- Chat de Schrödinger
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L'expérience du chat de Schrödinger fut imaginée en 1935 par le physicien Erwin Schrödinger, afin de mettre en évidence des lacunes supposées de l'interprétation de Copenhague de la physique quantique, et particulièrement mettre en évidence le problème de la mesure.
La mécanique quantique est relativement difficile à concevoir car sa description du monde repose sur des amplitudes de probabilité (fonctions d'onde). Ces fonctions d'ondes peuvent se trouver en combinaison linéaire, donnant lieu à des « états superposés ». Cependant, lors d'une opération dite de « mesure » l'objet quantique sera trouvé dans un état déterminé ; la fonction d'onde donne les probabilités de trouver l'objet dans tel ou tel état.
C'est la mesure qui perturbe le système et le fait bifurquer d'un état quantique superposé (atome à la fois intact et désintégré par exemple… mais avec une probabilité de désintégration dans un intervalle de temps donné qui, elle, est parfaitement déterminée) vers un état mesuré. Cet état ne préexiste pas à la mesure : c'est la mesure qui semble le faire advenir.
Toutefois, la notion de mesure ou de bifurcation n'apparaît pas explicitement ni même indirectement dans le formalisme quantique, et les tentatives d'en faire surgir cette notion se heurtent à d'extrêmes difficultés. En conséquence, certains physiciens n'accordent aucune réalité physique au concept de mesure ou d'observation. Pour eux, les états superposés ne s'effondrent (ou ne « bifurquent ») pas, et l'état mesuré n'existe pas réellement (voir par exemple : Hugh Everett).
C'est pour faire apparaître le caractère paradoxal de cette position et pour poser de manière frappante le problème, que Schrödinger a imaginé cette expérience de pensée.
« L'expérience »
Erwin Schrödinger a imaginé une expérience dans laquelle un chat est enfermé dans une boîte fermée avec un dispositif qui tue l'animal dès qu'il détecte la désintégration d'un atome d'un corps radioactif ; par exemple : un détecteur de radioactivité type Geiger, relié à un interrupteur provoquant la chute d'un marteau cassant une fiole de poison — Schrödinger proposait de l'acide cyanhydrique, qui peut être enfermé sous forme liquide dans un flacon sous pression et se vaporiser, devenant un gaz mortel, une fois le flacon brisé.
Si les probabilités indiquent qu'une désintégration a une chance sur deux d'avoir eu lieu au bout d'une minute, la mécanique quantique indique que, tant que l'observation n'est pas faite, l'atome est simultanément dans deux états (intact/désintégré). Or le mécanisme imaginé par Erwin Schrödinger lie l'état du chat (mort ou vivant) à l'état des particules radioactives, de sorte que le chat serait simultanément dans deux états (l'état mort et l'état vivant), jusqu'à ce que l'ouverture de la boîte (l'observation) déclenche le choix entre les deux états. Du coup, on ne peut absolument pas dire si le chat est mort ou non au bout d'une minute.
La difficulté principale tient donc dans le fait que si l'on est généralement prêt à accepter ce genre de situation pour une particule, l'esprit refuse d'accepter facilement une situation qui semble aussi peu naturelle quand il s'agit d'un sujet plus familier comme un chat.
Pourquoi le chat de Schrödinger ?
Cette expérience n'a jamais été réalisée, car :
- les conditions techniques pour préserver l'état superposé du chat sont très difficiles, tout à fait irréalisables pour plus de quelques molécules ;
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- en fait, le passage à l'échelle macroscopique que représente le chat par rapport aux quelques molécules est le principal intérêt de l'expérience de pensée (ce n'est pas une question sur le vivant) ; le rôle du chat serait parfaitement réalisé par un interrupteur ;
- et même si ces conditions sont atteintes, il s'agit d'une pure expérience de pensée, apparemment non réalisable même en principe. En effet, on ne pourra jamais mettre en évidence directement, ou mesurer, que le chat est à la fois mort et vivant car le fait d'essayer de connaître son état provoquera nécessairement l'effondrement de la fonction d'onde[1].
En fait, le but est surtout de marquer les esprits : si la théorie quantique autorise à un chat d'être à la fois mort et vivant, c'est ou bien qu'elle est erronée, ou bien qu'il va falloir reconsidérer tous les préjugés.
Erwin Schrödinger lui-même a imaginé cette expérience pour réfuter l'interprétation de Copenhague de la mécanique quantique, qui conduisait à un chat à la fois mort et vivant. Albert Einstein avait fait la même expérience de pensée avec un baril de poudre. Schrödinger exposa alors à Einstein l'expérience de pensée (un chat et un flacon de poison) qu'il avait l'intention de soumettre sous peu à une revue, et dès lors Einstein employa un baril de poudre avec un chat à proximité[2]. Schrödinger et Einstein pensaient que la possibilité du chat mort-vivant démontrait que l'interprétation de la fonction d'onde par Max Born était incomplète. La partie « quelle solution ? » montre que cette situation souligne bien l'étrangeté de la mécanique quantique, mais ne la réfute pas.
Il est évident que le fait que l'interprétation orthodoxe de la physique quantique mène à un chat à la fois mort et vivant montre que la mécanique quantique obéit à des lois souvent contraires à notre intuition. Pire, on se rend compte que la question n'est pas « comment est-ce possible dans le monde quantique ? » mais « comment est-ce impossible dans le monde réel ? ».
Anecdotiquement, on peut aussi se demander (c'est ce que fait Étienne Klein dans Il était sept fois la révolution) d'où vient le choix du chat pour cette expérience de pensée. Sciences et Avenir, dans un numéro hors-série consacré au chat de Schrödinger, propose l'hypothèse d'une référence de la part de Schrödinger au chat du Cheshire.
Est-il exact de dire que le chat est mort et vivant ?
L'affirmation « Le chat est mort et vivant » est effectivement déroutante, et provoque souvent des blagues sur le « chat mort-vivant ». Notre intuition nous dit que les phrases « le chat est mort » et « le chat est vivant » sont chacune la négation de l'autre. En fait, il existe une troisième possibilité : le chat peut être dans un état de superposition, dans lequel il cumule plusieurs états classiques incompatibles. Il n'y a pas de problème logique (le principe du tiers exclu n'est pas remis en cause), c'est juste qu'un objet quantique peut avoir des propriétés contredisant notre expérience quotidienne.
Pour éviter les abus de langage sur le « chat mort-vivant », on peut préférer dire que le chat est dans un état où les catégorisations habituelles (ici la vie ou la mort) perdent leur sens.
Mais on peut, comme Einstein, refuser d'admettre que le chat n'ait pas d'état défini tant qu'on n'opère pas d'observation, et supposer que si on voit le chat vivant, il l'a été depuis son enfermement. Einstein anticipa sur l'objection de Niels Bohr « Le mystique positiviste va rétorquer qu'on ne peut spéculer sur l'état du chat tant qu'on ne regarde pas sous prétexte que cela ne serait pas scientifique ».
Même en admettant que l'état du chat découle directement de celui de la particule, d'un point de vue sémantique, dire que le chat est mort et vivant n'est pas tout à fait légitime : il est plus précisément , si on emploie la notation bra-ket de Paul Dirac. Et encore, les coefficients devant les vecteurs « mort » et « vivant » pourraient être des nombres complexes. Le « et » du langage courant n'a pas vraiment de sens dans cette situation, le « et » logique serait à redéfinir. La question n'est pas exclusive à la physique quantique : dans le cas du coefficient , demander si le chat est vivant ou s'il est mort est équivalent à demander si à 1 h 30 la petite aiguille d'une horloge est horizontale ou si elle est verticale.
Comment est-il possible d'être dans plusieurs états à la fois ?
C'est justement l'équation de Schrödinger qui autorise ces superpositions : cette équation, régissant les états possibles d'une particule étudiée dans le cadre de la physique quantique, est linéaire, ce qui entraîne que pour deux états possibles d'une particule, la combinaison de ces deux états est également un état possible. L'observation provoque en revanche la réduction à un seul état.
Si l'on parvient à provoquer une dépendance directe entre l'état d'une particule et la vie du chat, on devrait pouvoir mettre le chat dans un état superposé, mort et vivant, jusqu'à l'observation, qui le réduira à un seul état.
Quelle solution ?
Différentes options proposent de résoudre ce paradoxe :
Théorie de la décohérence
Article détaillé : Décohérence quantique.Un certain nombre de théoriciens quantiques affirment que l'état de superposition ne peut être maintenu qu'en l'absence d'interactions avec l'environnement qui « déclenche » le choix entre les deux états (mort ou vivant). C'est la théorie de la décohérence. La rupture n'est pas provoquée par une action « consciente », que nous interprétons comme une « mesure », mais par des interactions physiques avec l'environnement, de sorte que la cohérence est rompue d'autant plus vite qu'il y a plus d'interactions. À l'échelle macroscopique, celui des milliards de milliards de particules, la rupture se produit donc pratiquement instantanément. Autrement dit, l'état de superposition ne peut être maintenu que pour des objets de très petite taille (quelques particules). La décohérence se produit indépendamment de la présence d'un observateur, ou même d'une mesure. Il n'y a donc pas de paradoxe : le chat se situe dans un état déterminé bien avant que la boîte ne soit ouverte. Cette théorie est notamment défendue par les physiciens Roland Omnès et Jean-Marc Lévy-Leblond, et par le prix Nobel Murray Gell-Mann.
Théorie de la décohérence avec paramètres cachés
Une variante de la théorie de la décohérence est défendue notamment par les physiciens Roger Penrose, Rimini, Ghirardi et Weber. Elle part de la constatation que la décohérence n'est démontrée à partir des lois quantiques que dans des cas précis, et en faisant des hypothèses simplificatrices et ayant une teneur arbitraire (histoires à « gros grains »). De plus, les lois quantiques étant fondamentalement linéaires, et la décohérence étant non linéaire par essence, obtenir la seconde à partir des premières paraît hautement suspect aux yeux de ces physiciens. Les lois quantiques ne seraient donc pas capables à elles seules d'expliquer la décohérence. Ces auteurs introduisent donc des paramètres physiques supplémentaires dans les lois quantiques (action de la gravitation par exemple pour Penrose) pour expliquer la décohérence, qui se produit toujours indépendamment de la présence d'un observateur, ou même d'une mesure.
Cette théorie présente l'avantage par rapport à la précédente d'apporter une réponse claire et objective à la question « que se passe-t-il entre le niveau microscopique et le niveau macroscopique expliquant la décohérence ». L'inconvénient est que ces paramètres supplémentaires, bien que compatibles avec les expériences connues, ne correspondent à aucune théorie complète et bien établie à ce jour.
Approche positiviste
De nombreux physiciens positivistes, bien représentés par Werner Heisenberg ou Stephen Hawking, pensent que la fonction d'onde ne décrit pas la réalité en elle-même, mais uniquement ce que nous connaissons de celle-ci (cette approche coïncide avec la philosophie d'Emmanuel Kant, le noumène, la chose en soi / le phénomène, la chose telle que nous la percevons). Autrement dit, les lois quantiques ne sont utiles que pour calculer et prédire le résultat d'une expérience, mais pas pour décrire la réalité. Dans cette hypothèse, l'état superposé du chat n'est pas un état « réel » et il n'y a pas lieu de philosopher à son sujet (d'où la célèbre phrase de Stephen Hawking « Quand j'entends « chat de Schrödinger », je sors mon revolver »). De même, « l'effondrement de la fonction d'onde » n'a aucune réalité, et décrit simplement le changement de connaissance que nous avons du système. Le paradoxe, dans cette approche toujours assez répandue parmi les physiciens, est donc évacué.
Théorie des univers parallèles
Article détaillé : Théorie d'Everett.La théorie des univers parallèles introduite par Hugh Everett prend le contre-pied de l'approche positiviste et stipule que la fonction d'onde décrit la réalité, et toute la réalité. Cette approche permet de décrire séparément les deux états simultanés et leur donne une double réalité qui semblait avoir disparu, dissoute dans le paradoxe (plus exactement deux réalités dans deux univers complètement parallèles - et sans doute incapables de communiquer l'un avec l'autre une fois totalement séparés). Cette théorie ne se prononce pas sur la question de savoir s'il y a duplication de la réalité (many-worlds) ou duplication au contraire des observateurs de cette même réalité (many-minds), puisqu'elles ne présentent pas de différence fonctionnelle.
Malgré sa complexité et les doutes sur sa réfutabilité, cette théorie emporte l'adhésion de nombreux physiciens, non convaincus par la théorie de la décohérence, non positivistes, et pensant que les lois quantiques sont exactes et complètes.
Reformulation radicale de la théorie quantique
Le paradoxe du chat prend sa source dans la formulation même des lois quantiques. Si une théorie alternative, formulée différemment, peut être établie, alors le paradoxe disparaît de lui-même. C'est le cas pour la théorie de David Bohm, inspirée des idées de Louis de Broglie, qui reproduit tous les phénomènes connus de la physique quantique dans une approche réaliste, à variables cachées (non locales). Dans cette théorie, il n'existe ni superposition des particules ni effondrement de la fonction d'onde, et donc le paradoxe du Chat est considéré de ce point de vue comme un artefact d'une théorie mal formulée. Bien que la théorie de Bohm réussisse à reproduire tous les phénomènes quantiques connus et qu'aucun défaut objectif de cette théorie n'ait été mis en évidence, elle est assez peu reconnue par la communauté des physiciens. Elle est pourtant considérée par celle-ci comme un exemple intéressant, et même un paradigme d'une théorie à variables cachées non locales.
Théorie de l'influence de la conscience
Un prix Nobel de physique 1963, Eugene Wigner, soutient la thèse de l'interaction de la conscience, dans la décohérence (cessation de la superposition d'état). Dans cette interprétation, ce ne serait pas une mesure, ou des interactions physiques, mais la conscience de l'observateur qui « déciderait » finalement si le chat est mort ou vivant. En regardant par le hublot, l'œil (dans ce cas, c'est lui l'appareil de mesure) se met dans une superposition d'états :
- d'un côté, un état A : « uranium désintégré, détecteur excité, marteau baissé, fiole cassée, chat mort » ;
- de l'autre, un état B : « uranium intact, détecteur non excité, marteau levé, fiole entière, chat vivant » ;
- le nerf optique achemine au cerveau une onde qui est aussi dans une superposition des états A et B, et les cellules réceptrices du cerveau suivent le mouvement. C'est alors que la conscience, brutalement, fait cesser le double jeu, obligeant la situation à passer dans l'état A ou dans l'état B (rien ne dit pourquoi ce serait A ou B).
Wigner ne dit pas comment, mais les conséquences de sa position sont importantes : la réalité matérielle du monde serait déterminée par notre conscience, et celle-ci est unique (deux observateurs humains doivent percevoir la même chose). Cette solution peut être vue comme une variante de la solution « avec variables cachées », où le « paramètre supplémentaire » serait la conscience. Les avantages de cette solution sont les mêmes que la solution avec variables cachées, les inconvénients étant qu'elle repose sur des notions non scientifiques (faute d'une définition scientifique de la conscience).
Une variante intéressante rend le résultat plus spectaculaire encore : un appareil photo prend une image du chat au bout d'une heure, puis la pièce contenant le chat est définitivement scellée (hublots fermés). La photographie ne serait quant à elle développée qu'un an plus tard. Or, ce n'est qu'à ce moment-là qu'une conscience humaine tranchera entre la vie ou la mort du chat. Le signal nerveux remonterait-il le temps pour décider de la vie ou de la mort du chat ? Cela peut paraître absurde, mais l'expérience de Marlan Scully et le paradoxe EPR illustrent l'existence de rétroactions temporelles apparentes en physique quantique.
Et si le chat était un observateur ?
Dans la résolution du paradoxe du chat de Schrödinger, on considère que le chat n'a pas de conscience lui permettant de jouer le rôle d'observateur. On postule donc que l'expérience du chat de Schrödinger est équivalente à celle du baril de poudre d'Einstein. Ceux qui trouvent contre-intuitif de considérer un chat comme un simple objet dépourvu de conscience peuvent carrément explicitement remplacer le chat par le baril de poudre.
Si au contraire on souhaite étudier ce qui se passe si l'observateur est conscient, on remplace le chat par un être humain, ou on ajoute un être humain dans la chaîne, pour éviter les contestations sur le fait que l'observateur est conscient. Ce sont les variantes de l'ami de Wigner et du suicide quantique.
Il faut bien comprendre que les cas d'observateurs conscients constituent des variantes du problème initial, tandis que celles où l'observateur n'est pas conscient sont des reformulations équivalentes.
L'ami de Wigner
Dans cette variante imaginée par Eugene Wigner, un de ses amis observe le chat en permanence par un hublot. Cet ami aime les chats.
Donc la superposition d'états du chat mort/vivant conduirait à une superposition d'états de l'ami de Wigner triste/heureux, si l'on suppose qu'un observateur conscient peut également être mis dans un état superposé. La plupart des interprétations ci-dessus concluent au contraire que la superposition d'états serait brisée avant d'entraîner celle de l'ami de Wigner.
Une version moderne de cette expérience de pensée a été proposée par Taoufik Amri[3] en 2011. L'idée centrale est d'imaginer un dispositif amplifiant les signes vitaux du chat afin de visualiser son état de vie ou de mort à l'aide d'une petite diode laser. Si le chat est mort, la diode n'émet pas de lumière. Si le chat est vivant, la diode émet un état quasi-classique du champ lumineux. Si le chat est dans une superposition d'états "mort et vivant", il en est de même pour la lumière, qui se retrouve dans un état intriqué à celui du chat. L'état du système global (noyau, chat, laser) est une superposition des états : "noyau excité et chat vivant et émission de lumière" ET "noyau désintégré et chat mort et diode éteinte".
On peut alors étudier les effets d'une observation par l'ami de Wigner en traitant l’œil humain comme un véritable détecteur optique. En s'appuyant sur les données issus d'expériences de neurophysiologie, le traitement quantique consiste à appliquer le postulat de la mesure au système triplement intriqué. On montre alors que l'état après l'observation de lumière est un état complètement mélangé, où toutes les cohérences quantiques ont été dissipées. Le système (noyau, chat) se retrouve dans le mélange statistique "noyau excité, chat vivant" OU "noyau désintégré, chat mort". En d'autres termes, l'œil humain n'est pas suffisamment quantique pour détecter un état "chat de Schrödinger".
Si l'on veut préserver le chat de Schrödinger, il faut effectuer une observation à travers un détecteur d'états "chat de Schrödinger" de la lumière, c'est-à-dire des superpositions des états vide et quasi-classique du chat lumineux. T. Amri propose dans sa thèse [4] le principe d'un tel détecteur et montre comme ce dernier pourrait être conçu avec les technologies actuelles[5].
La principale conclusion de cette nouvelle version de cette expérience de pensée est que bien évidemment la conscience n'intervient absolument pas dans le devenir du chat. Le postulat de la mesure, aussi appelé règle de projection, traduit dans le formalisme mathématique de la théorie quantique, une idée assez intuitive : après une mesure, le système se retrouve dans l'état dans lequel on l'a mesuré. L'étrangeté quantique vient surtout de l'existence de superposition quantique, comme des états "chat de Schrödinger".
Le suicide quantique
Le suicide quantique propose qu'un être humain, capable de jouer le rôle d'observateur, prenne la place du chat. Cette situation pose problème aux interprétations faisant jouer un rôle à la conscience, car notre courageux volontaire ne peut avoir conscience par définition que d'être vivant (voir aussi Le cru et le cuit). Cela entraîne de nouvelles questions.
Contrairement au cas du chat (non conscient, rappelons qu'en cas de doute sur ce sujet on peut remplacer le chat de Schrödinger par le baril de poudre d'Einstein), cette expérience conduirait à différents résultats selon les interprétations. Elle permettrait donc d'éliminer plusieurs interprétations si elle n'était pas irréalisable pour une multitude de raisons évidentes.
Interprétation de Wigner
L'interprétation de Wigner conduit à l'impossibilité de la mort de notre volontaire... qui doit donc interdire la désintégration de l'atome.
En effet, d'après Wigner, c'est la prise de conscience d'un état qui provoque, directement ou indirectement, l'effondrement de la fonction d'onde. La prise de conscience n'étant possible que dans le cas « vivant », cela rend impossible l'effondrement de la fonction d'onde dans l'état « mort » (en tout cas tant qu'il n'y a pas un « ami » de Wigner pour prendre conscience de l'état de l'expérimentateur).
Que se passe-t-il quand la probabilité de désintégration devient très proche de 1 ? Jusqu'à quand les atomes accepteront-ils de ne pas se désintégrer parce qu'un humain ne peut avoir conscience de sa propre mort ?
Cas des univers multiples d'Everett
Le cas du « suicide quantique » a été, à l'origine, imaginé pour contrer cette interprétation.
Cette interprétation fait également jouer un rôle à la conscience, car elle stipule qu'à chaque observation la conscience se « scinde » en autant d'univers que d'observations physiquement possibles…
Dans cette interprétation, il y a toujours au moins un univers dans lequel l'expérimentateur est vivant (à moins que la probabilité de mourir soit de 100 %). On pourrait dès lors se demander si la « conscience » ne bifurque pas systématiquement dans l'univers avec le résultat « vivant », menant à une sorte d' « immortalité quantique » ; l'auteur et acteur Norbert Aboudarham a brodé autour de ce thème sa pièce Le chat de Schrödinger.
Conclusion
Arbre des solutions du problème de la mesure Théorie quantique N'est pas censé représenter la réalité Ne représente pas totalement la réalité Représente totalement la réalité Positivisme Lois quantiques modifiées Influence de la conscience Refonte totale Décohérence quantique Univers multiples Stephen Hawking
Niels BohrRoger Penrose Eugene Wigner Théorie de De Broglie-Bohm Roland Omnès
Murray Gell-Mann
James HartleHugh Everett Giancarlo Ghirardi
Alberto Rimini
Wilhelm Eduard WeberJohn von Neumann
Fritz London & Edmond BauerThéorie des cordes Hans-Dieter Zeh
Wojciech ZurekBernard d'Espagnat
Olivier Costa de BeauregardDans tous les cas, cette expérience de pensée et le paradoxe associé ont aujourd'hui pris valeur de symboles centraux de la physique quantique. Qu'ils servent à supporter un aspect de cette théorie ou qu'ils servent à défendre une option théorique divergente, ils sont appelés à la rescousse pratiquement à chaque fois que la difficile convergence entre la réalité macroscopique et la réalité microscopique (une situation caractéristique du monde quantique) est observée ou supposée.
Ce chat mort-vivant peut apparaître comme une expérience de pensée folle, mais c'est une bonne introduction à la complexité de la mécanique quantique. Il est aussi important de noter que c'est justement de la maîtrise des états de superposition et de la décohérence (et donc de la solution de ce paradoxe) que dépend la réalisation à long terme d'un ordinateur quantique.
Mise en œuvre
Si l'on ne peut mettre un chat dans deux états incompatibles, on peut en revanche le faire avec des particules simples. Les plus employées sont les photons. Une première expérience a été réalisée en 1996[6], et une deuxième a été réalisée en août 2007 sur des photons par des chercheurs de l'institut d'optique Paris Sud (dont le français Phillipe Grangier)[7].
On parle d'« état de chat » pour dire qu'un objet quantique est dans une superposition d'états incompatibles.
Apparitions hors de la physique
Humour
Le chat de Schrödinger, dans un état si particulier, amena de nombreuses blagues. D'abord, il est souvent présenté comme un fantôme, puisqu'il est mort vivant. Comme il n'a jamais été observé, des physiciens ont dessiné des avis de recherche : « WANTED! Chat de Schrödinger. Mort et vif »[8].
Et quelquefois, pour être plus rigoureux : « WANTED! Chat de Schrödinger. Mort, vif ou »[9].
On écrit également parfois que le chat n’est pas mort, avec les mots en gras clignotants[10].
Enfin, certains ont noté que comme c'est en ouvrant la boîte qu'on tue le chat (ou pas), Schrödinger a donné un nouveau sens au proverbe anglophone « curiosity kills the cats » (« la curiosité tue les chats »)[11].
Œuvres de fiction
Dans le roman Le Chat passe-muraille de Robert Heinlein, un chaton nommé Pixel dispose de pouvoirs inexpliqués. Finalement, la seule explication donnée est qu'il est un chat de Schrödinger[12].
Armand Gatti (auteur de théâtre) se réfère très souvent au chat de Schrödinger dans son œuvre, notamment dans "La Parole Errante" et "La Trajectoire des Langages" (édition Verdier)
L'auteur et acteur Norbert Aboudarham a brodé autour du thème de l'immortalité du « suicidé quantique » sa pièce Le chat de Schrödinger.
Raul Endymion, le narrateur des deux derniers tomes du cycle d'Hypérion de Dan Simmons (Endymion et l'Eveil d'Endymion), est enfermé dans une boite à chat de Schrödinger. Condamné à mort, c'est dans cette boite qu'il raconte ses aventures en attendant la libération aléatoire du gaz toxique.
L'un des personnages du manga et anime Hellsing s'appelle Schrödinger. Ce membre de l'organisation Millenium est un jeune homme doté d'oreilles de chat et possédant la capacité d'être à la fois partout et nulle part.
Dans un épisode de "Futurama", Fry, alors policier, est amené à poursuivre un certain Schrödinger, s'enfuyant en voiture avec une boite. Après l'avoir attrapé, Fry lui demande ce que contient la boite. La réponse donnée est "un chat". Fry poursuit et demande alors s'il est vivant ou mort (après ouverture de la boite, il s'avère qu'il est toujours vivant).
Dans le dernier épisode de la saison 1 de la série américaine The Big Bang Theory, Sheldon, sollicité par Penny, compare à cette expérience de pensée la possible relation entre cette dernière et Leonard, et lorsque Leonard embrasse subitement Penny lors de leur premier rendez-vous, celle-ci s'exclame « le chat est bien vivant ! ».
Dans l'épisode "Les réfugiés" de Stargate SG1, Samantha Carter montre un chat nommé Schrödinger à un visiteur et lui explique d'où vient son nom, l'expérience du Chat de Schrödinger.
Dans la bande dessinée Jack B. Quick, scénarisée par Alan Moore, lorsque le personnage principal teste la loi de la lévitation félino-tartinique (ou Paradoxe du chat beurré), son chat finit par s'enfuir et l'épilogue dit qu'il alla se réfugier chez M. Shrödinger et qu'on ne l'a jamais revu.
Dans la série télévisée Sliders : Les Mondes parallèles, le personnage principal Quinn Mallory, qui est étudiant en physique quantique, expérimente lors de l'épisode pilote sa machine sur son chat domestique appelé Schrödinger.
L'auteur Anglais Terry Pratchett, dans son livre "Mécompte de fée" fait une allusion à cette expérience lorsqu'un des personnages enferme un chat dans une boite. Il explique alors que dans cette situation le chat est soit a)Mort, b)Vivant ou c)Vachement en colère.
Terry Pratchett toujours, dans son livre "Le dernier Héros". La Mort, qui essaie de comprendre les Hommes, est devant une boite. Son domestique, Albert, lui explique que c'est en soulevant le couvercle qu'il sera déterminé si le chat est vivant ou mort. "-Le chat va mourir quand il n'y aura plus d'air ? -Je pense qu'il risque de mourir, oui, monsieur, répondit son valet de chambre Albert. Mais à mon avis, c'est pas ça l'important. Si j'ai bien compris, vous savez pas si le chat est mort ou vivant tant que vous avez pas regardé. -Nous serions dans de beaux suaires, Albert, si, Moi, je ne savais pas reconnaître le mort du vif sans aller y voir de plus près. -Euh... Théoriquement, Monsieur, c'est le fait même de regarder qui détermine si c'est vivant ou pas." La Mort parut choqué. "-Insinuerais-tu que je vais tuer le chat rien qu'en le regardant ? -C'est pas vraiment ça, monsieur. -Je veux dire, ce n'est pas comme si je faisais des grimaces, des choses comme ça."
Dans le roman de Douglas Adams Un cheval dans la salle de bains, Dirk Gently explique l'expérience du Chat de Schrödinger à Richard MacDuf.
Dans la série américaine Flash Forward, dans l'épisode 6, le personnage Simon (Dominic Monaghan) explique l'expérience du Chat de Schrödinger de façon simplifiée[13].
L'anime japonais Noein, sorti en 2005, constitué de 24 épisodes de 25 minutes, traite essentiellement de ce thème. L'héroïne est à son insu une observatrice quantique, qui donne réalité à une dimension par le simple fait d'y croire. Cet anime recèle des références plus ou moins pertinentes sur la physique quantique, et a le mérite d'illustrer les paradoxes de cette science de manière simple et pédagogique.
Notes et références
- la dernière section Toutefois, on peut faire passer une souris dans la boîte, et mesurer sa probabilité de ressortir ; cette version de la "mesure" de la vie du chat a été effectivement réalisée à l'échelle atomique (en envoyant un photon sur un atome superposé dans l'état excité et non excité), et a confirmé les prédictions de la théorie ; voir
- Françoise Balibar, Œuvres choisies, tome 1 : Quanta, (ISBN 978-2020100274) Albert Einstein, annoté par
- Illustration sur le site de T. Amri
- http://hal-ens.archives-ouvertes.fr/tel-00596762/fr/ T. Amri, Comportement quantique des appareils de mesure: Illustrations en optique quantique. Thèse de doctorat, LKB-ENS-UPMC, chapitre 6 (Mai 2011).
- http://www.opticsinfobase.org/abstract.cfm?URI=ICQI-2011-QTuE6 T. Amri, et al. Detecting "Schrödinger's Cat" states of light : insights from the retrodictive approche.
- Le Figaro.fr, « La mesure d'un chat à la fois vivant et mort », 23 août 2007.
- (en) Résumé du dossier de la revue Nature du 16 août 2007 sur l'expérience, [1]
- http://www.zazzle.com/wanted_schrodingers_cat_poster-228139542906623252
- http://talklikeaphysicist.com/2009/thursday-threads-cornell-schrodingers-cat/
- HTML lesson #42. L'attribut clignotant étant particulièrement gênant pour la lecture, userfriendly.net affirme que c'est le seul cas où on a le droit de l'utiliser.
- Why Curiosity Killed The Cat at Extrapolated Facts
- http://us.geocities.com/lmc2124/quotes.html
- Explications : Le chat de Schrödinger, Flashforward sur News de stars. Mis en ligne le 10 mars 2011
Annexes
Bibliographie
- Erwin Schrödinger, Physique quantique et représentation du monde, Le Seuil, coll. « Points-Sciences », 1992, poche, 184 p. (ISBN 2-02-013319-9) Traduction française de deux articles de vulgarisation :
- La situation actuelle en mécanique quantique (1935), article dans lequel apparaît le célèbre « chat de Schrödinger » pour la première fois.
- Science et humanisme - La physique de notre temps (1951).
- Serge Haroche, Jean-Michel Raimond & Michel Brune ; Le chat de Schrödinger se prête à l'expérience - Voir en direct le passage du monde quantique au monde classique, La Recherche 301 (Septembre 1997) 50.
- Serge Haroche ; Une exploration au cœur du monde quantique, dans : Qu'est-ce que l'Univers ?, Vol. 4 de l'Université de Tous les Savoirs (sous la direction d'Yves Michaux), Odile Jacob (2001) 571.
- Jean-Michel Raimond & Serge Haroche ; Monitoring the Decoherence of Mesoscopic Quantum Superpositions in a Cavity, séminaire Poincaré (Paris - 19 novembre 2005). Texte complet disponible aux formats PostScript et pdf ici.
- Roland Omnès ; Comprendre la mécanique quantique, EDP Sciences (2000) ISBN 2-86883-470-1. Par un professeur de physique théorique émérite de l'Université de Paris-Sud (Orsay), une discussion de l'interprétation de Copenhague de la mécanique quantique, du problème de la mesure et de la théorie des histoires consistantes de Griffiths et de la décohérence, par l'un de ses pionniers.
- Wojciech Hubert Zurek ; Decoherence and the Transition from Quantum to Classical-Revisited, séminaire Poincaré (Paris - 19 novembre 2005). Texte complet disponible aux formats PostScript et pdf ici.
- Hans Dieter Zeh ; Roots and Fruits of Decoherence, séminaire Poincaré (Paris - 19 novembre 2005). Texte complet disponible sur l'ArXiv : quant-ph/0512078.
- E. Joos, , H.D. Zeh, C. Kiefer, D. Giulini, K. Kupsch, I.O. Stamatescu ; Decoherence and the Appearance of a Classical World in Quantum Theory, Springer-Verlag (1996). Deuxième édition (2003) ISBN 3-540-00390-8
- Gennaro Auletta ; Foundation & Interpretation of Quantum Mechanics (in the light of a critical - historical analysis of the problems and of a synthesis of the results), Wolrd Scientific (2001) ISBN . Par un professeur de l'Université de Rome, un ouvrage monumental (environ 1000 pages) sur les fondements conceptuels de la mécanique quantique des origines à nos jours - y compris les questions de décohérence -, mis en relation avec les avancées expérimentales les plus récentes.
- John R. Gribbin ; Le Chat de Schrödinger - physique quantique et réalité aux éditions Champs Flammarion. Ouvrage de vulgarisation contenant très peu ou pas de mathématiques, expliquant à travers des exemples concrets les concepts qu'apporte la physique quantique.
- Spécial Hors-série Sciences et Avenir octobre-novembre 2006, sur le paradoxe du chat de Schrödinger.
Articles connexes
- Problème de la mesure quantique
- Principe de superposition quantique
- Mécanique quantique
- Décohérence
- Théorie d'Everett
Liens externes
Catégories :- Expérience de pensée
- Mécanique quantique
- Chat de fiction
- Paradoxe physique
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