- Sociologie de la justice sociale
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La question de la justice sociale constitue un objet sociologique récent[1].
Il semble que la « nouveauté » de cet objet puisse être expliquée de deux façons. D'une part, l'analyse sociologique de la justice sociale est limitée par l'unilatéralité des modèles théoriques dominants qui sont fondés :
- soit sur une approche formelle des règles de justice (Rawls, Habermas, Nozick, Dworkin)
- soit sur une réduction analytique de la complexité des situations sociales (Walzer, Hayek, Dupuy).
D'autre part, l'analyse sociologique de la justice sociale est traversée par deux grandes perspectives divergentes :
- une perspective cognitiviste où la justice sociale est surtout saisie sous un aspect normatif (Raymond Boudon, Kellerhals, Forsé et Parodi, Demeulenaere)
- et une perspective pragmatique où la justice sociale est plutôt comprise comme une aspiration critique du sujet individuel (Dubet, Luc Boltanski et Thévenot, Honneth, De Singly).
Synthèse
Il semble néanmoins possible de développer une perspective synthétique, qui réinscrit la question de la justice sociale dans le cadre de l'individualisme démocratique inhérent à la modernité avancée[réf. souhaitée]. L'antithèse classique entre égalité et liberté permet d'abord de situer l'analyse sociologique de la justice sociale par rapport au modèle abstrait de la « communauté des citoyens » (Dominique Schnapper). L'exigence de justice sociale apparaît en effet indissociable du cadre juridique tendu par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : les justifications sociales se formulent toujours en termes de « droit à » (droit à la diversité, droit à la différence, droit à l'authenticité…). La pluralité des principes, l'hétérogénéité des biens sociaux, la multiplicité des situations et des dimensions recouvertes par la justice sociale invitent ensuite à dépasser les modèles dominants dans le champ de la philosophie et de l'économie politique.
Il s'agit alors de montrer que les normes de justice sociale sont le plus souvent combinées de façon complexe. D'un côté, les inégalités sociales ne sont susceptibles d'être considérées comme « justes » que lorsqu'elles sont issues de la libre compétition entre des individus définis comme égaux (le modèle de "l'égalité méritocratique des chances" - François Dubet - associant ici la norme de l'égalité et la norme du mérite). Mais d'un autre côté, la valeur d'équité liée une conception renovée de la justice distributive (Rawls) s'impose comme une modalité d'ajustement à la marge du modèle de "l'égalité méritocratique des chances" (la justification consistant alors à « donner plus à ceux qui ont moins »).
L'antinomie entre égalité et équité met latéralement en évidence une priorité croissante de la question de la reconnaissance (Nancy Fraser) sur la question de la redistribution. Cette priorité autorise à coupler, de façon potentiellement concurrente, la norme sociale du besoin et la norme sociale de l'autonomie : être juste, ce n'est plus seulement garantir l'égale liberté de tous ; mais c'est également reconnaître à l'individu le droit d'être "ce qu'il est" (Will Kymlicka).
La « passion de l'égalité »[2] (Tocqueville) ouvre donc sur une dynamique inquiète de reconnaissance des mérites et des besoins individuels. Elle entraîne une définition paradoxale du sujet, qui aspire tout à la fois à une valorisation de sa singularité et à une justification des inégalités sociales. La justice sociale peut finalement être appréhendée, d'un point de vue sociologique, comme un mode de régulation des tensions normatives sous-jacentes à l'individualisme démocratique.
Notes
- [1] groupe de travail de l'association française de sociologie sur le sujet
- Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique « Les hommes veulent l’égalité dans la liberté, et s’ils ne peuvent l’obtenir, ils la veulent encore dans l’esclavage ».
Voir aussi
Catégories :- Sociologie du droit
- Philosophie politique
- Sociologie spécialisée
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