière et accueillirent ce nouvel assaut avec vigueur. Quelques pièces d’artillerie les soutenaient.

Les Prussiens s’emparent de Plancenoit pour la deuxième fois

Les Prussiens, à la tête desquels Gneisenau était venu se mettre personnellement, ne se laissent pas arrêter, reprennent pied dans le cimetière et continuent leur progression dans le village où ils prennent deux canons et un obusier à l’ennemi. Mais les Français se sont barricadés dans les maisons d’où ils tirent à bout portant sur les Prussiens mal protégés. La situation devient très vite impossible à gérer et les Prussiens se retirent lentement. Mais ils se reforment aussitôt, se voient renforcés par le 2/2 R.I. et le 2/1 Poméraniens, repartent à l’assaut et reprennent la plus grosse partie du village. D’après le général Pelet, qui, avec la vieille garde, se trouvait non loin de la chaussée, la jeune garde « était poussée, et les hommes filaient sur les derrières ». Autrement dit, ils prenaient la poudre d’escampette… Pelet, de sa propre initiative, envoya 50 hommes vers les premières maisons de Plancenoit qui, en venant de la chaussée, étaient assez éloignées du village et bien séparées, pour arrêter les fuyards. Ce qu’ils n’arrivèrent sans doute pas à faire complètement, puisque Pelet dut envoyer un second détachement qu’il dut placer lui-même.

Intervention de la vieille garde

Cependant, vers 19 h 15, lorsqu’il aperçoit que le village est sur le point de retomber aux mains de l’ennemi, Napoléon ordonne au général Pelet de prendre la tête du 1er bataillon du 2e chasseurs de la garde et du 1er bataillon du 2e grenadiers de la garde et d’aller donner un coup de main à la jeune garde et aux bataillons de ligne pour s’assurer solidement du village. Le fait que l’empereur n’hésite pas à engager deux bataillons de sa vieille garde en dit long sur l’importance qu’il accordait à la possession du village.

Le général Morand, commandant des Chasseurs de la garde – à moins que ce ne soit l’empereur lui-même – ordonna au général Pelet : « Allez avec votre 1er bataillon à Plancenoit, où la jeune garde est toute renversée. Soutenez-la. Tenez vos troupes réunies et en main ; si vous abordez l’ennemi, que ce soit avec une seule division (deux compagnies) et à la baïonnette. »

Au pas de charge, les grenadiers du 2e bataillon (Golzio) du 2e régiment de grenadiers de la garde nettoyèrent le village de tout ennemi et continuèrent à pourchasser les Prussiens à plus de 500 mètres au-delà, jusqu’aux batteries prussiennes, un moment abandonnées. Cependant, cette masse, désorganisée par sa charge même, se vit à son tour charger par des hussards silésiens qui refoulèrent les grenadiers. À leur tour, ces hussards furent chargés par les lanciers de Subervie, bientôt appuyés par plusieurs escadrons de Domon, eux-mêmes bientôt chargés par le régiment de hussards prussiens no 8.

Mais le village de Plancenoit était repris par les Français.

C’est à ce moment que Napoléon, rassuré sur sa droite, et qui venait d’apprendre la prise de la Haye-Sainte, crut qu’il était temps de donner le coup définitif aux Anglo-Hollandais et mit en branle la charge de la garde impériale sur le centre-droit de Wellington.

Fifre et tambours de la garde (juin 2005)

Cependant, les artilleurs prussiens reprirent leurs postes et noyèrent le village de Plancenoit dans un océan de feu.

Les 14e et 16e brigades prussiennes qui avaient pris le village puis qui l’avaient reperdu étaient épuisées et mirent du temps pour se reformer. Pendant ce temps, les 13e et 15e brigades se heurtaient toujours à la résistance acharnée du corps de Lobau. La cavalerie du prince Guillaume de Prusse s’était chargée de remplir le vide laissé entre les deux ailes du 4e corps, mais il était dans la plus inconfortable des positions, bombardé par l’artillerie française qui lui causa d’importants dégâts. À 19 h donc, aux dires de Gneisenau, la bataille était indécise. C’est un euphémisme… En effet, à ce moment, les Prussiens étaient bloqués devant Plancenoit et la ligne anglaise faisait entendre de sinistres craquements.

Chute définitive de Plancenoit

Vers 20 h, une colonne d’assaut prussienne monte vers le village. Le 2r régiment poméranien est en tête de colonne et se dirige vers l’église. Il se heurte au mur du cimetière que les Français ont garni de tirailleurs ainsi d’ailleurs que les fenêtres des maisons environnantes. En face d’eux, les granges et les étables de la ferme Cuvelier dissimulent la réserve française derrière des volutes de fumée, mais, par le fait même, empêche leur intervention.

Les Prussiens, vu les importantes pertes subies devant l’église, réalisent que cette attaque frontale n’est pas la bonne méthode. Il s’en suit que le major Witzleben bifurque à gauche, avec le 25e R.I., rejoint les tirailleurs qui occupaient le bois de Virère et prend la rue La Haut. Le major Keller, avec les deux bataillons – les 1/15 R.I. et 1/1 Silésiens – avait longé la Lasne et vint appuyer le major Witzleben. Après un combat acharné, ces deux groupements nettoient le sud du village et sont en mesure de remonter vers la place par deux petites ruelles, dont l’une porte aujourd’hui le pittoresque nom de rue al’ Gatte. Dès lors, la place et le cimetière sont pris entre deux feux. Aerts écrit qu’un bataillon de la jeune garde se fit massacrer dans le cimetière. Il semble pourtant que ce soit le 1er bataillon du 2e chasseurs de la vieille garde qui ait été le dernier à quitter le cimetière, non sans y subir des pertes très sévères.

Dès lors, les Français, toute cohérence oubliée, évacuèrent le village vers 20 h 30 et furent pris dans la déroute générale comme dans un engrenage.

Bilans

Ainsi donc, pour prendre Plancenoit, ce furent quelque 35 000 Prussiens qui furent engagés tandis que l’aile droite française compta au plus 13 000 hommes. En d’autres termes, 43 bataillons prussiens furent opposés à 25 bataillons français. Adkin, parlant des combats de Plancenoit écrit que, du fait que ce combat rapproché s’est situé dans des espaces construits, « la bataille absorba des troupes comme une éponge absorbe l’eau  ». Ce type de combat urbain ne permettait pas aux Prussiens d’utiliser leurs forces d’un coup, mais seulement par petits paquets, ce qui rendait la défense du village d’autant plus aisée qu’il était possible de se poster derrière les murs et les haies. C’est l’utilisation massive et successive de troupes fraîches opposée à des défenseurs toujours un peu plus fatigués qui permit finalement aux Prussiens de l’emporter.

Les pertes humaines furent considérables. Il est impossible d’avoir un décompte exact des morts et des blessés du côté français. Les seuls chiffres que l’on puisse utiliser s’obtiennent en soustrayant de l’effectif au début de la campagne, celui donné par les revues de troupes faites entre les 23 et 26 juin.

Tenant compte des désertions survenues après le 18 juin, on peut donc évaluer les pertes françaises à Plancenoit à environ 6 000 tués, blessés ou disparus. Gravement blessé à la tête durant cette journée, le général Duhesme fut fait prisonnier par les prussiens et transporté dans une maison de Genappe où il expira.

Du côté prussien, les statistiques sont plus précises. La 5e brigade (Tippelskirch), la dernière à être intervenue dans la bataille, ne perdit que 350 hommes ; la 13e brigade (Hake) perdit 1 000 hommes ; la 14e (Ryssel), 1 400 hommes ; la 15e (Losthin), 1 800 hommes ; la 16e (Hiller) 1 800 hommes. Soit un total de 6 350 hommes. Le nombre total de Prussiens impliqués dans le combat de Plancenoit étant d’environ 30 000 hommes, cela nous donne 21 % de pertes.

L’Aigle blessé

L'Aigle blessé de Gérôme(détail)

Ce beau monument, situé sur le territoire de Plancenoit, au croisement de la chaussée de Charleroi et du chemin de Plancenoit, à quelques centaines de mètres au sud de la Belle-Alliance, représente un aigle blessé, levant une aile percée par la mitraille, tenant dans une serre un drapeau, l’autre dressée dans un mouvement de défense autant que de défi. Cette sculpture est due à Jean-Léon Gérome qui mourut quelques mois avant l’inauguration du monument. L’initiative de l’érection de ce mémorial est due à l’historien Henry Houssaye qui rallia à son idée le comte Albert de Mauroy et Gustave Larronet. Les trois hommes commencèrent par acheter un petit terrain de 100 m², qu’ils offrirent à la société militaire La Sabretache, laquelle ouvrit une souscription en vue d’ériger le monument. Jusque-là, aucun monument n’avait célébré la mémoire des combattants français de 1815. Aussi n’est-il pas difficile de comprendre l’engouement que suscita l’érection et l’inauguration du mémorial. C’est en effet une foule de plus de 100 000 spectateurs qui, le 28 juin 1904, assista au dévoilement du monument. Pour l’occasion, les stations de chemin de fer bruxelloises délivrèrent 57 000 tickets… Jamais autant de monde n’avait été réuni sur le champ de bataille depuis le 18 juin 1815. Singulier contraste avec l’inauguration quasi clandestine de la butte du Lion en 1826 !…

Le temps était magnifique et dans la matinée, la foule se pressa dans la petite église de Plancenoit pour assister à une messe de Requiem chantée en l’honneur des morts français de Waterloo. A 14.00 hrs, les trains spéciaux occupés par les personnalités quittèrent la gare du Midi pour rallier la gare de Braine-l’Alleud, où les dignitaires montèrent dans le tramway vicinal pour rejoindre le carrefour de Mont-Saint-Jean. Là, ils changèrent pour prendre un autre vicinal en direction de Plancenoit. A la Belle-Alliance, les invités se formèrent en cortège, précédé d’un détachement de la Gendarmerie en grand uniforme et d’un orchestre militaire. On remarquait dans l’assistance le représentant du roi Léopold II, le général Bruylant, le ministre de France à Bruxelles, M. Gérard, M. Henry Houssaye, très reconnaissable à sa grande barbe noire, et le célèbre peintre de batailles, M. Edouard Detaille. Les enfants des écoles étaient nombreux, brandissant des petits drapeaux belges et français. Autour du monument s’étaient rassemblés des descendants de combattants de 1815. Il y avait là, entre autres, le petit-fils du comte de Lobau, qui tint à déposer l’épée de son grand-père au pied du monument, le baron Durutte et deux descendants du général Duhesme. Au premier rang, une petite dame âgée attirait les regards. Il s’agissait de Mme Thérèse Dupuis, âgée de 103 ans, qui, à l’âge de 13 ans, avait assisté au passage dans l’un et l’autre sens des troupes de Napoléon. La vieille dame, quoique particulièrement fêtée par les autorités officielles, mais vaincue par la fatigue et l’émotion, ne put assister à l’entièreté de la cérémonie et se retira discrètement.

L’orchestre militaire interpréta plusieurs marches de l’époque impériale puis Edouard Detaille prit la parole. Le monument fut alors dévoilé et Henry Houssaye lut un beau discours. Plus tard, l’historien avoua que cela avait été le plus beau jour de sa vie. L’ « Aigle blessé », alors qu’il n’était encore qu’un projet, suscita les plus vives polémiques. On reprocha à Houssaye de vouloir célébrer une bataille où la France avait été vaincue… A quoi, l’historien répondit qu’il ne s’agissait pas de rappeler une bataille qui avait été une défaite mais le sacrifice des héros qui avaient donné leur vie pour la Patrie.

Inauguration du monument en 1904

Après la guerre de 14, les mouvements wallingants entreprirent de venir chaque année déposer une gerbe au pied du monument. La première de ces manifestations eut lieu en 1928 et réunit quatorze personnes… Les pèlerinages à Waterloo revêtirent une importance de plus en plus grande quand, à la fin de l'entre-deux-guerres, la Belgique choisit de rompre l'alliance avec la France au bénéfice d'une politique dite des mains libres ou de neutralité qui est à l'origine de la Question royale. En 1937 par exemple Georges Truffaut prenant la parole au pèlerinage de Waterloo, combattit l’amnistie. Il dénonça aussi la minorisation des Wallons au Parlement belge et les visées impérialistes flamandes sur les communes francophones de la frontière linguistique. Enfin, c’est avec véhémence que Truffaut dénonça la politique de neutralité pratiquée par le gouvernement.

La tradition veut que c'est à cet endroit que le 18 juin 1940 ait été fondé le mouvement de résistance Wallonie libre.

Le « Dernier Carré »

Une autre polémique se fit jour : pourquoi l’« Aigle blessé » est-il situé à l’endroit où il se trouve ? La plupart des guides touristiques – du moins ceux qui y font allusion – situent le monument à l’endroit où « résista le général Cambronne et le dernier carré de la Garde impériale[5]  ». A quoi, Jacques Logie répond sèchement : « Il est inexact de prétendre que l’Aigle Blessé ait (sic) été érigé à l’emplacement du dernier carré de la Garde[6] ». Malheureusement, il ne nous dit pas pourquoi et cette laconique réplique sent un peu son argument d’autorité… Tâchons donc de prendre les choses dans l’ordre et de déterminer de quoi on parle quand on évoque ce « dernier carré ».

Il semble bien que ce soit Victor Hugo, une fois de plus, qui ait consacré cette expression. Relisons la page des Misérables où il en est question :

«  Quelques carrés de la garde, immobiles dans le ruissellement de la déroute comme des rochers dans de l’eau qui coule tinrent jusqu'à la nuit. La nuit venant, la mort aussi, ils attendirent cette ombre double, et, inébranlables, s’en laissèrent envelopper. Chaque régiment, isolé des autres et n’ayant plus de lien avec l’armée rompue de toutes parts, mourait pour son compte. Ils avaient pris position, pour faire cette dernière action, les uns sur les hauteurs de Rossomme, les autres dans la plaine de Mont-Saint-Jean, Là, abandonnés, vaincus, terribles, ces carrés sombres agonisaient formidablement. Ulm, Wagram, Iéna, Friedland, mouraient en eux. »

«  Au crépuscule, vers neuf heures du soir, au bas du plateau de Mont-Saint-Jean, il en restait un. Dans ce vallon funeste, au pied de cette pente gravie par les cuirassiers, inondée maintenant par les masses anglaises, sous les feux convergents de l’artillerie ennemie victorieuse, sous une ef-froyable densité de projectiles, ce carré luttait. Il était commandé par un officier obscur nommé Cambronne. A chaque décharge, le carré diminuait, et ripostait. Il répliquait à la mitraille par la fusillade, rétrécissant continuellement ses quatre murs. De loin les fuyards, s’arrêtant par moment essoufflés, écoutaient dans les ténèbres ce sombre tonnerre décroissant. »

«  Quand cette légion ne fut plus qu’une poignée, quand leur drapeau ne fut plus qu’une loque, quand leurs fusils épuisés de balles ne furent plus que des bâtons, quand le tas de cadavres fut plus grand que le groupe vivant, il y eut parmi les vainqueurs une sorte de terreur sacrée autour de ces mourants sublimes, et l’artillerie anglaise, reprenant haleine, fit silence. Ce fut une espèce de répit. Ces combattants avaient autour d’eux comme un fourmillement de spectres, des sil-houettes d’hommes à cheval, le profil noir des canons, le ciel blanc aperçu à travers les roues et les affûts ; la colossale tête de mort que les héros entrevoient toujours dans la fumée au fond de la bataille, s’avançait sur eux et les regardait. Ils purent entendre dans l’ombre crépusculaire qu’on chargeait les pièces, les mèches allumées pareilles à des yeux de tigre dans la nuit firent un cercle autour de leurs têtes, tous les boute-feu des batteries anglaises s’approchèrent des canons, et alors, ému, tenant la minute suprême suspendue au-dessus de ces hommes, un général anglais, Colville selon les uns, Maitland selon les autres, leur cria : Braves Français, rendez vous ! Cambronne répondit : Merde [7]! » »

Sans vouloir pousser l’analyse de texte jusqu’à l’exagération, il nous faut d’abord observer que le premier paragraphe de cet extrait concerne les derniers carrés de la garde tandis que les deux derniers, par un effet assez saisissant de « zoom » ne concernent plus que celui d’où Cambronne lança sa fameuse apostrophe. Pour Victor Hugo, donc, le dernier carré est celui où se trouve Cambronne. Or il semble bien que Cambronne n’ait jamais prononcé le moindre mot, historique ou non, digne d’être retenu.

Une seule certitude à ce stade : il s’agissait d’un bataillon de la garde impériale à pied.

Nous pouvons déjà commencer par écarter la division de la Jeune Garde. Vers 18.00 hrs, le 18 juin, elle est en effet envoyée pour renforcer la défense de Plancenoit et y restera jusqu’à la déroute finale.

Nous pouvons également éliminer le 1er bataillon du 1er Chasseurs (Duuring) qui est commis à la garde des bagages de l’empereur et qui restera au Caillou toute la journée. Le soir de la bataille, il fera retraite en bon ordre jusqu’à Fleurus, couvrant la retraite de l’armée mais ne sera jamais impliqué dans la bataille elle-même. Ce ne peut donc pas être lui qui se fait massacrer à la Belle-Alliance ou à hauteur de Rossomme.

Le 1er bataillon du 2e Grenadiers et le 1er bataillon du 2e Chasseurs doivent également être exclus : ils viennent soutenir la Jeune Garde à Plancenoit vers 19.15 hrs.

A partir d’ici, la tâche est un peu moins aisée.

Nous savons que cinq des six régiments de la Moyenne Garde participèrent à l’assaut final de la Garde contre le centre-droit de Wellington.

En effet, quoique formé en carré comme les autres bataillons, le 2e bataillon du 3e Grenadiers (Belcourt) resta en réserve des autres. Furent donc impliqués dans cet assaut final de gauche à droite :

  • Le 4e Chasseurs (Agnès)
  • Le 2/3 Chasseurs (Angelet)
  • Le 1/3 Chasseurs (Cardinal)
  • Le 4e Grenadiers (Lafargue)
  • Le 1/3 Grenadiers (Guillemin)

A l’arrière, nous avons, outre le 2/3 Grenadiers (Belcourt) qui reste en réserve entre la Haye Sainte et Hougoumont, trois bataillons de la Vieille Garde :

  • Le 2/1 Chasseurs (Lamouret). C’est le carré dans lequel se trouve Cambronne.
  • Le 2/2 Chasseurs (Mompez)
  • Le 2/2 Grenadiers (Golzio).

Enfin, plus loin encore, l’élite de l’élite, les deux bataillons du 1er Grenadiers (Petit) restent de part et d’autres de la route de Charleroi un peu avant Rossomme. Ils constituent vers 19.30 hrs la dernière réserve générale de Napoléon…

Après l’échec du dernier assaut français, toutes les unités de première ligne sont mises en déroute. Seul le 4e Chasseurs (Agnès) résiste un peu plus longtemps que les autres, mais finit également par prendre la fuite. L’attaque générale anglo-néerlandaise ne rencontre alors devant elle que les quatre unités de deuxième ligne. A ce moment, le 2/3 Grenadiers (Belcourt), qui se trouve le plus à gauche, est très sévèrement accroché par la cavalerie de Vivian et subit de lourdes pertes – plus de 200 hommes sur un effectif de 580. Formé en un semblant de triangle sur deux rangs, il recule aussi vite qu’il peut vers la Belle-Alliance sous la pression de la cavalerie et de l’infanterie britannique qui surgit d’Hougoumont. Lorsqu’il atteint la Belle-Alliance, le major Belcourt donne l’ordre de tirer une dernière salve et disperse ses derniers hommes pour gagner l’arrière. Il s’agit donc pour ceux-ci d’un sauve-qui-peut.

Entre-temps, la brigade Adam et le bataillon d’Osnabrück de la 3e division hanovrienne (Hew Halkett) n’ont donc plus devant eux que trois carrés : (Lamouret, Mompez et Golzio). Ceux-ci reculent en bon ordre. Mais bientôt, le 2e bataillon du 1er Chasseurs (Lamouret), dans lequel se trouve Cambronne, est désintégré – c’est sans doute à ce moment que Cambronne est fait pri-sonnier – et le lieutenant Martin qui porte l’Aigle du 1er régiment de Chasseurs doit trouver refuge dans le carré du 2/2 Chasseurs (Mompez). Pendant ce temps, le 4e Grenadiers, dont le commandant (Lafargue) est mortellement touché, vole en éclat. Tous ses officiers sont tués ou blessés. Les survivants trouvent provisoirement refuge dans le triangle de Belcourt. Ne restent plus à ce moment que le 2/2 Chasseurs (Mompez) et le 2/2 Grenadiers (Christiani) qui recueil-lent tous les survivants qu’ils peuvent et font vivement retraite, dans un ordre très relatif, vers les deux carrés du 1er Grenadiers.

Postés entre la Belle-Alliance et Rossomme, les deux bataillons de ce régiment d’élite, le 1er Grenadiers, ne bougent pas d’un pouce et protègent la retraite précipitée de leurs camarades survivants. Placées sous les ordres du général Petit, ces « vieilles moustaches », les authentiques grognards, ont toujours été les piliers de l’armée française. Quatre hommes sur cinq étaient décorés de la Légion d’honneur et beaucoup avaient connu vingt-cinq campagnes. C’était le seul régiment de la Garde dont les tenues étaient uniformément réglementaires. Au moment où tout s’écroulait, ses deux bataillons formèrent un solide carré – très précisément à l’endroit où se trouve l’ « Aigle blessé » – et fournirent un refuge provisoire à l’empereur et au reste de son état-major. Le carré de ce régiment débordait d’ailleurs de réfugiés en tous genres : officiers, état-major, soldats de tous rangs et de toutes provenances, musiciens, etc. De telle sorte que l’on a pu écrire qu’il était formés de quatre côtés de dix rangs.

Mais il devint évident que les Prussiens, débouchant de Plancenoit, n’allaient pas tarder à lui couper la retraite, le 1er Grenadiers se redivisa en deux carrés et entama une retraite calme vers Rossomme. L’un des deux bataillons marcha le long de la route et l’autre à travers champs. C’est au cours de cette retraite que Napoléon, accompagné de ce qui subsistait de son état-major et d’un escadron de service abandonna ses grenadiers et galopa jusqu’au Caillou où se tenait toujours le 1er bataillon du 1er Chasseurs, avant de filer vers Genappe sans demander son reste. Arrivé au Caillou en bon ordre, le 1er Grenadiers fut rejoint par ce 1/1 Chasseurs et, en sa compagnie, poursuivit sa retraite en bon ordre, malgré les attaques incessantes des poursuivants prussiens, jusqu’à deux kilomètres environ de Genappe afin de couvrir la fuite de l’empereur.

A cet endroit, quand il devint évident que Napoléon était loin, le général Petit fit rompre les carrés et prendre la formation en colonne. Cette colonne poursuivit sa route jusqu’à Fleurus.

Ainsi donc, si l’on s’en tient aux faits, la seule unité française qui quitta le champ de bataille de Waterloo en ordre parfait fut le 1er régiment de Grenadiers. Tout le reste de l’armée française n’était que désordre et confusion. Il est donc tout à fait évident que le dernier carré que décrit Victor Hugo ne peut pas être celui du 1er Grenadiers. Ce qui ne retire rien à sa gloire : retraiter efficacement et en bon ordre est aussi glorieux que de se faire inutilement hacher sur place.

Cela dit, qui reste-t-il pour revendiquer le titre de « Dernier Carré » ? Si l’on s’en tient au récit de Hugo, aucun homme n’aurait dû survivre… Peut-être, en examinant le pourcentage de pertes, trouverons-nous la solution de notre problème. La statistique que nous allons examiner a été établie le 26 juin 1815, lorsque purent enfin être passés en revue les survivants de la garde. Les blessés et les fugitifs ne sont donc pas pris en ligne de compte.

Effectif et pertes de la Garde impériale
Unités Eff. au 18 juin Eff. au 26 juin Eff. au 26 juin (en p.c.)
1er Grenadiers 1 280 644 50
2e Grenadiers 1 090 374 34
3e Grenadiers 1 164 201 16
4e Grenadiers 520 100 17
3e Chasseurs 1 062 165 15
4e Chasseurs 841 244 29


Ainsi qu’on le voit les pertes de la Vieille et de la Moyenne Garde furent considérables. Tout cela n’est cependant rien en comparaison de celles de la Jeune Garde : les régiments les moins atteints furent le 1er Voltigeurs et le 3e Tirailleurs avec 16 p.c. de présents au 26 juin. Le plus diminué fut le 1er Tirailleurs avec 8 p.c. seulement de présents. Ce furent donc les combats de Plancenoit qui s’avérèrent les plus meurtriers.

Malheureusement, nous ne possédons pas la ventilation de ces chiffres par bataillons, ce qui nous aurait été bien utile…

Remarquons d’abord que le 1er Grenadiers fut relativement le plus épargné. Nous savons pour-quoi : jamais directement engagé contre l’ennemi, il se retira en bon ordre.

Le tableau nous montre que l’unité la plus touchée fut le 3e Chasseurs. Mais nous savons que les deux bataillons de ce régiment montèrent tous deux à l’assaut de la ligne anglo-néerlandaise et qu’ils furent mis en déroute. Les pertes élevées de ce régiment sont donc explicables.

Vient ensuite le 3e Grenadiers dont un seul bataillon, le 1er, monte à l’assaut de ligne alliée. Si les pertes totales du régiment s’établissent à 84 p.c., on peut raisonnablement déduire que le pourcentage du bataillon qui monte à l’assaut est le plus élevé et doit s’établir, comme celui du 3e Chasseurs à 85 p.c. C’est lors de la retraite consécutive à l’avancée des troupes de Wellington, que le second bataillon du 3e Grenadiers subit donc le pourcentage le plus élevé de ses pertes, surtout si nous le comparons à celui du 2e bataillon du 2e Chasseurs dont 53 p.c. des hommes revinrent vivants.

Les cinq bataillons de la Garde qui sont montés à l’assaut de la ligne alliée ont été désintégrés. Ils ne peuvent prétendre au titre de « Dernier Carré ». En nous tenant aux chiffres, deux bataillons seulement, tenus d’abord en deuxième ligne, ont subi des pertes très lourdes : le 2e bataillon du 1er Chasseurs (Lamouret) – où se trouvait Cambronne – et le 2e bataillon du 3e Grenadiers (major Belcourt). C’est donc parmi ces deux unités qu’il faut rechercher le prétendant à l’honneur de se dire le dernier carré…

Or nous savons que le bataillon de Lamouret se désintégra avant le carré du 2e bataillon du 2e Chasseurs (Mompez) puisque le lieutenant Martin, son porte-aigle, trouva refuge dans cette dernière unité. Et nous savons que les débris de ce bataillon trouvèrent refuge dans un carré du 1er Grenadiers. Ce n’est donc pas non plus le 2/2 Chasseurs à qui doit revenir la palme. Ne reste plus en lice que 2e bataillon du 3e Grenadiers du major Belcourt.

Il ne faut pas chercher très loin l’explication de ce fait : elle est strictement géographique. Au moment où les cinq bataillons qui sont montés à l’assaut refluent en désordre, le bataillon du major Belcourt, placé en deuxième ligne, est le plus éloigné de la chaussée de Charleroi. Très brutalement accroché par les fantassins alliés qui surgissent de Hougoumont et par la cavalerie de Vivian, ils refluent en bon ordre vers les carrés du 1er Grenadiers. Ils subissent cependant de très sévères pertes et leur formation devient assez improbable – un vague triangle – mais cela reste une formation cohérente. Arrivé à proximité du 1er Grenadiers, le major Belcourt, à court de moyen, ordonne une dernière salve et engage ses hommes à rallier le 1er Grenadiers qui entame sa retraite.

Donc, même si cela tient à quelques minutes, c’est bien le 2e bataillon du 3e régiment de Grenadiers de la garde impériale qui, en dehors du 1er Grenadiers, resta le dernier à maintenir sa cohérence dans la bataille.

Cela dit, où ce bataillon se dissout-il ? Un coup d’œil sur la carte montre que le 1er Grenadiers réunit ses deux bataillons en un seul grand carré précisément à l’endroit où a été érigé l’ « Aigle blessé »… C’est donc là que le major Belcourt disperse ce qui reste de son bataillon.

Le choix par Houssaye de l’emplacement du monument n’est nullement le fruit du hasard et c’est Logie, comme chaque fois qu’il est péremptoire, qui se trompe.

Cela dit, Houssaye et son petit comité n’ont pas voulu célébrer la mémoire d’un seul bataillon mais, ainsi que l’indique l’inscription portée sur le monument, celle de tous les « derniers combattants de la Grande Armée ».

Ajoutons à cela qu’en 1990, une plaque fut scellée au pied de l’ « Aigle blessé », dédiée : « A tous les officiers, sous-officiers et soldats de l’escadron polonais tombés à Mont-Saint-Jean le 18 juin 1815 ». C’est peut-être le moins pompeux de tous les monuments qui parsèment le champ de bataille… Ce n’en est pas le moins émouvant.

Autres monuments et souvenirs

Le curieux qui voudrait reconstituer le trajet de l’armée prussienne peu avant qu’il ne débouche sur le champ de bataille, descendrait à Lasne par la rue de la Gendarmerie, franchirait la rivière sur un petit pont, gagnerait la rue de l’Église, la traverserait, remonterait par la ruelle des Béguines ou le chemin du Ruisselet vers l’allée des Chênes du Tram qu’il prendrait à gauche jusqu’à une fourche. Là, s’il voulait suivre le chemin pris par le corps de von Bülow, il prendrait la rue du Vieux Monument qu’il suivrait jusqu’au moment où elle devient un chemin de terre qui le conduirait au Bois Paris. Le long de cette ruelle, il apercevrait :

  • le monument dédié au comte von Schwerin dont nous avons touché un mot. Il se compose d’un soubassement cubique, sur lequel est posée une colonne à base octogonale. L’inscription porte : « Wilhelm, Graf von Schwerin, Koenigh Preus Obrist und Ritter. Gefallen, dem Siege am Juni 1815, In des fremde fûr die Heimath. » ; ce que l’on peut traduire par « Guillaume, comte de Schwerin, colonel du roi de Prusse et chevalier. Tombé lors de la victoire de 1815, à l’étranger pour la Patrie. » La comtesse von Schwerin, qui est à l’origine de l’érection de ce monument, pour entretenir la mémoire de son mari, faisait annuellement don au curé de Lasne d’une somme de 100 florins pour ses œuvres. Elle fit également don de deux cloches à l’église paroissiale. Nous ignorons si ce sont ces mêmes cloches qui sonnent encore dans le clocher de l’église de Lasne reconstruite en 1881.

En poursuivant son chemin à travers ce qui reste du Bois Paris, le visiteur ne tardera pas à apercevoir devant lui le clocher de l’église de Plancenoit et atteindra :

  • le monument prussien, un peu dissimulé par des arbres sur sa droite. Construit dès 1819, ce monument est l’œuvre de l’architecte Schinkel. Il s’agit d’une flèche gothique de fer posé sur un soubassement de pierre. Au sommet, une croix rappelant la décoration de la Croix de Fer instituée en 1813 par le roi Frédéric-Guillaume III. Une inscription en lettres gothiques dorée porte « Die gefallenen / Helden ehrt dankbar König und / Vaterland. / Sie ruhn in Frieden. / Belle Alliance / den 18. Juni 1815. » ; « Aux héros tombés, le Roi et la Patrie reconnaissants. Ils reposent en paix. Belle-Alliance, 18 juin 1815. » Rappelons que les Prussiens appelèrent la bataille de Waterloo « Bataille de la Belle-Alliance » La tradition veut que le monument ait été établi sur une petite hauteur d’où une batterie française fit subir de lourdes pertes aux troupes prussiennes.

En novembre 1832, les soldats français en route pour Anvers s’en prirent au monument, arrachant la croix de fer qui le surmonte. Le maréchal Gérard, qui avait commandé le 4e corps d’armée en 1815 et qui s’était confronté aux Prussiens à Wavre, fit cesser ce vandalisme et fit rétablir la croix sur le monument. Un peu plus tard, on établit une belle grille en fer forgé autour du monument, dans l’espoir d’éviter de telles déprédations. On ne sait si c’est cet épisode qui donna naissance à la légende qui veut que les mêmes soldats du corps expéditionnaire français s’en soient pris au lion de la butte, lui tordant la queue – ce qui est rigoureusement impossible puisque le lion est en fonte…

Le monument prussien fut restauré en 1944 – on devine par qui… – et en 1965, à l’occasion du 150e anniversaire de la bataille.

  • Non loin de là, sur la droite, au milieu d’un petit terre-plein au carrefour des chemins du Lanternier et de Camuselle, une stèle a été érigée en hommage à la jeune garde : « EN CE LIEU / LE 18 JUIN 1815 / A 5 HEURES DU SOIR / LA JEUNE GARDE / DE / L’EMPEREUR / SOUS LES ORDRES / DU GENERAL COMTE / DUHESME / S’OPPOSA GLORIEUSEMENT / AUX PRUSSIENS / DU / GENERAL BÜLOW. »
  • Poursuivant notre chemin, nous arrivons en face de l’église. Sur sa façade, à gauche, on voit une plaque dédiée au lieutenant Louis : « AU LIEUTENANT M. LOUIS / 3E TIRAILLEURS DE LA GARDE / NE A JODOIGNE LE 3. 4. 1787 / TOMBE A PLANCENOIT LE 18. 6. 1815 / FOND. NAPOLEON / A.F.E.W. » D’après le général Couvreur, Médard-Joseph Louis fit campagne avec Napoléon de 1808 à 1815 et, pour être précis, ne tomba pas à l’ennemi le 18 juin 1815, mais fut porté disparu . La nuance est peut-être fort ténue mais elle mérite d’être mentionnée.
  • A droite du portail, une autre plaque : « DANS CE VILLAGE / DE PLANCENOIT / S’EST ILLUSTREE LE 18 JUIN 1815 / LA JEUNE GARDE DE L’EMPEREUR / NAPOLEON / COMMANDEE PAR / LE GENERAL COMTE DUHESME / QUI Y FUT MORTELLEMENT BLESSE / SOCIETE BELGE D’ÉTUDES NAPOLEONIENNES / 1965 »
  • Sur un autre mur de l’église, on trouve encore une plaque : « EN CES LIEUX, LE 18 JUIN 1815 / LES 1E ET 2E COMPAGNIES DU 8E REGIMENT D’ARTILLERIE A PIED / DU COLONEL CARON / ONT APPUYE DE LEURS FEUX EFFICACES LE 6E CORPS D’ARMEE FRANÇAIS. » La première compagnie appartenait à la 19e division Simmer et était placée sous le commandement du capitaine Parisot, tandis que la 2e compagnie, sous le capitaine Paquet, appartenait à la 20e division Jeanin. Ces deux batteries étaient composées chacune de 6 canons de 6 livres et deux obusiers de 5, 5 pouces. Il est impossible de déterminer avec exactitude quelle était la position de ces deux batteries mais il est plus que vraisemblable que l’une d’elles, sans doute la 2e, se situait sur le monticule où a été érigé le monument prussien.
  • A l’intérieur de l’église, à gauche, à côté de l’autel de la Vierge, une autre plaque, bien plus ancienne, porte l’inscription : «  A LA MEMOIRE DE / JQUES CLES ADRE TATTET / LIEUTENANT D’ARTILLERIE DE LA / VIEILLE GARDE / MEMBRE DE LA LEGION D’HONNEUR / TUE AU DEBUT DE LA BATAILLE / DU 18 JUIN 1815 / A L’AGE DE 22 ANS » Nous n’avons pas trouvé trace de ce jeune officier, mais tout porte à croire – à commencer par le texte même de la plaque – qu’il n’est pas mort dans le village de Plancenoit.
  • Si l’on quitte la place de Plancenoit, par le chemin du Lanternier, au sud, et la rue du Mouton, nous trouvons, non loin du croisement de cette rue avec la rue Là Haut, une nouvelle stèle frappée de l’aigle impérial, qui vient nous rappeler le souvenir du 5e régiment de ligne : « EN CE LIEU / LE 18 JUIN 1815 / LE 5E REGIMENT / DE LIGNE DU / COLONEL ROUS-SILLE / DIVISION SIMMER / S’OPPOSA HEROÏQUEMENT / AU CORPS PRUSSIEN / DU GENERAL / VON BÜLOW / A.F.E.W./ FONDATION NAPOLEON. » Le 5e régiment d’infanterie de ligne restera célèbre dans l’histoire pour avoir été celui dont un bataillon, au défilé de Laffrey, refusa de faire feu sur l’empereur.

Ainsi donc, dans le village de Plancenoit, outre l'Aigle blessé, il y a six stèles ou plaques gravées en souvenir des soldats de Napoléon pour un seul monument dédié aux morts prussiens. Et l’on constate que, à une exception près, toutes ces plaques ont été érigées par des associations consacrées au souvenir napoléonien.

Notes et références

  1. Damitz – Geschichte des Felzuges von 1815 in den Niederland und Franreich, 2 vol. – Berlin, Posen & Bromberg, 1837-1838.
  2. Thurn und Taxis – Aus drei Feldzügen 1812 bis 1815 – Leipzig, 1912
  3. Wellington – Suppl. Despatches (894), t. X, p. 515 : Memorandum on the battle of Waterloo, by Field Marshal The Duke of Wellington. Ce texte, daté du 24 septembre 1842, a été écrit en réponse à l’ouvrage de Clausewitz. Très étrangement, il n’a été utilisé que par de très rares auteurs.
  4. Photo prise au "Bivouac Napoléonien" de 2006.
  5. Brabant wallon, au fil des jours et des saisons, - Lasne, ARC, 1998, p. 161.
  6. Jacques Logie, Évitable défaite, p. 137.
  7. Victor Hugo – Les Misérables – Verviers, Gérard, coll. Marabout géant n° 139, vol 1, s.d., p. 308-309

Bibliographie

  • Victoires, conquêtes, désastres, revers et guerres civiles des Français, par une société de mili-taires et de gens de lettres, tome XXIV, Paris, C.L.F. Pancoucke, éditeur, 1821
  • Mark Adkin, The Waterloo Companion, Londres, Aurum Press, 2005.
  • Winand Aerts, Waterloo. Opérations de l’armée prussienne du Bas-Rhin, pendant la campagne de Belgique en 1815, depuis la bataille de Ligny jusqu’à l’entrée en France des troupes prussiennes, Bruxelles, Spineux, 1908
  • Carl von Clausewitz, La campagne de 1815 en France, trad. Niessel, Paris, Librairie Chapelot et Cie, 1900.
  • Carl von Damitz, Geschichte des Felzuges von 1815 in den Niederland und Franreich, 2 vol., Berlin, Posen & Bromberg, 1837-1838.
  • Jean H. Frings, Dictionnaire de la bataille de Waterloo, Braine-l’Alleud, Les Guides 1815, 1995
  • David Hamilton-Williams, Waterloo. New perspectives. The great battle reappraised, London, Arms ans Armour, 1993
  • Peter Hofschröer, 1815 – The Waterloo Campaign. The German Victory : from Waterloo to the fall of Napoleon, Londres, Greenhill Books, 1999
  • Henry Houssaye, 1815, t. 2 : Waterloo, Paris, Christian de Bartillat, éditeur, 1987.
  • Jacques Logie, La campagne de 1815, Bruxelles, Racine, 2003
  • Émile Marco de Saint-Hilaire, Histoire anecdotique, politique et militaire de la Garde impériale, Paris, Eugène Penaud et Cie, éditeurs, 1847 (1846)
  • Général Freiherr Friedrich Carl Ferdinand von Müffling, Esquisse de la bataille de Waterloo, accompagnée des dépêches officielles du Feld-Maréchal Duc de Wellington, du Feld-Maréchal Blücher et de réflexions sur les batailles de Ligny et de Waterloo, avec plans de la bataille de Ligny et de Waterloo, Waterloo, H. Gérard, 1866
  • Napoléon, Mémoires pour servir à l’Histoire de France, 2e éd.(t. IX) – Paris, Librairies Bossange et Dufour, 1830
  • Georges Speeckaert et Isabelle Baecker, Les 135 vestiges et monuments commémoratifs des combats de 1815 en Belgique, Waterloo, Relais de l’Histoire a.s.b.l., 1990
  • Tarlier et Wauters, La Belgique ancienne et moderne. Géographie et Histoire des Communes belges. Vol. 2 : Province de Brabant, arrondissement de Nivelles, canton de Genappe, Bruxelles, Decq et Duhent, 1859
  • Adolphe Thiers, Histoire du Consulat et de l’Empire, t. XX - Paris, Lheu-reux et Cie, éditeurs, 1862.
  • Prinz August von Thurn und Taxis, Aus drei Feldzügen 1812 bis 1815, Leipzig, 1912
  • Wellington, Supplementary Despatche, t. X.

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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Combats de Plancenoit de Wikipédia en français (auteurs)

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