Théorie de la régulation

Théorie de la régulation

La théorie de la régulation est, avec l’économie des conventions, l’une des deux principales approches hétérodoxes de l’économie en France. Elle a pris son essor au milieu des années 1970 autour des travaux de Michel Aglietta, André Orléan, Bernard Billaudot, Robert Boyer, Benjamin Coriat (chercheur au CEPN — Centre d’économie de Paris Nord) et Alain Lipietz.

Sommaire

Les fondements théoriques

Les formes institutionnelles

La théorie de la régulation repose sur l'analyse des cinq « formes institutionnelles », caractéristiques d'une organisation sociale. Les caractéristiques d'une forme donnée de capitalisme sont déterminées par ces formes institutionnelles :

  • forme de la concurrence (degré de concentration, formation des prix, concurrence entre salariés, qui détermine alors le salaire)
  • forme de la monnaie (monnaie, politique monétaire, financement de l'économie, etc.)
  • forme de l'État (intervention économique et sociale)
  • forme du rapport salarial (déterminants du salaire et de l'emploi, organisation du travail, etc.)
  • forme d'insertion dans l'économie mondiale (relations commerciales, financières et monétaires)

Les modes de régulation et régimes d'accumulation

L'ensemble des mécanismes qui permettent à ces cinq formes a priori indépendantes de former un système est appelé "mode de régulation". L'histoire du capitalisme a vu se succéder différents modes de régulation :

  • au mode de régulation à l'ancienne s'est substitué, lors de la Révolution Industrielle, un mode de régulation concurrentielle, où tout ajustement se fait sur la base du marché et de la concurrence
  • un mode de régulation hybride durant l'entre-deux-guerres
  • un mode de régulation fordiste ou monopoliste, durant les Trente glorieuses : ce système repose notamment sur la transposition en hausses de salaire des gains de productivité très importants de la période. La question de savoir si les pays émergents sont aujourd'hui entrés dans cette phase mérite d'être posée. A ce titre, Alain Lipietz distingue le "taylorisme périphérique", du "fordisme périphérique" : alors que, dans le second cas, un processus de développement est véritablement engagé, ce n'est pas le cas avec le taylorisme périphérique, qui n'implique pas nécessairement d'avancées sociales.
  • un mode de régulation pas clairement défini depuis le début de la "crise contemporaine".

Quant aux mécanismes qui permettent la poursuite de la croissance économique (le système n'est, bien sûr, pas figé), ils forment le "régime d'accumulation". On peut, grossièrement, en distinguer deux :

  • le régime d'accumulation extensif, fondé sur l'accroissement du stock de facteur de production
  • le régime d'accumulation intensif, fondé sur d'importants gains de productivité

On peut donc résumer la succession des modes de régulation et des régimes d'accumulation ainsi :

  • XIX°siècle : accumulation extensive, fondée sur une mobilisation massive de capitaux et de main d’œuvre, en régulation concurrentielle
  • Entre-deux-guerres : accumulation intensive sans consommation de masse (absence de régulation clairement définie)
  • Trente glorieuses : accumulation intensive avec consommation de masse, en régulation fordiste
  • Dernier quart du XX° - Début du XXI° siècle : « Accumulation extensive avec consommation de masse », selon Robert Boyer (c’est discutable, car les gains de productivité sont redevenus élevés dans les années 1990, notamment aux États-Unis, du fait des NTIC). La régulation reste à définir. L'existence d'un mode de régulation fondé sur la prédominance de la finance est, pour l'instant, plus que discutable.

Une typologie des crises

Sur ces bases, la théorie de la régulation a construit une typologie des crises qui rend compte de différents désajustements produits de manière endogène comme conséquence de la configuration institutionnelle – conformément à un de ses objectifs initiaux qui était de comprendre la rupture observée à la fin des années soixante dans l’évolution des principaux agrégats économiques :

  • les crises exogènes sont le fait d'un événement extérieur au système : elles peuvent être très perturbantes, mais ne mettent pas en danger le mode de régulation, et encore moins le régime d'accumulation. Les nouveaux classiques (ou économistes de l'école des anticipations rationnelles) pensent que toutes les crises sont exogènes au sens régulationniste du terme.
  • les crises endogènes : correspondant plus ou moins à la période de dépression du cycle (Cycle Juglar), elles sont l'expression même du mode de régulation, qui « purifie » le système par la crise. Ces crises permettent en effet de résorber les différents déséquilibres qui se sont accumulés pendant la phase d'expansion, sans altération majeure des formes institutionnelles. Lorsqu'une crise endogène survient, les contemporains pensent qu'il s'agit d'une crise grave. Ils se trompent : ces crises sont indissociables du fonctionnement du capitalisme.
  • la crise du mode de régulation : incapable d'éviter une spirale dépressionniste, l'état et l'agencement des formes institutionnelles doivent être modifiés. Le meilleur exemple est celui de la crise de 1929 où le jeu de la concurrence n'a pas permis le retour de la phase d'expansion.
  • la crise du régime d'accumulation : pouvant être entrainée par la non résolution d'une crise du mode de régulation, la crise du régime d'accumulation signifie qu'il est impossible de poursuivre la croissance à long terme sans bouleversement majeur des formes institutionnelles. Là encore, la crise de 1929 est le meilleur exemple : la période trouble de l'entre-deux-guerres marque le passage d'un régime d'accumulation caractérisé par une production de masse sans consommation de masse à un régime incorporant tout à la fois production et consommation de masse. Pour illustrer cette idée, on peut reprendre l'analyse que fait J.K. Galbraith de la crise de 1929 : il explique que, bien que les gains de productivité aux États-Unis ont été de 43% entre 1919 et 1929, les salaires ont stagné… L'extraordinaire déformation du partage de la valeur ajoutée au profit du capital ne pouvait que conduire à une crise de surproduction.
  • la crise du mode de développement : c'est l'effondrement du système.

Ainsi, « chaque société a les crises de sa structure », comme le disait Ernest Labrousse (de l'École des Annales). C'est par les crises que le capitalisme perdure et s'adapte. Il est « une mise en mouvement de l'histoire à travers l'innovation technique et institutionnelle » (R. Boyer).

Liens internes

Liens externes

Bibliographie

  • Aglietta Michel, 1976, Régulation et crises du capitalisme, Paris, Calmann-Lévy.
  • Aglietta Michel et Orléan André, 1982, La violence de la monnaie, Paris, PUF.
  • Aglietta Michel et Orléan André, 2002, La monnaie entre violence et confiance, Paris, Odile Jacob.
  • Aglietta Michel et Brender, A., 1984, Les métamorphoses de la société salariale. La France en projet, Calman-Lévy, coll. « Perspectives de l’économique ».
  • Aglietta Michel et Rebérioux Antoine, 2004, Dérives du capitalisme financier, Albin Michel.
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  • Billaudot, B., 1996, L’ordre économique de la société moderne, Paris, L’Harmattan.
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  • Boyer Robert, 2004, Théorie de la régulation, 1. Les fondamentaux, Paris, La découverte, collection Repères.
  • Boyer Robert, 2004, Une théorie du capitalisme est-elle possible ? Paris, Odile Jacob.
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  • Delorme Robert et André Christine, 1983, L'État et l’économie, Paris, Seuil.
  • Lipietz Alain, 1979, Crise et inflation * pourquoi ?, Paris, Maspero.
  • Lipietz Alain, 1983, L’envol inflationniste, Paris, Maspero - La Découverte.
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  • Orléan André, 1999, Le pouvoir de la finance, Paris, Odile Jacob.
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  • Petit Pascal, 2005, Croissance et richesse des nations, Paris, La découverte, collection Repères.

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