Dirk Coster (critique littéraire)

Dirk Coster (critique littéraire)

Dirk Coster (Delft, 1887 - idem, 1956) était un essayiste, critique littéraire et auteur dramatique néerlandais.

En faisant paraître en 1927 une anthologie de la poésie néerlandaise, qui connut plusieurs rééditions, et en fondant sa propre revue, il publiait régulièrement ses comptes rendus critiques, il réussit à acquérir dans lentre-deux-guerres un ascendant considérable auprès dun très large public aux Pays-Bas. Sa démarche critique se caractérisait par la primauté accordée aux considérations morales, sociales et philosophiques, et, en corollaire, par une méconnaissance relative des aspects formels de la littérature. Une telle attitude le mit en conflit avec les partisans de lart pour lart, alors majoritaires dans les milieux littéraires néerlandais, pour qui tout texte ne parle jamais que de lui-même et pour qui la poésie ne doit obéir quà ses propres lois. Les adversaires de ceux-ci, tels que Du Perron et Ter Braak, qui admettaient la validité de critères de jugement moraux et philosophiques en littérature, nen étaient pas davantage pour autant des alliés de Costercest dailleurs à Du Perron quil revint décrire contre lui en 1933 un véhément brûlot, dans lequel les prétentions moralisatrices et le ton emphatique de Coster était violemment attaqués et raillés. Peu après, son parti pris de toujours vouloir déceler derrière lœuvre littéraire la personnalité de son auteur, le porta à se lancer dans une diatribe déplacée contre le roman Bint de Bordewijk, sopiniâtrant notamment à voir dans les points de vue exprimés par les personnages de ce roman, qui se voulait une allégorienon une apologiedu fascisme, le reflet des positions de lécrivain lui-même. Déconsidéré et rejeté dans un isolement croissant, Coster vit son influence rapidement décliner à la fin des années 1930, et disparaître tout à fait après la guerre, au point de ne plus trouver déditeur pour publier ses études littéraires. Ses œuvres complètes, publiées à partir de 1961, constituent néanmoins un intéressant témoignage de lintense vie littéraire néerlandaise des décennies 1920 et 1930.

Sommaire

Biographie

Fils de charpentier indépendant, il passa son enfance dans sa ville natale et y poursuivit une scolarité limitée à lenseignement primaire. Dès lâge de treize ans, il trouva à semployer, dabord, pendant un mois, dans les bureaux dune imprimerie de Delft, et ensuite, à partir de 1900, chez la Koninklijke Nederlandsche Gist- en Spiritusfabriek, entreprise delftoise de fabrication de levures et dalcool à brûler, réputée à lépoque être socialement très en avance. Travaillant initialement à ladministration des salaires, il fut tôt versé au secrétariat du fondateur de lentreprise, J.C. van Marken, dont létat de santé ne permettait plus guère de faire autre chose que de soccuper du bulletin du personnel. À cette même époque, Coster suivit les cours du soir organisés par lentreprise, qui lui permirent de sinitier à la littérature néerlandaise. Cependant, en 1903, il remit sa démission afin de pouvoir se consacrer à la littérature. Sans doute fit-il ses premiers pas dans lécriture au quotidien amstellodamois De Groene Amsterdammer, à supposer du moins quil navait pas auparavant participé à la rédaction du bulletin dentreprise de son précédent employeur. En route vers lItalie, il se proposait de séjourner longuement, il fit à Bruxelles la rencontre de Pieter van der Meer de Walcheren, qui eut sur lui une profonde influence, et par qui il fit la connaissance de lœuvre décrivains français, tels que Rimbaud, Villiers de l'Isle Adam, Léon Bloy etc. Il résida ensuite quelque temps à Paris.

De retour aux Pays-Bas, il fit paraître chez léditeur Meindert Boogaerdt, qui publiait alors beaucoup de jeunes auteurs, une traduction des Trois contes de Gustave Flaubert (1906). Pour le compte du même éditeur, il composa un florilège de la poésie néerlandaise, intitulé Honderd van de schoonste gedichten in de Nederlandsche taal, lequel, par suite de la faillite de Boogaerdt, ne parut pas. Les épreuves de cet ouvrage, qui avaient été conservées, servirent en 1927 de base à son livre De Nederlandsche poëzie in honderd verzen, qui connut de nombreux tirages, et qui est assurément, avec Nieuwe geluiden, anthologie de la poésie moderne (datée de 1924, et pourvue dune importante préface), sa publication la plus connue. Sa première publication originale cependant fut un petit recueil daphorismes, intitulé Marginalia, paru en 1919, qui eut un franc succès à sa parution et fut même traduit dans plusieurs langues.

Entre-temps, ayant fourni, en partie à linstigation de lécrivain Johan de Meester, plusieurs articles littéraires et recensions au quotidien De Nieuwe Rotterdamsche Courant et aux revues De Wereld, Europa et De Gids, il avait également acquis une certaine réputation en tant que critique littéraire, à la faveur de laquelle il fut amené parallèlement à prononcer dinnombrables conférences, généralement fort courues, sur le sujet de la littérature néerlandaise. Aussi son ascendant fut-il grand sur le public, dont il sut éveiller lintérêt pour la littérature de son pays, en mettant laccent plus particulièrement sur les aspects formels et surtout éthiques. Il se vit proposer de faire partie du comité de rédaction de la prestigieuse revue littéraire et culturelle De Gids, mais fit choix de fonder, conjointement avec son ami Just Havelaar, que De Gids semblait vouloir évincer, sa propre revue, nommée De Stem (litt. la Voix), dont il fit parvenir la plate-forme rédactionnelle à de potentiels collaborateurs en avril 1920, et le premier numéro de laquelle parut en janvier 1921. Dans cette revue, dont lexistence devait se prolonger jusquen 1941, Coster publia lensemble de son œuvre critique de ces années ; un premier recueil de ces articles, intitulé Verzameld Proza, de 1925, lui valut le prix C.W. van der Hoogt. Après la guerre, la revue De Nieuwe Stem, à tendance éthique comme son prédécesseur, fut fondée par Antonie Donker, ancien collaborateur de De Stem, mais Coster en fut tenu à lécart, sans doute en raison de son appartenance à la Kultuurkamer (institution créée par loccupant allemand et à laquelle étaient tenus de sinscire tous les artistes sils entendaient pouvoir continuer à exercer leur art) ― appartenance pour laquelle Coster ne fut pas inquiété à lissue de la guerre et qui certes contredit son engagement précoce et déterminé contre le fascisme, attesté par le discours Waarheen gaan wij?... (litt. allons-nous ?) par lui prononcé à loccasion du dixième anniversaire de sa revue. Après le brûlot que lécrivain Eddi du Perron dirigea contre lui en 1933, Coster eut de plus en plus de mal de trouver un éditeur pour publier les recueils de ses articles, et nombre de ses écrits datant de peu avant ou daprès la guerre ne seront finalement publiés pour la première fois que dans lédition de ses œuvres complètes. Néanmoins, ses articles gardent un intérêt historique, en tant que témoignages des luttes intellectuelles menées dans les années 1930 pour létablissement de valeurs nouvelles. Cest assurément à juste titre que sa revue De Stem a pu être qualifiée de « point dancrage des courants humanistes et vitalistes de lentre-deux-guerres ».

Œuvre critique et vision de la littérature

La position de Dirk Coster dans le paysage littéraire des Pays-Bas de lentre-deux-guerres apparaît paradoxale. En effet, sil était, dune part, un personnage très en vue, fort lu et suivi par un très large publicce qui conduisit le critique et poète Martinus Nijhoff, devant le vif succès de lanthologie Nieuwe geluiden, à déclarer désabusé : « ce que Dirk Coster écrit, la moitié du pays le croit », mais avant dajouter ironiquement « ce que la moitié du pays croit, Dirk Coster lécrit » ―, il sétait dautre part isolé du monde littéraire en sétant évertué, dans la préface de ladite anthologie, à évaluer la poésie systématiquement à laune de critères éthiques, récusant par conséquent la conception de lart pour lart, et saliénant par les auteurs de son temps, qui pour la plupart adhéraient à cette conception. La critique littéraire est au premier chef, déclarait-il, « une curiosité psychologique pour la vie la plus intime de lhomme qui sexprime » ; il sensuivit une attention privilégiée portée au contenu des œuvres, évaluées selon leurs implications morales, ainsi quà la personnalité de lauteur, avec en contrepartie un intérêt moins marqué envers les aspects formels de la littérature. Vers 1935 donc, Dirk Coster, dont de nombreux littérateurs avaient dès le milieu des années 1920 attaqué avec véhémence la vision humaniste et idéaliste de la littérature, était un critique et essayiste relégué en marge de la vie littéraire et en vint à se considérer comme un véritable paria. Cela ne lempêcha pas toutefois de continuer, dans lisolement de sa propre revue, à prodiguer ses commentaires et jugements sur la littérature néerlandaise contemporaine, qualifiée par lui de « dépravée », coupable à ses yeux davoir renoncé aux « valeurs supérieures de la vie » au bénéfice de « cette existencefroide, triomphante et vide didéesfaite de vitesse et de chaire saine », littérature quil cataloguait tout ensemble sous létiquette dépréciative de Nouvelle Objectivité (en néerl. Nieuwe Zakelijkheid).

Polémiques

Vorm of vent
La première intervention marquante de Coster en tant que critique littéraire fut sa polémique avec le poète Willem Kloos en mars 1912 dans la revue De Wereld : Coster défendait les droits de la personnalité dans la démarche critique, se faisant lavocat dune critique littéraire dordre supérieur, il serait loisible au critique de développer ses propres idées et dadopter un point de vue subjectif vis-à-vis de lœuvre quil traite. Cette position se traduisait notamment par la préférence que, dans son anthologie Nieuwe geluiden, Coster manifestait pour les poètes expressionistes de tendance humanitaire. Combattant résolument les attitudes esthéticistes et intellectualistes de son époque, il aspirait à réaliser une synthèse entre esthétique et éthique, cette dernière certes affranchie de tout dogmatisme. Cette conception le mettra aux prises avec un ensemble de jeunes auteurs groupés autour de la revue De vrije bladen, dont le principal porte-parole était le poète Martinus Nijhoff, et pour lesquels la poésie était autonome et constituait une réalité indépendante existant par elle-même ; poésie dun côté, et réalité extérieure, vie et humanité de lautre étaient des entités foncièrement différentes ; la création poétique valait en dehors de la façon dont lavait conçue son auteur, valait détaché de lui, et aussi de lobjet extérieur auquel elle se référait ; la démarche critique devait, en corollaire, se libérer des diverses déterminations morales, sociales et politiques. Les autonomistes, parmi lesquels on compte, outre Nijhoff, Hendrik Marsman, le Flamand Paul van Ostaijen, et Dirk Binnendijk, conféraient à la poésie un statut supérieur et souverain, et sefforçaient de la préserver des tendances, surgies à la fin des années 1920, à un retour vers une assise plus sociale, plus humaine, plus philosophique de la poésie.

La querelle culmina avec lanthologie Prisma: bloemlezing uit de Nederlandse poëzie na 1918, parue en 1930, composée par Binnendijk, et conçue par lui pour être lantipode à Nieuwe geluiden et aux idées éthico-humanistes de Dirk Coster. Cest du reste Binnendijk qui, dans son avant-propos, forgea la percutante formule allitérante vorm of vent (litt. la forme ou le gaillard), propre à résumer lantinomie entre les préoccupations formelles des autonomistes, dont le maître-mot était vormkracht ('puissance formelle'), et lattention portée par le camp opposé au gaillard, c'est-à-dire à lauteur, sa vie, sa personnalité, et au-delà, la réalité, la société, tout laspect humain. Ce dernier camp, auquel appartenaient Menno ter Braak et Eddie du Perron, sinsurgeait contre les adulateurs de la forme et contre leurs conceptions autonomistes, qui aboutissaient à figer la poésie, à la rendre impersonnelle, et à en faire lobjet dune divinisation indue. Lexigence de perfection technique comme principal critère dévaluation de la poésie déboucherait sur lépigonisme, lesthéticisme et une certaine stérilité. Les ventistes revendiquaient le droit de juger les œuvres autant sur leur valeur communicative questhétique. La poésie ne saurait être ni détachée de son auteur, ni affranchie de tout objet extérieur ; elle est habilitée à prendre appui sur des principes idéologiques. Cependant, les ventistes pour autant ne se rangeaient pas du parti de Dirk Coster ; selon eux en effet, le gaillard nétait pas tenu, au contraire de lopinion de Coster, de satisfaire à des normes éthiques préalablement fixées. Coster fut même virulemment pris à partie par Du Perron dans un ouvrage intitulé Uren met Dirk Coster (1933), la tendance de Coster à la boursouflure et aux idées éthérées était plus particulièrement brocardée (il est vrai que Du Perron modéra ses propos par la suite, par égard aux prises de positions sans équivoque de Coster contre le nazisme).

Bint
Il est une autre querelle emblématique de lentre-deux-guerres dans laquelle Dirk Coster fut impliqué, et les limites de la critique costérienne devinrent apparentes. En 1934, le romancier et nouvelliste Ferdinand Bordewijk fit paraître un court roman, Bint, dont le personnage éponyme, directeur décole, met en pratique un système autoritaire basé sur la discipline, luniformité, une vision élitiste, et le principe dobéissance au chef (Führerprinzip). Pour être une allégorie du fascisme, le livre ne pouvait en aucune façon, compte tenu des traits grossis, voire grotesques, et de lintention satirique assez évidente, être interprété comme une apologie du fascisme. Mais Dirk Coster, trop pressé sans doute de voir dans toute œuvre littéraire le reflet direct de la personnalité de lauteur, fut incapable en lespèce de reconnaître les stratégies narratives du livre et dy discerner ce quil y avait deffort délibéré de transposition littéraire (notamment par un certain degré de caricature), et soupçonna Bordewijk de vouloir faire le lit du fascisme aux Pays-Bas. Coster écrivit en effet : « lesprit de ce produit est une injure, une injure raffinée et sadique, faite au peu dhumanité et desprit que notre civilisation a réussi à acquérir à grand peine » ; et de sinterroger : « serions-nous plus proches du Troisième Reich néerlandais que nous le pensons ? » ― sa réponse cependant se voulait rassurante : « Non, Dieu merci, tant sen faut que la caste des littérateurs, tout entière à remplir les gazettes et à ruminer ses complexes, se confonde avec le peuple hollandais, simple et sain, le peuple des travailleurs, des ingénieurs, des enseignants, des médecins, tous ceux qui accomplissent leur travail dans un dévouement et une contention non souillés de publicité. La pépinière est vigoureuse encore, en dépit du petit noyau de gouapes et de dévoyés, glorifié par le sieur Bordewijk » ; et enfin : « lensemble est une série de complexes dinfériorité perversement engendrés par un individu pas très heureux ». Bordewijk réagit en soulignant linanité dattribuer à lauteur les points de vue et le comportement de ses personnages, et en faisant observer que le système totalitaire décrit contenait en lui-même les germes de sa propre décomposition, et quen ce sens également Bint était à prendre comme une dénonciation ; cétait selon les termes de Bordewijk la « perfection qui sombre par leffet de sa perfection même ». Bordewijk tenait le billet de Coster pour un exemple type de critique littéraire fausse, en ce quil ne répondait pas aux trois principes de base que lui-même sappliquerait à observer lorsquil écrirait plus tard de la prose critique, savoir : impartialité, circonspection et compétence. Du reste, Dirk Coster ne récusera jamais son opinion sur Bint ; au contraire, dans Dagboek van de heer Van der Putten, il taxera à nouveau le livre dapologie des « régimes à discipline de fer ».

Prix littéraires et hommages

Dirk Coster fut en 1926 récipiendaire du prix C.W. van der Hoogt pour Verzameld Proza, et reçut en 1953 le prix Marianne Philips pour lensemble de son œuvre. Il se vit décerner en 1954 le doctorat honoris causa de luniversité dAmsterdam.

La ville de Delft lui accorda le titre de citoyen dhonneur en 1952. Une place de Delft, la Dirk Costerplein, dans le quartier Voorhof, a été nommée en son honneur. En 1963, un buste de lécrivain, réalisé par le sculpteur delftois Henk Étienne, fut posé dans le vieux centre de sa ville natale, le long du canal Oude Delft.

Bibliographie

  • 1912 - Werk en wezen der kritiek
  • 1919 - Marginalia
  • 1920 - De ontwikkeling der moderne Nederl. lit. in de nieuwe Europeesche geest in kunst en letteren
  • 1920 - Dostojevski, een essay
  • 1924 - Nieuwe geluiden
  • 1925 - Verzameld proza I
  • 1927 - Verzameld proza II
  • 1927 - De Nederlandsche poëzie in honderd verzen
  • 1931 - Schetsboek
  • 1931 - Waarheen gaan wij?
  • 1935 - Het kind in de poëzie
  • 1939 - Het tweede boek der Marginalia
  • 1942 - Mensen, tijden, boeken
  • 1948 - Het leven en sterven van Willem van Oranje
  • 1961 - 1970 - Verzamelde werken (œuvres complètes, douze tomes)

Sources

  • (nl)Article Dirk Coster dans Biografisch Woordenboek van Nederland, pour les données biographiques.
  • (nl)Nederlandse Literatuur, een geschiedenis (ouvrage collectif sous la dir. de M.A. Schenkeveld-Van der Dussen), Martinus Nijhoff éd., Groningue 1993. En part. le chap. rédigé par W.J. van den Akker, p.642 et celui rédigé par Hans Anten, p.669.

Liens externes


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