Su Shi

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Su Shi

Su Shi (蘇軾, simplifié : 苏轼) ou Sou Che ou Su Shi, appelé aussi Su Dongpo (蘇東坡, simplifié : 苏东坡) ou Sou Tong-P'o ou Su Tung-P'o, surnom: Zizhan, nom de pinceau: Dongpo Jushi, né en 1037, originaire de Meishan province du Sichun, mort en 1101. XIe siècle. Calligraphe, poète et peintre chinois.

Sommaire

Approches de la peinture chinoise

Au début du XIe siècle, la constitution d'un État barbare le royaume Tangut des Xia de l'Ouest, ferme à la Chine l'Asie centrale. On voit se modifier les structures sociales dans un pays où les échanges intérieurs deviennent plus intenses. Le déplacement du centre de l'Empire vers le Sud-Est s'accentue, le commerce d'outre-mer se développant, la Chine entre dans les temps modernes. L'évolution de la culture n'est pas moins évidente. On voit se développer l'esprit de la recherche en matière scientifique et historique[1].

Il n'est pas un domaine de l'activité culturelle de son époque, littérature, politique, poésie, calligraphie et peinture, auquel ne soit liée cette prestigieuse figure, l'une des plus humaines et des plus séduisantes de l'humanisme chinois. Type même du lettré, c'est un homme politique engagé dans les luttes qui partagent ses contemporains, haut fonctionnaire mais aussi esthète raffiné cultivant tous les arts, la conversation avec des lettrés, des moines ou des courtisanes, la musique, tous les genres littéraires, la calligraphie et la peinture où Su Shi ne passe pour maître[2].

Biographie

Né dans l'ouest chinois, terroir de vieille culture, il est issu d'une famille paysanne récemment passée au mandarinat. Son père, Su Xun (1009-1066) est un lettré de talent, ainsi que son frère Su Che (1039-1112); ils forment d'ailleurs un trio littéraire appelé «les trois Su». En 1057, il passe les examens impériaux à la capitale et devient «jinshi» (lettré présenté); il fréquente les éminents lettrés du temps, Ouyang Xiu et Wang Anshi, se trouvant dans les rangs du parti conservateur, ce qui l'empêche de faire carrière à la capitale. Il est donc nommé vice-gouverneur de Hangzhou province du Zhejiang, charmante cité au bord du Lac de l'Ouest, ceinte de collines boisées de bambous, puis gouverneur de plusieurs villes du nord et du centre de la Chine, de 1074 à 1079, date à laquelle il est brusquement arrêté et emprisonné pour avoir calomnié l'empereur dans ses écrits. Il est exilé sur les bords du Yangzi où, jusqu'en 1086, il cultive la terre pour vivre[2].

Du pouvoir à l'exil

Rappelé à la cour, il est nommé Premier Ministre, et occupe cette fonction pendant quelques années avec la protection de l'impératrice douairière et malgré les vives attaques dont il est l'objet. Il quitte sa charge en mars 1089 et, en 1094, est de nouveau exilé politique, d'abord dans la région de Canton puis dans l'île tropicale de Hainan. En 1100, la mort de l'empereur Song Daozang[n 1] lui permet de quitter son lointain exil, mais il meurt avant d'avoir regagné la capitale. Son caractère franc, spontané et libre explique sans doute cette vie mouvementée dont il y a peu d'exemples dans l'histoire chinoise[3].

Son influence sur l'Esthétique

Dans le domaine de l'esthétique, ses jugements et ses attitudes exercent une influence considérable. Une grande part du bagage fondamental et anonyme de l'esthétique chinoise, jusqu'à nos jours, tire son origine de ses écrits et c'est à lui que revient l'honneur d'avoir énoncé les principes du «werren hua», la peinture de lettré. Il contribue, en effet, à dégager la notion d'un art pictural affranchi des exigences de la figuration formelle mais qui s'attache à correspondre avant tout à celles de l'esprit, en exprimant l'élan intérieur du peintre. Cette théorie porte la marque de sa formation confucéenne, selon laquelle, les diverses manifestations artistiques, poésie, musique, calligraphie et peinture sont les véhicules de l'être profond de leurs auteurs[4].

Il décrit admirablement les processus spirituels de la création picturale, laquelle, à son acmé, doit être le fruit d'une véritable identification du peintre à l'objet de sa peinture. Celui-ci élabore un langage à partir de son modèle: le mode de cette transformation, la nature de son tracé et des formes nées sous sa brosse sont révélateurs de son état d'esprit à ce moment précis. «Toute personne qui parle de ressemblance en peinture», dit Su Shi, «est bonne à renvoyer chez les enfants». Nous sommes en présence d'une formulation infiniment précoce d'idée et de concepts qui atteignent la seconde moitié du XIXe siècle pour faire leur chemin en Occident[5].

Sa conception picturale

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On ignore s'il subsiste encore des œuvres de Su Shi mais l'on sait par contre, qu'il affectionne particulièrement les bambous et les vieux arbres, thème qu'à sa suite ses nombreux disciples adoptent presque tous. En réalité, le sujet traité a moins d'importance que les qualités formelles liées au pinceau dont toutes les ressources sont mises en jeu, à l'encre, de la plus pâle à la plus foncée, de la plus sèche à la plus humide, qui doit assurer un large éventail des textures, et au papier, partie prenante dans la richesse de la surface picturale[6]. «Pour peindre le bambou, il faut l'avoir entièrement en soi», écrit-il, «Saisissez le bambou, regardez intensément le papier, puis évoquez ce que vous allez peindre. Suivez votre vision, levez votre pinceau et poursuivez immédiatement ce que vous voyez». Car, ajoute-t-il encore, «la poésie et la peinture naissent de la même loi, de l'œuvre du ciel et de la spontanéité». Et enfin, «l'honnête homme promène son attention sur les choses, mais il ne s'y attache point». Ces conceptions picturales n'ont jamais fait l'objet d'un traité systématique de la part de leur auteur; elles sont éparses dans une masse considérable d'écrits divers, courts essais, écrits de circonstance et surtout, innombrables inscriptions de peintures[7].

En littérature, de grands poètes s'expriment. Un genre nouveau se développe, le ci, poème chanté en vers irréguliers alliés à des structures d'origine populaires. Les ci de Su Shi sont parmi les plus beaux du XIe siècle. C'est aussi à Su Shi qu'est dû l'accent porté sur l'intime relation de la peinture à la poèsie. Avec le sentiment de l'intériorité de la peinture se développent de nouvelles conceptions esthétiques. A l'époque des Song du Nord, la peinture cesse d'être considérée comme une activité artisanale. Elle s'égale à la calligraphie l'art des grands lettrés, le premier des arts[8].

Les jeux de l'encre et les loisirs des lettrés

Parmi les poètes, Huang Tingjian, calligraphe réputé, est, avec Su Shi et Mi Fu, l'un des hommes qui ont le plus contribué à définir les conceptions esthétiques des lettrés. Pour Su Shi, le peintre lettré (shiren) est essentiellement un poète. S'inspirant de sa propre expérience, il dit: «J'écris pour donner pleine expression à mon esprit. Je peins pour satisfaire en moi l'idée, et c'est tout»[n 2]. La recherche de la ressemblance lui paraît secondaire, quand elle s'arrête à l'apparence extérieure. La peinture véritable saisit toute chose en son principe. «En discutant peinture, j'ai dit que les hommes et les animaux, les édifices et les ustensiles, possèdent tous une forme constante (chang xing). Quant aux montagnes et aux pierres, aux bambous et aux arbres, à l'eau et aux vagues, si à toutes ces choses la forme constante fait défaut, pour toutes il existe un principe interne, qui fait être ce qu'elles sont»[n 2],[9].

Sa philosophie du poème à la peinture

Ce texte est bien connu. Il met en évidence l'importance attachée par Su Shi à la convenance de la représentation avec l'intime nature de l'objet représenté. Pour ne pas se laisser prendre au piège de la forme extérieure (xing), il n'est que de posséder une culture suffisante. L'«esprit» (shen) respire en toutes choses. L'homme vrai écoute, éprouve et fait l'unité. «Les lettrés des monts et des vallées» (qiuhuozhishi) se rendent visite et échangent leurs richesses. Sur un paysage peint par l'un d'eux, des amis écrivent chacun un poème[10].

La relation d'équivalence entre la poésie et la peinture est fortement éprouvée sous les Song. Su Shi le formule le premier à propos d'un poème de Wang Wei. Il l'exprime aussi en écrivant: «Les poèmes de Du Fu sont des peintures invisibles, et les peintures de Han Gan sont des poèmes muets». La nature de cette relation entre deux expressions d'une idée unique, deux aspects d'une même discipline, est analysée avec maîtrise[n 3]. Nous retenons seulement ici ce qui conclut cette analyse. «L'expression ‹dans toute peinture il y a une poésie› ne désigne pas une peinture poétique, mais la peinture à son plus haut degré d'abstraction, et cette poésie qui constitue son noyau n'est pas celle, réaliste et concrète, des poèmes: c'est la poésie à l'état pur»[11].

Nous sommes ici au cœur le plus profond de l'expression lettrée qui est pur détachement. Voici en quels termes Su Shi previent le prince Wang, son ami, contre toutes les formes d'attachement: «L'‹homme supérieur› (junzi) peut laisser ses penser se poser momentanément sur les choses, mais il ne doit pas permettre à ses pensées de se laisser retenir par les choses. Qui laisse sa pensée se poser momentanément sur les choses, un rien suffit à le réjouir, alors que même une chose importante ne suffit pas à l'affecter». Rester libre, garder son esprit en état de vacance, tel est le secret de la joie[11].

L'appartenance à une élite sociale oblige les peintres lettrés au respect de certaines hautes convenances. Le Huaji (1167) ouvrage traitant de la peinture sous les Song, confirme l'importance accordée, à l'époque, au statut social. L'empereur Huizong figure seul dans la première section et la deuxième est réservée aux princes de sang. Les notices consacrées aux hauts fonctionnaires qualifiés pour leur sagesse et leur talent sont groupées dans une troisième section. Su Shi et Li Longmian, Huang Tingjian et Mi Fu appartiennent à cette catégorie[12].

Ode à la falaise rouge

Su Shi écrit deux odes à la Falaise rouge pendant son séjour à Hanggou:

  • Attribué à Zhu Rui (actif fin du XIIe siècle puis à Wu Yuanzhi :Illustration de la première Ode à la falaise rouge. Rouleau en longueur, encre sur papier. 50,8x1360cm. Taipei (Taïwan), National Palace Museum.
Cette œuvre de Zhu Rui (actif début XIIe siècle), est réalisée avec force. Les hautes falaises s'élèvent à la verticale sur la ligne horizontale des eaux. La rivière coule, impétueuse dans les défilés rocheux, paisible quand le paysage s'ouvre sur un large horizon. Une barque frêle emporte les promeneurs dans le flot. Su Shi chante, un de ses amis l'accompagne sur sa flûte. Les notes gémissent dans la nuit éclairée par la lune. Au pied de la Falaise rouge, sur le fleuve bleu, Cao Cao, après avoir unifié la Chine du Nord, puis vaincu par les Jin dans une bataille navale (208)[n 4],[13].
  • Attribué à Qiao Zhongchang (actif 1er moitié du XIIe siècle :Illustration de la deuxième Ode à la Falaise rouge. Rouleau en longueur, encre sur papier. 29,5x5600cm. New York collection John M. Crawford.
Au bord du Yangzi Jiang, entre 1080 et 1084. u Shi se rend en barque, une nuit de pleine lune, jusqu'à la Falaise rouge, non loin du lieu où, au IIIe siècle, a été détruite la flotte de Cao Cao[13].

Le Chan et la peinture

Sous les Song, les deux écoles Caodong et Linji poursuivent leur développement. Le mouvement de l'Illumination silencieuse (mochao) naît de la première, et le kanhua chan de la seconde. Le mochoa chan est quietiste, le kanhua chan, tout au contraire, met l'accent sur le caractère soudain de l'Eveil. L'influence du Chan sur la poésie est considérable à partir du milieu de la dynastie Tang. Nous rappelons que la poésie est une peinture invisible, et la peinture un poème visible «qu'il faut entendre par les yeux». Si l'apport du Chan à l'esthétique chinoise est aussi évident dans le domaine de la peinture que dans celui de la poésie, il l'est surtout à partir de l'époque Song. «Depuis les temps anciens, écrit Su shi, les peintres ne sont pas des peintres ordinaires. Leur intuition merveilleuse de la réalité se manifeste de la même manière qu'en poésie»[n 5],[14].

Les peintres lettrés et Chan de la période Song

L'honneur de l'avoir énoncée revient à un cercle de lettrés dont le personnage central est le poète, le prosateur, homme d'État, calligraphe et peintre, Su Shi. Ce dernier et Huang Tingjian, confucéens dans leur comportement, semblent avoir accordé au fil des années une importance de plus en plus grande à la méditation. Comme celle de Li Longmian, leur vie intérieure s'alimente aux deux sources du taoïsme et du bouddhisme. Dans son expression subitiste, le Chan rejoint le spontanéisme taoïste. Chez Huang Tingjian, la référence au Chan est fréquente. Pour Su Shi, l'essentiel est la concentration. Frappé par la disgrâce, il médite dans un temple bouddhiste au sud de Hangzhou. La même année (1080) le trouve enfermé dans un temple taoïste. L'essentiel est d'atteindre à l'univers intérieur. Alors, écrit-il: «j'ai commencé à faire l'expérience d'un grand bonheur» [n 6],[15].

Su Shi écrit et peint pour sa joie personnelle Les puristes lui reprochent certaines défaillances techniques. Mais les connaisseurs perçoivent, sous ces dehors «maladroits» (zhuo), le battement d'un esprit tendu vers l'expression de son être intime: «Mieux vaut un cheval boiteux qu'une belle bête confinée à l'écurie». En calligraphie, la recherche de la spontanéité aux dépens de la perfection technique est, à l'époque, une réaction contre la correction élégante des calligraphes académiciens. Comme Su Shi, Mi Fu juge détestables les imitations mortes. Il reçoit un jour Su Shi à Yongqiu[7], quand son hôte arrive, tout est prêt pour quelques heures de libre jeu: deux tables, des pinceaux, de l'encre, trois cents feuilles de papier, des mets et du vin. Pour chaque coupe vidée, une feuille est étalée, les deux amis écrivent d'un pinceau rapide. Le soir tombé, le vin épuisé, les feuilles aussi, ils se séparent. Jamais ils n'avaient aussi bien écrit. Su Shi peint ses bambous comme il trace ses caractères, d'un seul élan presque viscéral. L'ivresse libère en lui l'influx créateur et il éprouve en lui la croissance des bambous[16].

Œuvres peintes

Bibliographie

  • Dictionnaire Bénézit, Dictionnaire des peintres,sculpteurs, dessinateurs et graveurs, vol. 13, éditions Gründ, janvier 1999, 13440 p. (ISBN 2700030230), p. 369-370 
  • Nicole Vandier-Nicolas, Peinture chinoise et tradition lettrée, Éditions du Seuil, 1983, 259 p. (ISBN 2020064405), p. 78, 91, 92, 109, 114, 116, 118, 119, 124, 129, 134, 144, 149, 150, 169, 172, 179, 180, 201, 204, photos= 67-93 
  • Yang Xin, Richard M. Barnhart, Nie Chongzheng, James Cahill, Lang Shaojun, Wu Hung (trad. Nadine Perront), Trois mille ans de peinture chinoise, Éditions Philippe Picquier, 1997, 4 02 p., p. 3, 111, 121, 125, 140, 185, 191, 233 
  • James Cahill (trad. Yves Rivière), La peinture chinoise - Les trésors de l'Asie, éditions Albert Skira, 1960, 212 p., p. 89, 91, 94, 95, 113, 161, 188 

Notes et références

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Notes
  1. A vérifier. Si l'on fait le rapprochement entre la mort de l'empereur et celle de Su Shi qui suit de près, il s'agit plutôt de l'empereur Song Zhezong (1076-1100)
  2. a et b Recueil des œuvres de Su Shi, Écrits en prose, IX, 49, éd. chinoise Jingjin Dongpo wenji shilu, Pékin, 1957
  3. Cf. Ryckmans, 1970, p. 97-99
  4. Cf. Jingjin Dongpo wenji shilüe (Recueil d'œuvres littéraires de Su Dongpo),I, chap. 1. Deux odes (fu) composées par Su Shi sur ce thème
  5. Bush, 1971, p. 30, et jizhu fenlei, Tongpoxiangsheng shi (Recueil des poèmes de Su Shi), X. 24, 39a
  6. Cf.Lin Yutang, The Gay Genius, The Life and Times of Su tungpo, New York, 1947, p. 203ss
Références

Voir aussi


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