Conjecture de Baum-Connes

Conjecture de Baum-Connes

En mathématiques, plus précisément en K-théorie des opérateurs (en), la conjecture de Baum-Connes suggère un lien entre la K-théorie de la C*-algèbre d'un groupe et la K-homologie (en) de l'espace classifiant les actions propres (en) de ce groupe.

Elle propose ainsi une correspondance entre deux objets mathématiques de nature différente, la K-homologie étant liée à la géométrie, à la théorie des opérateurs différentiels et à la théorie de l'homotopie, tandis que la K-théorie de la C*-algèbre réduite d'un groupe (en) est un objet purement analytique.

La conjecture, si elle était vraie, aurait pour conséquences quelques célèbres conjectures antérieures. Par exemple, la partie surjectivité implique la conjecture de Kadison-Kaplansky (en) pour un groupe discret sans torsion et la partie injectivité est étroitement liée à la conjecture de Novikov (en).

La conjecture est aussi très liée à la théorie de l'indice (en) (car l'application d'assemblage µ est une sorte d'indice) et joue un rôle majeur dans le programme de géométrie non commutative d'Alain Connes.

Les origines de la conjecture remontent à la théorie de Fredholm (en), au théorème de l'indice d'Atiyah-Singer, et à l'interaction entre la géométrie et la K-théorie des opérateurs telle qu'elle est formulée dans les travaux de Brown, Douglas et Fillmore, parmi bien d'autres sujets motivants.

Sommaire

Formulation

Soit Γ un groupe localement compact à base dénombrable (par exemple un groupe discret dénombrable). On peut définir le morphisme d'assemblage :

\mu\colon RK^\Gamma_k(\underline{E\Gamma}) \to K_k(C^*_\lambda(\Gamma))~,

RK^\Gamma_k(\underline{E\Gamma}) et K_k(C^*_\lambda(\Gamma)) (k valant 0 ou 1) désignent respectivement :

  • la K-homologie équivariante à supports Γ-compacts de l'espace \underline{E\Gamma} qui classifie les actions propres de Γ,
  • la K-théorie de la C*-algèbre réduite de Γ.

Paul Baum et Alain Connes ont conjecturé, en 1982, que

le morphisme d'assemblage μ est un isomorphisme.

Comme le membre de gauche semble moins difficile à calculer que celui de droite (parce qu'on connait très peu de théorèmes généraux de structure sur les C*-algèbres), on considère souvent cette conjecture comme une explicitation du membre de droite.

À l'origine, la conjecture n'était pas formulée en ces termes car la notion de K-homologie équivariante n'avait pas encore émergé.

Dans le cas où Γ est discret et sans torsion, le membre de gauche se réduit à la K-homologie non équivariante à supports compacts de l'espace classifiant (en) usuel BΓ de Γ.

Conjecture à coefficients

Il existe aussi une forme plus générale, dite à coefficients, de la conjecture Baum-Connes, dans laquelle les deux membres sont à coefficients dans une C*-algèbre A sur laquelle Γ agit par automorphismes. Elle s'énonce dans le langage de la KK-théorie (en) en disant que le morphisme d'assemblage

 \mu_{A,\Gamma}\colon RKK^\Gamma_*(\underline{E\Gamma},A) \to K_*(A\rtimes_\lambda \Gamma)

est un isomorphisme, et la version sans coefficients correspond au cas A=\C.

Cependant, en 2002, Nigel Higson, Vincent Lafforgue et Georges Skandalis ont trouvé des contre-exemples à la conjecture à coefficients, en s'appuyant sur des résultats de Gromov (néanmoins non reconnus, en 2008, par la totalité de la communauté mathématique) qui concernent les expanseurs dans les graphes de Cayley[1]. Même si cette construction se confirme, la conjecture à coefficients reste un sujet de recherche active car, contrairement à la conjecture classique, on la considère souvent comme un énoncé concernant des groupes ou ensembles de groupes particuliers.

Exemples

Soit Γ le groupe \Z des entiers relatifs. Alors le membre de gauche est la K-homologie de son classifiant B\Z qui est le cercle. Par l'isomorphisme de Gelfand (en), qui n'est autre ici que la transformation de Fourier, la C*-algèbre du groupe est isomorphe à l'algèbre des fonctions continues sur le cercle, donc le membre de droite est la K-théorie topologique du cercle. Le morphisme d'assemblage est alors la dualité de Poincaré (en) en KK-théorie (définie par Gennadi Kasparov) et c'est un isomorphisme.

Un autre exemple simple est donné par les groupes compacts. Dans ce cas, les deux membres sont naturellement isomorphes à l'anneau des représentations complexes (en) R_\C(K) du groupe K, et le morphisme d'assemblage, via ces isomorphismes, est l'application identité.

Résultats partiels

La conjecture sans coefficients pour tous les groupes est toujours non résolue, bien que cette question ait été beaucoup étudiée. Elle a été démontrée pour les classes suivantes de groupes :

  • les sous-groupes discrets de SO0(n,1) et SU(n,1) ;
  • les groupes ayant la propriété de Haagerup (en), ou groupes a-T-moyennables de Gromov ; ce sont les groupes agissant par isométries sur un espace de Hilbert affine de façon propre, au sens où g_n\xi\to_{(n\to\infty)}\infty pour tout \xi\in H et toute suite (gn) d'éléments du groupe telle que g_n\to_{(n\to\infty)}\infty. Parmi les groupes a-T-moyennables figurent les groupes moyennables (en), les groupes de Coxeter, les groupes agissant proprement sur un arbre ou sur un complexe cubique CAT(0) (en) simplement connexe ;
  • les groupes qui admettent une présentation avec un nombre fini de générateurs et une seule relation ;
  • les sous-groupes discrets cocompacts d'un groupe de Lie réel de rang 1 ;
  • les réseaux cocompacts dans SL(3,K) avec K=\R,\C,\Q_p. Le problème est resté longtemps ouvert, depuis les premiers jours de la conjecture, d'exhiber un groupe infini ayant la propriété T de Kazhdan (en) qui vérifie la conjecture. Mais Vincent Lafforgue en a trouvé un en 1998 et il a montré que les réseaux cocompacts dans SL(3,\R) sont à décroissance rapide, donc vérifient la conjecture ;
  • les groupes hyperboliques (en) de Gromov et leurs sous-groupes.
  • Parmi les groupes non discrets, la conjecture a été prouvée en 2003 par J. Chabert, S. Echterhoff et R. Nest pour la classe des groupes presque connexes (i. e. les groupes ayant une composante connexe cocompacte), et tous les groupes de points rationnels d'un groupe algébrique linéaire sur un corps local de caractéristique nulle (par exemple k=\Q_p). Pour la sous-classe des groupes réels réductifs, ceci avait déjà été prouvé en 1982 par A. Wassermann.

L'injectivité est connue pour bien plus de groupes grâce à la méthode Dirac-dual Dirac. Celle-ci remonte à des idées de Michael Atiyah, généralisées et formalisées en 1987 par Gennadi Kasparov. L'injectivité est connue pour les classes suivantes :

  • les sous-groupes discrets de groupes de Lie connexes ou virtuellement connexes,
  • les sous-groupes discrets des groupes p-adiques,
  • les groupes boliques (qui sont une généralisation des groupes hyperboliques),
  • les groupes agissant de façon moyennable sur un espace compact.

L'exemple le plus simple d’un groupe dont on ne sait pas s'il vérifie la conjecture est SL_3(\Z).

Notes et références

  1. (en) N. Higson, V. Lafforgue and G. Skandalis. Counter-examples to the Baum-Connes conjecture. Geom. Funct. Anal. 12(2) :330–354, 2002.

Voir aussi

Article connexe

Conjecture de Farrell-Jones (en)

Liens externes



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