Tarkovski

Tarkovski

Andreï Tarkovski

Andreï Tarkovski
Naissance 4 avril 1932
Zavrajye, URSS
Nationalité(s) URSS Soviétique
Décès 28 décembre 1986
Neuilly-sur-Seine, France
Profession(s) Réalisateur
Film(s) notable(s) L'Enfance d'Ivan,
Andrei Roublev,
Solaris,
Le Miroir,
Le Sacrifice

Andreï Arsenievitch Tarkovski (en russe : Андрей Арсеньевич Тарковский) est un réalisateur russe né le 4 avril 1932 à Zavrajye près de Iourievets (Russie) au bord de la Volga et mort le 28 décembre 1986 à Neuilly-sur-Seine d'un cancer du poumon. Il a été enterré au cimetière orthodoxe de Sainte-Geneviève-des-Bois aux côtés d'autres personnalités russes dont Ivan Bounine.

Son œuvre teintée de mysticisme est l'une des plus originales du cinéma du XXe siècle. Andreï Tarkovski est souvent considéré par la critique comme un des maîtres du Septième Art, à l'égal d’Ingmar Bergman, Luis Bunuel, Akira Kurosawa, Kenji Mizoguchi, Robert Bresson, Michelangelo Antonioni ou Federico Fellini (qui ont d'ailleurs tous été pour lui des modèles majeurs). Empreintes d'une pensée orthodoxe slave et de panthéisme, ses œuvres explorent le basculement de l'Homme vers la folie ou tentent de franchir la frontière ténue séparant l'imaginaire du rationnel, créant une imagerie hypnotique et visionnaire où s'entrelacent tout un réseau de symboles d'origine païenne ou chrétienne et une série de figures poétiques alliant le profane au sacré. La spiritualité, la présence de la terre et son union prophétique avec les trois autres éléments de la vie (eau, feu et air), la solitude des êtres, leurs rêves, leurs fantasmes, leur imagination et leurs tourments existentiels sont autant de thèmes chers à Tarkovski.

Sommaire

Biographie

Fils du poète Arseni Tarkovski, Andreï Tarkovski évolue dans un milieu qui le pousse à s'intéresser aux arts. « Sa mère avait senti en lui un tempérament artistique » affirme sa femme Larissa Tarkovskaïa. Il étudie ainsi la musique, la peinture, la sculpture, l’arabe (« Cette langue l'éblouissait parce qu'on y trouve des centaines de mots pour désigner le chameau »), jusqu'à se tourner vers la géologie en participant à une expédition d'un an en Sibérie. En 1956 seulement, il entre au VGIK (Institut fédéral d'état du cinéma), à Moscou. Il y suit pendant quatre ans la classe de Mikhaïl Romm : « Ce maître m’a appris à être moi-même. » tout en poursuivant en parallèle les cours d'une école de musique et d'une école de peinture. C'est à partir de là qu'il met en scène son premier court-métrage : Les Tueurs, adapté de la nouvelle d'Ernest Hemingway. En 1960, il réalise son film de fin d’études : Le Rouleau compresseur et le violon, un moyen-métrage en couleurs.

Son premier long-métrage L'Enfance d'Ivan le propulse sur la scène internationale grâce à l'obtention du Lion d'or à la Mostra de Venise en 1962. L'Enfance d'Ivan annonce un renouveau dans le cinéma soviétique, lui permettant enfin un détachement avec le réalisme social et l'arrivée de nouveaux auteurs. Souvent ennuyé par la censure, jugeant son œuvre non conforme aux impératifs de l'art national, il doit remanier le montage de ses films suivants notamment celui d' Andrei Roublev.

Après la réalisation de Solaris, c'est avec Le Miroir qui intègre dans son récit des épisodes de sa propre enfance et même des poèmes de son père, que son contentieux avec les autorités soviétiques qui jugent son film trop avant-gardiste l'oblige à émigrer pour trouver d'autres ressources financières, artistiques et professionnelles. Il achève néanmoins l'élaboration de Stalker d'après une nouvelle des frères Strougatski en Union Soviétique. Après plusieurs voyages en Italie, en Suède ainsi qu'au Royaume-Uni pour y monter l'opéra de Moussorgsky, Boris Goudonov, il décide finalement de revenir en URSS en 1981 pour retrouver son épouse Larissa et leur fils : Andreï Tarkovski Jr. Mais il quitte définitivement le pays l'année suivante, s'établissant en Italie où il y tourne Nostalghia co-écrit avec le scénariste de Michelangelo Antonioni, Tonino Guerra, un film sur la nostalgie que peuvent éprouver les russes très attachés à leurs racines. Pendant que Tarkovski est en Italie, Mosfilm empêche son fils Andriouchka, sa femme Larissa et leur chien Dakus de rejoindre Andreï par peur qu'ils ne reviennent en Union soviétique. Tarkovski est finalement rejoint quelques années après par sa femme Larissa en Italie. A Cannes, Nostalghia reçoit ex-aqueo avec L'Argent de Robert Bresson le Prix du cinéma de création.

La tombe de Andreï Tarkovski

Enfin, Ingmar Bergman invite Tarkovski à tourner Le Sacrifice sur son île, l'île de Farö. En décembre 1985, un cancer du poumon est détecté chez Andrei Tarkovski. Cette maladie avait déjà tué l'un de ses acteurs fétiches en 1982, Anatoli Solonitsyne. Après le tournage, grâce à François Mitterrand et à Jacques Chirac qui lui offre, en tant que maire de Paris à l'époque, un logement et des soins gratuits ; Andreï est hospitalisé à Paris. Il y retrouve enfin son fils Andreï le 19 Janvier 1986.

Il décède des suites d'un cancer du poumon le 28 décembre 1986 à Neuilly-sur-Seine en France. Il est inhumé le 3 janvier 1987 au cimetière russe orthodoxe de Sainte-Geneviève-des-Bois.

Le cinéma d'Andreï Tarkovski est unanimement reconnu. Il a particulièrement influencé Nuri Bilge Ceylan dans son film Uzak, Sharunas Bartas, Alexandre Sokourov ainsi que Andrei Zviaguintsev dont Le Bannissement a été considéré comme du Tarkovski de troisième zone par les critiques. Le dernier film de Lars Von Trier, Antichrist, est dédié à Andreï Tarkovski.

L'édition définitive de son Journal 1970 - 1986 est le document le plus intéressant pour en connaître davantage sur sa biographie.

Citations

« Celui qui trahit une seule fois ses principes perd la pureté de sa relation avec la vie. Tricher avec soi-même, c'est renoncer à tout, à son film, à sa vie. » Andreï Tarkovski.

« La liaison et la logique poétique au cinéma, voilà ce qui m'intéresse. Et n'est-ce pas ce qui convient le mieux au cinéma, de tous les arts celui qui a la plus grande capacité de vérité et de poésie ? » Andreï Tarkovski, Le Temps Scellé.

« L'image n'est pas une quelconque idée exprimée par le réalisateur, mais tout un monde miroité dans une goutte d'eau. » Andreï Tarkovski.

Aspects théoriques

Une expérience d'ordre temporel

Il y a une tendance à affirmer que le cinéma se résume à une simple synthèse des arts : Tarkovski s'oppose pleinement à le considérer tel quel. A l'instar de Robert Bresson qui était pour lui, le plus grand cinéaste du monde, le cinéma a une essence spécifique soumise à des lois qui lui sont propres, au même titre que la peinture ou la musique. Néanmoins, il ne refuse pas l'idée que ces arts peuvent avoir des interactions entre eux. Pour Tarkovski, le spectateur va au cinéma dans le but de retrouver le temps perdu (on imagine qu'il a lu Proust). Le temps est essentiel dans la construction de la personnalité de l'homme et c'est la raison pour laquelle le spectateur va au cinéma : pour vivre une expérience d'ordre temporelle, pour retrouver le temps passé, les souvenirs filtrés par la mémoire et le temps négligé. L'homme vit dans un espace-temps et n'existe pas en dehors du temps. Ce qui intéresse Tarkovski dans l'expérience cinématographique d'un spectateur, c'est l'interaction entre le temps du film et le temps vécu par le spectateur faisant de cette expérience, un moment infiniment intime et personnel.

Sculpter - fixer le temps, créer un rythme

Dans Le Temps Scellé, Tarkovski y fait la métaphore d'un sculpteur qui sculpte le temps pour désigner le rôle du cinéaste, celui de fixer, d'imprimer le temps sur la pellicule. C'est en fait dans cette idée que se cache toute la supériorité du cinéma et sa supériorité sur les autres arts. Le cinéma a cette force de pouvoir imprimer le temps réel, vécu, vrai ; la substance du cinéma est le temps. L'art du cinématographe (pour reprendre l'expression de Robert Bresson) est en d'autres mots l'art de traiter le temps avec le plus grand respect qui soit, reconstituer le temps vivant sans être trop singularisé. C'est la raison pour laquelle Tarkovski critique sévèrement Eisenstein dans son ouvrage : le montage d'Eisenstein mutile le temps (il cite pour exemple la bataille de la glace dans Alexandre Nevski), et c'est lui qui est à l'origine du rythme du film. Or Tarkovski s'intéresse à une mise en scène capable de créer le rythme ; il cite à ce propos un court-métrage de Marcel L'Herbier tourné en un seul plan-séquence. Les films de Robert Bresson sont eux aussi très découpés ; mais à la différence d'Eisenstein, ils parviennent à recréer un espace-temps à l'aide de connexions (les mains dans Pickpocket, par exemple).

Entre automatisme et contingence

Ce qu'il reproche dans un second temps à Eisenstein, c'est une volonté de maîtrise absolue lors de la création d'un film (particulièrement dans Ivan le Terrible). Il se rapproche sur ce point à nouveau de Robert Bresson. Il bascule tous deux entre une sorte de vouloir et de non-vouloir, privilégiant l'accident dans l'image, une image cinématographique contingente. Jacques Aumont dans Théories des cinéastes définit clairement cette intention : « Le film n'est pas quelque chose que l'on maîtrise et calcule ; il s'agit de créer ou recréer une expérience, qui doit être vécue pour la première fois lors du tournage. » Le tournage doit créer les conditions nécessaires qui viendraient favoriser l'accident. l'image n'a pas de lois formelles universelles, chaque œuvre doit inventer ses propres lois de la forme.

La vision utopiste de l'artiste

Tarkovski considérait l'art, la religion et la philosophie comme les trois piliers du monde qui peuvent permettre à l'homme de se détourner du matérialisme en Occident et de tendre vers la vérité. Son cinéma met en scène le conflit perpétuel entre spiritualité et matérialisme. Avec le cinéma (ainsi que l'ensemble des autres arts), Tarkovski espère en fait un détachement de l'homme de ses liens aliénants par l'évocation d'un sentiment à propos du monde grâce à un éveil des sens chez le spectateur. Le prétendu talent de l'artiste n'appartient en fait pas à lui mais à Dieu ; l'artiste doit se mettre tout entier dans sa création, se sacrifier au nom d'un devoir sacré qui lui a été confié : il est un porte-paroles. S'il renonce ou se détache de cette vocation, celle de glorifier le monde, sa reconnaissance ne sera qu'anthume.

Divergences et convergences entre Solaris, Stalker et 2001: L'Odyssée de l'espace

Aux origines de la prétendue querelle

Avant de tourner un projet autobiographique intitulé Une Journée blanche qui deviendra Le Miroir en 1974, il est proposé à Tarkovski de réaliser l’adaptation du roman de Stanislas Lem, Solaris comme si le régime soviétique semblait même vouloir rivaliser sur un plan artistique les Etats-Unis et son 2001 signé Stanley Kubrick. Seulement, Tarkovski dispose de moyens très limités, à l’image de sa liberté, qui ne lui permettront pas d’atteindre une qualité similaire des effets spéciaux de 2001 : l'odyssée de l'espace.

Il y a une tendance à considérer Solaris comme une réponse au 2001 de Stanley Kubrick. C’est à la fois vrai et faux. Vrai, car les idées d’Andrei Tarkovski divergent sur de nombreux points à celles du film de Kubrick. Faux, car le cinéaste soviétique n’a pas réalisé Solaris dans le but premier de prendre à contrepied 2001 : L’Odyssée de l’espace. Ces deux films vont bien au-delà du simple cadre formel qu’impose la science-fiction. Les deux auteurs en transfigurent suffisamment les codes pour qu’on puisse aller jusqu’à faire abstraction de l’aspect « science-fiction » pour mieux en comprendre les intentions, surtout en ce qui concerne particulièrement Solaris.

Une philosophie différente

Andrei Tarkovski : Un combat pour ruiner l’empire de la raison

L’œuvre entière d’Andrei Tarkovski constitue une véritable critique de la raison pure. Là où Kant instaurait des limites à la connaissance, Andrei Tarkovski condamne toute prétention humaine au savoir, considérant la vérité comme un idéal inaccessible. C’est ainsi que dans Stalker qui marque la seconde intrusion de Tarkovski dans le domaine de la science-fiction, le cinéaste continue de mener un combat pour anéantir l’empire de la raison. La séquence finale du film dans laquelle une jeune fille pousse un verre avec ses yeux ; en même temps d’abolir l’absoluité des lois naturelles, veut prouver que la science ne peut démontrer l’impossibilité du miracle. Il laisse le champ-ouvert au non-rationnel. On pense à l’expérience de Descartes qui a tenté de prouver scientifiquement l’existence de Dieu. La science n’est pas légitime quant elle cherche à dire la vérité sur des problèmes d’ordre métaphysique. Dans un second temps, Stalker se fonde sur une confrontation perpétuelle entre deux esprits très différents. La figure de l’écrivain, qui est à ne pas douter une des facettes du cinéaste, traduit cette position désabusée à l’égard du monde. Il tente en vain de contrer le Professeur qui considère le respect du mystère comme un péché. Alexandre du Sacrifice est un digne héritier de la pensée de l’écrivain de Stalker. Il définit la science comme une « ascension des marches d’un escalier sans fin. » Alexandre est d’ailleurs l’une des ces figures de l’irrationalité que l’on retrouve dans toute l’œuvre de Tarkovski. Ils sont comme les hommes enchaînés de L’Allégorie de la caverne de Platon dont la folie ou les évènements miraculeux qui leur arrivent sont les résultats d’une transcendance. On pense à Alexandre du Sacrifice qui est conduit en hôpital psychiatrique, au bouffon de la séquence d’ouverture d’Andrei Roublev ou bien encore au Domenico de Nostalghia dont la folie qui est le fruit de l’inspiration divine est comme un appel vers un ailleurs.

Dans Le Temps Scellé, le cinéaste affirme que si on ne peut connaître l’absolu, on peut au moins l’étreindre par l’art et la nature qui sont porteurs de transcendance. L’ouverture de Solaris débute sur des plans d’une nature en mouvement qu’observe Kris Kelvin comme si elle possédait en elles les vertus pour mieux affronter Solaris. Plus tard, l’absence de nature perturbe particulièrement les scientifiques qui tentent de reproduire le son des feuilles au vent à l’aide d’un ventilateur. L’art est aussi présent comme moyen de se ressourcer. Les Chasseurs dans la Neige de Bruegel rappellent les désirs – maison, enfants, chien - auxquels aspirent Kris Kelvin. Dans Stalker, l’écrivain dit que la musique est ce qui permet d’ouvrir le cœur des hommes au sacré. C’est ainsi que les notes de Jean-Sébastien Bach qu’aimait tant Tarkovski viennent tour à tour envahir les images du Miroir ou du Sacrifice tout comme les tableaux de Léonard de Vinci.

2001 : L’Odyssée de l’espace, l’homme attaché à ses outils

Un point identique rapproche 2001 au film de Tarkovski. Les deux films explorent les possibilités de notre civilisation à engendrer une nouvelle aube de l’humanité. Dans 2001, Bowman se retrouve enfermé dans un décor de style XVIIe siècle avant de créer une nouvelle humanité. La séquence de fermeture semble d’apparence plus optimiste que celle de Solaris. Dans Solaris, c’est une image de l’océan de Solaris avec un travelling arrière qui montre cette possibilité. Kris Kelvin a cheminé le long de sa conscience pour qu’il s’enferme finalement son passé, autrement dit, dans l’environnement qu’a recrée Solaris à partir de ses souvenirs qui se sont matérialisés. Tarkovski n’aimerait guère qu’on qualifie cette dernière séquence de « pessimiste » car il aimait répéter ce proverbe russe : « Un pessimiste est un optimiste bien informé. » pour montrer que ces deux notions sont vides de sens.

Et finalement, Kubrick n’est pas si optimiste que ça. On connaît l’orientation philosophique de 2001 : L’Odyssée de l’espace en raison des nombreuses références que profère le film de Kubrick. La séquence d’ouverture où les trois astres – soleil, terre et lune - s’alignent sur les notes célèbres de l’introduction d’Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss. Mais c’est surtout la structure narrative de 2001 qui est flagrante. En effet, elle suit la même progression que celle de Nietzsche. Le fameux monolithe noir apparaît aux quatre moments-clés dans l’évolution de l’homme. Tout d’abord, quand le singe adopte la technique, les rôles s’inversent. Il n’est plus une proie mais un prédateur car il va se servir de l’outil comme arme. Et c’est dans une ellipse temporelle de plusieurs millions d’années que l’outil se transforme en arme atomique. L’homme en sera allé jusqu’à là. Dans la partie avec les astronautes, on comprend que la technique et l’homme-machine ont surpassé l’humanité. Rien de très optimiste dans ce message. Mais Bowman après le meurtre de son confrère par HAL 9000 reprend le dessus en « tuant » HAL. L’image finale de fœtus est l’une des étapes suivantes de l’évolution de l’homme, incarnant ainsi le Surhomme, celui qui a « transfiguré son existence » selon la définition de Nietzsche. Si on ne peut pas parler d’optimisme, c’est parce que Nietzsche dit que le Surhomme n’a jamais existé et qu’il y a peu de chance pour qu’il le soit un jour mais en revanche, cette dernière image est porteuse d’un espoir particulièrement profond.

Il y a chez Kubrick, une vision déterministe du monde qui s’incarne dans 2001 par le fameux monolithe noir dont la signification varie d’une personne à l’autre. Pour certains, il s’agit du signe d’une présence extraterrestre et pour d’autres, Dieu. Mais peu importe, il est le signe que les singes et les hommes sont des serviteurs passifs manipulés, tout comme les soldats dans Les Sentiers de la gloire ou Alex dans Orange Mécanique.

Une conception du cinéma différente

Sculpter le temps

Cf. "Œuvre"

« Fuir les théories. »

Stanley Kubrick est un cinéaste particulièrement complet qui a touché à tous les genres en sachant en transcender les codes, un grand auteur moderne qui a cherché à se renouveler et à se surprendre soi-même et les autres. « Fuir les théories. » C’est tel quel que Michel Ciment exprime la position de Kubrick face aux théories dans son célèbre ouvrage, Kubrick. Ce qui est évidemment récurent chez Stanley Kubrick, c’est l’angoisse des personnages qui modifie leur propre vision du temps et de l’espace. On pense au labyrinthe de Shining. L’hôtel est l’espace qui métaphorise l’esprit de Jack Torrance. Il y a un traitement proche de l’expressionnisme chez Kubrick. « Dominé par la peur du monde, l'esprit humain ne voit plus que dans l'agressivité, l'ultime moyen de dominer à son tour [...] Le corps tente d'échapper à la peur dictée par l'intelligence, au contrôle obsessionnel de l'esprit qui l'aliène. » C’est évidemment une idée qu’on retrouve tout au long de 2001 aux quatre étapes de l’évolution de l’homme.

Kubrick et Tarkovski sont de culture différente. L’un est américain, l’autre est slave. Leur culture, les références qui les ont nourris (Dostoïevski pour Tarkovski ; le cinéma américain pour Kubrick, Welles, Hughes…) sont à l’origine d’une vision différente du cinéma. Chez Tarkovski, on retrouve toute la spiritualité et l’attachement aux racines slaves de l’âme russe. Mais deux points qui rapprochent Kubrick et Tarkovski, c’est en premier lieu, leur recherche de la sensation chez le spectateur. Le cinéaste américain le dit d’ailleurs clairement lui-même. Les possibilités d’interprétation sont infinies et Kubrick, de manière presque didactique nous dit que nous sommes « libres de nous interroger tant que nous voulons sur le sens philosophique et allégorique du film – et une telle interrogation est une indication qu'il a réussi à amener le public à un niveau avancé - mais je ne veux pas donner une grille de lecture précise pour 2001 que tout spectateur se sentirait obligé de suivre de peur de ne pas en saisir la signification. » Le choix d’un rythme lent est évidemment lié à la longue spéculation qu’offre 2001. Chez Tarkovski, c’est différent (cf. plus haut). Il s’agit ici d’un moyen pour privilégier les germes d’une réflexion chez le spectateur et par la lenteur, le temps de laisser approfondir son interprétation personnelle ainsi que d’éveiller ses sens.

« J'ai essayé de créer une expérience visuelle, qui contourne l'entendement et ses constructions verbales, pour pénétrer directement l'inconscient avec son contenu émotionnel et philosophique. J'ai voulu que le film soit une expérience intensément subjective qui atteigne le spectateur à un niveau profond de conscience, juste comme la musique ; "expliquer" une symphonie de Beethoven, ce serait l'émasculer en érigeant une barrière artificielle entre la conception et l'appréciation. » Stanley Kubrick

Filmographie

Voir aussi

Bibliographie

Ouvrages d’Andreï Tarkovski en traduction française :

  • Andreï Tarkovski, Le Temps scellé : de L'Enfance d'Ivan au Sacrifice, trad. Anne Kichilov, Charles H. de Brantes, Paris, Éditions de l'Étoile / Cahiers du cinéma, 1989.
  • Andreï Tarkovski, Journal 1970-1986, trad. Anne Kichilov, Paris, Cahiers du cinéma, 1993.
  • Andreï Tarkovski, Œuvres cinématographiques complètes, trad. André Markowicz, Nathalie Armagier, Sophie Benech et al., Paris, Exils littérature, 2001, 2 vol.
  • « De la figure cinématographique », Positif no 249, décembre 1981.
  • « Dostoïevski au cinéma », Cahiers du cinéma, no 476, février 1994.

Pour une première approche :

  • Antoine de Baecque, Andreï Tarkovski, Paris, Cahiers du Cinéma. Larissa Tarkovski, Andrei Tarkovski, collab. Luba Jurgenson, Paris, Calmann-Lévy, 1998.
  • Bálint András Kovács, Ákos Szilágyi, Les mondes d'Andreï Tarkovski, trad. Véronique Charaire, Lausanne, [Suivi de Freddy Buache, « Andreï Tarkovski et le sacrifice »], L’Âge d’homme, « Histoire et théorie du cinéma », 1990.
  • Petr Kràl "La Maison en feu", Positif, no 304, juin 1986.
  • Philippe Sers, Icônes et saintes images : la représentation de la transcendance, Paris, Les Belles Lettres, 2002.

Pour aller plus avant :

  • Vincent Amiel, "Mon fils, ou l'avenir de ma mémoire", Positif, no 324, février 1988.
  • Robert Bird, "Andreï Roublev d'Andreï Tarkovski", éditions de la Transparence, Paris, 2008.
  • Aldo Tassone, "Entretien avec A. Tarkovski", Positif, no 247, octobre 1981.
  • Collectif, Andrei Tarkovski [Dossier Positif/Rivages], Paris, Rivages, 1989.
  • Guy Gauthier, Andrei Tarkovski, Paris, Edilig, 1988.
  • Gérard Pangon, Pierre Murat, Andreï Tarkovski : 1986, Paris, Arte / Mille et une nuits, « Cannes, les années festival », 1997.
  • Luca Governatori, Andreï Tarkovski, l'art et la pensée, Paris, L'Harmattan, "L'art en bref", 2002.
  • Jean-Loup Passek (dir.), Le cinéma russe et soviétique, Paris, Éd. du Centre Pompidou, « Cinéma Pluriel », 1981.
  • Collectif, Andrei Tarkovski Dossier de la revue Nunc, Paris, éditions de Corlevour, 2006. Avec des textes inédits du cinéaste.
  • John Gianvito, Andreï Tarkovsky. Interviews, University Press of Mississippi, 2006.
  • Pilar Carrera, Andrei Tarkovski. La imagen total, Buenos Aires, Fondo de Cultura Económica, 2008.

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