Théorie des actes de gouvenement

Théorie des actes de gouvenement

Acte de gouvernement en droit français

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Un acte de gouvernement est un acte qui est « insusceptible d'être discuté par la voie contentieuse », selon la formule employée par la jurisprudence administrative. Cette formulation indique que l'acte de gouvernement est une limite au principe de légalité de l'administration, en effet le juge ne censure ni ne contrôle l'acte de gouvernement affirmant par là même la limite du contrôle de la justice sur ces actes. L'"acte de gouvernement" ne peut en aucun cas être déféré aux juridictions judiciaires, même au titre des théories de la voie de fait ou de l'emprise irrégulière : le conflit serait élevé à bon droit si une juridiction judiciaire entendait connaître d'un acte de gouvernement ; ni ne peut être discuté devant les juridictions administratives, qui se déclarent incompétentes pour en connaître.

Cette catégorie d'acte administratif est en évolution depuis sa création, il est fondé sur l'incapacité du juge administratif de contrôler des actes qui avaient un mobile politique, mais qui semble aussi difficile de contrôler du fait de leurs nature très politique (c'est la limite entre la justice et la politique). Cependant sous l'influence du droit international (CEDH) et du renforcement de la légalité, le juge contrôle de plus en plus ces actes par la voie de l'"acte détachable" par le juge administratif.

Sommaire

La théorie du mobile politique et son abandon

Initialement, les actes de gouvernement étaient définis par leur mobile politique, cette notion étant entendue de manière assez large :

  • le Conseil d'État rejetait ainsi, sous la Restauration, le recours du banquier Jacques Laffitte réclamant le paiement des arrérages d'une rente qu'il avait acquise de la princesse Borghèse, sœur de Napoléon Ier, au motif que « la réclamation du sieur Laffitte tient à une question politique dont la décision appartient exclusivement au Gouvernement » (CE, 1er mai 1822, Laffitte, Rec. 1821-1825 p. 202) ;
  • sous le Second Empire, la saisie d'un ouvrage du duc d'Aumale, fils de Louis-Philippe, et le refus d'en restituer les exemplaires étaient de même regardés comme « des actes politiques qui ne sont pas de nature à nous être déférés pour excès de pouvoir en notre Conseil d'État par la voie contentieuse » (CE, 9 mai 1867, Duc d'Aumale et Michel Lévy, Leb. p. 472 avec les concl. du président Aucoc).

Cette théorie du mobile politique a été abandonnée par le Conseil d'État dans un arrêt fondamental du 19 février 1875 « Prince Napoléon » [1].

  • Le prince Napoléon-Joseph Bonaparte, nommé général de division en 1853 par son cousin Napoléon III, se plaignait que l'annuaire militaire de 1873, après la chute du Second Empire, ne mentionnait pas son nom sur la liste des généraux. Le ministre de la Guerre lui répondit que sa nomination « se rattache aux conditions particulières d'un régime politique aujourd'hui disparu et dont elle subit nécessairement la caducité ». Cette décision fut déférée au Conseil d'État. L'administration opposa le caractère politique de la mesure attaquée. Mais le Conseil d'État se reconnut compétent et rejeta le recours au fond, suivant en cela les conclusions du commissaire du gouvernement David , qui fit valoir que : « pour présenter le caractère exceptionnel qui le mette en dehors et au-dessus de tout contrôle juridictionnel, il ne suffit pas qu'un acte, émané du Gouvernement ou de l'un de ses représentants, ait été délibéré en conseil des ministres ou qu'il ait été dicté par un intérêt politique. »

Typologie des actes de gouvernement

Les actes de gouvernement sont ceux que le juge administratif reconnaît comme tels, en refusant qu'ils puissent être discutés par la voie contentieuse, tant par voie d'action (dans le cadre d'un recours direct pour excès de pouvoir) que par voie d'exception (dans le cadre d'une exception d'illégalité ou d'un recours en responsabilité).

Cette catégorie n'a cessé de se réduire, au fur et à mesure que se sont étendus et affermis l'état de droit et l'autorité de la juridiction administrative.

S'il n'existe pas de théorie générale de l'acte de gouvernement, il est possible d'établir une typologie : les actes de gouvernement tombent dans deux catégories :

  • les actes qui touchent aux rapports entre les pouvoirs publics constitutionnels.
  • les actes liés à la conduite des relations extérieures de la France.

Actes touchant aux rapports entre les pouvoirs publics constitutionnels

Décisions prises par le pouvoir exécutif dans le cadre de sa participation à la fonction législative :

  • Refus de présenter un projet de loi au Parlement : CE, Sect., 18 juillet 1930, Rouché, [2] ; CE, 29 novembre 1968, Tallagrand[3]
  • Décision de promulguer une loi : CE, Sect., 3 novembre 1933, Desreumeaux, [4]
  • Décision de déposer ou de retirer un projet de loi : CE, Ass., 19 janvier 1934, Compagnie marseillaise de navigation à vapeur Fraissinet, [5]
  • Refus de faire les diligences nécessaires à l'adoption rapide d'un projet de loi : CE, Sect., 25 juillet 1947, Société l'Alfa, [6]
  • Refus de prendre l'initiative d'une révision constitutionnelle : CE, 26 février 1992, Allain, [7]
  • Sur la pension de retraite des Parlementaires : CE, 2003, Papon

Décisions prises par le Président de la République dans le cadre de ses pouvoirs constitutionnels :

  • Décision de soumettre un projet de loi au référendum : CE, Ass., 19 octobre 1962, Brocas, [8]
  • Décision de mettre en œuvre les pouvoirs de crise de l'article 16 de la Constitution : CE, Ass., 2 mars 1962, Rubin de Servens et autres, [9]
  • Décision de dissoudre l'Assemblée nationale : CE, 20 février 1989, Allain, [10]
  • Nomination d'un membre du Conseil constitutionnel : CE, Ass., 9 avril 1999, Mme Ba, [11]
  • Sur l'empêchement du Président de la République : CE, 2005, Hoffer

Actes liés à la conduite des relations extérieures de la France

  • Protection des personnes et des biens français à l'étranger : CE, 2 mars 1966, Dame Cramencel, [12]
  • Refus de soumettre un litige à la Cour internationale de justice : CE, 9 juin 1952, Gény, [13]
  • Ordre de brouiller les émissions d'une radio étrangère : TC, 2 février 1950, Radiodiffusion française, [14]
  • Création d'une zone de sécurité dans les eaux internationales pendant des essais nucléaires : CE, Ass., 11 juillet 1975, Paris de Bollardière, [15]
  • Décision de reprise des essais nucléaires avant la conclusion d'un accord international devant interdire de tels essais : CE, Ass., 29 septembre 1995, Association Greenpeace France, [16]
  • Décision d'engager des forces militaires en Yougoslavie en liaison avec les événements du Kosovo : CE, 5 juillet 2000, Mégret et Mekhantar
  • Conditions de signature d'un accord international : CE, Sect., 1er juin 1951, Société des étains et wolfram du Tonkin, [17]
  • Décision de ne pas publier un traité : CE, 4 novembre 1970, de Malglaive, [18]
  • Vote du ministre français au Conseil des communautés européennes : CE, Ass., 23 novembre 1984, Association « Les Verts », [19]
  • Décision de suspendre l'exécution d'un traité : CE, Ass., 18 décembre 1992, Préfet de la Gironde c. Mahmedi [20],
  • Décision de suspendre la coopération scientifique et technique avec l'Irak pendant la Guerre du Golfe : CE, 23 septembre 1992, GISTI [21],

Justification des actes de gouvernement

Derrière le mobile politique souvent défendu par le juge administratif, se cache trois justifications de portées différentes:

  • La Raison d'État: L'intérêt national permet parfois de justifier des atteintes au droit, et à la légalité. Les actes de gouvernement concernant les relations extérieures peuvent être ainsi justifié par cette raison d'État, ce qui a permis pendant longtemps l'hégémonie de l'interprétation des traités par le Ministère des Affaires étrangères, et qui justifie aussi la saisine du ministre des affaires étrangères afin de constater l'application ou non par le ministère des affaires étrangères de l'application de réciproque liée à l'article 55 de la Constitution.
  • La séparation des pouvoirs: Le problème des rapports de force entre les différents pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire), pousse le juge a limiter son pouvoir afin de ne pas avoir un rôle prépondérant et limite le déséquilibre des pouvoirs par le biais des actes de gouvernement (Le juge administratif affirme ne pas pouvoir contrôler la qualité des personnes nommées comme membre au conseil constitutionnel (CE 1999 Madame Ba)).
  • Le mobile politique  : La deuxième raison est le mobile politique de ces actes, en effet de nombreux actes de gouvernement sont en réalité des actes ayant un très grand caractère politique. La limite entre la légalité et la politique devient ainsi très ténue: par exemple le président détient un pouvoir de nomination, mais si le juge contrôle ou censure cette nomination, cette censure semblera plus ressembler à une action politique du juge qu'une véritable décision de justice. Dans ce cas justice et politique se confonde, le juge préfère alors ne pas contrôler au nom des actes de gouvernement.

Les limites de la théorie des actes de gouvernement

La pleine réception dans notre droit de la Convention européenne des droits de l'homme ne laisse pas de conduire à s'interroger sur la théorie des actes de gouvernement, qui se concilie malaisément avec le droit à un recours effectif reconnu par la convention.

Considérés par beaucoup comme une verrue du système juridique français, puisqu'ils apparaissent comme une faille dans le principe de légalité, les actes de gouvernement ont toutefois eu tendance à céder du terrain.

Dans le domaine de la conduite des relations internationales, plus particulièrement, le champ des actes de gouvernement s'est réduit en raison de l'accroissement du contrôle du juge administratif sur les conventions internationales et du recours de plus en plus large à la théorie dite « des actes détachables ». Enfin, la théorie de l'égalité devant les charges publiques permet d'ouvrir la perspective d'un début de responsabilité du fait des actes de gouvernement.

L'accroissement du contrôle sur les conventions internationales

Pendant longtemps, le Conseil d'État se bornait à vérifier l'existence d'un acte de ratification ou d'approbation propre à introduire une convention internationale dans l'ordre juridique interne (CE, Ass., 16 novembre 1956, Villa [22]).

Depuis 1998, le Conseil d'État contrôle également le respect des dispositions constitutionnelles qui régissent l'introduction des traités dans l'ordre interne, et vérifie si le traité était au nombre de ceux qui ne peuvent être ratifiés qu'en vertu d'une loi (CE, Ass., 18 décembre 1998, SARL du parc d'activités de Blotzheim,[23]).

Le Conseil d'État s'est reconnu compétence pour interpréter les stipulations obscures d'un accord international (CE, Ass., 29 juin 1990, GISTI, [24]), renonçant ainsi à sa pratique antérieure du renvoi préjudiciel au ministre des Affaires étrangères.

La théorie des actes détachables

Le Conseil d'État accepte de connaître de mesures qu'il considère comme détachables de la conduite des relations diplomatiques, dont la légalité peut dès lors être appréciée sans que le juge soit amené à s'immiscer dans la politique extérieure de la France.

Il en va ainsi des décrets d'extradition, qui sont susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir (CE, Ass., 28 mai 1937, Decerf[25] ; Ass., 30 mai 1952, Dame Kirkwood [26]). Le contrôle du Conseil d'État sur ce type d'actes n'a cessé de s'accroître. Il a considéré que ne sont pas des actes de gouvernement :

  • la décision du gouvernement français d'adresser une demande d'extradition à un État étranger : CE, Sect., 21 juillet 1972, Legros [27] ;
  • le rejet d'une demande d'extradition présentée par un État étranger : CE, Ass., 15 octobre 1993, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et Gouverneur de la colonie royale de Hong Kong[28].

De même ont été considérés comme détachables de la conduite des relations internationales les décisions et actes suivants :

  • destruction par la marine nationale d'un navire abandonné en haute mer : CE, Sect., 23 octobre 1987, Société Nachfolger Navigation,[29]
  • décision d'implantation du laboratoire européen de rayonnement synchrotron : CE, Ass., 8 janvier 1988, Ministre chargé du plan et de l'aménagement du territoire c. Communauté urbaine de Strasbourg, [30]

Les actes de gouvernement et l'égalité devant les charges publiques

Les actes de gouvernement ne peuvent donner lieu à une action en responsabilité pour faute. En revanche, un arrêt célèbre, mais isolé, a admis la possibilité d'une action en responsabilité sans faute, pour rupture d'égalité devant les charges publiques, à raison d'un traité international : CE, Ass., 30 mars 1966, Compagnie générale d'énergie radioélectrique [31]. Il s'agit d'une variante de la théorie de la responsabilité du fait des lois et des décisions légales inaugurée par le fameux arrêt d'Assemblée du 14 janvier 1938 Société anonyme des produits laitiers « La Fleurette » [32].

Notes et références

  1. (Leb. p. 155 avec les concl. du commissaire du gouvernement David, GAJA n° 3)
  2. Leb. p. 771
  3. Leb. p. 607
  4. Leb. p. 993
  5. Leb. p. 98
  6. Leb. p. 344
  7. Leb. p. 659
  8. Leb. p. 553
  9. Leb. p. 143, GAJA n° 87
  10. Leb. p. 60
  11. Leb. p. 124
  12. Leb. p. 157
  13. Leb. p. 19
  14. Leb. p. 652
  15. Leb. p. 423
  16. Leb. p. 347
  17. Leb. p. 312
  18. Leb. p. 635
  19. Leb. p. 382
  20. Leb. p. 446 concl. Francis Lamy
  21. Leb. p. 346
  22. Leb. p. 433
  23. Leb. p. 483 concl. Gilles Bachelier
  24. Leb. p. 171 concl. Ronny Abraham, GAJA n° 104
  25. Leb. p. 534
  26. Leb. p. 291
  27. Leb. p. 554
  28. Leb. p. 267 concl. Christian Vigouroux, GAJA n° 106
  29. Leb. p. 319
  30. Leb. p. 2
  31. Leb. p. 257, GAJA n° 90
  32. Leb. p. 25, GAJA n° 54
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