Théorie Queer

Théorie Queer
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La théorie Queer (anglais : Queer Theory) est une théorie sociologique. Elle critique principalement l'idée que le genre sexuel et l'orientation sexuelle seraient déterminée génétiquement en arguant que la sexualité mais aussi le genre social (masculin ou féminin) d'un individu n'est pas déterminé exclusivement par son sexe biologique (mâle ou femelle) mais également par tout un environnement socio-culturel et une histoire de vie. Ce faisant, la théorie Queer se distingue aussi, parfois vigoureusement, des féminismes essentialiste ou différentialiste.

Cette théorie différencie donc sexe (mâle/femelle) et genre (masculin/féminin), par rapport à une société qui tend à considérer comme 'anormaux' les individus qui ne se situent pas dans la 'normalité' d'une hétérosexualité perçue comme naturelle et innée, avec un genre découlant du seul sexe acquis à la naissance.

Elle a ainsi pour conséquence (ou pour visée selon certains) de déculpabiliser les queers, en apportant des bases théoriques à leur personnalité au lieu de les poser en 'anomalies de la nature'.

Ce courant des « études du genre sexuel » (Gender studies) apparait au début des années 1990 aux États-Unis, au travers de relectures déconstructivistes, dans le prolongement des idées de Foucault et Derrida.

Sommaire

Description

La théorie

Considérant le genre comme un construit et non comme un fait naturel, la théorie queer est avant tout une possibilité de repenser les identités en dehors des cadres normatifs d'une société envisageant la sexuation comme constitutive d'un clivage binaire entre les humains, ce clivage étant basé sur l'idée de la complémentarité dans la différence et censé s'actualiser principalement par le couple hétérosexuel.

La théorie queer, avec son intérêt pour les implications de sexualité et genre, reste surtout une exploration de ces implications en termes d'identité. La nature provisoire de l'identité queer implique beaucoup de discussion (au niveau théorétique autant qu'au niveau social) sur la façon de définir l'adjectif « queer. »

La théoricienne queer Eve Kosofsky Sedgwick a exploré cette difficulté de définition, remarquant que même si le terme change beaucoup de signification selon qu'il s'applique à soi ou à un autre,

« "Queer" a l'avantage d'offrir, dans le contexte de la recherche universitaire sur l'identité de genre et l'identité sexuelle, un terme relativement neuf qui connote étymologiquement une traversée des frontières mais qui ne réfère à rien en particulier, laissant donc la question de ses dénotations ouverte à la contestation et à la révision. »[1]


Grâce à sa nature éphémère, l'identité queer, malgré son insistance sur la sexualité et le genre, semblerait s'appliquer à presque tout le monde : qui ne s'est jamais senti inadéquat face aux restrictions de l'hétérosexualité et de rôles de genre ? Si une femme s'intéresse aux sports, ou un homme au ménage, sont-ils donc queer ? Pour cette raison, la plupart des théoriciens queer insiste sur l'auto-désignation de l'identité queer.

Avec le genre, la sexualité compose un des thèmes principaux de la théorie queer, et comprend de la recherche sur la prostitution, la pornographie, le non-dit de la sexualité entre autres. Le terme queer, quand il est appliqué aux pratiques sexuelles, offre beaucoup plus d'innovation que d'autres termes comme « lesbienne » et « gay. » Lorsqu'un interlocuteur se désigne comme « queer », il est impossible de déduire son genre. Teresa de Lauretis, qui a été la première à employer le terme queer afin de décrire son projet théorique, espérait qu'il aurait des applications pareilles pour le rapport entre la sexualité et la race, la classe et d'autres catégories que le genre. Pourtant en dehors de l'université, quand le terme queer réfère à la sexualité, il est plus souvent un synonyme pour « gay et lesbienne », parfois « gay, lesbienne et bi » et moins souvent « gay, lesbienne, bi et trans ». L'exclusion commune des transgenres de cet usage populaire peut être dû au fait qu'un transgenre exprime des rapports différents avec le genre et la sexualité. Beaucoup de transsexuel(le)s, s'inspirant de la théorie queer aux niveaux sexuel et genré, préfèrent à se distinguer des transgenres traditionnels (les FtM et MtF qui affirment le binarisme du genre) par l'usage des termes « gender queer » et « FtN ou MtN » (femelle-à-neutre ou mâle-à-neutre).

Les enquêtes queer sur le genre cernent surtout les instances déviantes du genre (les transgenres, les gender-queers, et les travesties) ainsi que la séparation de genre et de sexe biologique. S'appuyant sur l'idée de la féministe Simone de Beauvoir qu'on « ne naît pas femme, on le devient », Judith Butler a été la première théoricienne queer à aborder cette séparation de sexe et de genre. La biologiste Anne Fausto-Sterling constate que la peur de la confusion de genres a poussé la science et la médecine à chercher des critères irréfutables de sexe anatomique et du genre psychologique. Son travail interroge les interventions médicales qui peuvent guérir la dysphorie du genre et l'hermaphroditisme.

Outre la sexualité et le genre, la théorie queer s'intéresse beaucoup à la parenté et aux revendications identitaires en général. La théoricienne queer Judith Butler a fait une exploration de la parenté dans son livre Antigone's Claim et de la question d'identité dans The Psychic Life of Power, où elle s'est donnée la tâche d'expliquer pourquoi on insiste sur une revendication identitaire qui peut mettre quelqu'un en danger (en suscitant une violence physique ou psychique). Presque tout le travail qui se proclame queer partage une résistance théorique à l'essentialisme et aux prétentions totalisantes, ce qui rend la théorie queer et le terme queer si difficiles à décrire.

Fêlures en théorie queer : L'université et l'anti-université

La pratique et l'engagement politique joue un rôle beaucoup plus important dans le travail qui se produit hors de l'université. Au contraire des théories féministes, la théorie queer à l'université s'intéresse moins au militantisme, d'où vient la rupture récente de la théorie queer. La production des textes queers non-universitaires est prodigue. Les zines (qui sont de petits textes publiés par un particulier, typiquement avec un photocopieur, qui précèdent le blog, même si les zines existent toujours, ils sont à présent moins courant que les blogs) et les blogs sont notables parmi les textes qui sont le résultat d'un mouvement qui privilégie tant l'auto-identification et l'importance de raconter son histoire soi-même. Les blogs ont visiblement amélioré l'accès d'une audience trans aux informations (et images) précises de ce qu'on peut attendre d'une transition chirurgicale. Les textes les plus influents sur la population queer depuis les années 1990, cependant, sont ceux qui proviennent du milieu queer populaire.

Dans Queer Theory, Gender Theory, Riki Wilchins, une trans, élabore une réfutation catégorique de la théorie universitaire à propos des queers, constatant que la théorie s'inspire toujours de la façon « bottom-up », et que les universitaires qui font la théorie queer l'ont volée aux queers populaires. Cette opinion s'entend de plus en plus parmi les queers, qui sentent que les universitaires parlent d'eux sans qu'ils puissent comprendre ce qui est dit. Il est possible que cette séparation très récente entre la théorie queer universitaire et la théorie queer populaire puisse être due au langage châtié des queers universitaires, notamment de Butler (qui a gagné des prix pour ses textes que plusieurs considèrent incompréhensible). De même, les universitaires qui font la théorie queer se sont probablement servis d'un tel langage à cause de leur statut ‘inférieur' à l'intérieur du monde universitaire.

L'autobiographie Stone Butch Blues, de Leslie Feinberg, a été peut-être les premières mémoires d'un trans à paraître. Ce texte influent n'est pas non plus le récit d'un simple mouvement d'une personne d'un genre à un autre ; Feinberg y montre toute une ambivalence vers les identités masculines et féminines et habite toujours la liminalité du genre et de la représentation. Dans Trans Warriors, Feinberg examine les perceptions corporelles qu'on utilise pour déterminer le genre d'une personne, y compris le statut des vêtements et les structures sociales qui ont historiquement été ouvertes ou fermées à la variance de genre.

En langage très clair et efficace, Kate Bornstein utilise un cahier d'exercices (My Gender Workbook) pour aider le lecteur à déconstruire systématiquement ses notions de rôles masculin et féminin. C'était Bornstein qui a été la première transsexuelle à proposer d'établir une catégorie de trans qui revendiquent l'identité queer ou trans au lieu de celle du sexe adopté.

Patrick Califia-Rice (qui a également publié sous le nom Pat Califia), est un écrivain et psychiatre. Il a publié des textes divers, y compris des romans pornographiques, de science-fiction et une histoire des transgenres. Califia défend la pornographie et la science-fiction, des genres souvent critiqués, à son avis, à cause des possibilités qu'ils offrent en tant que des lieux de résistance à la normativité sexuelle et genrée. Son travail Sex Changes traite l'histoire des transgenres à travers les domaines de biologie, psychanalyse, sociologie et dans la politique.

L'avenir de la théorie queer

Avec la critique de la théorie de la performance proposée par Butler dans Gender Trouble et la mort lente des troupes burlesques, des drag queens et drag kings, beaucoup de théoriciens queers sont actuellement à la recherche de nouvelles analyses de la résistance queer. L'essentiel de ce travail se produit dans les cadres de la littérature, la psychanalyse et la linguistique, mais également dans les domaines de la biologie et des sciences sociales (même si en raison de la rupture universitaire-populaire, il y a aujourd'hui davantage de résistances envers les chercheurs en sciences sociales).

Lee Edelman et d'autres mettent en rapport la théorie queer et la psychanalyse en examinant les notions lacaniennes de construction identitaire à travers l'acquisition du langage et le stade du miroir ; selon eux, la conscience de soi relève bien plus de la culture et du langage que de la biologie. Dans son texte No Future, Edelman s'appuie également sur le concept foucaldien du Biopouvoir en examinant la résistance des queers aux systèmes sociaux de reproduction (le mariage, la production des enfants). Anna Livia a fait paraître un travail linguistique (Pronoun Envy) sur l'usage 'queer' du genre grammatical en littérature française.

Après une décennie d'élaboration d'une théorie, une identité queer commence à se solidifier. Il existe cependant des désaccords entre les théoriciens privilégiant l'étude du genre et ceux s'intéressant plus spécifiquement à la sexualité, et entre les universitaires et anti-universitaires. Enfin, une autre fêlure est apparue entre les communautés queer et des féministes dits "de la deuxième vague". Avec ses ruptures multiples, la deuxième vague du féminisme a toujours ses fidèles, quoique certains se revendiquent d'une "troisième vague féministe" tandis que d'autres affirment que la théorie queer a provoqué un post-féminisme.

Notes

  1. « Queer » has the virtue of offering, in the context of academic inquiry into gender identity and sexual identity, a relatively novel term that connotes etymologically a crossing of boundaries but that refers to nothing in particular, thus leaving the question of its denotations open to contest and revision. (Extrait de son livre Epistemology of the Closet, aussi résumé dans le texte de Turner A Genealogy of Queer Theory, p.35.)

Bibliographie

En anglais
  • Kate Bornstein, Gender Outlaw: On Men, Women, and the Rest of Us - New York, Routledge, 1994.
    • My Gender Workbook: How to Become a Real Man, a Real Woman, the Real You, or Something Else Entirely. New York: Routledge, 1998.
  • Judith Butler, "Against Proper Objects." differences: A Journal of Feminist Cultural Studies (Summer-Fall 1994), 6(2-3): 1-27.
    • Antigone's Claim: Kinship between Life and Death. Wellek Library Lecture at the University of California, Irvine. New York: Columbia University Press, 2000.
    • Bodies that Matter: On the Discursive Limits of "Sex". New York & London:Routledge, 1993.
    • Gender Trouble: Feminism and the Subversion of Identity. Thinking Gender. New York & London: Routledge, 1990.
    • Psychic Life of Power: Theories of Subjection. Stanford: Stanford UP, 1997.
  • Pat Califia (a.k.a. Patrick Rice-Califia). Sex Changes: The Politics of Trangenderism. San Francisco: Cleis Press, 1997.
  • Lee Edelman, No Future: Queer Theory and the Death Drive. Durham: Duke UP, 2004.
  • Anne Fausto-Sterling, Myths of Gender. New York: Basic Books, 1992.
    • Sexing the Body: Gender Politics and the Construction of Sexuality. New York: Basic Books, 2000.
  • Leslie Feinberg, Stone Butch Blues. Ann Arbor: Firebrand, 1993.
    • Trangender Warriors: Making History from Joan of Arc to Dennis Rodman. Boston: Beacon Press, 1996.
  • Scott Gunther, The Elastic Closet: A History of Homosexuality in France, 1942-present. New York: Palgrave-Macmillan, 2009.
    • Alors, are we 'queer' yet?, The Gay & Lesbian Review, Volume XII, n° 3, mai-juin, 2005, pages 23-25.
  • David M. Halperin, Saint Foucault. Towards a Gay Hagiography. Oxford University Press, 1995.
  • Teresa de Lauretis, “Queer Theory, Lesbian and Gay Studies: An Introduction.” differences: A Journal of Feminist Cultural Studies 3/2 (Summer 1991; special issue), iii-xviii.
  • Carol Queen and Lawrence Schimel, ed. PoMoSexuals: Challenging Assumptions About Gender & Sexuality. 1997.
  • Eve Kosofsky Sedgwick, Between Men: English Literature and Male Homosocial Desire. New York: Columbia UP, 1992.
    • Performativity and Performance. New York: Routledge, 1995.
    • “Queer Performativity.” GLQ, vol. 1, no. 1, 1993, pp 1-16.
    • Tendencies. Durham: Duke UP, 1993.
  • William B. Turner, A Genealogy of Queer Theory. Philadelphia: Temple UP, 200.
  • Michael Warner, Fear of a Queer Planet. Queer Politics and Social Theory. Minneapolis: University of Minnesota Press, 1994.
  • Riki Wilchins, Queer Theory, Gender Theory: An Instant Primer. Alyson: Los Angeles, 2004.
    • Read My Lips. Ann Arbor: Firebrand, 1997.
En français
  • Gilles Deleuze et Félix Guattari, L'Anti-Oedipe,¨Edition de Minuit, 1972.
  • Ronald Laing, La politique de la famille, Edition Stock, 1979.
  • Marie-Hélène Bourcier éd., Q comme Queer, Lille, QuestionDeGenre/GKC, 1998.
  • Marie-Hélène Bourcier, Queer Zones, Paris, Balland, 2001 ; réédition revue et augmentée: Paris, Editions Amsterdam, 2006.
  • Marie-Hélène Bourcier, Sexpolitiques : Queer Zones 2, Paris, La Fabrique, 2005.
  • Judith Butler, Le Pouvoir des mots - Politique du performatif [Excitable Speech: A Politics of the Performative], trad. Charlotte Nordmann, Paris, Editions Amsterdam, 2004.
    • Humain, inhumain - Le travail critique des normes - Entretiens, trad. Jérôme Vidal et Christine Vivier, Paris, Editions Amsterdam, 2005.
    • Antigone : la parenté entre vie et mort, EPEL 2003 / 96 p. /
    • Défaire le genre [Undoing Gender], trad. de Maxime Cervulle, Paris, Editions Amsterdam, 2006.
  • Maxime Cervulle et Nick Rees-Roberts, Homo exoticus : race, classe et critique queer, préface de Richard Dyer, Paris, Armand Colin, 2010.
  • Eve Kosofsky Sedgwick,Epistémologie du placard, trad. de Maxime Cervulle, Paris: Editions Amsterdam, 2008.
  • Gayle Rubin / Judith Butler, Marché au sexe, EPEL 2002
  • Pat Califia, Le mouvement transgenre - Changer de sexe, EPEL 2003
  • François Cusset, Queer critics, la littérature déshabillée par ses homos-lecteurs, PUF, 2002.
  • Michel Foucault, Histoire de la sexualité, I, II, III. Gallimard. Paris. 1984.
  • Georges-Claude Guilbert, C'est pour un garçon ou pour une fille ? La dictature du genre, Autrement, Paris, 2004.
  • « Queer : repenser les identités », Rue Descartes, n° 40, mai 2003.
  • David M. Halperin, Saint Foucault, EPEL 2000
  • David Halperin, Oublier Foucault : mode d'emploi, EPEL 2004
  • Monique Wittig, La Pensée straight (The Straight Mind and Other Essays, Boston, Beacon Press, 1992), trad. de Marie-Hélène Bourcier, Paris, Balland « modernes », 2001 (réédition à paraître en 2007 chez Editions Amsterdam).
  • Association ZOO (Marie-Hélène Bourcier (dir.)), Q comme Queer : les séminaires Q de 1996, 1997, GKC, 1998.
  • Beatriz Preciado, Manifeste contra-sexuel, trad. de Marie-Hélène Bourcier, Paris, Balland, 2000.
  • Javier Sáez, Théorie queer et psychanalyse, trad. de Françoise Ben Kemoun, Paris, EPEL, 2005.
  • Michael Lucey, Les ratés de la famille. Balzac et les formes sociales de la sexualité, traduit par Didier Eribon, éditions Fayard, 2008.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes


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