Pierres noires. Les classes moyennes du Salut

Pierres noires. Les classes moyennes du Salut
Pierres noires. Les classes moyennes du Salut
Auteur Joseph Malègue
Genre Roman (inachevé)
Version originale
Titre original Pierres noires. Les classes moyennes du Salut
Éditeur original Spes
Langue originale français
Pays d'origine Drapeau de France France
Lieu de parution original Paris
Date de parution originale 1958
Version française
Nombre de pages 905 pages

Pierres noires. Les classes moyennes du Salut est un roman posthume de Joseph Malègue publié en 1958. L'ouvrage qui compte plus de 900 pages devait comporter trois parties dont seules les deux premières ont été rédigées. L'une est presque achevée et d'ailleurs déjà dactylographiée : elle s'intitule Les hommes couleur du temps. L'autre est seulement manuscrite et s'intitule Le désir d'un soir parfait. La troisième n'est qu'esquissée, mais devait s'intituler Entre le pont et l'eau.

Claude Barthe estime que le roman, tel qu'il est publié, a aussi le mérite d'être un témoignage historique précieux : « Une saisissante fresque historique de l'installation de la République, au cours des années quatre-vingt du XIXe siècle, dans les bourgs d'Auvergne: laïcisation des instituteurs, changement des mains de la fortune et du pouvoir, qui passe d'une classe de notables faite de toutes les couches aristocratiques anciennes et nouvelles qui se sont mélangées au XIXe siècle à une nouvelle classe dirigeante[1]

Miné par un cancer, Malègue comprit dans les premiers mois de 1940 qu'il ne pourrait pas achever son œuvre et confia à son ami Jacques Chevalier le soin d'en assurer une publication telle quelle. Claude Barthe qui considère Augustin ou le Maître est là comme « un grand texte de la littérature française du XXe siècle » considère que la qualité littéraire de ce livre est « peut-être encore supérieure[2].» Jean Lebrec écrit que le quatrième grand livre de Bergson Les Deux Sources de la morale et de la religion est « l'épine dorsale » de ce roman[3]. C'est également l'avis de Charles Moeller estimant que les mots de Malègue disant que si entre « le théisme et la précision des dogmes, s'étend une distance que la pensée pure n'éprouve nulle tentation de franchir, derrière la pensée pure perce un état nouveau, d'une extraordinaire étrangeté qu'on ne décrit que depuis peu, dont on fait que pressentir l'incroyable portée métaphysique (...) : je veux dire l'âme du saint, qui aime Dieu d'un amour violent, jaloux et partagé[4].», sont un écho aux Deux Sources posant que « seul le saint nous apprend ce qu'est la vie, d'où elle vient et où elle va [5]... »

Sommaire

Le choix du titre

Manoir de Besse-en-Chandesse: les pierres noires des grandes maisons  : « La vieille cité pelotonnée sur sa butte (...) acquiert des dimensions presque colossales lorsqu'elle est vue de l'intérieur, par les yeux d'un enfant, par les yeux de ce petit Paul Vaton qui est en l'occurrence le prête-nom de Malègue » 

Le choix du tire est tout à fait évident et est expliqué ci-dessous. Il est probable que Malègue ait choisi « du salut  » plutôt que « de la sainteté », dans la mesure où il parle souvent d'une sainteté ordinaire (comme à propos de la mère et de la sœur d'Augustin), qui n'est en rien moyenne puisqu'elle est authentique comme on le voit dans Augustin ou le Maître est là. Pourtant, le vocabulaire est flottant et dans la définition que le roman donne des classes moyennes, on revient parfois au mot sainteté. Le lieu probable de l'intrigue du roman, appelé Peyrenère-le-Haut dans le livre, Charles Moeller, pense que c'est La Tour-d'Auvergne[6]. Les « pierres noires » sont les pierres volcaniques d'Auvergne et du Cantal dont sont construites les maisons de La Tour-d'Auvergne et de Besse-en-Chandesse. Il a existé un premier Pierre Noires composé en même temps qu' Augustin ou le Maître est là. Malègue qui peinait à trouver un éditeur pour Augustin tenta de faire publier en l'envoyant au journal Le Temps en 1929 qui organisait un concours littéraire puis au Cercle littéraire français en 1932. Mais ces deux essais furent deux échecs. Il s'agissait d'un texte de 213 pages dactylographiées racontant l'enfance d'un compagnon d' Augustin. Dès 1933 (année de la parution d' Augustin), Malègue se mit au travail pour écrire le premier tome de Pierres noires, soit Les hommes couleur du temps où « il se proposait (...) de décrire, avec la précision du sociologue, l'évolution d'une petite société rurale et catholique : les classes dirigeantes y gardent encore une autorité dont les décades suivantes verront le lent déclin[7]

Jean Lebrec nous informe de ce que ce premier tome, certes le plus achevé, était encore loin d'être au point. Il a réécrit les 250 premières pages qui sont fondues dans une même couleur,mais les 350 pages suivantes semblent être des brouillons sauf la nouvelle La Révolution qui consiste en la reprise d'une nouvelle écrite séparément (le discours de l'abbé Le Hennin dans la prison révolutionnaire). On peut lire ce texte de la page 9 à la page 614 de Pierres noires. Le tome suivant Le désir d'un soir parfait va de la page 613 à la page 860. Le dernier tome Entre le pont et l'eau ne tient qu'en quelques lignes allant de la page 861 à la page 874. Malègue aurait d'abord voulu publier les trois tomes ensemble puis séparément. Mais il mourut avant chargeant son épouse et Jacques Chevalier de donner quelque forme à ces pages inachevées d'un roman dont l'ambition littéraire surpassait celle d' Augustin et qui devait compter mille huit cents pages.

L'ouvrage a été traduit en italien par Giovanni VIsenti, Pietre Nere. Le classi medie della Salvezza, Società Editrice Internazionale, Torino, 1966, 2 vol.

Résumé du roman

Pierres noires a trois parties que Malègue songea à faire publier en trois volumes distincts qu'on pourrait imaginer être aussi trois romans distincts: Les hommes couleur du temps, Le désir d'un soir parfait, Entre le pont et l'eau. Le Livre Premier compte 600 pages. Il est le seul livre vraiment achevé. Le Livre deuxième compte 120 pages. Le livre III ne compte qu'une vingtaine de pages et n'est vraiment qu'esquissé. Jean Lebrec, dans son étude 1969, nous permet cependant d'un peu mieux voir ce qu'il aurait été.

Livre Premier : Les hommes couleur du temps

C'est le lent récit des impressions d'enfance et d'adolescence de Jean-Paul Vaton depuis ses six ans jusqu'à son entrée en classe de philosophie. Mais celui qui parle, est le Jen-Paul Vaton proche de ses soixante ans. Il est indolent, veule, irrésolu et imaginatif. Il a un peu raté sa vie. Paul Vaton raconte ses impressions d'école primaire puis l'atmosphère de sa famille avec un père exclusivement préoccupé d'ascension sociale (la sienne et celle de son fils), huissier de justice, expert géomètre , représentant d'assurances. Il évoque le lycée à Aurillac où il rencontre Augustin Méridier auquel il voue un « culte chagrin, envieux et passionné[8]...» « La vieille cité pelotonnée sur sa butte » est d'étendue fort restreinte, observe Léon Emery, comme la plupart de ses soeurs, mais « elle acquiert pourtant des dimensions presque colossales lorsqu'elle est vue de l'intérieur, par les yeux d'un enfant, par les yeux de ce petit Paul Vaton qui est en l'occurrence le prête-nom de Malègue [9].» Il ajoute que, depuis Balzac et Béatrix aucun écrivain n'a pu aussi bien dépeindre « la ville de province avec autant de poésie et de vérité que Malègue[10].» Étrangement, Jean-Paul Vaton est, tout au long du récit, l'ami d'un saint authentique, Félicien Bernier, désireux de se donner entièrement à Dieu mais hésitant entre l'apostolat d'un prêtre séculier en France (conseil que lui donne son oncle, le chanoine Bernier), ou celui de missionnaire en Chine. Et en effet à travers l'histoire du déclin de ces notables, surgissent d'autres histoires qui, outre le rayonnement mystique de Félicien, sont celles de membres des classes moyennes du salut qui au moment de leur mort deviennent des saints donnant tout à Dieu.

PREMIÈRE PARTIE (Les maisons noires). DEUXiÈME PARTIE (I. Fin d'endance, II. Les chants du départ)

(Famille de Joseph de Fromont au début du XIXe siècle : artiste inconnu). Les notables « se confinaient dans le silence de leurs solitudes morales et géographiques, tandis que, très loin d'eux, peuplant les parties bruyantes de la patrie, bouillonnaient toutes les passions du siècle »

Grâce au métier de son père, Jean-Paul Vaton est reçu dans la société locale mi-bourgeoise, mi-aristocratique, notamment chez le vieux général du Montcel, héros de la Bataille de Castelfidardo, qui opposa les troupes piémontaises envahissant les États du Pape pour réaliser l'Unification italienne aux troupes pontificales. Après cette bataille, les États du Pape seront réduits à l'actuel Latium. C'est un milieu où l'on associe le salut de la France au légitimisme.

Le déclin des notables liés à la monarchie, à l'Empire, à l'Église

Malègue qui fait parler Jean-Paul Vaton s'inspire pour décrire cette déliquescence des élites de Peyrenère-le-Haut de La fin des notables de Daniel Halévy. Jean Lebrec écrit, résumant le propos de Malègue, « La vieille bourgeoisie des « grandes maisons » habite les anciennes demeures du haut du bourg. Elle possède les bois, les terres, les beaux meubles. Son mode de vie est, aux yeux de Jean-Paul [Vaton], indiciblement large dans des hôtels orgueilleux et solides. Elle tient encore les suffrages et la mairie en 1890 : ce qui lui semble légitime et indiscutable. Ce sont les du Montcel, les Guyot-Lavaline, les Plazenat, les Degenest, les Vodable de Brugnes (...) Ces gens vivent dans la nostalgie d'un passé plus brillant encore et plus ferme que le présent. Car, tous tiennent à l'ancienne aristocratie, tout en étant des bourgeois liés par intérêt aux gens de la basoche. Ils pratiquent la politique la plus conservatrice, et déjà bien attardée, des légitimistes. Certes, quelques uns sentent qu'on ne pourra arrêter le pays « sur la pente de la démagogie radicale, envieuse et égalitaire », mais les autres mettent leur espoir dans un « exaucement » [11] (...) Ainsi aurait-elle fait à Frohsdorf « pour le comte de Chambord, son solide appui désormais brisé, et à cause de qui « la Monarchie française quitta terre, devint légende et mythe[12].» Elle ne considère même plus ses responsabilités que comme des ornements. Les Castéran ne gardent la mairie de Bourzac que comme héréditairement acquise, un accessoire du château, pareil à ses remises ou à la maison du régisseur[13].» La PREMIÈRE PARTIE contient cette réflexion du père d'André Plazenat au père de Jules Vaton : « De nous à vous, monsieur Vaton (...) je crois très vraisemblable que nous ne puissions arrêter ce pays sur la pente de la démagogie radicale, envieuse et égalitaire[14]...» Le Sous-Maître qui évincera l'instituteur en chef ( « Monsieur le Maître »), de l'école primaire laïcisée est Jacques Richelet, un jeune homme ambitieux qui, de l'école au journalisme puis du journalisme à l'Assemblée nationale, deviendra un jour Président du Conseil. Les commentateurs voient en lui quelque chose d' Aristide Briand. Dans la DEUXiÈME PARTIE on voit qu'un de ses élèves a compris la leçon républicaine qu'il ne cesse de donner aux écoliers, puisque cet élève, camarade d'école de Paul Vaton, désignant les grandes maisons, affirme: « C'est des seigneurs qui sont là, fit Fougerousse. Des seigneurs féodaux. (...) C'est le Sous-Maître qui l'a dit[15].» Paul Vaton a senti la contradiction chez son père et il remarque chez lui un « sentiment abstrait et acquis d'égalité républicaine » joint « sans la détruire à une fidélité ancestrale, presque féodale, pour les mêmes classes sociales qui, supérieures à lui, lui avaient à cause de cela même rendu service[16]

Pour Claude Barthe la description que fait Malègue de cette lente récession « est une description socio-littéraire (...) impressionnante, presque cinématographique » d'une classe sociale « en ses grands salons gris, ses châteaux aux odeurs de fausse humidité, ses paroisses, ses curés concordataires, ses pauvres » toute une société qui « vivait, votait, mangeait du tournedos en médaillon avec cardons à la moelle, chassait priait ou parfois faisait semblant, et surtout s'éteignait inexorablement au milieu de ses maîtres d'hôtel et de ses jardiniers entre 1870 et 1914[17]...»

Les notables qui s'adaptent

Il y a des exceptions symbolisées par André Plazenat : « Le jeune homme, produit des grandes écoles, n'aura pas le défaut de sa classe qui est l'inaction. Il fera de la politique, dans la ligne des anciens catholiques libéraux: Lacordaire, Montalembert, Ozanam, et, après eux Le Play, La Tour du Pin, Albert de Mun. Plus tard, grand seigneur comme Caillaux, politicien nourri d'intellectualité comme Tardieu, il manquera pourtant sa carrière, parce que sa vie morale ne sera pas à la hauteur des idées qu'il représentera et défendra[18].» Malègue fait revivre cet effritement des notables de Peyrenère, durant la dernière décennie du XIXe siècle, qui se produisit avec un certain retard sur d'autres centres : les notables, écrit-il, « se confinaient dans le silence de leurs solitudes morales et géographiques, tandis que, très loin d'eux, peuplant les parties bruyantes de la patrie, bouillonnaient toutes les passions du siècle (...) Eux, ils boudaient. Les salons orléanistes perdirent à ces visibles absences quelque irremplaçable aristocratie, et ceux du Second Empire, encore plus désertés, eurent l'air peuplés de parvenus (...) Ils chassaient dans leurs forêts, leurs marais et leurs landes. Ils se visitaient l'un l'autre, échangeant leurs regrets, leurs déceptions, leur perte d'espérances et toutes les descriptions d'un horizon bouché (...) Ces âmes se refusaient à une société où elles ne pouvaient plus être bienfaisantes selon la forme traditionnelle du bienfait, pieuses suivant celles de la prière, socialement obéissantes à ceux auxquels Dieu, autrefois, avait prescrit d'obéir. Tout en elles, même leur vie religieuse, prenait cette grave couleur de soir et de passé [19]

Les saints

Mais il fait courir aussi, par-dessous l'ébranlement de cette classe sociale, une autre exception : la vie mystique d'autres âmes qui, d'une certaine façon n'en ont cure, dont les pratiques religieuses « ne sont pas toujours faites pour être paisiblement menées dans des prairies calmes et sans vent ...[mais]... prennent parfois, même chez les petites gens comme lui, et les plus paisibles, des formes inédites, dangereuses et révoltées[20].» Peu après une mission, Francine la bonne des Vaton avec laquelle Madame Vaton est en réalité amie, lui annonce en pleurant qu'elle va la quitter pour entrer en religion: « Le Père a bien dit qu'avec le Bon Dieu, on pouvait tout demander à condition de tout offrir. Il a dit ça, pas vrai, Madame[21]?» Et le narrateur qu'est Paul Vaton de remarquer : « Ainsi quand je plaçais aux zéniths spirituels ces beaux chants d'un violet sombre et mordoré : « Sauvez, sauvez la France au nom du Sacré-Coeur », quand je voyais ruisseler du ciel des saluts collectifs immenses et dramatiques (...) une pauvre fille de la campagne avait spontanément choisi dans ces conseils leur fondement véritable de sainteté, de pratique personnelle et d'offrande intérieure[22].» Une autre est celle de Monsieur le Maître (M.Genestoux). Il y a tout un démantèlement des cadres familiaux, religieux, sociaux, et géographiques. La laïcité de la République est votée en 1881 : « toute référence religieuse est supprimée à l'école publique de Peyrenère. M. le Maître Genestoux se retrouve rétrogradé dans un poste de début à la suite d'une campagne, parce qu'il s'entête à accompagner ses élèves à la messe du dimanche. Le sous-maître Richelet n'aura plus à supporter la récitation de la prière à la fin de la classe en regardant avec une distraction affectée les carrés du potager. Le nouveau maire Labeyssère, n'a pas négligé les inventaires ordonnés par la Loi, sans goût profond mais avec une platitude de gaudriole. L'horizon géographique des esprits va s'élargir par des déplacements plus aisés en automobile, par le chemin de fer futur : il passera justement au pied de la butte pour desservir d'autres villes[23]...» C'est ce Sous-Maître qui a brutalement traité son aîné et son supérieur. Ce dernier meurt peu de temps après mais lorsqu'il reçoit l'extrême-onction, le prêtre lui demande s'il pardonne à ses ennemis. C'est la fille de Monsieur le Maître Genestoux, Henriette, qui rapporte le geste de la sainteté en cet homme : « Henriette n'ignorait pas que l'unique, la longue la poignante inimitié de son père ne portait qu'un nom et un visage (...) la question de M. le Curé mit du temps à descendre jusqu'à un homme déjà loin du monde (...) Il fut quelques minutes à montrer qu'il comprenait. Sa figure marqua quelque chose comme une détente de ses traits déjà déformés, et même un début de sourire. Son bras sorti des couvertures reposait à plat sur les draps. On put voir que sa main gauche se soulevait, juste au-dessus du poignet déjà fort amaigri, d'un mouvement d'abandon et de détachement qui accompagnait ce sourire (...) Il y avait une grande lueur de neige qui, passant à travers la fenêtre, tombait sur son visage et sur ses draps[24]

TROISIÈME PARTIE : Le Lycée. QUATRIÈME PARTIE : La Révolution

« Une République sculpturale (...) empreinte de toute la majesté de la Loi»

Léon Emery propose la distinction suivante entre les prolétaires et les bourgeois, ceux au déclin duquel on assiste dans Pierres noires et ceux aussi qui leur succèderont: « Alain propose une vue des plus éclairantes lorsqu'il soutient que la distinction d'espèce entre les bourgeois et le prolétaire s'établit par le fait que ce dernier agit sur la matière et l'outil, ce qui lui donne le sens de l'expérience concrète, tandis que l'autre, avocat ou boutiquier, tire son pouvoir ou sa fortune du maniement du mot et des signes, d'une rhétorique opératoire dont il attend merveille. Mais qu'est-ce que cette idolâtrie coutumière ou fonctionnelle des formules efficaces sinon, dans l'orde éthique, le pharisaïsme, qui est aussi le culte du succès temporel [25]?» Rappelant les invectives de l'évangile contre les pharisiens, non contre les prostituées, les voleurs et les publicains, L. Emery rappelle avec Malègue « que le péché, le salut, la sainteté, ne se mesurent pas à l'aune du marchand, ne se réduisent pas à l'écœurante platitude des morales utilitaires et des convenances bourgeoises[26]

Face à cette bourgeoisie déclinante surgissent de nouveaux riches qui, au niveau du chef-lieu de canton qu'est Peyrenère, va prendre brusquement ses responsabilités. Elle est parallèle au développement de l'agglomération qui se forme au pied du piton volcanique qu'est Peyrenère où s'installent des scieries des minoteries, des médecins, des notaires. Même enfant, Jean-Paul Vaton sent « une activité ardent, brutale, commune, une sorte de d'appel canaille et puissant[27].» Un des représentants de ces nouveaux riches, Labeyssère va racheter les biens des notables. « Politiquement, tous ces gens relevaient de l'autre clan, celui des Rouges[28]...» À l'école, on enseigne « d'un air de défi fier », qu'on est en République « une République sculpturale, glaciale, empreinte de toute la majesté de la Loi [29]...» : « En 89 nous sortîmes de la nuit des Seigneurs et de la tyrannie de l'Ancien Régime. Nous pûmes nous épanouir en une sorte d'air pur et neuf qui était celui de la République[30].» Les mythes de cette nouvelle classe sociale, écrit Jean Lebrec, « s'opposent aux anciennes croyances, et parfois violemment : ils sont un mélange corrosif fait d'espérances égitimes et de naïvetés, d'anticlériclisme et de justes revendications sociales et politiques [31]

CINQUIÈME PARTIE : De sa tige détachée

Barbacane de Besse-en-Chandesse : « Ce piton basaltique se vide, tout cette butte noire de vieille ville forte. Quand M.Labeyssère aura fini de l'éventrer... »

Le comte de Brugnes s'est ruiné au jeu et s'est suicidé en prenant conscience de sa ruine. Même si sa femme eût été en droit de garder le château et toute une autre série de biens en raison de son contrat de mariage, sa fille Jacqueline estime que l'honneur dicte que soient remboursées intégralement les sommes que tant de paysans ont confiées à son père et dont il se servait pour sa passion. Le château sera racheté par le maire Labeyssière. Réunis dans le jardin des Plazenat, André, saon épouse, le chanoine Bernier, un sénateur, Jean-Paul Vaton, son père contemplent la vieille ville en contrebas : « ces hauts toits noirs aux dalles lourdes, ces petites rues brunes et dorées, solitaires, toute cette vieillesse précieuse sortie de la vie, désormais arrachées à l'utilité des hommes, comme embaumée, fixée pour toujours et immobilisée en une douce naïveté stérile, et, par un privilège étrange, mêlant sur sa douce et vieille figure le plus précis passé médiéval et le dégagement de l'âge, l'intemporalité de l'art et de la mort... » C'est alors qu'André Plazenat émet ces réflexions désabusées : « Ce piton basaltique se vide, tout cette butte noire de vieille ville forte. Quand M.Labeyssère aura fini de l'éventrer... Ses habitants descendent au bas de la côte, y prennent un esprit radical-socialiste, pensent en groupes, en cadres, en des idées spontanées et si faciles, toutes prêtes pour eux, comme un vêtement de confection. Outre la partie collective de leur âme, il n'y a guère en eux, dans les plus de leur moi individuel, que des appétits. Que tout cela est déterminé et que tout cela est simple! La force collective est à peu près irrésistible. Un moine ou un curé de la Révolution, il n'avait point d'autre raison pour défroquer que parce que tout le monde le faisait autour de lui[32]

Pourtant, un peu comme dans Augustin ou le Maître est là, les dernières pages de cette première partie de Pierres noires, évoquent une scène étonnante dont Félicien Bernier, le saint et ami de Jean-Paul Vaton, et Jacqueline de Brugnes, meurtrie par la mort de son père, par l'amour que ne lui a pas donné André Plazenat (ce qu'il devait peut-être), sont les protagonistes : « Félicien prit sa main et la maintint quelques secondes ensevelie dans la sienne en une franchise si simple tandis qu'il lui souriait lui aussi avec amitié, candeur et rectitude comme un compagnon fraternel. Je [33]me pris à l'imaginer ainsi passagèrement secourable aux malades qu'il véhiculait à Lourdes, pendant quelques minutes seulement. Si différent de cette caresse des yeux, de ces flatteries mondaines, de cette cour délicate et légère dont André Plazenat n'avait pas été exempt pour elle, ce regard de Félicien prenait tout naturellement le droit de plonger plus profond que sa beauté jusqu'au coeur de l'épreuve, jusqu'à l'exacte intelligence de sa souffrance pou y faire luire je ne sais quelle possibilité ultérieure, encore plus lointaine, d'un bonheur compensateur et miséricordieux. Bien entendu ce regard-là elle ne l'eût supporté d'aucun autre. Peut-être avis-je là devant les yeux un cas particulier, un exemple extraordinaire de la tendresse des saints[34]

Livre Deuxième : Le désir d'un soir parfait

Livre III : Entre le pont et l'eau

Personnages

Paul Vaton, André Plazenat, Félicien Bernier sont les trois personnages principaux successivement des trois parties. Paul Vaton est déjà présent dans Augustin ou le Maître est là de même que Félicien Bernier (Félix dans Augustin), un instant membre des talas, avec Largilier, Zeller, Augustin lui-même. Il ne réussit pas son année préparatoire à l'École normale supérieure.

Les classes moyennes du salut (ou de la sainteté), sont annoncées notamment par ce passage d'Augustin ou le Maître est là dont le héros se redit: « le seul terrain d'exploration correcte du phénomène religieux est l'âme des saints », tout en pensant cependant aussi que ce seul constat était insuffisant : « les âmes plus modestes comptaient aussi, les classes moyennes de la sainteté[35]. »

William Marceau estime, en ce qui concerne la 3e Partie, que « Quelques notes sommaires permettent d'entrevoir que Félicien Bernier, le troisième personnage central, aurait dû être le saint qui sauve, de sa lumière et de son amour, les âmes médiocres dont il était entouré; il aurait joué, en plus simple et plus universel, le rôle de Largiler pour Augustin dans le roman de 1933[36]

Lien direct entre ce roman et Augustin ou le Maître est là

En fait ce personnage, comme le rappelle Jean Lebrec [37] est le Félix Bernier du chapitre Les plus heureux jours du roman Augustin ou le Maître est là. Lors de la soirée musicale aux Sablons à laquelle assiste l'ancien aumônier d'Augustin, Mgr Herzog, celui-ci et Augustin s'échangent des nouvelles à propos des anciens. Augustin avoue qu'il n'a plus revu personne du groupe des talas. Les nouvelles sont exprimées en style indirect: « De sommaires renseignements lui arrivèrent : Bernier, missionnaire en Chine, tué là-bas, ou peut-être pendant la guerre, on ne savait trop[38]...» Le Bernier d' Augustin se prénomme Félix et celui des Classes moyennes, Félicien, mais Lebrec estime qu'il s'agit de la même personne. Quant à Augustin lui-même, il apparaît à plusieurs reprises dans Pierre noires" aux pages 79, 210-21, 338, 376, 590, 891.

Ami intime de Félicien, Paul Vaton est décrit comme un médiocre et un paresseux, à l'exacte image du Paul Vaton d' Augustin. Il subit profondément l'ascendant de Félicien qui est son ami intime et qui confie à Paul ses doutes concernant sa vraie vocation (qui se terminera par le martyre en pays de missions). Quant à André Plazenat, c'est un politicien brillant, mal marié et qui trompera sa femme avec une petite cousine Jacqueline qui se suicidera. Quant à l'enfant né de leur liaison, il commettra un meurtre au cours d'une scène de débauche[39].

Qu'est-ce que les Classes moyennes du salut? Convergence entre Malègue et Bergson

Très proche du Bergson du quatrième grand livre du philosophe, Malègue avait même en quelque sorte anticipé, avec Augustin ou le Maître est là, du début 1933, sur Les Deux Sources de la morale et de la religion, livre paru en 1932[40]. Cette comparaison entre Malègue et Henri Bergson a été élaborée longuement par William Marceau. Il faut se contenter ici de souligner la convergence la plus apparente qui concerne l'expérience mystique ou de la sainteté.

La définition des classes moyennes du salut est donnée dans une fictive Relation des temps révolutionnaires. André Plazenat, un des héros de Pierres noires redécouvre dans les archives familiales une pièce manuscrite datant de la Révolution française. Elle est intitulée Relation écrite en sa prison de Feurs par M.Henri Casimir de Montcel, ci-devant président du Présidial de Riom en Auvergne [41]

Les deux définitions des classes moyennes du salut

Première définition On lit dans ce manuscrit qui rapporte les propos d'un prêtre, l'abbé Le Hennin  : « Jésus nous ordonne de chercher premièrement le royaume de Dieu et sa justice et le reste nous sera donné par surcroît. Selon la première définition, les classes moyennes de la sainteté sont celles pour qui la justice et le surcroît se présentent ensemble sur l'échelle des préférences et des préoccupations, et le surcroît passe quelquefois le premier [42].» Il s'agit selon Malègue, dont Chevalier rappelle la pensée, d'un « compromis intenable entre le bonheur terrestre et l'Amour unique de Dieu qui fait les saints[43]

Deuxième définition des classes moyennes du salut : « Ces hommes et ces femmes de la classe moyenne sont comme enclos, comme parqués en de grands corps, aux puissantes structures, soit que ceux-ci constituent des cités ou des royaumes avec leurs corps de lois et d'immenses traditions de vie, ou (...) en des commerces, des métiers et les mille habitudes enchevêtrées (...) Ce sont ces grands corps (...) et bien d'autres encore dont l'énumération serait infinie. Ils leur doivent presque tout d'eux-mêmes, de leur nourriture à leur langage, à leur pensée, sauf juste cette fine pointe suprême, ces rares minutes de silence intérieur que beaucoup ne connaîtront jamais, plus facilement peut-être quand tout s'apaise enfin autour d'eux, les derniers moments de leur conscience, ce calme qui précède la mort[44]

Le rapport entre les classes moyennes et le saint de Malègue ou le mystique de Bergson

Il y aurait une Troisième définition des classes moyennes du salut, mais, comme le dit Jean Lebrec, la troisième définition est surtout une catéchèse, même si elle éclaire encore leur statut : les classes moyennes « ne sauraient s'intéresser à une prédication qui ne tiendrait nul compte des intérêts terrestres, des conditions du bonheur matériel et de son harmonie finale avec celui du ciel[45].» À moins, pense Lebrec, qu'ils ne soient ébranlés par l'exemple contagieux du saint. Et, pour lui, on retrouve ici le Bergson des Deux Sources, et, dit Jean Lebrec, sa notion de l'appel[46].Ce qui fait écho à Malègue lui-même: « Le bourgeon initial de cette vaste efflorescence qu'est le salut des classes moyennes où est incluse tant de fatalité, c'est une évasion de ces classes moyennes, un véritable saut dans le ciel au-dessus de leur niveau, c'est le libre martyre d'un saint [47].» Ce martyre, dans Pierre noires aurait dû être celui de Félicien qui eût sauvé les personnages du roman, en les faisant sortir de la religion des classes moyennes, de la religion statique.

Un exemple de classes moyennes en son rapport avec le saint: Paul Vaton

Pour William Marceau, ce que Bergson appelle religion statique, c'est la religion des classes moyennes du salut. Il cite à cet égard le saint de Pierres noires, Félicien Bernier, qui représente ici selon W.Marceau la religion dynamique alors que, pour Marceau, son ami Paul Vaton représente la religion statique[48]. Paul Vaton cache une lettre de son ami Félicien, gêné, parce que dans sa famille on a coutume de s'expliquer de tout courrier reçu et qu'il sent soit qu'on ne le comprendra pas, soit chez certains des membres de sa famille parce qu'ils sont ignorants de l'enjeu spirituel de la lettre, soit parce que d'autres le jugeront indigne des confidences qu'on lui fait « Ces sujets religieux dont je ne prenais guère que le curieux romanesque, que je sentais néanmoins intimité sacrée, ils eussent paru à mon père lettre morte. Sa vie religieuse, comme celle de l'immense majorité des hommes, n'était jamais allée plus loin que les traditionnelles pratiques que j'ai dites, et plus tard le nécessaire pour une digne et simple mort. Pour ma mère c'était pire, elle me savait parfaitement indigne de m'intéresser à des sujets réservés au clergé. L'admettre lui eût semblé caricatural et presque sacrilège. Ma sœur Jeanne n'eût été que réception passive et lourde docilité, mais Marguerite, secrète, fine, un peu pointue, l'eût écoutée en un silence vaguement souriant, non pas en dessous, comme si elle avait connu dans son couvent bien des méditations et lectures spirituelles du même ordre, mais amusée de nos étonnements devant ces choses, ces hauts niveaux-là[49]

Notes et références

  1. Joseph Malègue et le "roman d'idées" dans la crise modeniste in Les romanciers et le catholicisme, Editions de Paris, 2004, pp. 83-97, p. 90.
  2. Claude Baerthe, op. cit. p. 83.
  3. Jean Lebrec : Joseph Malègue romancier et penseur (avec des documents inédits), H.Dessain et Tolra, Paris, 1969.p.389
  4. Joseph Malègue, lettre à un correspondant demeuré inconnu et reproduite dans Elizabeth Michaël, "Joseph Malègue, sa vie, son œuvre, Spes, Paris, 1957, p. 181.
  5. Les Deux Sources, PUF, Paris, 2008, p. 276.
  6. Charles Moeller, Littérature du XXe siècle et christianisme, Tome II, La foi en jésus-Christ, Casterman, Tournai, 1967, p. 280.
  7. Jean Lebrec, op. cit., p. 377.
  8. Pierre noires cité par Jean Lebrec, op. cit., p. 384.
  9. Léon Emery, Joseph Malègue, romancier inactuel, Les Cahiers libres, Lyon, 1969, p.34.
  10. L.Emery, op. cit., p.35.
  11. Pierres noires, p. 84.
  12. Daniel Halévy, La fin des notables, Grasset, Paris, 1930, p. 29.
  13. Jean Lebrec, op. cit., pp. 397-398.
  14. Pierres noires, p. 84.
  15. Pierres noires, p. 111
  16. Pierre noires, p.120
  17. Claude Barthe, Joseph Malègue et le roman moderniste dans la crise moderniste in Les romanciers et le catholicisme Editions, de Paris, Paris, 2004, pp. 83-97, p. 90.
  18. Jean Lebrec, op. cit., p. 399.
  19. Pierres noires, pp. 206-207.
  20. Pierres noires, p. 238.
  21. Pierres Noires, p.168
  22. Pierres noires, p. 168.
  23. Jean Lebrec, op. cit., p. 401.
  24. Pierres noires, pp. 235-236.
  25. Léon Emery, op. cit., p. 114.
  26. . Léon Emery, op. cit., p.115.
  27. Pierres noires, p. 70.
  28. Pierres noires, op. cit., p.72.
  29. Pierres noires, p.214.
  30. Pierres noires, p. 107.
  31. J. Lebrec, op. cit., p. 402.
  32. Pierres noires, p.605.
  33. Le narrateur comme dans toute cette première partie est JP Vaton.
  34. Pierres noires, pp. 612-613.
  35. Augustin ou le Maître est là, 1re édition, Spes, Paris, 1933 , Tome II, p. 358, 2e édition, Spes, Paris, 1966, p.668.
  36. William Marceau, Henri Bergson et Joseph Malègue: la convergence de deux pensées, Stanford French and Italian studies, University of Stanford,1987, p. 60.
  37. Jean Lebrec Joseph Malègue romancier et penseur (avec des documents inédits), H.Dessain et Tolra, Paris, 1969, p. 387, mais Lebrec ne donne pas l'endroit du livre où Bernier est cité.
  38. Augustin ou le Maître est là, p. 478.
  39. Henry Bousquet La Luchezière, Avant-propos de Pierres noires. les classes moyennes du Salut. Spes Paris, 1958, pp. 4-8, p. 8.
  40. Jean Lebrec, Joseph Malègue, romancier et penseur, op. cit. p. 389.
  41. in Joseph Malègue, Pierre Noires, pp.416-442.
  42. Relation, in Pierres Noires, p. 433.
  43. Jacques Chevalier, op. cit., p. XI.
  44. Relation in Pierre noires, p. 434.
  45. Relation in Pierres noires, p. 436.
  46. Jean Lebrec, op. cit., p. 393.
  47. Relation in Pierres noires, p. 438.
  48. William Marceau, Henri Bergson et Joseph Malègue la convergence de deux pensées, Stanford French and Italian studies, Stanford University,1987, p. 60.
  49. Pierres noires, p. 534. Cité par W.Marceau op. cit., 91.

Wikimedia Foundation. 2010.

Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Pierres noires. Les classes moyennes du Salut de Wikipédia en français (auteurs)

Игры ⚽ Нужен реферат?

Regardez d'autres dictionnaires:

  • Les Deux Sources de la morale et de la religion — est un ouvrage du philosophe français Henri Bergson paru en 1932. Il s agit du dernier ouvrage du philosophe. Sa réflexion sur la morale l amène à discuter les approches sociologiques de son temps (Émile Durkheim, Lucien Lévy Bruhl) en insistant… …   Wikipédia en Français

  • Influence de la pensée bergsonienne chez Joseph Malègue — Dans les premiers chapitres d Augustin ou le Maître est là, Joseph Malègue décrit, à la manière de Péguy, l humilité des agrégés des lycées provinciaux, dont le père d Augustin fait partie, homme brillant, voué à la culture et à la pensée,… …   Wikipédia en Français

  • Joseph Malègue — Nom de naissance Joseph Malègue Activités écrivain Naissance 8 décembre 1876 La Tour d Auvergne Décès 30 décembre 1940 Nantes Langue d écriture français …   Wikipédia en Français

  • Augustin ou le Maître est là — Auteur Joseph Malègue Genre Roman Version originale Titre original Augustin ou le Maître est là Éditeur original Spes Langue originale français …   Wikipédia en Français

  • La Tour-d'Auvergne — Pour les articles homonymes, voir La Tour d Auvergne (homonymie). 45° 32′ 05″ N 2° 41′ 24″ E …   Wikipédia en Français

  • Paris — Cet article concerne la capitale de la France. Pour les autres significations, voir Paris (homonymie). 48° 51′ 24″ N 2° 21′ …   Wikipédia en Français

  • Le Havre — Pour le film d Aki Kaurismäki, voir Le Havre (film). « Havre » redirige ici. Pour les autres significations, voir Havre (homonymie) …   Wikipédia en Français

  • Nemessus — Nîmes  Pour l’article homophone, voir Nismes. Nîmes …   Wikipédia en Français

  • Nime — Nîmes  Pour l’article homophone, voir Nismes. Nîmes …   Wikipédia en Français

  • Nimes — Nîmes  Pour l’article homophone, voir Nismes. Nîmes …   Wikipédia en Français

Share the article and excerpts

Direct link
Do a right-click on the link above
and select “Copy Link”