Traité de la roulette

Traité de la roulette

Le Traité de la roulette est un ouvrage écrit en 1659 par Blaise Pascal, sous le nom de plume Amos.Dettonville. Cet ouvrage est considéré comme un des derniers traités de la méthode des indivisibles (Cavalieri (1635)), qui va céder la place à l'analyse mathématique (Barrow enseigne Newton en 1661).

Sommaire

Le Traité de la roulette, sa place historique

En 1658, Pascal a 35 ans, et a déjà renoncé à faire une carrière scientifique depuis 1654. Néanmoins sous le pseudonyme de Amos.Dettonville (anagramme de Lovis-de-Montalte, nom de plume de l'auteur des Provinciales (1656)), il va proposer un challenge : trouver un certain nombre de propriétés de la cycloïde, autre nom de la roulette, courbe déjà étudiée par Roberval. Le nom de roulette (en) sera étendu plus tard à des courbes plus générales.

Pascal a certainement réfléchi à la roulette avant 1654, mais sans publier (c’est assez courant à l'époque). Pascal propose, en août 1658, 9 challenges. Après que Wren en 1658 eut effectué la rectification de la cycloïde, et que Wallis en eût publié immédiatement la démonstration, Pascal s'empressera de publier les 9 challenges d'octobre 1658, puis très vite le livre la Théorie de la roulette, en janvier 1659 (sans doute avec l'aide de Roberval).

L'ingéniosité combinatoire de ce Traité de la roulette peut ravir (Émile Picard a eu beaucoup de considération pour le Traité n°2). Mais la Géométrie des Indivisibles va céder la place à l'Analyse. Quoique ce Traité approfondisse encore un peu le travail de Torricelli (vers 1643) dont il a la clarté d'expression, l'école anglaise est déjà là, puissante : Wallis (analysis infinitorum 1654), Barrow (enseignant de Newton en 1661), Wren (fondateur de la Royal Society en 1660) sont sur la même voie et Gregory va revenir de Bologne (1664-1668).

Ce livre fait charnière, en 1659, entre la méthode des indivisibles de Cavalieri (1639) et le calcul infinitésimal créé par Newton (théorie des fluxions, 1669) et par Leibniz, sous sa forme plus moderne (1684). Il représente la fin d'une époque : ce Traité restera sans grande influence, car ancré dans la géométrie et la combinatoire ; en 1660, l'analyse est en marche à Padoue et à Cambridge. Leibniz raillera Pascal : il avait tout en mains ; était-il aveugle ?

Les mathématiques du Traité

Le Traité n'est pas un traité de calculus

Le Traité de la roulette n'est pas un traité de calculus, car 1/. aucune généralisation n'est possible : le calcul est resté limité au cercle ; 2/. il est impossible dans les calculs de somme double de prendre des divisions inégales ; 3/. ce travail est très loin de la prolixité et de la profondeur de Barrow ou Wallis.

  • Le caractère clos : Dettonville montre bien le fait que « primitive » (au sens moderne !) de sinus(x) = sinus(x - Pi/2) ; c'est-à-dire la même fonction (au sens moderne !), donc on peut réitérer et faire autant de somme de somme de somme... que l'on veut. C'est en quelque sorte la beauté « circulaire » qui aurait fasciné Pascal ; mais elle l'a confiné au seul sinus. La généralisation est perdue. Seul le Traité-2 est un peu général ; mais néanmoins il reste axé sur ce problème de la cycloïde. Même dans le cas des centres de gravité, bien qu'on doive louer la virtuosité de Pascal (en particulier, pour l'intégration par parties), il n'en reste pas moins que ce sont des calculs de primitives d'exponentielles-polynômes, sans plus. D'autre part, lire le Traité est un véritable jeu de piste, puisqu'on y donne juste " un succédané de la démonstration". Dans l unique calcul de somme simple, avec la « touchante », qu'il utilise, soit ß(MY.MM), il indique nettement dans le traité-2, qu'il suffit que les subdivisons soient indéfinies pour que arc et tangente (ou corde) se confondent. Mais c'est Leibniz qui comprendra cette phrase comme : pour calculer la ß, il suffit de connaître la primitive. Ce que Barrow a exprimé (il y a relation involutive entre dérivée-primitive, entre touchante-quadrature), rien de tout cela n'existe dans le Traité, limité à la seule remarque géométrique, géométrique vraiment :  \mathbb{S}_a^b \sin x \cdot dx = [\sin (x-\pi/2)]_a^b, et encore cela est-il écrit en termes modernes ; car JAMAIS Dettonville ne parle d'analyse. Il a VOULU rester géomètre.
  • Les divisions égales : Dettonville se limite aux arcs égaux : pourquoi ? Sans doute parce que l'esprit combinatoire reste DOMINANT : il était un maître en ce domaine. Mais, par ailleurs ses formules triangulaires (µ) et pyramidales (þ) ne sont valables qu'avec des divisions égales (M. p. 52.57 et p. 114). Et Merker signale un paradoxe très joli, p131, sur les paradoxes de Tacquet, recensés par Gardies : on ne peut obtenir sans ruser la surface de la demi-sphère. Darboux relèvera lui aussi des paradoxes dans les aires de surfaces bien choisies. Donc les quadratures effectuées n'ont rien à voir avec l'intégrale de Riemann, tant s'en faut.
  • La rivalité avec Londres : Pascal ne s'était pas enquis des travaux de Roberval (cf Costabel.). Posant des questions auxquelles d'autres ont déjà répondu, il se met en porte-à-faux. D'où ses controverses avec Wallis (déjà très célèbre). Mais surtout quand Wren publie la rectification de la cycloïde en août 1658, Pascal est pris de court : pour faire face, il va rédiger assez vite les problèmes d'octobre. Mais ce n'est guère très glorieux. Certes, son œuvre (et surtout le Traité-2) est admirable, mais Dettonville est assez amer d'avoir été doublé. La fin de son Traité est plutôt « rapide ». Mais surtout, Pascal n'a absolument pas pris en compte le travail d'un Barrow ou d'un Wallis. Il n'y a aucune référence à une méthode générale. Tout reste confiné à la seule cycloïde. Ce livre n'a aucune portée générale.

C'est donc Londres qui deviendra à partir de 1660 le moteur de l'analyse mathématique. Au total, Leibniz aura cette phrase cruelle : Pascal avait tout en main, mais il est resté aveugle. Tout le problème de l'Histoire des Sciences est là : pourquoi ces cécités ? pourquoi encore en 1700, Michel Rolle et George Berkeley "résisteront-ils" ?

Quelques intégrales du Traité de la roulette

Merker p50-85 signale l'excellence géométrique. Sont citées ici quelques intégrales (en notation modernes) qu'arrive à trouver Dettonville sans calcul différentiel a priori :

Exercice fondamental : Soit EE' la touchante en P se projetant en XX' : XX'.OP = EE'.PH [dans nos notations : (dcos α = - (PH./OP).dα]. C'est la seule fois où interviendra la "touchante". Ensuite « tout est clos » car la dérivée seconde redonne l'opposée de la fonction [Rappel : du temps de Pascal, la dérivée n'existe pas !]

Exercice 2 : Soit P1 et P2 se projetant en H1 et H2 : ß PH^n .PP = (ß HP^(n-1). HH) . R : \int_{P_1}^{P_2} \sin^n \alpha \cdot d\alpha = \int_{H_1}^{H_2} \sin^{(n-1)} \alpha \cdot dx, pour R= 1.

Exercice 3 : pour tout triligne rectangle, l'intégration par parties donne : \int_0^A y^n \cdot dx = (n-1)\int_0^B xy^{(n-1} \cdot dy.

mais aussi toutes sortes de formules monômes en x et y du type \int\int d(f(x,y)) = 0.

Et Dettonville a bien remarqué géométriquement que du côté des intégrales curvilignes, cela « marchait » aussi. Et les propositions XII à XV du T2 deviennent des exploits de géométrie et de statique : par exemple calculer ß PY'².PP, soit \int \phi\, \sin\phi \cos^2\phi\cdot d\phi, uniquement de manière géométrique. Mais il reste que ce type de méthode consistant à ramener une courbe, la roulette, à une succession de cercles sera inexploitable en analyse. Au fond, il ne s'agit que de l'intégration d'exponentielles-polynômes, mais certainement pas l'exposé d'une méthode générale.

Conclusion

Cette belle tentative, ce beau Traité, restera lettre morte.

  • Néanmoins, ne pas oublier que Huygens va comprendre l'isochronisme de la cycloïde à ce moment (1659) : Pascal écrit à Huygens en février 1659 ; Huygens comprend l'intérêt pour son horloge d'avoir des « joues » en forme de cycloïde : avoir une courbe telle que s =\sqrt y, il en rêvait : en décembre, c'est avec joie qu'il écrit à son maître Frans van Schooten : « eurêka ».
  • Mais Pascal est mort, jeune encore, en 1661. Pas d'élèves, pas d'école. Roberval continuera à enseigner encore quelque temps au Collège de France. Certes Huygens aura l'honneur d'expliquer en 1672 les travaux du "calculus" à Leibniz, parisien pour un temps ; mais il n'y aura pas d'école française d'analyse avant L'Hospital, Varignon et Malebranche, vers 1690-1700 et il est intéressant d'en analyser les raisons.

Références

  • Pascal, œuvres complètes, J. Chevalier, éd. la Pléiade
  • Pascal, œuvres complètes, J. Mesnard, éd. Desclée de Brouwer
  • Pascal, Pensées, éd. Flammarion 1976
  • Roberval, Traité des indivisibles, U Paris-VII, 1987
  • Fermat, Œuvres, par Tannery, éd. Gauthier-Villars, 1891-1922
  • Leibniz, Calcul différentiel, éd. Vrin, 1989


  • Costabel, Les Secrets de la roulette, Rev Hist Sc, 15, (1962)
  • Cederom, PU Clermont-Ferrand, 1999, par Descotes & Proust : Lettres de Dettonville.
  • DeGandt, la Géométrie des indivisibles, APMEP, fragments d'histoire des math II, 65 (1987)
  • Merker, le chant du cygne des indivisibles, PUFC, (2001), ISBN 2-84627-038-4
  • Gardies, Pascal entre Eudoxe et Cantor, 1984, éd. Vrin.
  • Prévost M.-.L. : Un théorème de géométrie de Blaise Pascal découvert dans le manuscrit des Pensées, Chroniques de la Bilbiothèque Nationale de France n° 56 (nov.-décembre 2010) - p. 24

Voir aussi

Bibliographie

  • Pascal, Œuvres complètes, J. Chevalier, éd. la Pléiade.



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